1873
Mars↑
Anonyme, « Nouvelles du jour »,
Le Corsaire, 25 mars
1873, p. 3.
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Nous signalions quelques œuvres qui doivent figurer au Salon, notamment un tableau de L. Authié. Nous avons vu hier, chez le peintre Léon Tanzi, deux toiles qui ne peuvent manquer d’être remarquées. L’une est une étude de femme nue, couchée parmi des flots de velours marron sur un divan de satin grenat, et s’enlevant sur un fond de draperie en brocart d’or. L’autre est le portrait, original comme peinture, étonnant comme ressemblance, de notre collaborateur Jean Richepin.
Anonyme, « Nouvelles du jour »,
Le Corsaire, 30 mars
1873, p. 3.
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Nouvelles du Salon : M. Tony-Robert Fleury expose : les Danaïades ; M. Puvis de Chavannes, L’Eté ; M. Garolus Duran, Portrait de Mlle Croizette ; M. Jules Héreau, Pâturage de Gracesent ; M. Authié, Portrait d'André Gill ; M. Tanzy, Portrait de Jean Richepin ; M. Manet, le Bon Bock.
Avril↑
Anonyme, « Petite gazette »,
La Renaissance littéraire
et artistique, 26 avril 1873, p. 96.
Fonds Yves Jacq.
[…]
Il doit s’ouvrir la semaine prochaine, salle Gerson, une série de Lectures populaires de Littérature moderne. Les auteurs liront eux-mêmes leurs œuvres, vers ou prose. Nous voyons sur le premier programme les noms de Charles Monselet, Alphonse Daudet, Léon Cladel, Ernest d’Hervilly, Paul Arène, Albert Mérat, Catulle Mendès, Jean Richepin, Antony Valabrègue, Emmanuel des Essarts, etc.
Août↑
Adolphe Dupeuty, « Courrier des
théâtres », L’Événement, 8 août 1873, p. 4.
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On annonce pour samedi, au théâtre de la Tour-d'Auvergne, une double curiosité ; trois pièces nouvelles jouées par leurs auteurs : L'Étoile, drame de M. Richepin ; le Duel aux lanternes et la Ronde de Nuit. Le tout accompagné sans doute des Reporters, de M. Paul Arène.
Anonyme, « Courrier des
théâtres », Le xixe siècle, 10 août 1873,
p. 3.
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Ce soir, au théâtre de la Tour-d'Auvergne, aura lieu la représentation fantaisiste dont nous avons déjà parlé.
Les répétitions se sont continuées toute la semaine et les artistes (qui sont des auteurs) ont déployé un zèle dont maints directeurs seraient jaloux.
Dire que les vers des trois pièces sont de MM. D'Hervilly, Gill, Richepin, Paul Arène, etc, c'est assurer d'avance à cette curieuse soirée un charmant succès.
Il n'y aura que des invités.
Émile Marsy, « Derrière la
toile », Le Rappel,
10 août 1873, p. 4.
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Seigneurs et manants, badingueusards et fusionnards, gens de Lourdes, de la Salette, de la Galette et de maints autres lieux,
Oyez
C’est ce soir et non demain qu’au théâtre national de la Tour-d’Auvergne a lieu la grrrande représentation dramatico-lyro-comique qui se composera de : la Ronde de nuit, de d’Hervilly ; le Duel aux lanternes, de Paul Arène, et l’Étoile, de Richepin.
Les auteurs seront leurs propres acteurs, souffleurs, pompiers, allumeurs de chandelles et ramasseront eux-mêmes les nombreuses couronnes de lauriers dont le public idolâtre les criblera impitoyablement.
Les reporters bêtes des journaux de boulevard et de la rue de Suresnes seront consignés à la porte de ce pied-à-terre de la gaieté et de l’esprit.
Une tenue négligée est de rigueur.
Émile Marsy.
Paul Demeny, « Une soirée de
jeunes » Le xixe siècle, 11 août 1873,
p. 3.
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Nous sortons du théâtre de la Tour d'Auvergne. Chambrée complète de journalistes, d'artistes, de littérateurs ; tout le Parnasse est sur le pont. Quelques jolies femmes et des mines souriantes du haut en bas de cette salle de jeunes.
C'est une tentative très-nouvelle et très piquante : les auteurs eux-mêmes jouant leurs pièces et disant leurs vers, parfois avec maladresse, mais toujours avec conviction. Cela fait du bien, pour peu qu'on soit jeune, de se sentir dans cette atmosphère généreuse et vivifiante d'où sortiront peut-être des célébrités ; pour le moment les auteurs-acteurs ont des jeunes gens de talent, et les braves qu'on leur a prodigués étaient chauds et sincères.
Plusieurs critiques avaient tenu à assister à ces trois premières. Nous avons remarqué dans la salle : MM. de La Pommeraye, Claretie, Monselet, de la Rounat, Hosteil ; puis l'éditeur Lemerre, le Dieu des jeunes poètes, MM. Blum, Moreau-Sainti, Asseline, Mounet-Sully et Prudhon de la Comédie-Française, François, de l’Odéon, Camille Pelletan, le sculpteur Préault, Guyot, Gill, Ducros l'improvisateur, Touroude, Silvestre, Mérat, etc. Un joli prologue de M. Richepin a été dit avec art par M. Millainvoy.
La petite comédie, le Mariage aux lanternes, de Paul Arène, est vif, joyeux ; les vers sont troussés galamment et sont bien modernes. Le jeune poète s'est déjà fait applaudir à l'Odéon.
Un rôle étourdissant de Polichinelle dit par M. Richepin a été particulièrement applaudi, quand, le verre en main et trébuchant, bosse devant, bosse derrière, l'acteur improvisé a chanté ce délicieux couplet :
Du temps qu’on adorait les merles,
Cléopâtre, reine du Nil,
Dans le vin grec jetait des perles
Grosses comme des grains de mil ;
Or, je fais, moi, Polichinelle,
Autrement qu’elle :
En fait de perles j’aime mieux
Boire les larmes de ma belle
Dans un grand verre de vin vieux
Il y a bien eu quelques lanternes brûlées, mais bah ! puisque c’était dans le titre ! …
Nous passons alors au sinistre : c'est un drame, un vrai drame shakespearien de MM. Gill et Richepin, intitulé l’Étoile.
Un fou, une femme coupable qui revient au foyer et réclame son enfant.
L'enfant est adoré du père ; il exècre la femme qui l'a trompé, et il le poignarde avant de le lui rendre.
Des vers splendides, et pleins ont excité les bravos de toute la salle. M. Richepin se multipliant a remporté dans le rôle du fou un succès d'acteur.
Des notes vigoureuses et des gestes à la Mounet-Sully, lequel fronçait les lèvres comme d'ordinaire
Il est trop tard pour porter un jugement sur le drame : M. de la Rounat le fera mieux que moi et plus à loisir. Les situations sont fortes ; il y a évidemment des longueurs, mais beaucoup d'originalité et de savoir-faire : les auteurs sont loin d’être les premiers venus, et on ne saurait trop encourager ces tentatives littéraires où les jeunes forgent des armes comme on en fait dans les salles d'escrime avant de se risquer sur le terrain.
La soirée s'est terminée par une fantaisie espagnole de M. d’Hervilly, la Ronde de nuit, pétillante d'esprit et pleine de grâce poétique. Le charmant poète et quel acteur !
PAUL DEMENY.
Emile Marsy, « Les Théâtres »,
Le Rappel, 12 août
1873, p. 2.
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Il commence à y avoir du monde aux représentations des acteurs anglais. Après Hamlet, ils ont joué Othello. « Fleur sur fleur ! » dit Gertrude ; on peut dire : Chef-d’œuvre sur chef-d’œuvre ! Quel prodigieux drame que cet Othello, que cette jalousie versée goutte à goutte comme un poison ! Quelques verres de vin grisent Cassio jusqu’à en faire une belle brute ; la jalousie qu’Iago fait boire au More le grise bien plus terriblement et fait de lui une bête bien autrement féroce. Et quelle pitié quand il étouffe Desdemona ! Quelle scène, ce meurtre abominable d’une innocente où l’on ne sait qui l’on plait le plus, la victime ou le bourreau !
[…]
Hier soir, au théâtre de la Tour-d’Auvergne, il y a eu une soirée intéressante. On jouait trois pièces nouvelles, dont la nouveauté n’était pas le seul intérêt. L’originalité de la représentation était que les pièces étaient jouées par les auteurs en personne !
On a commencé par une vive et alerte comédie de M. Paul Arène, le Mariage aux lanternes. Puis ç’a été le tour d’un drame terriblement tragique, l’Étoile, un père forcé de rendre un enfant à une femme qu’il exècre et qui aime mieux le poignarder ; auteurs : MM. Gill et Richepin. On a fini par une saynette espagnole, la Ronde de nuit, un mélange d’alguazils, de guitares et d’amoureux, au milieu desquels se démène un tuteur astronome qui n’a qu’une ambition : marier sa pupille au plus vite, et retourner à ses astrolabes.
L’auteur de la Ronde de nuit étant notre ami et collaborateur Ernest d’Hervilly, on pourrait nous soupçonner de partialité, si nous disions ce que nous pensons de sa piécette. Nous la laisserons donc se louer elle-même, ce dont elle s’acquittera très bien, comme vous pourrez en juger par ces vers où un alguazil-mayor déplore l’ordre moral qui règne dans Séville :
Pas une infraction aux lois ! C'est désolant !
Où donc est mon gibier ordinaire : galant,
Poète, spadassin, ivrogne, tire-laine,
Ces chats gris de la nuit dont ma Séville est pleine ?
Tout est calme. Tout dort. — Je suis très étonné.
Que les temps sont changés !... — Le couvre-feu sonné,
L'obscurité, jadis, apportait la discorde.
Ce n'étaient que rapière et qu'échelles de corde !
Ça, compagnons, je suis très étonné. —
(Il contemple le ciel.)
Le ciel Est pourtant d'un sinistre aimable. — Est-ce qu'au miel
Du prochain les frelons, à deux pieds et sans ailes.
N'oseraient plus goûter ? — Le cœur des demoiselles
N'est-il plus de jaloux brutaux environné ?
Tout est calme. Tout dort. Je suis très étonné.
Les galères du Roi pourrissent dans les rades :
Elles manquent de bras ! — Qu'est ceci, camarades ?
N'avons-nous plus le flair ? Ah ! le noble métier
D'alguazil ne va plus. Il est vrai, le quartier
Est pauvre : en douze jours ne pas faire une prise 1
(Tombant des nues.)
Cette sécurité redouble ma surprise.
(Après un silence.)
Mais il faut des délits à l'alguazil-mayor.
Comme il faut au moulin des sacs de froment ; or,
(A ses alguazils.)
Amis qui m'écoutez, gens d'esprit, gens capables,
O mailles du filet pêcher les coupables.
Suivez-moi ! — Mosca veut, avant qu'il soit demain,
Saisir un criminel quelconque de sa main !
Les auteurs-acteurs ont été gracieusement et excellement aidés par Mmes Wilson, Saint-Martin, Rehn et Henriot.
Anonyme, « Chronique du jour »,
La République
française, 12 août 1873, p. 3.
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Il y avait fête de famille samedi soir dans la petite salle de la Tour-d'Auvergne, située à mi-côte sur la route du futur sanctuaire de sainte Alacoque. Mais la famille n’était pas la première venue. Pour la qualité et la quantité, elle aurait fait envie, par ce temps de canicule, au plus fortuné des théâtres de Paris. La salle était comble, et parmi les spectateurs il n’en était guère qui n’eussent une notoriété plus ou moins assise dans le monde de la poésie et des arts. Les attraits de la représentation n’étaient pas vulgaires, en effet, et justifiaient pleinement cet empressement. Trois pièces inédites, en vers, courtes toutes les trois, signées des noms les plus sympathiques de la jeune littérature, interprétées par des comédiens de rencontre dont la plupart ont conquis leur réputation ailleurs que sur les planches, c’était plus qu’il n’en fallait pour faire oublier aux plus nonchalants des parnassiens les rigueurs de l'été. En vérité, il est difficile de s’expliquer pourquoi deux au moins de ces pièces se sont trouvées réduites à cette extrémité, que les applaudissements de l’auditoire ont adoucie et que les auteurs semblent du reste avoir acceptée joyeusement, de se faire jouer en catimini, par des amis complaisants improvisés comédiens et parmi les hasards d’une mise en scène dé réglée. La Ronde de Nuit, de M. d’Hervilly, est une bouffonnerie charmante, agréablement rimée et d’une gaieté irrésistible. Un corregidor fantasque gémit de voir que les nuits de Séville sont devenues prosaïquement tranquilles et que les spadassins, les racleurs de guitare, les coureurs de brelans, les tuteurs bourrus, les ivrognes et les tire-laine ont renoncé à donner de l’occupation aux gens du roi. Je suis très étonné, dit ce policier convaincu, et l’expression de cet étonnement croissant, qui revient comme un refrain, produit l’hilarité nerveuse que provoque toujours au théâtre un mot heureux heureusement ramené : c’est ce qu’on appelle dans les coulisses la puissance de la scie. Entre les apparitions de la ronde de nuit, se produit l’inévitable fracas des soupirs amoureux, des sérénades et des esclandres de tuteurs jaloux ; mais le tout est rajeuni par un humour désopilant. Ainsi le Bartholo de l’endroit met flamberge au vent, s’arrache comme Arnolphe un côté de cheveux, fait tinter à sa ceinture la ferraille de plusieurs trousseaux de clefs ; mais, au fond, il n’est pas jaloux de sa pupille, il ne veut pas l'épouser ; c’est un placide astronome qui cherche à retrouver la liberté de ses nuits; il ne demande pas autre chose que de surprendre le galant pour lui donner la main de sa pupille et se débarrasser ainsi une bonne fois des soucis d’une surveillance qui l’enlève à la science. M. d’Hervilly n’a pas seulement l’ingéniosité dans l’invention, il a le mot heureux et le don de la gaieté communicative. On pourrait tout au plus lui reprocher quelques menues préciosités de langage qu’une révision de quelques heures corrigerait suffisamment. D’où vient donc que cette jolie fantaisie, autrement amusante que le Baptême du petit Oscar, se fane, à ce qu’on nous affirme, depuis six ans, dans les cartons de l’auteur ? Est-ce parce que les théâtres qui jouent des farces n’ont pas l’habitude du vers, et parce que les théâtres où on dit le vers ne veulent pas tomber dans la farce ? Peut-être ; mais on avouera que cette loi est bien dure pour le libre arbitre des poètes. Si, à la rigueur, nous trouvons une raison à la mésaventure de M. d’Hervilly, nous n’entrevoyons pas le prétexte tolérable de celle de M. Paul Arène. Le Duel aux lanternes est une œuvre exquise, où tout se trouve réuni de ce qui peut plaire ; la pièce est bien agencée, l’observation est exacte, la satire piquante, la facture du vers au-dessus de toute contestation. Ce n’est pas seulement du théâtre, c’est de la comédie, cet oiseau rare en notre temps. La scène se passe dans un jardin, au milieu d'une de ces fêtes costumées qui ont en ccs dernières années défrayé la chronique badine. Un vieux viveur, costumé en Polichinelle ; un jeune gandin, en Pierrot, se disputent le cœur d'une hétaïre à la mode. Ils conviennent de jouer leur destinée ; un coup de roulette décide que Polichinelle se tuera au matin et que Pierrot fera le bonheur de la belle. Mais, Polichinelle voyant sa fin approcher, se reprend à aimer la vie, et Pierrot, excédé par les simagrées de sa conquête qui l’assomme de rêves idylliques, en arrive à regretter son lot. Il saisit les pistolets où heureusement Polichinelle a oublié d'insérer les balles. Deux personnages secondaires, un majordome et un reporter de journal de scandales, qui ont entrepris en commun d’empêcher l’affaire de s’arranger, sont dessinés d’un trait très ferme et très juste. Voici une tirade et un couplet dits par Polichinelle, qui ont été très vivement applaudis :
Quel vin ! vit-on jamais escarboucle pareille ?
C’est bien simple ; un rayon flâne dans une treille
Et se cache dans les grappes comme un lézard.
Un brave vigneron passe là par hasard ;
Sans y songer, du bout de sa serpe il attrape
Ce rayon, et le coupe ensemble avec la grappe.
Au panier, au panier ! L’homme verse le tout,
Raisins mûrs et rayon, dans la cuve qui bout ;
Rayon et raisins mûrs se mêlent dans la cuve ;
La cuve qu’on emplit fume comme un Vésuve.
Et voilà la raison qui fait que nous voyons
Ce diable de vin vieux toujours plein de rayons.
Du temps qu’on adorait les merles,
Cléopâtre, reine du Nil,
Dans le vin grec jetait des perles,
Grosses comme des grains de mil.
Or, je fais, moi Polichinelle,
Autrement qu’elle. En fait de perles,
J’aime mieux boire une larme de ma belle
Dans un grand verre de vin vieux.
L’Étoile, drame en un acte, de MM. André Gill et Jean Richepin, nous semble, nous l’avouerons, d’une digestion plus difficile, et nous admettons plus aisément qu’elle s’exhibe au théâtre des refusés. C’est une longue scène de folie. Un homme est devenu fou après avoir été trahi par sa femme et n’a plus de consolation que dans la présence de son enfant. La mère coupable veut revoir cet enfant ; son mari ne la reconnaît pas ; mais, troublé par cette démarche, il égorge son enfant avec un eustache de peur qu’on ne le lui vole. Un quatrième personnage, un vieux domestique, a pour mission d’assister la mère dans sa démarche et rappelle de loin le rôle que joue Lucio près d'Isabelle dans Mesure pour mesure. Le tout est entremêlé de longues divagations sur les chandelles et les étoiles et sur la blancheur des enfants abandonnés. Le talent est loin de faire défaut dans cette œuvre atroce et peu intéressante. Certains morceaux sont tout à fait achevés ; nous signalerons particulièrement un récit fait par le pauvre fou de sa première promenade dans la campagne avec sa femme après son mariage. C’est une page tout à fait magistrale, vigoureuse et achevée à la fois. Que les auteurs, qui brossent le morceau avec tant de bonheur, tâchent donc de ne plus tomber dans ce travers de choisir des données indifférentes à l'intelligence, répugnantes pour la sensibilité, extravagantes pour le simple plaisir de l'être.
M. Richepin, qui jouait lui-même le rôle du fou, a très vaillamment payé de sa personne pour le salut de son œuvre ; il n’a pas mis moins de dévouement au service de ses camarades, car il a joué avec succès dans les trois pièces, et il a eu une bonne partie des honneurs de la soirée. A côté de lui, M. Pierre B... a montré mieux qu’un talent d’amateur. M. Nemo a été extrêmement réjouissant dans le corrégidor de la Ronde de nuit, et dans la même pièce. M. d’Hervilly lui-même a composé le rôle de l’astronome en dehors de toutes les règles reçues, mais avec une fantaisie échevelée fort réussie. Parmi les jeunes comédiennes qui ont pris part à cette soirée avec beaucoup de zèle, nous citerons Mme Wilson, qui a été vraiment dramatique dans l’Etoile ; Mlle Henriot, qui a l’étoffe d’une bonne ingénue ; Mme Rehn, qui a été assez gracieuse dans un bout de rôle pour faire regretter que le rôle fût si court. Au double point de vue de la littérature et de la récréation, il valait cent fois mieux passer la soirée du 9 août dans ce théâtre déclassé que d'entendre le Duc Job à la Comédie-Française.
Charles Monselet, « Critique
dramatique », L’Événement, 13 août 1873, p. 4.
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THEATRE DE LA TOUR-D’AUVERGNE : Le Duel aux lanternes, comédie en un acte et en vers, par M. Paul Arène ; l’Etoile, drame en un acte et en vers, par MM. André Gill et Jean Richepin ; la Ronde de nuit, fantaisie espagnole en un acte et en vers, par M. Ernest d’Hervilly
Quelques jeunes poëtes réunis, désespérant sans doute de vaincre les résistances des directeurs de théâtre ou impatients des lenteurs apportées par les examinateurs subalternes, ont trouvé plus simple de se taire jouer préalablement devant un comité choisi par eux-mêmes et trié sur le volet littéraire de Paris. Cela équivaut à une lecture en public, et cela continue aux quinquets les Matinées de M. Ballande. J’approuve entièrement ce procédé et je crois à ses résultats efficaces, depuis la soirée de samedi au petit théâtre familier et familial de la Tour d'Auvergne.
Les trois pièces qu’on y a représentées pourraient être transportées sur n’importe quelle scène de genre ; elles ont les conditions scéniques nécessaires, jointes à une incontestable supériorité de style. Toutes les trois sont en vers. La première, le Duel aux lanternes, rappelle ce tableau de Gérôme si connu, où, sur un sol neigeux, dans une allée du bois de Boulogne, un Pierrot s’affaisse entre les bras d’un sénateur vénitien, sous le coup d’épée d’un Polichinelle. L’auteur de la pièce, M. Paul Arène, a imaginé d’après cette toile une action essentiellement parisienne ; aux personnages du peintre il a ajouté une cocotte, un reporter et un petit chien frisé.
La différence qu’il y a avec le tableau, c’est que le duel de la pièce est un duel pour rire. Pierrot et Polichinelle, réconciliés, s’en vont bras dessus bras dessous décoiffer quelques flacons au cabaret voisin. Les vers charmants et spirituels abondent dans cette bluette, dont le Vaudeville ou le Palais-Royal s’emparera probablement tôt ou tard.
Par contraste, l’Etoile, - un titre bien doux cependant, - est le drame le plus féroce qui se puisse rêver. La folie et le meurtre en font les frais. Cela se passe au fond de l’Angleterre, dans un château perdu. Un seigneur en pourpoint noir y promène sa démence avec un enfant en pourpoint blanc. Sir Richard est devenu fou par suite de l’abandon d’une femme aimée, qui n’est autre que la mère du petit Georges. Au bout d’une dizaine d’années, cette femme s’avise de venir réclamer son enfant. L’insensé de la Grande-Bretagne ne la reconnaît pas ; il comprend seulement qu’elle veut emmener le petit Georges, et c’est ce qu’il ne veut pas. Sous un prétexte quelconque il s’enferme avec son fils.
– Jouons ! lui dit-il l’air hagard.
– Oui, papa ; à quel jeu !
– Au jeu… du boucher !
Et sans se laisser toucher par les cris du pauvre petit, sir Richard lui plonge un couteau dans la gorge, en prononçant ces paroles ou à peu près :
– Tu étais mon enfant blanc, tu seras mon enfant rouge !
Je dois à la vérité d’avouer que ce sujet m’a donné quelque peu la chair de poule. En revanche, j’ai surpris une expression de contentement et presque de béatitude sur le visage de mon voisin de salle, M. Puissant, auteur d’un chef-d’œuvre célèbre parmi une centaine de lettrés et intitulé : Les Ecrevisses du petit Auguste.
L’Etoile est de l’Ecole avancée des Ecrevisses du petit Auguste ; c’est de l’horreur à froid, bien détaillée, étudiée de près. Qui le croirait ? M. André Gill, le spirituel et original dessinateur que l’on connaît, s’est associé avec M. Jean Richepin pour consommer cet ouvrage satanique. Cela étonne au premier aspect, puis la réflexion dissipe l’étonnement : il n’est pas prouvé du tout que Gill soit un caricaturiste ; son crayon ne rit presque jamais. C’est un imagier violent, un philosophe amer sous des habits bariolés. On sait, à partir d’aujourd’hui, que c’est un auteur dramatique couvert de sang ; il voit rouge comme le chourineur d’Eugène Sue, et il rime rouge.
La Ronde de Nuit (rien du tableau de Rembrandt) a ramené le public à de plus agréables idées. Cette fois nous sommes à Séville, et les castagnettes bruissent dans l’air parfumé ; les Andalouses passent enveloppées dans leur mantille, l’œillet aux cheveux, le pied furtif. A droite, une maison avec un balcon ; sous le balcon un jeune homme avec une guitare. La guitare réveille les alguazils, qui commencent leur ronde fantasque, une chasse folle aux amoureux.
Voilà tout ce que j’ai compris à la fantaisie espagnole de M. Ernest d’Hervilly ; mais je n’en demandais pas davantage. Je me suis vu ramener à la joyeuse et brillante époque de Jodelet et de Don Japhet d’Arménie ; et ce n’est pas un plaisir que je suis appelé à goûter tous les soirs dans les autres théâtres.
M. Ernest d’Hervilly a poussé la fantaisie jusqu’à jouer un rôle dans sa propre pièce. – M. Richepin en a fait autant dans l’Etoile. Ils ont été très bons tous les deux, chacun dans son genre. Eh bien ! mais, ce n’est donc pas si difficile que cela de jouer la comédie ?
Charles Monselet.
Charles Monselet, « Théâtres »,
Le Monde illustré, 16
août 1873, p. 110.
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LA TOUR-D’AUVERGNE : Le Duel aux lanternes, comédie en un acte et en vers, par M. Paul Arène ; l’Etoile, drame en un acte et en vers, par MM. André Gill et Jean Richepin ; la Ronde de nuit, fantaisie espagnole en un acte et en vers, par M. Ernest d’Hervilly – CIRQUE DES CHAMPS ELYSEES : Exercices de Mlle Chiarini – La préface de Thérèse Raquin
C’est à l’extrémité de Paris, au bas du coteau de Montmartre, dans le petit théâtre de la rue de la Tour-d’Auvergne enfin, que, par ce temps de disette dramatique, je suis obligé aujourd’hui d’aller chercher les premières représentations. Encore pour cela me faut-il presque violer le huis-clos d’un spectacle d’amateurs, - car ce sont des amateurs, des hommes de lettres, s’il vous plait, qui interprétaient l’autre soir les trois ouvrages dont les titres sont inscrits en tête de cette chronique. Ils se sont tirés à leur gloire de cette tentative. Comédies inédites et comédiens anonymes ont obtenu le plus franc succès.
On avait déjà le Mariage aux lanternes d’Offenbach ; on a maintenant le Duel aux lanternes, de M. Paul Arène, lanternes de couleur, duel pittoresque, arrangé comme la plupart des duels d’aujourd’hui où il n’y a ni mort ni blessés. Du choc des épées, il ne jaillit que des strophes charmantes ; le tube effilé des pistolets ne laisse échapper, au lieu de balles, que d’aimables rimes. Je m’en voudrais de ne pas ramasser quelques-uns de ces jolis projectiles pour les offrir au lecteur. Voici un couplet qui respire le plus pur enthousiasme bachique :
Quel vin ! Vit-on jamais escarboucle pareille ?
C’est bien simple : Un rayon flâne dans une treille
Et se cache entre les grappes, comme un lézard ;
Un brave vigneron passe là, par hasard,
Sans y songer ; du bout de sa serpe il attrape
Le rayon, et le coupe ensemble avec la grappe.
Au panier ! au panier !… L’homme verse le tout,
Raisins mûrs et rayons, dans la cuve qui bout.
Rayons et raisins mûrs se mêlent dans la cuve,
La cuve qu’on emplit fume comme un Vésuve,
Et voilà la raison qui fait que nous voyons
Ce diable de vin vieux toujours plein de rayons !
L’Etoile, de MM. André Gill et Richepin, contraste violemment avec cette gaieté-là. Toutes les atrocités imaginables sont réunies dans ce petit drame, où un père, fou lyrique, égorge son enfant avec délices. Je suis encore de ceux qui discutent sur le choix d’un sujet et qui ne se le laissent pas imposer. C’est dire que l’Etoile ne m’a charmé qu’à demi, malgré tout le talent et toute l’énergie qui y éclatent. – Un des auteurs a joué le principal rôle avec une puissance et une science qui l’égalent aux meilleurs artistes. Pourquoi M. Jean Richepin n’aborderait-il pas bravement le théâtre ? C’est une carrière plus en honneur que jamais.
Ch. Cadillac, « Théâtres », La Timbale, 16 août 1873,
p. 2.
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Parnassiens au grand complet s’étaient donné rendez-vous, samedi soir, rue de la Tour-d’Auvergne.
Les parents, les amis, les intimes et quelques étrangers étaient reçus au sein de cette phalange de poètes qui, ce soir-là par exception, jouaient eux-mêmes leurs œuvres.
Deux ou trois critiques, des grands ! je parle, avaient revêtu leur habit noir et leur air sévère, pour s’acheminer jusqu’au haut de la rue Rochechouart. Monselet seul, habitué à de plus intimes réunions du Parnasse, arriva souriant et de bonne humeur avec.... un panier de champagne. Toujours le même, vous voyez.
La petite fête, parait-il, ne devait pas finir avec le mot de la fin lancé au parterre.
Le Duel aux lanternes, un acte fort remarqué, de M. Paul Arène, ouvrit la séance après un prologue en vers. Les artistes réclamaient l’indulgence. Cet acte, une critique de l’amour parisien, mêlé de King-Charles et de reporters, mérite plus que des éloges banals. Il y a surtout des passages de poésie où toute la chaleur provençale de l’auteur se dévoile avec une facture de vers, que, malheureusement, on ne retrouve pas chez son confrère, M. Richepin, l’auteur de la seconde pièce, l’Étoile, en collaboration avec And. Gill, le spirituel dessinateur.
M. Richepin doit être un cerveau fantasque, étrange, et je dirai presque malade. La pièce, qu’il a lui-même jouée, avec un certain mérite scénique, et pour laquelle il a été justement applaudi, ne peut trouver grâce devant l’examen ni comme pièce de théâtre, ni comme valeur de versification. II y a beaucoup trop de vers qui choquent. J’espère que M. Richepin peut être plus correct. Je sais que c’est un poëte, et qu’il a du mérite. Pourquoi donc ne pas se raturer quand il le faut ?
M. Ernest d’Hervilly est fort spirituel. Sa fantaisie espagnole, qu’il avait écrite pour le spectacle de samedi, le prouve. Il y a surtout un type d’alguazil fort réussi, le duo des femmes au balcon est très-drôle également, et le monologue du tuteur ne laisse à désirer, au reste de la pièce, qu’une chose, un acteur pour la rendre. M. d’Hervilly était son propre interprète ; il a donc fait ce qu’il a pu pour se bien jouer. Ce qu’il a fait, et tout cas, c’est une pièce gaie et drôle, que le public a trouvée de son goût. Titre : Une Ronde de Nuit.
M. Mounet-sully, qui assistait à cette représentation, où tout le monde était applaudi, ne paraissait pas convaincu que MM. les Parnassiens, ce soir-là, disaient mieux les vers que les artistes de la Comédie-Française. Il n’y avait cependant pas trop à se plaindre à cet égard.
A quand la deuxième Soirée ? Ce début ne doit pas s’arrêter court, il faut une suite.
Henri de La Pommeraye,
« Théâtres – Une soirée à la Tour-d’Auvergne », Le Bien public, 18 août 1873,
p. 1-2.
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(SELF- EXHIBITION)
Le Duel aux lanternes, comédie en vers, par M. Paul Arène.
L’Etoile, drame en vers, par M. Jean Richepin.
La Ronde de nuit fantaisie en vers, par M. Ernest d'Hervilly.
Les pièces en vers ne se bonifient pas dans les cartons, comme les vins du Bordelais dans les bouteilles. C'est donc un parti sage que de les faire jouer dans un délai aussi court que possible, après leur composition. Quatre auteurs, non point des inconnus, mais des jeunes et des nouveaux, MM. Paul Arène, Gill, Richepin et d’Hervilly, ont employé un ingénieux moyen pour obtenir ce résultat ; Ils se sont dit que s’ils déposaient leurs œuvres dans trois ou quatre secrétariats de théâtre, six mois étant le minimum d’attente pour chaque administration, ils en avaient pour près de deux ans en moyenne ; encore couraient-ils la chance d’être blackboulés !
Ils ont, alors, préféré supprimer, par un coup d’Audace, l’aléa et le retard. Dans ce but, ils se sont improvisés comité de lecture, impresarii et comédiens. Ils se sont lu à eux-mêmes leurs drame et comédies ; ils les ont reçus aussitôt ; ils ont procédé à la distribution des rôles, qu’ils se sont partagés ; enfin, ils ont fixé irrévocablement Ia date de Ia Première représentation Cela réglé, il ne manquait plus que la salle. On fouille dans les poches, on vide les porte-monnaies, on toutes les sommes en commun et la cagnotte dramatique constituée, on va demander à Bridault — qui n’est pas un vampire — de louer sa salle de la Tour-d’Auvergne.
Quant au public, il n’y avait qu’à l'admettre gratuitement pour être sûr de son empressement ; enfin la presse est bonne fille, très fidèle à ses devoirs. Ce plan mis à exécution, il ne restait plus qu’à apprendre, répéter, aller chez le costumier, chez le perruquier, au magasin de décors, et le samedi 9 août 1873, à huit heures et demie très précises du soir, les trois coups frappés, la toile se levait devant un auditoire aussi nombreux que choisi pour exhiber aux yeux des spectateurs attentifs le Duel aux lanternes, L’Etoile et la Ronde de nuit. Il y a eu cependant, tout d'abord, un appendice au programme, un prologue destiné à exposer le but, l’originalité de l’entreprise, et aussi à solliciter l’indulgence des critiques. Tigres, rentrez vos griffes, s’écrie avec quelque sévérité d’expression M. Richepin, l’auteur du morceau. Eh bien ! non, messieurs, non, nous ne rentrerons pas nos griffes et ne vous ferons point patte de velours ! Si vous étiez des naïfs s’amusant au jeu du théâtre, comme des enfants avec des Guignols portatifs ; ou bien, si vous étiez des vaniteux étalant leurs chefs-d’œuvre méconnus à l’admiration de quelques billets de faveur badauds, nous garderions un silence dédaigneux après nous être contentés de lever les épaules ou le pied. Mais, vous êtes des jeunes ayant le désir et la volonté d’être de vrais auteurs dramatiques, et vous avez tous quatre beaucoup, beaucoup, beaucoup de talent ; il faut donc vous traiter comme nous traitons les écrivains revus dans ce qu’on est convenu d’appeler les grands, théâtres, et il faut vous dire la vérité. Vous la méritez ! Elle sera, au demeurant, flatteuse pour vous, utile aux autres. Je ne crois pas, en effet, qu’on puisse rencontrer jamais plus heureuse occasion de préciser les éléments qui constituent l’art de la composition dramatique, et de déterminer les causes qui entravent le succès sur la scène de certaines individualités remarquables à divers titres dans la littérature contemporaine. Prenons le Duel aux Lanternes, ainsi que l’Etoile-, —il faut mettre à part la Ronde de Nuit, on verra plus tard pourquoi, — et analysons les qualités, les défauts de ces deux productions. Le Duel aux Lanternes est une sorte de fantaisie philosophico-poétique. Un Polichinelle et un Pierrot se disputant la possession d’une même femme, en viennent à croiser le fer, et vont se transpercer, lorsqu’ils imaginent un duel non moins terrible, mais plus original. Ce sont les dés qui décideront entre les deux adversaires. Les enjeux seront Suzon et un pistolet. Le gagnant aura le choix. C’est le polichinelle qui perd, et en bon joueur, il accepte bravement le pistolet, tandis que le pierrot devient le possesseur de la disputée Suzon. Possesseur, entendons-nous ! Le plus souvent, on ne possède pas une femme, c’est elle qui vous possède. Ainsi il arrive pour le pierrot. Le voilà esclave de Suzon, esclave même du petit chien de Suzon, le caniche Zisco, bête charmante, frétillante, au poil noir, soyeux et tout frisé, à la queue en trompette, au museau frais et malin, à la mine friponne, mais qui, volontaire, indisciplinée, gâtée, fait donner au diable son nouveau maître, tire à hue quand on veut aller à dia, et finit par si bien insister sur son collier, sur sa chaîne, qu’il faut lui céder quand même et le suivre, ou alors le porter. Le pierrot se fatigue d'être à Zisco et à Suzon. Ce double esclavage lui pèse et en outre, comme la plupart des mains, il ne tient plus à ce qu'il convoitait si fort, du moment qu'il l'a obtenu.
Sa résolution est donc prise, et puisqu’on sa qualité de gagnant, il a l’option, il réclame le pistolet au polichinelle, qui, après avoir fait ses adieux à la vie, allait acquitter sa dette de jeu, lui repasse Suzon, et se retire décemment dans un endroit écarté pour se brûler la cervelle. Ai-je besoin de vous dire que le pistolet était chargé avec une balle de liège ? Le pierrot en est quitte pour une bosse au front ; mais, résultat plus profitable, il est dégrisé ; le polichinelle revient également à la raison, et les deux amis vont se coucher plus sages et libres. Cette fable est écrite en vers aimables, piquants ; il y a des détails qui sont exquis, par exemple la chanson du polichinelle ; mais tout cela ne forme pas une pièce : ce n’est pas du théâtre ; ce ne sont que des scènes détachées, plus ou moins réussies, car il y eu a qui sont complètement ratées, celle des reporters, par exemple. A ce jugement, M. Paul Arène nous répliquera ; « Qu’entendez-vous par ces expressions : une pièce, du théâtre ; précisez ! » — Tout à l’heure ! Passons d’abord au drame de MM. Gill et Richepin, L’Etoile, qui dans un genre plus élevé, a les mêmes qualités et les mêmes défauts que la comédie de M. Arène : nous pourrons ensuite résumer, synthétiser et conclure. Abandonné par sa femme qui, dans un jour d’aberration, a suivi un séducteur, sir Richard est devenu fou de jalousie et de désespoir. Il ne reconnaît plus que son petit Georges, et encore cet enfant éveille-t-il en lui des idées confuses, singulières, douloureuses. Au moment où les auteurs présentent au public le spectacle de cet intérieur sinistre, l’épouse adultère rentre au foyer pour essayer d’obtenir son pardon. Sa présence, loin de ramener Ia raison dans l’esprit du malheureux, redouble au contraire son excitation. Richard, en face de Bella, semble en tendre tinter en son cerveau le glas du passé, il tombe dans une sorte d’extase terrible ; son imagination fantasque s'envole vers les astres, et s’attache aux étoiles qui sont - dit-il - des mères cherchant, avec une chandelle, les fils qu’elles ont perdus. Après avoir ainsi divagué longtemps dans les sphères célestes, le fou prend sur ses genoux son petit enfant blanc, joue avec lui au mouton et au boucher, et le tue d’un coup de couteau pour qu’il devienne son petit enfant rouge. La mère assiste à ce crime inconscient, qui est la conséquence et le châtiment de sa faute.
Sur ces horreurs, les auteurs ont jeté un voile étincelant de poésie. Il y a une description de l’amour, de la conception, qui est splendide et qu’avec raison le public a applaudi frénétiquement à trois reprises. Donc, comme forme, il n’y a que des éloges à adresser à MM. Gill et Richepin ; mais l’Etoile, comme le Duel aux lanternes, pêche par le côté scénique, théâtral, et cela pour des raisons identiques, Ce n’est point par goût pour le paradoxe que nous rapprochons ces deux actes, et nous allons essayer de prouver que la même formule critique s’applique à tous deux. MM. Arène, Gill et Richepin ont-ils mis des abstractions sur la scène, ou bien des personnages réels ? Voilà ce qu’ils n’ont pas suffisamment indiqué pour le public, et voilà où est le vice capital de leur œuvre. Retouchez ce point faible, et les pièces deviendront excellentes.
Je m’explique. Quand on montre au théâtre Pierrot, Polichinelle, chacun connaît ces types ; on sait instinctivement, par habitude, d’où ils viennent et ce qu’ils sont. Les auteurs peuvent donc faire agir et parler ces deux êtres de fiction sans explication préalable.
Mais, si vous présentez un pierrot, un polichinelle, c’est-à dire un monsieur qui, sur son habit noir, a jeté une défroque carnavalesque, nous avons le désir et le droit d’être renseignés sur cette dualité, afin de nous y intéresser.
Ce pierrot, ce polichinelle, vont se couper la gorge et se tuer ; mais il y a une foule de détails préliminaires qu’il nécessaire de connaître pour que les spectateurs prissent part à leurs impressions. Sont-ce des sceptiques ou tout simplement des ivrognes ? des favoris ou des déshérités du sort ? ouvriers ou gens de lettres ? En un mot, donnez-leur une personnalité pour qu’ils vivent sur la scène et qu’ils meurent : sinon mon esprit n’a nulle communion, nul lien avec eux et l’intérêt n'est pas excité.
Il en est de même de Richard ? Qu’est-ce que ce fou ? Un Anglais ; toutefois un peu de biographie préalable ne serait inutile, et, suivant l’excellente coutume de son pays natal, je voudrais qu’on me le présentât. Je démêle bien, à travers les fils de ses divagations poétiques, qu’il a dû aimer Bella ; cependant je ne serais pas fâché d'apprendre comment l'accident est arrivé ? Sir Richard, comme le pierrot et le polichinelle, n’est pas une personnalité.
Et c’est là une faute commune à l’école qu’on est convenu d’appeler le Parnasse ; elle se livre tout entière à l’imagination et ne se réserve pas assez pour le réel. Réel ne veut pas dire réalisme, et au théâtre, si le réalisme est mauvais ou tout au moins a ses vices, le réel est absolument nécessaire. Je sais la part grande qui doit être réservée sur la scène, à la convention, mais encore celle-ci n’est-elle, à proprement parler, que le vrai en perspective. Quoi de plus conventionnel que le décor ? Et pourtant il est vrai en apparence.
Les Parnassiens dédaignent ces règles, ces lois absolues de l’optique théâtrale. Ils portent sur les planches les sujets tels que leur esprit les a conçus, sans se préoccuper de le rendre accessible aux autres à l’aide de procédés employés de tout temps par les maîtres plus incontestés. Autres choses sont l’ode, le poëme, la ballade, autre chose est l’œuvre dramatique. Le lecteur suit le poëte partout où celui-ci l’emporte sur l’aile du caprice : le spectateur ne se laisse entraîner que sous certaines conditions déterminées, qu’on tenterait en vain de modifier. On ne change pas les lois d’esthétique théâtrale aussi facilement que la constitution d’une nation, et les Parnassiens y perdront leurs peines ainsi que leur temps. MM. Arène, Gill et Jean Richepin ont commis l’erreur habituelle à tous leurs confrères : leurs personnages sont, — qu'on me passe ce langage philosophico-barbare, surtout des entités. Ce ne sont pas des fous, des sceptiques, des viveurs, des fantasques : ils sont la folie, le scepticisme, le plaisir, la fantaisie. » Et pourtant, le théâtre ne souffre l’abstraction que rarement, comme accessoire. Tenez, prenez, dans Shakespeare, Hamlet, un type qui a plus d’un point de ressemblance avec la création de MM. Gill et Richepin, et vous comprendrez la différence des procédés employés par des poëtes qui ne sont que poëtes, avec un poète qui consent à être homme de théâtre. Hamlet est le rôle le plus philosophique, le plus abstrait, qui existe dans tout le répertoire ; et pourtant combien est accentuée son individualité ! Avec quel soin Shakespeare a accumulé les faits qui donnent à ce personnage un caractère humain ! L’amitié d’Hamlet pour Horatio, son amour pour Ophélie, ses entretiens avec l’ombre de son père, ses plaisanteries sur Polonius, ses conseils aux comédiens, sa visite au cimetière, tout cela concourt à l’illusion. Hamlet n’est pas un esprit détaché complètement de la terre, absorbé entièrement dans ses pensées : il répond à ses interlocuteurs, il agit, il vit ! Richard, au contraire, n’est pas une seule minute dans la réalité de la vie ; il se parle toujours à lui-même comme dans un rêve. Ses paroles forment un continuel monologue qui occupe l’acte tout entier. Il est fou, — je ne l’oublie pas, — mais Hamlet aussi a le délire ; seulement les poëtes Gill et Richepin ont cru à tort que la folie, sans éclair de raison, serait supportable pendant près d’une heure, tandis que l'homme de théâtre Shakespeare a diversifié les effets par des intervalles lucides qui reposent l’attention et soutiennent l’intérêt. Et voyez dans Shakespeare combien les autres rôles se tiennent debout à côté de celui d’Hamlet ! Ophélie, Polonius, la Reine, Laërte, le fossoyeur même sont autant de figures que le spectateur contemple avec curiosité. Dans l'Etoile, l’épouse Bella, le serviteur Sam, sont à peine des silhouettes qui voltigent impalpables sur la scène absorbée par Richard. Aussi 1’idée-mère du drame, le châtiment de l’adultère par la folie du mari et la mort de l’enfant est-elle à peine sensible et même disparaît-elle pour la majorité du public. Il est, à mon sens, quelque peu outrecuidant, de la part du critique, de vouloir refaire les pièces qu’il trouve manquées, car l’auteur pourrait lui dire avec quelque fondement : « Vous avez le droit de me juger et non de vous substituer à moi » ; cependant j’oserai soumettre à MM. Gill et Richepin une observation. Ne reconnaissent-ils pas que leur drame eût été plus humain, plus saisissant, s’ils avaient placé la femme au premier plan, et le fou et l’enfant sur le second plan ? Ils montraient au public la douleur et les remords de cette coupable rentrant au foyer, trouvant son mari fou, essayant de le ramener à la raison, à force d’affection, espérant toucher au pardon au bonheur, puis voyant cet espoir fuir toujours devant elle, et enfin à l’heure où par l’enfant elle croit réveiller la tendresse dans l’âme du malade, assistant à l’égorgement de son fils. Quelle lutte poignante et dramatique ! Cette lutte existe, en effet, au fond du sujet : mais la façon dont ce sujet est traité relègue la femme dans la coulisse, et remplace l'action par la parole. Bella était le drame : Richard, c’est la tirade, le vers, la forme. Les auteurs ont sacrifié au dieu ; du Parnasse le bouc de Thespis.
Cette nouvelle épreuve aura-t-elle servi aux nombreux écrivains qui étaient dans la salle ? MM. Arène, Gil1 et Richepin auront-ils au moins profité de la leçon ? Les impressions du public ont été, il me semble, celles que j’indique, et si l’on n’a pas tari d’éloges sur la grandeur ou la grâce, la beauté ou le charme des pensées et du style, l’intrigue n’a pas satisfait complètement l’esprit des auditeurs, qui, au théâtre, veulent, je le répète, autre chose que ce qu’offre le livre. Donc, point de dédain pour la charpente dramatique : il serait triste de rendre autant de talent improductif la scène, par le mépris du métier, et si l’on veut se convaincre que les plus célèbres tragiques n’ont point fait des ficelles dramatiques — dans le bon sens du mot —il n’y a qu’à étudier la carcasse du Cid, d’Andromaque | et d'Othello. Les reproches adressés aux jeunes écrivains si distingués dont nous avons analysé les œuvres ne sauraient s’appliquer à M. d’Hervilly !
[…]
On se plaint de la pénurie d’artistes, il en est qui restent ignorés dans des théâtres de banlieue où l’on use leur talent et leur jeunesse moyennant quatre-vingts francs par mois. Nous reviendrons sur ce sujet, qui est une des faces de la question, si grave pour l’art dramatique, de l’emploi utile des valeurs inconnues. Pour aujourd’hui, c’est de la production dont nous nous sommes occupés. On a vu dans notre compte-rendu le chemin fait par l’idée de self-exhibition. Le mouvement s’accentue ! Bravo ! Des tentatives comme celles de MM. Arène, Gill, Richepin et d’Hervilly sont fécondes, profitables à tous ; aussi nous y applaudissons de toute la forte de notre sympathie pour ceux qui travaillent, qui créent, qui croient et qui luttent !
HENRI DE LAPOMMERAY.
Charles de la Rounat,
« Causerie dramatique – Une représentation de poëtes au théâtre de
la Tour-d’Auvergne », Le
XIXe siècle, 19 août 1873, p. 1.
Ce document est extrait du
site RetroNews. Article recensé par Yves Jacq.
En 1552, les jeunes poëtes de la Pléiade, dont Ronsard était le chef et le pontife, se réunirent pour jouer eux-mêmes leurs propres œuvres. Estienne Jodelle fut l’instigateur de l'entreprise et rassembla bientôt autour de lui Remy Belleau, que Ronsard appelait le peintre de la nature, Jacques Grévin de Clermont en Beauvoisis, Jean de la Péruse, etc. Les confrères de la passion — que Boileau appelle naïvement de joyeux pèlerins, – venaient de se voir interdire la représentation, trop joyeuse, des mystères et cherchaient à se créer un répertoire profane. La bonne volonté y était, sans doute, l'expérience des planches même et le sentiment dramatique dans une certaine mesure, mais non point les lettres et le beau dire. Leurs gouverneurs, c'est à-dire les administrateurs et directeurs de la troupe, comme on dirait aujourd'hui, étaient en ce moment un nommé Leroy, maître maçon, Gendreville, une sorte de maquignon, M. Jambefort, maître paveur. Par l'état-major on peut juger des soldats, et l'on comprend que nos jeunes poètes, pénétrés de la haute valeur de leurs productions, ne voulussent point confier à de pareilles mains les destinées de leurs œuvres.
On joua la Cléopâtre captive, de Jodelle : il faisait lui-même la reine d'Egypte, — il avait vingt ans, — puis la comédie d'Eugène, écrite de verve, « en quatre traites » Henri II, qui assistait à la représentation, fut si satisfait qu'il envoya cinq cents écus de sa propre cassette au poète-acteur.
Mais le grand succès fut pour la tragédie : ce fut un triomphe. Les amis du poète l'entraînèrent à Arcueil, où Ronsard avait une retraite. En route, ils rencontrent un bouc et voici nos enthousiastes qui l'enguirlandent de lierre et le couronnent de fleurs. Puis, après un festin, où les libations à Bacchus ne furent pas un vain simulacre, ils entonnent le Pœan triomphal et offrent au poète animal symbolique, qui ne s'attendait guère, en broutant ses pampres au bord de la Bièvre, à cet honneur renouvelé des Grecs.
Edouard Fournier a fait une excellente notice sur Jodelle, dans son intéressant Recueil du Théâtre Français au seizième siècle : il y raconte entre autres choses que Tahureau tira du nom d'Estienne Jodelle cet anagramme triomphant : loi le Délien est né !
Ils n'y allaient pas de main morte, comme on voit, et Ronsard lui-même dut par paertager avec Jodelle sa royauté poétique.
Le doux Remy Belleau aux vers harmonieux n'était pas moins enivré de la gloire de Jodelle, et c'est sans doute à l'émulation que cette gloire fit naître qu'on doit la comédie de la Reconnue, qu'il écrivit alors et qui ne fut probablement jamais représentée. Rien n'était moins dans le tempérament de ce poète charmant qu'une telle entreprise. Il avait la grâce, l'élégance, la pureté ; mais nulle trace de ces qualités plus gaillardes et plus franches qu'exige la comédie.
Or, la semaine dernière, les Parnassiens, ainsi qu'on nomme les adeptes de la jeune école poétique, refirent ce qu'avaient fait Jodelle et ses compagnons. Las de heurter aux portes fermées des théâtres, ils prirent leurs manuscrits sous leur bras, — ils ne sont pas bien lourds, — et s'en vinrent demander l'hospitalité à la petite salle de la Tour-d'Auvergne. S'il y avait des théâtres dans les montagnes de l'Ecosse, ils ne seraient pas plus hospitaliers. L'abri leur fut donné, ils s'installèrent et, se distribuant entre eux les rôles de leurs comédies, ils apprirent, répétèrent, mirent en scène et, finalement, le jour solennel venu, convoquèrent à une représentation complète tout un public digne de les apprécier.
Il s'agissait de trois petits actes ; quand je dis petits, c'est une manière de parler; car les auteurs, n'ayant à subir les exigences d'aucun directeur, ne se soumettant à aucune autre autorité que la leur, avaient usé largement de leurs droits, et, comme ils tiennent à leurs vers, n'avaient pas eu un seul instant l'idée que des coupures pussent être nécessaires. Ces trois petits actes sont donc très longs, deux surtout.
Le premier, qui s'appelle un Duel aux lanternes, est une petite comédie fantaisiste de M. Paul Arène. Cette comédie m'était connue ; je l'avais eue entre les mains, et j'avoue que j'ai même essayé de déterminer le directeur d'un théâtre de genre à la représenter. J'ai complètement échoué dans ma tentative, et la décision autocratique d'un examinateur subalterne, ennemi né de tout ce qui sort de la routine et du terre-à-terre, a eu plus de poids que mes sollicitations. La chose a été considérée comme un acte de pure démence, et je ne sais pas trop si l'on n'a pas essayé de me prouver que l'auteur était absolument étranger à l'art de faire les vers.
Le public, restreint et trié, il est vrai, du théâtre de la Tour-d'Auvergne, n'a pas paru partager cette manière de voir ; la petite comédie a obtenu un succès très vif.
Ce n'est pas que j'en veuille exagérer la valeur : ces trois petits ouvrages représentés dans la même soirée ne sont pas, à proprement parler, des œuvres dramatiques, ce sont essais de poètes ; mais essais charmants et séduisants auxquels il est bon de faire place. Cela ne renouvelle certainement pas la face de la littérature dramatique et ne ressemble en rien au grand mouvement littéraire de 1830.
A vrai dire, cela ne peut pas s'appeler une École, c'est une subdivision. : c'est le Vanves ou le Sainte- Barbe-des-Champs du grand collège littéraire. Il n'y a pas à s'écrier, quelque bonne volonté qu'on apporte à parcourir la jeune phalange, il n'y a pas à s'écrier, comme les amis d'Etienne Jodelle : Io ! le Délien est né ! le dieu à l’arc d’argent ne s’est point incarné parmi nous.
Ah ! je regrette plus que personne que parmi tous ces jeunes talents il ne se rencontre point quelque nature vigoureuse et hardie, se résignant à ne considérer la forme que comme serve et sujette de la conception et de l'idée, lente à prendre la plume, pénétrée de la nécessité de la composition et bien persuadée que, pour qu'une idée éclose à point, il y faut les lenteurs et la persévérance d'une incubation véritable.
Par quoi sommes-nous tout d'abord frappés dans les magnifiques compositions du Poussin ? Est-ce par le fini des premiers plans, par ces cailloux comptés et ces brins d'herbe si finis des terrains, par les feuilles distinctes de ces arbres ? Non, c'est avant tout par la sérénité générale de l'ensemble, par cette majesté calme des grandes lignes, par l'ordre grandiose et harmonieux des lointains. Je ne me lasse point de contempler ces magnifiques gravures du Polyphme, des Funérailles de Phocion, du Diogène, du Serpent, etc. C'est un spectacle sain et reposant. L'esprit se rassérène et s'élève : le silence se fait dans le bruissement de nos pensées, le recueillement s'impose, le regard s'éclaire, nos horizons s'élargissent, je ne sais quelle fraîcheur nous pénètre, quelle fécondité se dégage de cette grande et chaste union de la nature et de l'art à laquelle nous assistons.
Gœthe avait des cartons remplis de gravures et de dessins d'après les grands maîtres ; il les regardait souvent et recommandait cet usage comme une sorte d'hygiène intellectuelle : « Car, disait-il, de petits êtres comme nous ne sont pas capables de garder en eux- la grandeur de pareilles œuvres ; il faut que de temps en temps nous retournions vers elles pour rafraîchir nos impressions. »
Conseil excellent et que nous devrions pratiquer pour nous maintenir au niveau des grandes choses et ne pas glisser dans ces rapetissements de l'art, sur lesquels on trouve bon, faute de se sentir une suffisante envergure, de bâtir de trop commodes théories.
C'est en jetant par hasard les yeux sur l'un de ces beaux paysages du Poussin que ces pensées me sont venues ; car je me suis senti frappé, en même temps que de la grandeur de la composition, du fini et de la minutie du détail. Chaque chose est bien réelle en soi, mais le sentiment immatériel de l'ensemble prédomine et, comme disent les peintres, en y est surtout frappé de la beauté des lignes.
Cs n'est pas du réalisme comme on l'entend étroitement en ce temps-ci ; mais le réalisme ne réside pas exclusivement dans les bas-fonds de la nature, et je trouve qu'il est extrêmement inintelligent de le confiner dans les basses régions du monde.
Le réalisme est aussi bien dans l'effet idéal d'ailleurs que dans effet positif.
Le réalisme, c'est le vrai et le vrai permanent et réel, c'est la vie, c'est-à-dire la santé, la puissance, la floraison, la fécondité : la dégénérescence, l'étiolement, la décomposition, la mort ne sont que des états morbides, transitoires, illusoires, dont la nature a horreur, qu'elle cache de son mieux et dont elle se hâte de faire disparaître les traces. Elle a créé tout un monde spécialement préposé à cet office.
Elle compte par myriades ses nettoyeurs et ses assainisseurs. Il y en a de tout genre, depuis l'hyène, le chacal et le vautour, jusqu'aux sombres tribus des staphylins et des nécrophores, jusqu'aux innombrables larves des diptères, jusqu'aux aveugles, agents de l'ordre inorganique.
Je tiens en toutes choses pour bon le vieux dicton : il ne faut pas remuer ce qui pue, - et notre instinct tout seul nous éloigne de ces laideurs malsaines.
Je n'ignore pas que le « Délien » était aussi le dieu de la médecine ; mais je l'aime mieux trônant au-dessus de la fontaine sacrée, entouré des muses olympiades, l'archet en main, qu'armé d'un scalpel et courbé sur la table de marbre d'un amphithéâtre où faisandent des corps flanques, bleuis et mutilés.
Cela aussi est un art, mais qui n'a rien de commun avec l'art, et il serait absolument désastreux de voir l'exagération du matérialisme régnant pousser à l'abandon des nobles et délicates études de la psychologie, au profit de la pathologie pure.
Je ne sais comment j'ai glissé sur cette pente où me voici, à propos de mes gentils poètes : j'étais obsédé par la préface de Thérèse Raquin, que je viens de lire et que je trouve fort bonne […]
Alfred Tranchant, « Bulletin
dramatique », La
Patrie, 29 août 1873, p. 2.
Ce document est extrait du
site RetroNews. Article recensé par Yves Jacq.
[…]
Ce soir aussi, réouverture du théâtre de la Tour-d’Auvergne par une pièce en quatre actes, L’enfant prodigue, et Détournement de Majeure, comédie en un acte.
Le spectacle commencera par un prologue de réouverture de M. Jean Richepin intitulé : Mesdames et messieurs !
Septembre↑
Anonyme, « Derrière la toile »,
Le Rappel, 1er septembre 1873,
p. 4.
Ce document est extrait du
Site RetroNews.
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Chaque livraison contient un grand dessin de Gill, et le dessin est accompagné d’une page littéraire due aux écrivains les plus estimés de la jeune génération : d’Hervilly, Jean Richepin, Claretie, etc.