1876
Janvier↑
Fabrice W., « Les Nouveaux
journaux », La Vie
littéraire, 6 janvier 1876 p. 1.
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[…]
Les deux derniers mois ont vu paraître sept journaux nouveaux II va sans dire que ce sont des journaux littéraires. Nommons-les dans l’ordre successif de leurs dates d’apparition :
Le Réveil littéraire et artistique.
La Vie littéraire.
Le Siècle littéraire.
L'Esprit moderne.
La République des lettres.
La Chronique illustrée.
L'Art français.
Ne faut-il attribuer qu’au hasard la simultanéité de publication de ces nouveautés, ou serait-ce qu’une certaine certitude d’avenir, politiquement parlant (rien qu’un mot en passant), une certaine confiance aient produit ce phénomène heureux ?
Nous penchons vers cette dernière opinion. Quoiqu’il en soit, signe d’apaisement ou besoin de reconquérir pour notre pays cette place à la tête du mouvement de la pensée en marche, place qui ne lui avait pas été contestée depuis trois siècles, nous nous en félicitons littérairement. Nous saluons ce réveil littéraire de l'esprit moderne qui prouve que l'honorable république des lettres a pris à cœur de faire finir notre xixe siècle en véritable siècle littéraire. Que l'on nous pardonne de jouer sur les mots et sur les titres, en faveur de notre intention qui est de montrer unis, et marchant résolument au mime but tous ces efforts partiels. Les guidons peuvent être différents, il n’y a qu’une seule bannière, qui porte cette devise : Respect et amour de l’art.
Le Réveil littéraire, dirigé par M. Hippolyte Buffenoir, nous a donné des articles de critique mordants et originaux, des nouvelles et des fantaisies intéressantes. Nous voudrions en nommer tous les signataires (ceci soit dit aussi pour la suite de notre article), mais cela nous est interdit par l’espace étroit qui nous est réservé. Disons que nous y avons remarqué des lignes spirituelles et paradoxales de M. Jacques Sind et des vers fulgurants de Jean Richepin.
[…]
Nous arrivons à la République des lettres, rédacteur en chef : Catulle Mendès. A la première page vingt vers impeccables de Leconte de Lisle ; puis un lambeau magistral de féerie moderne et philosophique, signé Flaubert ; la traduction d’un poème de l’Anglais Swinburne ; Une exécution capitale, de Léon Cladel (que ceux et celles qui ont les nerfs sensibles n’aillent pas jusqu’au bout de ce récit, c’est admissible, mais c’est crânement fait tout de même !) ; des vers encore de Dierx et de Richepin, les poètes virils et philosophiquement forts; des pages énigmatiques et vaguement tendres de Mallarmé; une légende de Louis Ménard ; un article sur le Parnasse contemporain, où reparaît la figure déjà légendaire du bon et brave rieur Glatigny. Tel est ce premier numéro qui annonce un riche et sérieux avenir. Honneur aux maîtres qui ont mené ce bataillon au premier feu !
M. V, « Obsèques de Frédérick
Lemaître », La
France, 30 janvier 1876, p. 2.
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Paris a fait aujourd'hui à Frédérick Lemaître, comme à Déjazet, il y a deux mois, des obsèques magnifiques et dignes du grand artiste. Cinquante mille personnes de tous rangs ont accompagné à leur dernière demeure, ou sont venues saluer à leur passage, ses restes mortels. Il est inutile de dire que tous les comédiens de Paris, les plus illustres comme les plus inconnus, avaient tenu à devoir de composer le cortège funèbre de celui qu’ils étaient unanimes à reconnaître comme leur maître et la gloire de l’art dramatique français. Ainsi que l’indiquaient les lettres de faire part, on s’est réuni à la maison mortuaire, rue de Bondy, 15, où le corps était exposé depuis onze heures du matin sous la porte cochère, transformée en chapelle ardente.
La levée du corps a eu lieu à midi précis.
Le cercueil renfermant les restes mortels de Frederick Lemaître a été placé sur un corbillard de troisième classe. Il a bientôt disparu sous les nombreuses couronnes et bouquets apportés par les amis et les admirateurs du grand artiste, et parmi lesquels on remarquait une grande couronne d’immortelle portant cette inscription : Kean, Robert-Macaire, Ruy-Blas, don César de Hazan, Richard d'Arlington, déposée la veille sur le lit du comédien regretté par Mme Marie Laurent, au nom de ses camarades.
La foule était si nombreuse et si pressée dans cette rue étroite que l'on a craint un instant quelque accident. A l'extrémité de la rue de Lancry, le maître des cérémonies a fait prendre au convoi le boulevard Saint-Martin, sans pouvoir cependant éviter un refoulement qui a produit un peu de désordre. MM. Victor Hugo, Halanzier, baron Taylor, Humaine, La ferrière et Duprez tenaient les cordons du poêle. Le deuil était conduit par MM. Frederick et Napoléon Lemaître, les deux fils du défunt, et par M. Thiébaut, son gendre. Nous ne citerons personne parmi ceux qui suivaient le char funèbre ; il nous faudrait nommer tous les artistes des théâtres de Paris et tout ce qui touche à la littérature et aux beaux-arts. Le curé de Saint-Martin des Marais, M. l’abbé Taillefer, entouré de tout son clergé, a célébré le service divin. La messe a été chantée en musique par la maîtrise de la paroisse, avec le concours de MM. Faure, Bosquin, Menu et Caron, de l’Opéra. M. Faure a chanté le Pie Jesu merveilleusement ; le grand artiste, de l’avis de tous ceux qui l’ont entendu, n’a jamais été aussi admirable.
M. Caron a chanté le Domine, M. Bosquin Magnus Dei, et M. Menu le Libera me. Après la cérémonie religieuse, le cortège s’est dirigé vers le cimetière Montmartre par le boulevard Magenta et les boulevards extérieurs. Sur tout le parcours, la foule interrompait la circulation ; les fenêtres étaient garnies de curieux. Associant dans le même témoignage de sympathie et d’enthousiasme l'interprète de Ruy-Blas, de Lucrèce Borgia, et le grand poète qui a écrit ces œuvres magistrales, la foule a fait une ovation à Victor Hugo. Plusieurs fois, on a voulu dételer sa voiture. M. Victor Hugo a dû requérir l’assistance des gardiens de la paix pour empêcher cette manifestation, assurément fort honorable pour lui, mais qui, en cette circonstance, était tout au moins intempestive. Au moment où le cortège passait devant la maison de Saint-Lazare, le cheval de la voiture dans laquelle se trouvait le poète s’est abattu. On s’est empressé auteur de M. Victor Hugo, qui a remercié la foule et déclaré qu'il n’avait aucun mal. Le cheval du fiacre qui suivait a été grièvement blessé au poitrail. Au boulevard de Clichy, le maître des cérémonies, dont nous ne pouvons que louer la présence d’esprit et l’habileté, a eu la précaution de faire passer par une voie latérale, devant le cortège, les voitures de deuil, afin que les parents et les intimes du défunt pussent être plus près de la tombe. Victor Hugo a pris le premier la parole et a prononcé d’une voix très émue sur la tombe de son ami et de son illustre interprète le discours suivant :
On me demande de dire un mot. Je ne m’attendais pas à l'honneur qu'on me fait de désirer ma parole ; je suis bien ému pour parler ; j'essayerai pourtant. Je salue dans cette tombe le plus grand acteur de ce siècle, le plus merveilleux comédien peut-être de tous les temps. Il y a comme une famille d’esprits puissants et singuliers qui se succèdent et qui ont le privilège de réverbérer pour la foule et de faire vivre et marcher sur le théâtre les grandes créations des poètes ; cette série superbe commence par Thespis, traverse Roscius et arrive jusqu'à nous par Talma : Fréderick Lemaître en a été, dans notre siècle, le continuateur éclatant. Il est le dernier de ces grands acteurs par la date, le premier par la gloire. Aucun comédien ne l’a égalé, parce qu’aucun n’a pu l’égaler ; les autres acteurs, ses prédécesseurs, ont représenté les rois, lus pontifes, les capitaines ; ce qu’on appelle les héros, ce qu'on appelle les dieux ; lui, grâce à l'époque où il est né, il a été le peuple. Pas d’incarnation plus féconde et plus haute. Etant le peuple, il a été le drame ; il a eu toutes les facultés, toutes les forces et toutes les grâces du peuple ; il a été indomptable, robuste, pathétique, orageux, charmant ; comme le peuple, il a été la tragédie et il a été aussi la comédie. De là sa toute-puissance ; car l’épouvante et la pitié sont d’autant plus tragiques qu’elles sont mêlées à la poignante ironie humaine. Aristophane complète Eschyle ; et ce qui émeut le plus complètement les foules, c’est la terreur doublée du rire. Frédérick Lemaître avait ce double don ; c’est pourquoi il a été, parmi tous les artistes dramatiques de son époque, le comédien suprême.
Il a été l’acteur sans pair. Il a eu tout le triomphe possible dans son art et dans son temps ; il a eu aussi l’insulte, ce qui est l’autre forme du triomphe.
Il est mort. Saluons cette tombe. Que reste-t-il de lui aujourd’hui ? Ici-bas un génie, Là-haut une âme.
Le génie de l’acteur est une lueur qui s’efface ; il ne laisse qu’un souvenir. L’immortalité qui appartient à Molière poëte n’appartient pas à Molière comédien. Mais, disons-le, la mémoire qui survivra à Frédérick-Lemaître sera magnifique ; il est destiné à laisser au sommet de son art un souvenir souverain.
Je salue et je remercie Frédérick-Lemaître. Je salue le prodigieux artiste ; je remercie mon fidèle et superbe auxiliaire dans ma longue vie de combat. Adieu, Frédérick Lemaître.
Je salue en même temps, car votre émotion profonde, à vous tous qui êtes ici, m’emplit et me déborde moi-même, je salue en ce peuple le grand Paris. Paris, quelque effort qu’on fasse pour l’amoindrir, reste la ville incomparable.
Il a cette double qualité, d’être la ville de la révolution et d’être la ville de la civilisation, et il les tempère l’une par l’autre. Paris est comme une âme immense où tout peut tenir. Rien ne l’absorbe tout à fait, et il donne aux nations tous les spectacles. Hier, il avait la fièvre des agitations politiques ; aujourd’hui le voilà tout entier à l’émotion littéraire : à l’heure la plus décisive et la plus grave, au milieu des préoccupations les plus sévères, il se dérange de sa haute et laborieuse pensée pour s’attendrir sur un grand artiste mort.
Disons-le bien haut, d’une telle ville on doit tout espérer et ne rien craindre ; elle aura toujours en elle la mesure civilisatrice, car elle a tous les dons et toutes les puissances ; Paris est la seule cité sur la terre qui ait le don de transformation, qui, devant l’ennemi à repousser, sache être Sparte, qui, devant le monde à dominer, sache être Rome, et qui, devant l’art et l’idéal à honorer, sache être Athènes.
Après ce discours qui a causé la plus profonde impression, MM. Moreau et Ferdinand Dugué se sont avancés vers la tombe et ont prononcé quelques paroles, le premier au nom de l’Association des artistes dramatiques, et le second au nom de la Société des auteurs dramatiques. M. Mounet-Sully a dit ensuite les vers suivants de M. Jean Richepin :
A Frédérick !
Salut, géant ! salut maître ! salut, génie !
Nous devions saluer ta gloire non finie
Et couronner ton front ; hélas ! c’était demain.
Mais la mort est venue avec sa froide main
Soustraire la couronne à ton grand front qui tombe,
Et nous ne pouvons plus saluer que ta tombe.
N’importe, nous dirons, fût-ce même en pleurant
Combien nous t’admirions et combien tu fus grand.
Nous dirons quelle était l’ampleur de ton domaine,
Et que les passions de la pauvre âme humaine,
Toutes, les vœux, les cris, des gueux comme des rois,
Ont chanté tour à tour et pleuré par ta voix.
Ton esprit, où la vie avait mis sa semence,
Communiquait, ainsi qu'un carrefour immense,
Aux ruelles sans nombre, aux passages obscurs,
D'où l’on voit déboucher, grouillant entre les murs,
Ceux-ci pieds-nus, ceux-là faisant sonner leurs bottes,
Brandissant des poignards, secouant des marottes,
Criant, riant, priant, et se tordant les mains,
Le troupeau des vertus et des vices humains.
Vous représentez-vous toutes que fut cet homme
Et ce qu'il a vécu d’existences en somme ?
Être Napoléon, Othello, Buridan,
Kean, Méphistophélès, don César de Bazan,
Et passer, oubliant ce qu’on était naguère,
De Paillasse à Vautrin, de Ruy-Blas à Macaire ;
Être tout, sentir tout, avoir amant de voix
Qu'il est d’astres au ciel et de feuillus au bois ;
S'incarner tous les jours, prendre cent effigies
Comme les anciens dieux dans les mythologies ;
Se dire que tout l’homme habite ce front-là.
Et n’avoir qu'un seul cœur pour porter tout cela !
Ah ! le monde qui vient au théâtre et s’amuse
Ne sait pas ce que coût ; un baiser de la Muse,
Quelle amertume il laisse et quels déchirements
Dans les grands cœurs blessés qu'elle a pris pour amants !
Non, vous ne savez pas qu'à son front de monarque
Sous la couronne d’or l’épine a fait sa marque,
Et que son grand manteau de pourpre éblouissant
Est rouge d'avoir bu le plus pur de son sang.
Non, vous ne savez pas qu’il faut souffrir sans trêve
Pour donner une forme, une vie, à son rêve,
Que la fleur idéale a pour sève les pleurs,
Que les enfantements sont toujours des douleurs.
Et maintenant, qui donc te jettera la pierre,
Disant que tu devais courber ta tête altière
Et vivre comme nous pris sous un joug étroit ?
O génie, après tout, n’avais-tu pas le droit,
Pour apaiser ta faim de vivre inassouvie,
Toi qui donnais ton cœur, du déprimer la vie ?
A-t-on vu lus lions ramper sur les genoux,
Et les dieux sont-ils faits pour vivre comme nous ?
Va donc, dors ton sommeil dans un linceul de gloire.
Ton nom enrichira l’écrin du notre histoire.
Toi qui roulais ainsi qu'un fleuve aux larges flots
Avec un bruit d’éclats de rire et de sanglots,
Te voilà dans la Mort, dans cette mer immense.
Pour la première fois en toi la paix commence.
Mais avec le repos ne viendra pas l’oubli.
Notre regard de ta lumière est tout rempli.
Et l’on en gardera l’éternelle mémoire.
C’est un vain que la nuit jette son ombre noire
Sur les derniers rayons d'un beau soleil couchant
Aux franges d’un nuage il s’arrête, accrochant
Parmi les lointains bleus de l'horizon qui bouge
De grands lambeaux de pourpre et de lames d'or rouge.
La nuit a beau gonfler sa robe obscure, il luit.
Quand la nuit l'a voilé, nos yeux tout pleins de lui,
Dans le ciel ténébreux, croient l’admirer encore,
Et demain, quand naîtra la pointe de l'aurore,
Dans l'azur du matin qui va se déployer,
C'est son dernier reflet qu’on verra flamboyer.
Au dernier vers, M. Mounet-Sully, par une inspiration aussi émouvante que dramatique, a déchiré la page sur laquelle étaient écrits celle belle poésie et en a semé les débris sur la tombe du grand artiste.
M. de Chenièvre a prononcé ensuite quelques paroles au nom de l'administration des beaux-arts. Après la cérémonie, la foule s’est empressée autour de Victor Hugo et l’a accompagné jusqu’à sa voiture, aux cris de Vive Hugo ! — M. V.
Février↑
Anonyme, « Nouvelles des
théâtres », La
France, 18 février 1876, p. 3.
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Le drame de M. Villiers de l’Isle-Adam, le Nouveau Monde, qui a obtenu le deuxième prix au concours Michaëlis, est entré en répétition à l’Ambigu. Les rôles sont distribués comme suit :
Lord Cécil, MM. Gerber
Stéphen, Richepin
Washington, Arondel
Franklin, Fleury
Vaudreuil, Borjat
Bab, Courtès
Orso, Libert
Tom Burnett, Seiglet
Hélène, Mme Schmidt
Edith,Mayer
Marie,Morand
Angus, « Courrier des
théâtres », La
Presse, 19 février 1876, p. 3.
Article recensé par Yves
Jacq.
M. Villiers de l’Isle-Adam consent à laisser à l’Ambigu son drame couronné le Nouveau Monde.
Directeur et auteur se sont fait des concessions mutuelles.
M. de l’Isle-Adam n’accorde que la moitié des coupures demandées. Le traité conclu, la pièce a été immédiatement distribuée comme il suit :
Lord Cécil, MM. Gerbert
Stéphen, Richepin
Washington, Arondel
Franklin, Fleury
Vaudreuil, Borjat
Bab, Courtès
Orso, Libert
Tom Burnett, Seiglet
Hélène, Mme Schmidt
Edith,Mayer
Marie,Morand
François Oswald, « Bruits de
coulisses », Le
Gaulois, 25 février 1876, p. 3.
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Nous lisons dans un journal :
« Quelques personnes ont peut-être été surprises en voyant sur un programme de l’Ambigu, le nom de Richepin, le poète connu… »
Connu de qui ?
François Oswald.
Anonyme, « Petite gazette »,
Les Droits de
l’homme, 26 février 1876, p. 3.
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Nous lisons dans le Gaulois :
« Quelques personnes ont peut-être été surprises en voyant sur un programme de l’Ambigu, le nom de Richepin, le poète connu…
Connu de qui ? »
Pas ferré sur le personnel littéraire, M. François Oswald !
François Oswald, « Bruits de
coulisses », Le
Gaulois, 27 février 1876, p. 3.
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Je trouve dans un journal radical la note suivante :
« On lit dans le Gaulois : Quelques personnes ont peut-être été surprises en voyant sur un programme de l’Ambigu, le nom de Richepin, le poète connu…
Connu de qui ? »
« Pas ferré sur le personnel littéraire, M. Oswald. »
Malgré l’homme ferré des Droits de l’Homme, je me permettrai de répéter : « De qui M. Richepin est-il connu ? »
L’homme ferré n’a qu’un mot à répondre en citant la liste des ouvrages publiés par son poète.
Avril↑
Amédée Blondeau, « Les soirées
de Mario Proth », Le
Progrès de la Somme, 30 avril 1876, p. 3.
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Dans le faubourg Saint-Germain, rue Visconti, n° 21 (ancienne rue des Marais), on voit sur la façade d’un vieil hôtel, ou plutôt sous la voûte dans laquelle est percée la large porte cintrée de l’antique demeure, une plaque de marbre noir qui tient, en lettres d’or, rouillées par le temps, l’inscription suivante.
Hôtel de Rancs
bâti sur l’emplacement
du petit Pré-aux-Clercs.
Jean RACINE
y mourut
le 22 avril 1699 :
Adrienne
LE COUVREUR
En 1730.
Il a été habité
aussi par
LA CHAMPMÊLÉ
et
HYPPOLYTE CLAIRON
L’inscription pourrait également contenir ces mots : « Voltaire et d'Argenson assistèrent Adrienne Lecouvreur à ses derniers moments. »
Jamais je n'entre dans cette maison célèbre, hantée jadis par les poètes, les écrivains et les artistes du xviie et du xviiie siècles sans m’arrêter devant le grand nom d’Adrienne Lecouvreur, sans songer à la page émue et poignante que Michelet, dans son immortelle Histoire de France, a consacrée à l’illustre tragédienne, qui fit dire à un spectateur : « J’ai vu une reine entre deux comédiens », à la fameuse maîtresse du maréchal de Saxe, à celle qui dit fou d’amour d’Argental, enfin à la malheureuse victime de la duchesse de Bouillon.
Je songe aussi à une autre inscription, placée au soin de la rue de Bourgogne, en mémoire de l'infâme sépulture donnée à Adrienne Lecouvreur, qui fut enterrée sous une borne, le chantier réservé à l’inhumation des « chiens et des protestants » étant fermée à l’heure où Voltaire et d’Argental durent, en pleurant, faire procéder à l’enterrement.
Cette plaque de marbre noir — qui vengea tardivement l’ignoble insulte faite à la dépouille de Cornélie et de Jocaste, insulte qui n’était que le résultat de la tyrannie du clergé de ce « bon vieux temps », — cette plaque de marbre noir fut posée au coin de la rue de Bourgogne peu avant la Révolution ; mais plus tard les propriétaires de la maison eurent la hardiesse de la retirer et de se l’approprier.
En 1866, Michelet s’écriait : « Elle sera remise au jour de la justice, le jour où l’on posera la grande question, trop ajournée : Comment le clergé est-il maître, malgré la loi, de tout ce qu’avait la commune, de la police, des enterrements (aujourd’hui encore, sauf les grandes villes), des sépultures, du droit de cloche, etc... » Il faut croire que ce jour n’a pas encore lui, car la plaque de marbre noir n’a pas reparu au coin de la rue de Bourgogne.
Mais, je reviens à l’hôtel de Rancs. C’est là qu’habite un de nos confrères les plus sympathiques et les plus aimés, M. Mario Proth, l’auteur des Vagabonds, du Pays de l’Astrie, de la belle Etude sur Mirabeau qu’on lit en tête des lettres d'amour de Mirabeau, de Silhouette de la Révolution, revue critique de l’Histoire de la Révolution par M. Louis blanc, qui parut en 1864 dans la Presse avec un grand succès, l’auteur, enfin, du livre fameux : Bonaparte. — Tragédientes — Comedientes, qui démolit admirablement le Dieu des bonapartistes passés, présents et futurs.
Mario Proth, qui a publié, en outre, un grand nombre d’opuscules politiques et littéraires, qui l’on classé parmi nos publicistes les plus courageux et les plus honnêtes de notre temps, est doué d’un tempérament absolument révolutionnaire. Armé d’une plume âpre et incisive, possédant une âme vive et ardente, épris passionnément du juste et du vrai, ce lutteur énergique ne connaît rien hors le grand combat — le combat pour la liberté. Il va toujours en avant, intrépide, frappant d’estoc et de taille tous les mensonges tous les abus, toutes les tyrannies. Il a publié, sur le salon de 1875, un livre intitulé : Voyage au pays des Peintres, livre plein de verve, et dans lequel il sape par la base l’institution funeste du jury et de la tutelle plus funeste encore de l'Etat, causes indéniables de la décadence de l’art français. Cette excursion sera continuée à propos du salon de 1876.
Nous aurons, d’ailleurs, bientôt une occasion nouvelle de juger Mario Proth, comme écrivain et comme philosophe. Il travaille à une Histoire de Jean-Jacques Rousseau, qui embrassera tout le dix-huitième siècle, et doit publier, dans le courant de l’année, la très curieuse histoire de l’hôtel de Rancs. Cet ouvrage aura pour titre : Ma maison.
Aujourd'hui, c’est le camarade, l'ami, l’amphitryon dont nous voulons nous occuper, c’est l’organisateur des charmantes soirées qui ont lieu le mardi de chaque semaine, dans l’appartement même où vécut Racine et où mourut Adrienne Lecouvreur.
Le lecteur veut-il se donner la peine de nous suivre ? Il trouvera chez Mario Proth l’accueil le plus empressé et le plus cordial. Ce n’est pas très-haut. Au troisième sur la cour, dans le bâtiment de l’aile droite. L’escalier est éclairé par les soins de l’amphitryon, le gaz faisant défaut dans le vieil hôtel. Une entrée et trois vastes pièces composent l’appartement : larges fenêtres, hauts plafonds. Rien de mesquin, d’étriqué comme dans les constructions du jour. Le locataire actuel lui a donné ce cachet à part qui ne se voit, à Paris, que chez les artistes. Tentures orientales, vieilles tapisseries, meubles anciens sculptés, tableaux de maître, dessins à la plume, croquis, bronzes, etc., toute la décoration trahit les goûts originaux du maître de la maison. Le salon, où se font les lectures, où les poètes disent des vers, est magnifiquement orné d'un buste, plus grand que nature, de la République, parle sculpteur Moulins. C’est une œuvre fière et digne, pleine de vie et de mouvement et qui laisse à cinq cents lieux toutes les figures connues de la Liberté, vrais morceaux de pâtisserie dérobés à la vitrine de Frascati.
On vient de tous les points de Paris chez Mario Proth. Mais ce ne sont plus les anciennes réunions du quartier latin, avec Musette et Mimi. C’est quelque chose de plus grave et de plus gai. Les femmes et la politique ont été rigoureusement bannies de ces soirées exclusivement consacrées à l’art. La poésie et la musique y règnent sans partage. Poètes, écrivains, journalistes, peintres, sculpteurs, étudiants, musiciens s’y coudoient et y fraternisent un verre de Pilsen en main. On boit aux succès des jeunes auteurs qui viennent, chez Mario Proth, soumettre leurs œuvres à la censure d'un petit cercle d’amis avant qu'ils osent affronter soit le livre, soit la rampe, c’est-à-dire regarder en face notre maître à tous : le Public.
Plusieurs ont déjà conquis le Capitole. D’autres, moins connus, se ceignent les reins d’une forte cuirasse en prévision de la lutte qu’ils auront à soutenir demain. Ne cherchez pas, ici, les artistes à tous crins et les poètes débraillés, épaves de la vieille Bohême échoués aujourd'hui dans les caboulots de la rue St-Jacques ou dans les brasseries de la rue Racine. Les convives de Mario Proth ont pour la plupart un nom. Je citerai ceux que j’y ai rencontrés mardi dernier : Charles Monselet, Tony Révillon, Paul Arène, Carjat, Ernest d’Hervilly, Emile Blémont et Valade, les deux auteurs de Molière à Auteuil, naguère applaudi à l’Odéon à l’occasion de l’anniversaire de Molière, Jean Destrem, Auguste Pelleport, Pierre Elzéar, Jean Richepin, le compositeur de musique Ronch, Creissels, Maurice Rollinat, un professeur de l’école de Grignon, M. Samson, Bastien-Lepage, le premier second grand prix du concours de Rome de 1875, Albert Lefeuvre, Félix Régamey, Jean Paul Laurens, Léonce Petit et plusieurs autres artistes dont les noms m'échappent.
Toute cette jeunesse est ardente, aime la controverse, ne déteste pas le paradoxe, se livre à des discussions transcendales où les écoles se prennent littéralement aux cheveux. Ah ! par exemple, il ne faudrait pas demander, rue Visconti, le cérémonial observé aux réunions de l'ordre moral. J’avoue qu’on y est très irrévérencieux envers l’Académie, je crois même qu’il y en a qui fument la pipe. J’avoue aussi que le barde royaliste de Lorgeril fait défaut. Mais nous avons Monselet, Monselet qui nous réserve toujours la dernière fusée de son esprit étincelant et merveilleux, Monselet qui est entré l’an passé dans la maison de Molière, bras dessus bras dessous avec Paul Arène.
Les conversations particulières, les morceaux de musique, les discussions littéraires et philosophiques préludent d’ordinaire aux lectures ou aux récits poétiques. J’imagine que, si quelque préteur de la Revue des Deux-Mondes, ou d’ailleurs, entrait un mardi soir à l’improviste chez Mario Proth, il serait pas mal ahuri des propos qu’on y tient sur la peinture et la littérature, propos qui momifieraient M. Cabanel et que Camille Roussel ne pourrait entendre sans se passer sa plume d’académicien au travers du corps. Mais lorsque peintres, écrivains, musiciens ont suffisamment épilogué, discuté, controversé, Calliope s’avance timidement et dit : — Pardon, mais c’est mon tour.
Alors les débats et les querelles cessent, la polémique rentre au fourreau, Rouch quitte le piano, tout le monde s’assied qui, sur les chaises, qui sur le divan, qui par terre, et le silence s’impose grave et majestueux : l’assemblée ressemble à la statue de Préault.
C’est chez Mario Proth qu’il m’a été permis de remarquer ce que les poètes ont de commun avec les jolies femmes qui aiment à minauder et à faire la bouche en cœur. Les fils d’Apollon, bien qu’entourés de camarades et d’amis, adorent fort se faire prier.
Mais l’amphitryon ne badine pas sur ce chapitre. Il présente la coupe aux amants de l’hypocrisie, et de gré ou de force il faut qu’ils y trempent leurs lèvres. Nul ne trouve grâce d’ailleurs devant les suppliques de l’auditoire, et il arrive souvent qu’à deux heures du matin on officie encore sur le Parnasse... La maison, solitaire à cette heure avancée, entend des applaudissements et des ovations que les locataires, gens d’esprit, tolèrent sans murmurer.
J’ai pu sténographier quelques-unes des poésies dites mardi soir chez Mario Proth. Je ne pense pas être traduit en correctionnelle pour ce larcin. Après tout, que les auteurs prennent ma tête pourvu que les lecteurs du Progrès de la Somme y trouvent leur profit.
Et j’ose espérer qu’ils le trouveront – au prochain numéro.
(A suivre)
Amédée Blondeau.
Mai↑
L’Homme de Quart, « La
Journée », Le
Corsaire, 20 mai 1876, p. 2.
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Nous recevons les bonnes feuilles de la Chanson des Gueux, par Jean Richepin. Le volume sera mis en vente demain seulement. Qu’on nous permette d’en citer une petite pièce dans la note.
LA PÊCHE A LA LIGNE.
Un chapeau de paille jaune
Dont les bords n’ont pas d’ourlet,
Au bout de la pointe en cône.
Une plume de poulet.
Un chapeau de paille encore,
Un troisième, un autre !
Ainsi Le rivage se décore
Du Point-du-Jour à Bercy.
Sous ces éteignoirs sans nombre
Rien ne bouge.
On ne peut voir
Que les pas lents de leur ombre
Qui s’allonge avec le soir.
Pourtant de chaque statue
Sort un long sceptre en roseau,
Et ce peuple s’évertue
A tremper du fil dans l’eau.
Tout le long de la journée,
O destin, tu leur promets
La douce proie ajournée
Qu’ils n’attraperont jamais.
Et pas un ne s’en indigne.
Pas un ne songe à partir !
Car le pêcheur à la ligne
Vit et meurt vierge et martyr.
L’Homme de Quart.
Louis Veuillot, « Paris, 23 mai
1876 », L’Univers, 24
mai 1876, p. 1.
Paris, 23 Mai 1876
On nous a remis cette semaine un volume de vers nouveaux intitulé la Chanson des Gueux. L'auteur a voulu et peut-être a cru ne point faire de politique ; mais plusieurs couplets de sa chanson renferment les notes très sonores des couches « nouvelles » :
Ouvrez la porte
Aux petiots qu'ont un briquet.
Les petiots grincent des dents.
Ohé ! les durs d'oreilles !
Nous verrons là-dedans,
Braves gens,
Si le feu vous réveille !
A la place de M. de Marcère et même de M. Gambetta, nous prendrions garde à ces paysanneries, qui pourraient devenir des Marseillaises plus efficaces que la vieille, laquelle a fait son temps. Nous allons à un temps, et même nous y sommes, qui verra de plus redoutables mêlées. Le même poëte, un peu plus loin :
Donnez du pain ! donnez des sous !
Car nous sons soûls
D'aller à pied
Sans avoir rien dans le gésier.
Et le poëte qui parle ainsi, très parisien et très lettré, est un vrai, poëte, je vous en préviens. Il a fait ses classes, il sait ce qu'on enseigne dans les académies, il a le cuivre, il retentira.
Hier, un autre poëte, M. Hugo, dont celui-ci est d'ailleurs le fils très légitime et sera l'héritier, a fait de la prose pour le Sénat. Il réclame l'amnistie entière, comme le vieux Raspail. Mais c'est un patriarche, il baisse et, comme le vieux Raspail, il n'est plus au pas de la jeunesse. De même qu'au vieux Raspail, on lui a dit zut ! Nous ne sortons pas du langage de la poésie nouvelle ! : Personne n’a répondu au discours de M. Hugo. Un discours très sage d'ailleurs, et qui ferait honneur à M. Jules Favre, le seul sénateur qui lui ait accordé un applaudissement. Nous le répétons, M. Hugo n'est plus au pas. Il est vieux, il fait de vieilles phrases, il emploie de vieux tours. Tout cela est passé, est fané, est pané. Les petiots qu'ont un briquet ayant aussi des dents dont ils claquent, grincent et mordent, ne daignent avoir une langue que pour boire. Zut aux vieux qui parlent sans utilité ! La mort qu'ils ont tant appelée est venue, et leur dit zut ! Bossuet lui faisait dire ! pompeusement et respectueusement : Couche ton corps ! Mais zut est plus démocratique.
Celui qui sait tout abrège tout, disait l'ancêtre Montesquieu. A plus forte raison ceux qui votent, c'est-à-dire ceux « qu'ont le briquet ». Ils abrègent le discours, la langue et même la vie.
Voilà, belle Emilie, à quel point nous en sommes
Louis Veuillot.
Aurélien Scholl, « Courrier de
Paris », L’Événement,
26 mai 1876, p. 1.
Ouvrez la porte
Aux petiots qui ont bien froid.
Les petiots claquent des dents.
Ohé ! ils vous écoutent !
S’il fait chaud là-dedans,
Bonnes gens,
Il fait froid sur la route.
Ouvrez la porte
Aux petiots qu’ont un briquet.
Les petiots grincent des dents.
Ohé ! les durs d’oreille !
Nous verrons là-dedans,
Bonnes gens,
Si le feu vous réveille !
Ainsi débute la Chanson des gueux. Les petits mendiants d’abord ; puis les vieux et les ancêtres.
Le vieux, poilu comme un lapin,
Qui s’en va mendiant son pain,
Clopin-clopant, clopant-clopin,
Où va-t-il ? D’où vient-il ? Qu’importe !
Suivant le hasard qui l’emporte
Il chemine de porte en porte.
Un pied nu, l’autre sans soulier,
Sur son bâton de cornouiller
Il fait plus de pas qu’un roulier.
La note du jour est complète ; les terrains vagues ; les larmes d’arsouille ; vieux habits, vieux galons ; la ballade des loupeurs, les ivres morts, ce sont bien les Occidentales de 1876.
Le temps est loin où l’on chantait le soleil. C’est bien sa faute, si on l’oublie ; il n’éclaire et ne chauffe que les surfaces, et nous allons aujourd’hui au fond des choses.
***
Louis Veuillot n’a pas encore fait connaître son sentiment sur les catalogues philosophiques de M. Renan (de l’Institut), mais il parait étourdi de la Chanson des Gueux, du sieur Jean Richepin (de l’Académie des hercules).
Il y a quelques années, Veuillot, dans la préface de ses Satires, morigénait M. Schérer qui s’était permis de lui faire la leçon.
« L’erreur de M. Schérer, disait-il, vient de ce qu’il a appris la langue à Genève... Et jamais il n'obtiendra que j’enfourche son petit français de manège oui trottine si proprement. Je ne monte point cette bête honorée ! J’aime mieux me casser le cou sur l’autre. »
Et il se fâche parce que M. Schérer lui impute des sentiments atroces, en prétendant que lui, Veuillot, a reproché à un de ses adversaires de n’avoir qu’un œil.
Voici le vers :
Buloz, qui d’un seul œil peut éclairer deux mondes !
Veuillot rappelle que Polyeucte, qui n’entend nullement déprécier le visage de Pauline, a pu dire :
Un bel œil est bien fort !
Mais qu’est la langue de Schérer à côté de la langue de Richepin ? Veuillot est terrifié.
« Défiez-vous de ces Marseillaises ! » s’écrie-t-il.
Et il frissonne en songeant à ces petiots qui ont un briquet et qui chantent :
Donnez du pain ! Donnez des sous !
Car nous sons soûls
D’aller à pied
Sans avoir rien dans le gésier.
***
M. Renan s’exprime d’une tout autre manière dans ses Dialogues philosophiques entre des députés invalidés qu’il appelle Philalèthe, Euthyphron, Eudoxe et Théophraste.
Quoique M. Renan ait divisé son ouvrage en Certitudes, probabilités et rêves, le tout me parait tenir du rêve.
J’ai lu l’ouvrage d’un bout à l’autre et il ne m’a pas appris grand’chose.
Philalèthe dit : « Je ne nie pas la prière comme hymne mystique. Tout acte d’admiration, de joie, d’amour est une prière en ce sens. Mais la prière intéressée, la prière par laquelle l’être fini cherche à substituer sa volonté à celle de Vôtre infini, je la rejette et je la tiens même pour une sorte d’injure faite, innocemment sans doute, à la Divinité. »
Et plus loin : « On pourrait faire une expérience... On composerait, par exemple, deux salles d’enfants atteints de la même maladie. Aux uns on laisserait des personnes religieuses mettre des médailles censées miraculeuses, aux autres on ne mettrait rien, et on verrait si cela produirait une différence appréciable. »
Est-ce assez enfantin ? L’expérience, hélas ! est faite depuis longtemps.
J’aime mieux : « Le grand agent de la marche du monde, c’est la douleur. »
« Le bien-être n’engendre que l’inertie ; la gêne est le principe du mouvement. La pression seule fait monter l’eau... » Et amène les révolutions ! »
***
M. Renan parait convaincu que la chimie montera un jour sur le trône. C’est avec la chimie qu’on gouvernera, qu’on administrera.
La chimie doit remplacer les rois, les empereurs, les présidents et le bon Dieu.
« L’idéal n’est pas encore matériellement réalisé ; il le sera un jour... L’œuvre universelle de tout ce qui vit est de faire Dieu parfait. La raison prendra un jour en main l’intendance de ce grand travail, et, après avoir organisé l’humanité, organisera Dieu. »
Du moment que cela se passe en douceur, je n’y vois aucun inconvénient. Et vous ?
***
« L’univers pense et jouit par des millions d’individus... »
(Nous sommes donc les bouches d’une extase ?)
« Le monde n’est qu’une série de sacrifices humains ; on les adoucirait par la joie et la résignation. »
La joie ?
« Les animaux qui servent à la nourriture de l’homme de génie ou de l’homme de bien devraient être contents, s'ils savaient à quoi ils servent. »
Ils le sauront un jour, monsieur Renan, en vertu de la progression infinie. S’ils le savaient déjà, le métier de boucher serait absolument impraticable.
Voyez-vous un mouton disant :
« Je ne veux être mangé que par Victor Hugo. Je lui décerne mes rognons, mes côtelettes et mes gigots. N’allez pas me détailler au premier venu, ça m’embête. »
Dans le même ordre d’idées, le bœuf ferait son testament avant d’être conduit à l’abattoir.
« Désirant, dirait le pauvre bœuf, être utile jusqu’au bout à la cause conservatrice, je lègue : mon aloyau à M. Buffet ; mon rumsteck à M. de Mun ; mes pieds à M. le duc de Broglie ; mes cornes et ma queue — à qui en voudra.
Il y aurait je ne sais quoi de touchant dans ce sacrifice volontaire.
On s’imagine facilement un cochon qui refuse avec énergie sa hure et ses boudins à la Gauche républicaine.
« Être mangé par ces gens-là, jamais ! grogne l’honorable victime. J’entends régaler de mes jambons des personnes pieuses et bien pensantes ; d’abord, je ne veux pas être mangé un vendredi... Je suis superstitieux, je suis sûr que ça me porterait malheur. »
Si un veau faisait le récalcitrant, on lui dirait : Voyons, mon ami, c’est pour une jolie femme !...
— Est-elle honnête, au moins ? demanderait le veau.
— tout ce qu’il y a de plus honnête ? — Alors, allez-y.
Avant de passer de vie à trépas, le canard choisira lui-même ses olives et le pigeon ses petits pois.
Puis chacun d’eux désignera la personne qu’il consent à nourrir.
C’est beau, le sacrifice volontaire ! Mais je ne vois pas que les gueux aient une part suffisante dans l’ouvrage de M. Renan, où l’on trouve un bétail si distingué.
Quelle place ferait l’auteur des Dialogues philosophiques au cynique personnage que Richepin appelle :
FILS DE FILLE
Je suis le fis d'une gueuse
Qui, dans ses désirs fougueuse,
Comptait ses maris par cents ;
Si bien que les médisants
M'appellent nœud de vipères,
Enfant de trente-six pères,
Sans compter tous les passants.
……………………………………
Moi, depuis, je cours les villes,
Tout plein de façons civiles,
Cherchant mon père avec soin.
J’ai fouillé partout, bien loin,
Et ma foi je désespère
De jamais trouver ce père...
Une aiguille dans du foin !
En attendant, il faut vivre,
Et quand on est ivre.
Donc je vole. C'est charmant !
C'est aussi mon droit vraiment ;
Car, si je vole à la ronde,
C’est ce monsieur Tout-le-monde,
L'ancien mari de maman.
Ainsi s’exprime Jean Richepin.
Renan ajoute comme conclusion :
« O Père céleste, j’ignore ce que tu nous réserves...
« Sois béni pour ton mystère, béni pour t’être caché, béni pour avoir réservé la pleine liberté de nos cœurs ! »
Et Veuillot, affilé, s’écrie (voir L’Univers du mercredi 24 mai) :
« Zut aux vieux qui parlent sans utilité... Le briquet, tout est là. Gare à ceux qu’ont un briquet... et sut à Raspail ! et zut à Victor Hugo ! »
Aurélien Scholl.
Incognito, « À M. Jean
Richepin, poëte », Le
Charivari, 28 mai 1876, p. 1.
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Monsieur, Vous êtes jeune, me dit-on. Vous êtes poète, à ce que m’apprend un volume que je viens de lire.
Or la France n'a pas, pour le quart d'heure, tant d’hommes de talent qu’elle puisse faire fi des espérances d’avenir qu’elle rencontre sur son chemin.
Les places laissées vides par Musset, par Lamartine, je dirai même par Alfred de Vigny n’ont pas été remplies. Elles sont toujours à prendre, quoique les Parnassiens aient pu prétendre.
Donc, il est d’intérêt public de ne pas laisser dérailler, dès leurs premières œuvres, ceux qui, comme vous, pourraient être quelqu’un.
Le volume que vous venez de publier, monsieur, sous le titre de la Chanson des gueux, est une œuvre malsaine, coupable et profondément inutile.
Si elle a, par aventure, la prétention de faire acte de protestation sociale, elle s’y prend bien maladroitement, car elle rend parfaitement odieux ceux dont elle enlumine les portraits.
Elle exhibe trop complaisamment leurs vices, pour qu’on ait souci de leurs misères.
Si elle a des ambitions littéraires, ces ambitions sont déçues ; car dans ce fatras de grossièretés voulues, de brutalités préméditées, de cynismes poseurs, il n’y a rien qui sente l’inspiration vraie et sincère.
Quand je dis rien, je me trompe et je tromperais le public.
Çà et là tarissantes apparaissent quelques vers exquis, quelques pensées à la fine ciselure, qui font l’effet d’une fleur fraîche nageant par hasard sur l’eau de ce ruisseau.
Ce sont ces épaves isolées qui m’ont donné en même temps l’estime de votre valeur et la haine de votre livre.
Car plus on peut et plus on est impardonnable d’aboutir à un avortement.
Ce qui aggrave encore votre cas, monsieur, c’est que, je le répète, la spontanéité y fait complètement défaut.
C’est de parti-pris que vous vous êtes assis devant une table, et que vous vous êtes dit :
— Je vais être violent, indécent, odieux, parce que je veux être étonnant avant tout.
Et là-dessus vous avez montré au bon public une muse qui jaspine au lieu de chanter. Vous avez pris à Rabelais son argot, ses crudités, ses malpropretés, en oubliant par malheur de lui prendre son génie.
Vous avez cru que la terre allait tressaillir d'admiration parce que vous écriviez des vers de ce genre :
Nous pisserons, très-beaux, très-heureux et très-dignes,
Nous appuyant du front au mur éclaboussé,
Et les Batignollais verront un jour des vignes
Fleurir le long du mur où nous aurons pissé.
Parce que vous parliez d’une femme qui dégueule, parce que vous donniez aux Alphonses leur nom technique, parce que vous brailliez mit à la rime, parce que..., parce que.... La plume ne peut vous suivre ; un journal n’a pas le droit d'oublier, comme vous, que « le lecteur français veut être respecté. »
Et vous êtes jeune, monsieur ! C’est plus triste encore.
Les jeunes, autrefois, avaient un autre idéal que les propos du bagne, du lupanar ou du mastroquet.
D'autres harmonies résonnaient à leurs oreilles que les hoquets des s’foulards.
Mais c’est précisément à cause de voire jeunesse que je vous dis tout cela.
Vous pouvez encore vous corriger. Pour cela il faut qu’on ne vous déguise pas la vérité, et qu’on vous dise :
— Non seulement votre Chanson des Gueux est répulsive, mais elle est médiocre et plate.
Donc, au lieu d'être un Baudelaire de troisième catégorie, redevenez vous-même. Arrachez ce masque carnavalesque. Débarbouillez cette lie postiche. Qu'on retrouve l’homme sous le fantoche.
J’ai dit, Monsieur, puissiez-vous écouter, un conseilleur loyal !
INCOGNITO.
Théodore de Banville, « La
revue dramatique et littéraire », Le National, 29 mai 1876, p. 2.
Un volume de poésies qui mérite qu’on s’y arrête, La Chanson des gueux, de M. Jean Richepin, a paru cette semaine. On disait que le poëte prétendait avoir inventé la modernité et l’école brutaliste, ce qui ne serait pas exact ; car la modernité a été parfaitement connue de Baudelaire, de Balzac, de Gavarni et de quelques autres ; quant à la brutalité, elle ne date pas non plus d’hier, et le bon François Villon lui-même disait ce qu’il voulait dire. Mais, sans remonter si loin, Auguste Barbier non plus, ni Flaubert, ni Gautier, ni les Goncourt n’ont cherché midi à quatorze heures. Non, M. Jean Richepin n’a pas inventé un art nouveau, et ce qu’il fait c’est simplement de la poésie, telle qu’elle a existé depuis Orphée jusqu’à Victor Hugo ; seulement il la fait très bien. Son vers est plein, ferme, sonore, gracieux, d’une netteté toute française, ne se cotonne pas d’épithètes verbeuses et porte bien à la rime le substantif décisif et qui fait tableau. Tout ce qu’il y a dans ce livre, d’une humanité robuste et virile, a été vu, senti, étudié d’après nature, pensé sincèrement, et nulle part on n’y trouve l’imitation et la phrase toute faite. Souvent le poëte se trompe sur lui-même, mais naïvement et de bonne foi. En même temps qu’il se déclare athée, il avoue et proclame qu’il adore le vin et le soleil ; or, il le sait aussi bien que moi, le Vin et le Soleil sont des dieux. Voici un petit morceau franc, lestement enlevé, essentiellement parisien, et dans lequel la manière du poëte se montre dans toute sa bonne humeur juvénile :
LES VIOLETTES
Adieu, mars ! Déjà l’on peut voir
Le soleil dorer le trottoir.
Avril sourit dans les toilettes.
Et sur le devant des cafés
Les messieurs fument décoiffées.
-Achetez mes belles violettes !
Le pierrot flâneur et bavard
Dit que le long du boulevard
Les arbres ne sont plus squelettes.
La feuille pousse, je l’entends.
La poussière sent le printemps.
-Achetez mes belles violettes !
Les amoureux cherchent un nid.
Les femmes, boursicot garni,
Vont aux printanières emplettes.
Tout le monde sans y penser
A bien deux sous à dépenser.
-Achetez mes belles violettes !
Fleurissez-vous, les beaux messieurs !
Mes bouquets sont couleur des cieux.
Mesdames, levez vos voilettes,
Fleurez-moi ça, comme c’est doux !
Fleurez-moi ça, fleurissez-vous !
-Achetez mes belles violettes !
Dans ses couplets chantés, M. Jean Richepin patoise, supprime, en les remplaçant par des apostrophes, les syllabes muettes qui ralentiraient le mouvement ; ainsi faisait M. Scribe en ses vaudevilles. Il fait dire à ses Gueux de Paris des mots d’argot d’une couleur amusante et farouche ; ainsi faisait le bon Villon ; ainsi a fait Eugène Sue en ses romans, après que Victor Hugo l’avait fait déjà dans Le dernier jour d’un condamné, et tout est éternellement nouveau sous le soleil. Enfin le poëte de La Chanson des Gueux a pitié de tout ce qui a faim, de tout ce qui a froid ; il est l’ami des mendiants, des deshérités, des gueux sans coiffe et sans semelle, de la fille du peuple qui va à son ouvrage, transie et pâle, de la petite guitariste à la voix grêle, et encore aucune nouveauté, et tout vrai poëte est cela, qu’il le veuille ou non.
THÉODORE DE BANVILLE.
Jean de Nivelle, « Causerie
parisienne », Le
Soleil, 30 mai 1876 p. 2.
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CAUSERIE PARISIENNE Un coin du monde, histoire d’autrefois. — Ecrivains et poètes. — Le besoin de paraître. — La Chanson des Gueux : M. Richepin et la poésie. — Il est défendu, sous peine d’amende, de déposer des ordures le long de la poésie. — Gueux et misérables. — Un quatrain de circonstance. — Du chlore, s’il vous plaît ! — Le maestro Jacques Offenbach et les Américains.
(mention de l’ouvrage Un coin du monde)
[…]
C’est faire un saut énorme que de passer d’un livre d’une élégance aussi soutenue aux élucubrations soi-disant poétiques d’un jeune homme qui me semble détourné de sa voie par les conseils d’une coterie, ou par l’aberration du plus rare orgueil. Il y a déjà quelques années que j’avais entendu parler de M. Jean Richepin. Comme la plupart des demi-dieux inconnus, auxquels il suffirait d’un coin du ciel pour tout abattre, M. Richepin arrivait de province, de Toulouse, je crois, ou de Carcassonne, ayant pour tout bien une plume inoccupée et peut-être le désir de bien faire. Quelques pièces de vers récitées çà et là, dans un cénacle ou dans l’autre lui valurent une notoriété échappant à tant de gens de talent qui travaillent et produisent, de sorte que M. Jean Richepin, dans un certain monde, passait pour un poète d’avenir et jour un auteur de talent, parce qu’il débitait, devant une cinquantaine de comparses décidés d’avance à applaudir quelques strophes qui, à l’heure qu’il est, ne sont pas encore dans le domaine littéraire. Malgré cela, la réputation peu encombrante de M. Richepin ne perdait pas de son importance, colportée constamment qu’elle était dans Paris, par quelques intimes. C’était comme une sorte de mine que l’on creusait, au bénéfice d’un jeune homme de bonne foi peut-être, mais qui n’était pas fâché d’avoir ses licteurs et de passer pour consul, sans campagnes et sans états de services. Malheureusement, on a mal calculé la charge de la poudre et le pétard a fait long feu. La Chanson des Gueux, qui vient d’avoir les honneurs de la publicité, est ce que, sans ambages, on peut appeler une ordure, qui est, en même temps, une mauvaise action et une mauvaise œuvre. C’est, en vers boursoufflés et d’une grossièreté préméditée, l’Evangile des gueux selon saint Jean Richepin, qui, pour perpétuer la réputation d’originalité factice qui lui était faite, a dû réfléchir, pendant de longs jours, avant de faire vibrer cette corde nouvelle, dans un art poétique où l’auteur doit, sans cesse, tourner le dos au public, sous peine de s’exposer aux amendes édictées par la loi. Jusqu’ici, et malgré les aberrations les plus étranges, j’avais ouï dire que l’art même exigeait qu’on ne déposât aucune rime sale le long du temple de la poésie. M. Richepin, qui se rit des amendes et des ordonnances, en a souillé, avec préméditation, toutes les colonnes, poussé par ce besoin d'originalité ou peut-être d’habitude qui pousse les chiens à lever la patte le long des bornes. Les lecteurs me pardonneront de citer quatre vers de cette aberration litté raire, dont quelques fragments sont déjà retombés, à plusieurs reprises, sur le nez de l’auteur. Les voici, dans toute leur nudité :
Nous pisserons, très beaux, très heureux et très dignes,
Nous appuyant du front, au mur éclaboussé ;
Et les Batignollais verront, un jour, des vignes
Fleurir le long des murs où nous aurons pissé.
Ce n’est pas l’échantillon le plus pimenté de l’ouvrage, mais il peut servir à donner une idée du reste. M. Richepin, mal conseillé, a fait une mauvaise action ; et au milieu de tout ce fatras de saletés voulues, on regrette presque de constater une organisation poétique vigoureuse et capable de s’attaquer à d’autres sujets. Malheureusement, comme je l’ai déjà dit, M. Richepin, qui n’avait pas de public, n’a pas manqué de conseillers, et pour donner raison à la réputation d’originalité qui lui était faite, de temps en temps, entre la poire et le fromage, par une petite coterie à l’admiration facile, il s’est oublié au point qu’on vient de voir. Le M. Richepin d’aujourd’hui, qui semble envier la gloire de François Villon et, au lieu d’invoquer la pitié pour la misère, s'ingénie à mettre en relief les vices des misérables, ce M. Richepin se drape dans un succès de mauvais aloi et s’en contente. Plus tard, avant peut-être qu’il ne soit longtemps, M. Richepin fera tout son possible pour retirer de la circulation littéraire, une œuvre de jeunesse par trop débraillée, et d’autant plus coupable, qu’elle est d’un jeune homme de talent, mais trompé sur sa valeur par quelques flatteurs de mauvais goût. Mais pour ne pas tromper le public sur le caractère et la portée de l’œuvre, l’auteur aurait dû user de plus de franchise, et avertir le lecteur de ne pas tourner la page sans une provision de chlore, surtout par ce temps de chaleur et de fermentation qui commence.
Les Américains, qui sont depuis longtemps accusés d’ingratitude envers nos compatriotes, ont voulu mettre un terme à cette calomnie, en faisant à Jacques Offenbach une réception enthousiaste. Le maestro, qui avait été péniblement éprouvé pendant la traversée, a été tellement heureux de se retrouver sur la terre ferme, même à plus de mille lieues de Paris, qu’il s’est mis à embrasser tout le monde, et qu’il a voulu, séance tenante, faire part de sa joie, par voie de la presse, à tous les amis qu’il a laissés au Boulevard et qui ne seront pas fâchés de savoir en quelle estime on tient l’art musical, et particulièrement le maestro Jacques Offenbach, dans la patrie de Washington. C’est au point qu’après les premiers moments de fureur enthousiaste consacrés à l'anniversaire de l'indépendance, il n’a plus été question que de l’auteur d’Orphée, accueilli à quelques lieues de New-York, en pleine mer, et le cœur encore bien malade, par des musiciens de bonne volonté empressés de lui donner la première aubade. Et dire que toutes ces démonstrations spontanées ne sont que des préliminaires ! Qu’est-il advenu quand, pour la première fois, l’illustre compositeur a tenu le bâton de chef d’orchestre à Gillmore ? C’est avec la plus grande impatience qu’une seconde lettre est attendue, dans laquelle le maestro tant fêté apprendra â ses admirateurs de Paris et de France que c'est par le plus inouï des miracles qu’il a pu s’arracher vivant aux fanatiques bravos des Yankees. Il n’y a que les hommes de génie, pour rencontrer ces bonnes fortunes et pour les accepter !
JEAN DE NIVELLE.
Dancourt [Adolphe Racot], « La Chanson des Gueux, par
Jean Richepin », La
Gazette de France, 31 mai 1876, p. 1.
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Courrier de Paris
30 mai 1876
Il n’est pas facile de parler ici de la Chanson des gueux, de M. Jean Richepin. C’est justement pour cela que je vais essayer d'en parler. M. Louis Veuillot, qui n’hésite jamais à prendre les taureaux par les cornes, a déjà touché deux mots des Petiots qu'ont un briquet.
Ouvrez la porte
Aux petiots qui ont bien faim.
Les petiots claquent des dents,
Ohé ! il faut qu'ils entrent ?
Vous mangez, là-dedans,
Bonnes gens,
Eux n'ont rien dans le ventre.
Ouvrez la porte
Aux petiots qu'ont un briquet
Les petiots grincent des dents.
Ohé ! les durs d'oreille !
Nous verrons là-dedans, Bonnes gens,
Si le feu vous réveille.
Le briquet étant infiniment plus sûr que les allumettes de la régie, il est évident que la sommation des petiots est plus qu'une figure de rhétorique. J'ai cité d’abord ces deux strophes, ou ces deux couplets, qui font tout doucement leur chemin dans la presse, parce qu’ils donnent bien le sentiment... comment dirai-je ? Politique ? social ? — Je persiste à dire poétique (et je donnerai mes raisons), le gentiment poétique, de M. Richepin. M. Richepin est évidemment un ennemi, un ennemi ardent, mais après lecture de la Chanson des gueux, œuvre exubérante de jeunesse et de force, je suis infiniment moins inquiet qu’au début du livre. La raison ? C’est que l’auteur est un tempérament et un poète : deux choses qui, par ce temps de pâles couleurs, sont excessivement rares, et où il y a toujours de la ressource. Jamais Robespierre qui eut, Comme savez, des velléités de versification, n’aurait écrit certaines pages de ce livre. Robespierre était maigre, chétif, — et curieux. On a de lui un portrait à vingt ans, dessiné au pastel pour une dame, et au-dessous duquel il fit mettre cette devise fade et bête : Tout pour mon amie. J'aime mieux la Chanson des gueux. Je ne sais si l’avenir, fécond en surprises, réserve un Jour à M. Richepin un rôle politique quelconque ; mais j’en doute fort. La plupart des pseudo Robespierre et autres, Collot-d’Herbois de ce siècle, comme de l’autre, sont des orateurs ou des écrivains sifflés. Or, il y a beaucoup de choses dans la Chanson des gueux qu’on ne sifflera pas. Cette pièce par exemple, intitulée la Plainte du Bois, et qui est de beaucoup supérieure au courant du jour :
Dans l'âtre flamboyant le feu siffle et détone,
Et le vieux bois gémit d'une voix monotone.
Il dit qu'il était né pour vivre dans l'air pur,
Pour se nourrir de terre et s'abreuver d'azur,
Pour grandir lentement et pousser chaque année
Plus haut, toujours plus haut, sa tête couronnée,
Pour parfumer avril de ses grappes de fleurs,
Pour abriter les nids et les oiseaux siffleurs,
Pour jeter dans le vent mille chansons joyeuses,
Pour vêtir tour à tour ses robes merveilleuses,
Son manteau de printemps de fins bourgeons couvert,
Et la pourpre en automne, et l'hermine en hiver.
Il dit que l'homme est dur, avare et sans entrailles,
D'avoir à coups de hache et par d'âpres entailles
Tué l'arbre ; car l'arbre est un être vivant.
Il dit comme il fut bon pour l'homme bien souvent,
Qu'à nos jeunes amours et nos baisers sans nombre
Il a prêté l'alcôve obscure de son ombre,
Qu'il nous couvrait le jour de ses frais parasols
Et nous berçait la nuit aux chants des rossignols,
Et qu'ingrats, oubliant notre amour, notre enfance,
Nous coupons sans pitié le géant sans défense.
Et dans l'âtre en brasier le bois geint et se tord.
Ô bois, tu n'es pas sage et tu te plains à tort.
Nos mains en te coupant ne sont pas assassines.
Enchaîné, subissant l'entrave des racines,
Tu végétais au même endroit, sans mouvement,
Et conjoint à la terre inséparablement.
Toi qui veux être libre et qui proclames l'arbre
Vivant, tu demeurais planté là comme un marbre,
Captif en ton écorce ainsi qu'en un réseau,
Et tu ne devinais l'essor que par l'oiseau.
Nous t'avons délivré du sol où tu te rives,
Et te voilà flottant sur l'eau, voyant des rives
Avec leurs bateliers, leurs maisons, leurs chevaux.
Ô les cieux différents ! les horizons nouveaux !
Que de biens inconnus tu vas enfin connaître !
Quel souffle d'aventure étrange te pénètre !
Mais tout cela n'est rien. Car tu rampes encor.
Qu'on le fende et le brûle, et qu'il prenne l'essor !
Et le feu furieux te dévore la fibre.
Ah ! tu vis maintenant, tu vis, te voilà libre !
Plus haut que les parfums printaniers de tes fleurs,
Plus haut que les chansons de tes oiseaux siffleurs,
Plus haut que tes soupirs, plus haut que mes paroles,
Dans la nue et l'espace infini tu t'envoles !
Vers ces roses vapeurs où le soleil du soir
S'éteint comme une braise au fond d'un encensoir,
Vers ce firmament bleu dont la gloire allumée
Absorbe avec amour ton âme de fumée,
Vers ce mystérieux et sublime lointain
Où viendra s'éveiller demain le frais matin,
Où luiront cette nuit les splendeurs sidérales,
Monte, monte toujours, déroule tes spirales,
Monte, évanouis-toi, fuis, disparais ! Voici
Que ton dernier flocon flotte seul, aminci,
Et se fond, se dissout, s'en va. Tu perds ton être ;
Aucun œil à présent ne peut te reconnaître ;
Et toi qui regrettais le grand ciel et l'air pur,
Ô vieux bois, tu deviens un morceau de l'azur.
— Bien vrai ? C’est l’auteur des Petiots qu'ont un briquet qui a écrit ces vers ?
— Lui-même. Mais je vous étonnerais bien davantage si je pouvais vous donner une idée de la partie de la Chanson des gueux, intitulée : Gueux de Paris, et terminée par l’Egout ! Les Petiots qu'ont un briquet sont des roses blanches, comparées à certains de ces tableaux de cloaque. Tirons un voile. Il restera encore de ce livre assez des pièces égales, sinon même supérieures à la Plainte du bois, pour donner la mesure d’un poète auquel il ne manque que l’étoile des rois mages pour aller à la vérité : — la foi. Telle, par exemple, la pièce qui a pour titre le Bouc aux enfants, et qui finit par ces vers exquis :
...Ils lui mettent un mors taillé dans une branche,
Et chassent devant eux. à grande coups du rameau,
Le vénérable chef des chèvres du hameau.
Avec les sarments verts d'une vigne sauvage
Ils ajustent au mors des rênes de feuillage.
Puis, non contents, malgré les pointus de ses os.
Ils montent tous les deux à cheval sur son dos,
Et se tiennent aux poils, et de leurs jambes nues
Font sonner les talons sur ses côtes velues.
On entend dans le bois, de plus en plus lointains,
Les voix, les cris peureux, les rires argentins ;
Et l'on voit, quand ils vont passer sous une branche,
Vers la tête du bouc leur tête qui se penche.
Tandis que sous leurs coups et sans presser son pas,
Lui, va tout doucement pour qu'ils ne tombent pas.
Quand un écrivain a ce sentiment ému des choses et des êtres, son affaire est claire. Ce qui est mauvais est aux autres. On m’apprendrait dans un temps plus ou moins long que l’auteur de la Chanson des gueux est devenu trappiste que je ne m'en étonnerais nullement. M. Richepin est un de ces tempéraments sur lequel tout, l'arbre, l’enfant, le son de l’orgue, l’amour et la mort a un écho vibrant et sonore. Il est radical et on le dit athée. Qu’il prenne garde ! Il est bien près de de venir chrétien.
Dancourt.
Juin↑
Largillière, « La Chanson des Gueux, par
Jean Richepin », Le
Corsaire, 4 juin 1876, p. 3.
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Heureux les livres qui ont une histoire ! La nouvelle chanson que nous chantent les gueux de Jean Richepin, parce d’hier, en a déjà une qui pourrait remonter au premier gueux !
Depuis l’âge où les poètes « faisaient des essais sur leur lyre », expression vieillotte et amusante, Les va-nu-pieds tendant la main avaient frappé à toutes les portes. Tous, il faut le dire à la louange des poètes, leur avaient, comme on dit, fait l’aumône.
Mais, Jean Richepin leur a crié : Venez à moi ! Ma maison (c’est-à-dire mon livre) sera la vôtre. Ce n’est pas mignon comme à côté ici, c’est bien simple, comme vous voyez. Mais on y mange, on y boit et on y dort. Et puis, il y aura le cœur pour avoir chaud l’hiver, et être au frais l’été.
Et voilà comment les gueux ont désormais une maison à eux ! où il n’y en a que pour eux !
Des messieurs qui s’y connaissaient, en les voyant là installés sans gêne (dame !) ont dit un mot qui n'est pas vieux :
Otez-moi ces magots !
Comme ces gens font retentir très haut leur plaisanterie, quand ils la croient nouvelle, le mot est arrivé aux oreilles de Jean Richepin.
Il s'est dit : J'ai entendu ça quelque part. Heureusement, tout le monde n'a pas pris la chose de cette façon... royale !
Il y a eu des maîtres (et des plus grands), qui ont parfaitement compris et qui l’ont dit.
Comme c’étaient des écrivains de race qui parlaient, le public a fait :
— Diable ! Il a pris le livre et l’a lu. Evidemment ça a dû lui paraître drôle.
Et c'est bien naturel, il n'était plus habitué à cela. Ces titres disent : chansons : et tout le monde presque avait oublié ce que c'est qu'une chanson — à parler françaisement, pour se servir d'un mot qui n’est pas français.
Remarquez que j'aurais pu dire gauloisement. C’est une nuance.
Les Chansons de mendiants qui ouvrent le volume, voilà bien la chanson telle quelle elle pousse « chez nous, « comme une sauvage et folle qu’elle est avec la couleur populaire. La mélopée paysanne, la philosophie savoureuse.
Je sais bien qu’il y en a d’autres. Mais ce sont chansons de gens d’esprit, entendons-nous bien, chansons de lettrés ; de ces choses, tout le monde peut en faire, quand on a lu Horace et Béranger.
Mais la première « ne se tourne pas ». Elle est dans l'air, comme un parfum et une aile invisible. Tout à coup elle éclot, et c’est de la lumière pour tout le monde. Les Petiots font le tour de partout en disant : Ouvrez la porte.
Et on l'ouvre.
Il le faut bien. Il y a une façon de demander.
Richepin a accompli celle tâche poétique au premier chef de faire parler ses mendiants, comme s’il les laissait porter. Rien dans tout cela qui sente le littérateur. Chose nouvelle, qui contient une leçon, et qui est peut-être un symptôme !
Après le portail, et ce groupe aux prières menaçantes, on entre dans de la campagne, de l’air, des rayons. Un entend des flûtes qui « noient les cœurs de l'homme et de la bête, du bois qui geint dans litre, brûle, s'évapore, flotte sur l'eau, les montagnes, devient « un » morceau de l’azur » ; on voit des enfants « mignards nus, sans chemisettes », qui chevauchent des bancs, des statues renversées qu'on relève, des merles en prison, des papillons dans la sèche ; on entend des insectes bourdonner leur gloire.
Un triangle aile raye le ciel ; en bas la basse-cour s'effare. Des vagabonds traversent le paysage. Ce sont des patriarches de douze ans, des chefs de bande, des gueux enlaçant leur femme, portant, eux aussi, le flambeau de l’amour éternel. C’est le rôdeur des champs, qui n’a ni lit ni hamac. C’est le sommeil du va-nu-pieds, dans « le murmure endormeur des champs silencieux ». C’est un vieux qui n’a ni femme à chérir, ni enfants à choyer, un mort qu'on n'enterrera même pas, un autre qui se sera collé à la vie comme à une mamelle vide. Et chaque fois que la nuit tombera sur ces tableaux, ce sera avec l'effroi des gens et des bêtes, qui vivent du soleil, qui ne peuvent se passer de lui, parce que « lui seul est bon ». Le soleil, dit le poète, « qui dans les yeux charmants des femmes dort et luit ! »
Après les Gueux des champs, les Gueux de Paris : les cris des rues, les déroulements, les gaietés poignantes des orgues de Barbarie, les pleine-eau de voyous dans les banlieues, l’arsouille « qui y va de sa larme », des soleils couchants suburbains, le vieil habit qui se meurt sur un dos de pêcheur à la ligne (un chef-d’œuvre !) Et des chiens, grands comme des hommes !
Avançons toujours. N’ayez pas peur. Nous entrons dans des fours à plâtre, ou des mômes viennent rejoindre « leurs femmes de douze ans. » Nous rencontrons un « fils de fille » qui ricane en nous appelant papa ; un voyou « qui dit comme çà des choses. » Et puis ce sont des ballades qui sont tout autant de bijoux.
Dans la troisième partie, intitulée : Nous autres Gueux, nous voyons le poète et ses amis déambulant à travers les rues, les cabarets, et même les bouges. « Ho, des assiettes et des flacons ! » Ce sont gaillards solides, qui peuvent boire, manger et aimer longtemps — pas des déesses, pas des idoles (Oh ! que loin est Elvire et même Musette !) mais la femme tout chair et os, la femme-femme que le poète désigne sons l’apparence colorée et rebondis du nom de Margot.
En somme, dans tout le livre, rien qui sente l'école, qui se rattache, avec la naïveté habituelle aux jeunes, à un passé même récent : peu d'expressions mâchées, pas de faux sentiments ; un acheminement prodigieux vers le livre « écrit sans mensonges ».
C’est certainement un cri aussi, un cri initial de quelque chose. Quand on puise en pleine vie, comme a fait Jean Richepin, on peut désaltérer dans une large mesure ; mais la soif est créée, plus exigeante.
De là un remuement profond. De là des angoisses vagues, des réveils sourds.
De là aussi la question morale ou sociale qu’on invoque.
C'est un grand honneur pour le poète, quand ces ombres s’émeuvent autour de son œuvre. Il ne l’a pas voulu, mais il ne peut empêcher cela.
Et voilà tout le secret de « faire politique ou philosophique » en vers :
C'est de ne faire ni des vers politiques ni des vers philosophiques.
Il est vrai que c'est plus difficile !
Largillière.
Anonyme, « Les Gueux », La Liberté, 4 Juin 1876,
p. 2.
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Connaissez-vous l’auteur de la Chanson des Gueux ? Regardez, le voici, me dit hier un de mes amis en me pressant le bras d’une manière significative, comme nous remontions le trottoir de la rue Montmartre.
Je croyais voir un pauvre hère de poète, fangeux et crotté comme le monde qu’il chante, hâve, dépenaillé, sordide, avec des yeux menaçants sous des cheveux en broussaille, un Tibérius Gracchus orné de la bosse d’un Quasimodo. Quel fut mon étonnement ! Le jeune homme qui s’avançait vers nous était un beau garçon, bien pris, élégant, de tournure à rendre jaloux M. Alphonse Daudet lui-même. Il avait quelque chose de doux et de sauvage dans la figure, l'œil curieux, étonné, profond, la barbe noire, longue et soyeuse, une barbe de jeune prêtre d’Eleusis à l’époque où il y avait des mystères. Rien d’ailleurs, dans sa mise, qui ne fût correct et du meilleur ton ; c’était enfin un gueux plein de familiarité avec les grands boulevards et l’intérieur des petits journaux, mais sans aucune parenté directe avec l’égout et le ruisseau.
A force de le regarder, ses traits me revinrent. Il me semblait que j’avais vu ce poète quelque part; où? voilà ce que je me rappelais difficilement ; mais ce devait être dans une salle bien éclairée, dans une salle de spectacle, où il jouait à lui seul la comédie et la tragédie pour le public pressé sur les banquettes ; car, à mesure que les souvenirs se coordonnaient dans mon esprit, je le revoyais tel que je l’avais vu alors, en habit et en cravate blanche, l’air ému, troublé, presque timide, avec la lumière qui, lui tombant d’aplomb, faisait ressortir le contraste de sa barbe noire et de la pâleur mate de son teint ; et je revoyais en même temps les figures des auditeurs passer du rire à la tristesse, exprimer successivement l’admiration, l’étonnement, le dégoût, tour à tour captivées et rebutées, protestant contre les hardiesses du poète et ses vulgarités voulues, et ne poupart t s’empêcher de reconnaître ce je ne sais quoi du talent, cette griffe qui marque le trait et l’enfonce, cette sève vigoureuse qui soulève l’inspiration et la promène sur tous les sujets.
Il y a quelques mois, en effet, tout Paris littéraire fut convoqué à la salle Herz pour assister à la révélation d’un nouveau poète. Depuis qu’il n’y a plus de poésie en France, et que les gourmands de la Muse en sont réduits à grignoter les verdelets d'un Parnassiculet de coterie, nous sommes périodiquement bombardés de révélations de ce genre. On nous dit tout bas, à la porte ; avant d’entrer : « Vous savez, cette fois Victor Hugo est enfoncé. C'est, plus fort, plus puissant que lui, et puis c’est inédit, quelque chose dont vous n’avez pas l’idée. » Nous entrons. Il se trouve que c’est une petite fête de famille. L’orateur déclame pour les frères et amis, dans une langue ringardisée, dont les finesses et les mièvreries nous échappent. Et ils sont tous là, pressés, avides, l’étouffant de leur cercle ; quelques-uns un peu jaloux — quoi de plus naturel ? — de n'en avoir pas fait autant, et surtout de ne pouvoir se débiter devant si noble assistance.
A l’honneur de M. Jean Richepin, nous devons dire qu’il dépassa, ce soir-là, notre attente et dérouta complètement notre scepticisme. Ses Gueux, qu'il n'avait pas encore baptisés, étaient bien un peu païens. Mais que voulez-vous ? c’est la mode aujourd’hui. En revanche, ils avaient une sensibilité si naturelle et si profonde dans leur misère ; ils la supportaient si gaiement, et par moment ils étaient si peu gueux par leurs grands coups d’ailes vers l’idéal, un idéal à eux, bien entendu, fait de rayons macabres et de concupiscences rabelaisiennes, que, en un instant la pensée d’une supercherie, d’un subterfuge comme de tout temps, les gens d’esprit en trouvèrent pour se faire accepter du public
Soit fantasque,
Barbouillé, grimaçant, moqueur,
Sur ta figure colle un masque ;
Mets un faux nez ; montre un faux cœur.
Ce conseil, c'est lui-même qui l’adresse à un de ses amis, poète et gueux comme lui Pourquoi ne le pratiquerait-il pas pour son propre compte ?
— Ce garçon-là a quelque chose dans le ventre, disait, en sortant de la salle Herz, un critique à un journaliste.
— Hum ! de la verve salée, de l’argot, de l’ordure !
— Du talent.
— Peut-être ; mais je n'aime pas les gueux je vous l’avoue.
— Est-il aussi gueux que ça ? L’auteur de la Chanson des Gueux est le représentant presque arrivé d’une bohème qui fait encore son stage à la célébrité dans l’arrière-salle basse des mastroquets de la rive gauche. Elle consomme à l’œil le plus qu’elle peut, n’a pas toujours à dîner, mâchonne des bouts de cigare et porte des chaussures éculées. Les plus riches aident les plus pauvres. Ils sont tous liés par un sentiment de confraternité étroite qui sert aux uns pour vivre, aux autres, à ceux (car il y en a) qui se font imprimer, pour trouver une admiration toute prête et des lecteurs qui les applaudissent. De temps à autre le grand public reçoit, dans un volume de vers (chamois et satiné), édité chez Charpentier ou chez Leserre, comme un écho de cette poésie rude et débraillée qui se ramasse dans la boue, le long du trottoir, au matin des nuits d’orgie. Mais ce ne sont pas toujours les plus forts qui percent les premiers ; M. Richepin est depuis longtemps célèbre dans le Parnasse indépendant, et il vient à peine de trouver un éditeur. Je connais pour ma part maintes pièces macabres qui circulent sous le manteau, et dont les feuillets épars se réuniront quelque jour pour former une nouvelle Chanson des Gueux.
Paul Arène, « La Tribune
littéraire », La
Tribune, 6 juin 1876, p. 2.
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[…]
Li Carbounié, les Tendresses viriles, œuvres mûries et calmes, peuvent attendre ; le livre plus jeune et quelque peu tapageur de M. Jean Richepin semble pressé et cogne aux vitres : parlons d’abord du livre de M. Jean Richepin.
M. Jean Richepin, avec une audace qui ne déplaît pas, a sauté dans le réel à pieds joints, et tant pis si ce n’est pas précisément de perles qu’il nous éclabousse.
Son livre est parisien, mais parisien de ce Paris tel que les vingt dernières années l’ont fait, avec je ne sais quoi d’inachevé dans ses mœurs comme dans ses rues, avec ses misères sociales en pleine civilisation et ses affranchissements laissés en route, comme on y voit, entre deux amorces de boulevard neufs, au milieu des démolitions commencées, des coins de quartier malsain, des pâtés de maison puantes et noires.
C’est ce Paris misérable que le poëte semble avoir exploré surtout, non par goût assurément, mais comme sujet plus curieux d’étude. La solitude inquiétante des quais et des bas-ports, les buttes excoriées et jaunes, les terrains vagues aux maigres herbes roussies, poussant dans les tessons et l’ordure, les fours à plâtre, les barrières, le pavé clapotant et gras, les rues étroites et montantes, voilà son cadre et son paysage. Les cris de Paris : vieux habits, vieux galons, gamines qui offrent des violettes, vieilles femmes vendant le mouron ramassé — dans la haie et dans le fossé, — échos de cabaret, refrains d’orgues de barbarie, voilà ce qui, pour lui, remplace la chanson des prés et le soupir des bois. Au milieu, rôdent, s’accouplent et se battent, filles et fils de filles, voyous, soupeurs, mômes, vénérables et bénoits (ce sont les mots de l’auteur que je cite) ! Tout cela gravé à petits traits secs comme une eau-forte, ou crûment barbouillé comme une enseigne de saltimbanque forain ; mais toujours avec le parti pris de la réalité quand même, et une audace à l’endroit des moyens d’expression qui va jusqu’à l’emploi de l’argot lorsque — ce qui arrive souvent — le français des braves gens n’y suffit pas.
Les champs eux-mêmes — car dans le volume il y a une division intitulée gueux des champs — les champs eux-mêmes, tels que les comprend M. Richepin, semblent avoir dans leur atmosphère quelque chose de l’air parisien. C’est la banlieue plus que la campagne ; les gueux qui la parcourent, vieux estropias et jeunes vagabonds viennent de Paris ou y retournent. Ce chemin creux où
... le gueux, en bête poursuivie.
Parmi l’âcre senteur des herbes et des blés,
Baigne son corps poudreux et rajeunit sa vie,
ce chemin porte l’ornière qu’y a laissée la carriole des blanchisseurs de Vanves et des maraîchers de Clamart ; et ce couple dépenaillé, Daphnis et Chloé bohèmes, qui cachent leur idylle à l’ombre d’une maigre haie, n’auraient qu’à gravir le revers du fossé pour apercevoir, et pas très loin, le dôme ennuagé du Panthéon ou le moulin immobile des Buttes.
Le livre de M. Richepin, avec ses affectations de cynisme et de brutalité, est au fond un livre ironique. Mais parfois son ironie est excessive, puisque, feignant de ne pas la comprendre, des critiques bien pensants, — à propos des petiots qui ont un briquet pour incendier les fermes, et des grands qui, si on leur refuse « du pain de son, des sous de cuivre » menacent de voler les beaux amours, qu'un les vend cher aux faiseur d’tours, — ont pu crier à la glorification et à l’avènement des nouvelles couches sociales. Mais malheureux ! ce que vous appelez nouvelles couches c’est le plus ancien résidu, le sédiment le plus encroûté de nos sociétés contentes d’elles. Détourner les yeux de la plaie ne la guérit point ; et ce peut être au contraire une besogne utile de la montrer dans son horreur, ne fût-ce que pour enlever toute excuse à ceux qui, volontiers, prendraient leur parti de l’ignorer.
D’ailleurs, dans la Chanson des Gueux, ce n'est pas l’accent de révolte, ironique ou non, qui domine, mais plutôt une sorte d’attendrissement pour ces laideurs qui s’ignorent, et ces dégradations définitives, hélas ! niais inconscientes et parfois imméritées.
N’y a-t-il pas de cela dans cette pièce, la meilleure du livre, pièce bêtement intitulée : Un vieux lapin, et qui ne perdrait rien à s’appeler plus simplement : Un vieux pauvre ? Ce vieux pauvre est en train d’agoniser, seul, sur le talus d’un fossé, en pleine campagne déserte, Mais, si misérable qu’il soit, misérable autant que le bûcheron de Lafontaine, lequel vivait sous le grand roi, il ne veut pas mourir, lui non plus, car
Sur ce lit de mort sans chevet
Il se rappelle qu’il avait
De bons moments quand il vivait,
Que dans son enfance première
Il dormait chez une fermière
Près de l’âtre de la chaumière,
Que le hasard avait grand soin
De lui garder toujours un coin
Bien chaud dans les meules de foin,
Qu’il avalait à pleine tasse
Le vin frais, si doux quand il passe
Et la bonne soupe bien grasse,
Et qu’il avait beau voyager,
Lui l’inconnu, lui l’étranger,
Chacun lui donnait à manger.
Ces vers sont beaux et simples. Ils font songer à certains dessins de François Millet, le grand peintre des misères et des travaux rustiques. Pourquoi n’est-ce pas là le ton de tout le volume ? Je lisais l’autre jour, précisément, ces mots inscrits de la main de Millet sous une de ses photographies : — « J’aime le pauvre, mais je déteste les haillons ! » Pour le malheur de M. Richepin, et ceci soit dit sans nier un incontestable talent, il y a peut-être un peu trop de haillons dans son livre.
El maintenant, une querelle personnelle ; M. Richepin, qui est un homme d’esprit, nous la permettra. Pourquoi celle troisième partie intitulée : Nous autres gueux. Nous autres gueux, c’est vous, c’est moi, c’est tout le monde,
Ce sont des rêveurs, des poëtes.
Des peintres, des musiciens,
Des atouts, un tas de jeunes têtes
Sous des chapeaux très anciens !
Parlez pour vous, aurait-on envie de dire. Je sais bien que dans une ballade liminaire, à la manière de Villon. M Richepin s'écrie : — Race d’indépendants fougueux. — Je suis du pays dont vous êtes. — Le poète est le roi des gueux... Mais l’argument, même rimé, ne pèse guère ; et pour un esprit aussi moderne que parait l’être M. Richepin, la vieille légende de l’écrivain ivrogne et crotté devrait, après Hugo et Lamartine, être allé rejoindre depuis longtemps celle du républicain en chapeau mou.
Il faut en prendre son parti : le poète aujourd’hui vit de la vie commune ; il est soldat, il paie l’impôt, il s’occupe même de politique, et vos tristesses comme vos gaietés, les vôtres et celles de vos amis, sont, fort heureusement, les tristesses et les gaietés de tout le monde.
Que n’avez-vous fait comme on faisait autrefois, au beau temps de Joseph Delorme, inventé votre poète tout d’un bloc et forgé son autobiographie posthume ? Tout en regrettant qu’un jeune homme capable d’écrire de remarquables vers n’eût trouvé, dans une époque aussi généreusement inquiète que la nôtre, qu’un idéal de hoquets, de baisers, de nez culottés et de nappes rougies, on se serait attendri sur la fin prématurée de ce goinfre -bohème, mâtine de Gringoire et de Saint-Amand, les bonnes gens vous auraient cru, et ceux dans le secret, indulgents à la mystification, se seraient contentés de sourire.
Mais vous signez, vous citez des noms, quelle imprudence ! Ici, la sincérité reprend ses droits, et dussiez-vous lâcher sur moi un essaim de strophes irritées, je dirai tout :
Non, cher monsieur Richepin, ni vous ni vos amis n’êtes des gueux ou des goinfres. Vous ne logez au grenier qu’en vers et ne vous grisez guère que d’encre.
Un des compagnons de votre fausse gueuserie est poëte sans doute, mais aurait de quoi dorer ses rimes même sans l’aide de l’éditeur Charpentier, les Muses favorables l’ayant doté à vingt ans de vingt mille livres de rente.
Tel autre que vous apostrophez ainsi : —Salut, P..., salut trogne, crinière, ventre!... est un jeune garçon fort timide et fort doux que jamais gendarme ne reconnaîtrait à ce signalement fantastique.
André Gill, à qui vous dédiez une pièce, se faisait hier soir applaudir à l’Odéon, et ploie sous l’or et les lauriers.
Le quatrième de vos gueux, — faut-il le dire ? — écrit à la Revue des Deux-Mondes !
quant à vous que, sur la loi de vos rimes, les candides lecteurs prennent sans doute pour un poète de belle étoile, de bouge et de grenier, ne mériteriez-vous pas qu’on vous déshonore à leurs yeux en leur révélant votre figure qui n’a rien d’un ivrogne, votre tenue qui n’a rien d’un gueux... et vos grades universitaires !
Paul Arène.
L[éon] Laurent-Pichat, « Le
Salon de 1876 », Le Phare
de la Loire, 7 juin 1876 p. 1.
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[…] Je lisais hier un volume de poésies étrange et rempli de talent, la Chanson des Gueux, par M. Jean Richepin. Il y a de l’argot dans son livre où Villon et Henri Meunier se rencontrent, où Mathurin Régnier et Henri Heine se confondent, où un cynisme artificiel et froid se trouve racheté par un peu de sentiment sincère et d’émotion vraie. Encore un qui veut étonner le bourgeois. Il met des chiens dans ses tableaux, comme M. Manet ; il y met des pipes ; mais aussi, il y place des morceaux de verve amère violemment et vivement écrits. Sur les toiles et dans les livres, voilà ce que je cherche à travers les prétentions qui finissent par disparaître. Je cherche un peu de franchise et s’il s’y trouva un germe de talent, il y a espoir.
Puisque j’ai parlé d’un livre, j’en citerai une page et nous reviendrons à nos tableaux :
Dans un verre de Bohême
Creux comme un ravin,
J’ai versé du vin que j’aime,
J’ai versé du vin.
Mon estomac peu sévère
S’en est inondé.
J’avais du vin plein mon verre.
Mon verre est vidé.
Le vin fumeux de la gloire
Tenta mon cerveau,
Et je voulus aussi boire
De ce vin nouveau.
Ce vieux tonneau qu’on révère,
Je l’ai débondé.
En songe, il remplit mon verre.
Mon verre est vidé.
L’amour est une piquette
Qui mord le palais.
Or, je m’en suis mis en quête,
Du bouge au palais.
Effeuillant la primevère
Dans ce vin fraudé,
J’ai bu l’amour à plein verre.
Mon verre est vidé.
Loin des chants et des vacarmes,
Dans un coin bien clos,
J’ai fait du vin de mes larmes
Et de mes sanglots.
Mis en croix sur un calvaire,
De fiel transsudé
J’ai bu sans pâlir un verre.
Mon verre est vidé.
Après tant de boissons vaines,
Que boire à présent ?
Reste le sang de mes veines.
C’est du mauvais sang.
N’importe ! je persévère.
De mon cœur ridé
Le sang pleure dans mon verre.
Mon verre est vidé.
Paul Courty, « La Chanson des Gueux, par
Jean Richepin » L’Opinion
nationale, 8 juin 1876, p. 2.
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Je me méfie toujours des livres dont le ton est évidemment forcé comme dans celui-ci, des livres-pétard des livres-coup de pistolet. C’est à priori une mauvaise note à mes yeux, quand je vois un écrivain s’efforcer d’attirer par le bruit des badauds distraits. Les étoffes aux couleurs les plus criardes sont d’ordinaire les plus mauvaises ; un déjeuner de soleil pour elles, un déjeuner de notoriété pour le poète tapageur, et tout est dit. Cette fois pourtant, il y a quelque chose sous la tentative de M. Jean Richepin, et les pièces semées d’expressions obscènes écartées, les tableaux trop orgiaques enlevés, il reste encore dans son livre de quoi révéler un vrai poète
N’en déplaise à M. Richepin, ce n’est pas dans ses pièces les plus montées du ton que se trouve le plus d’originalité. L'inspiration de Villon, qui s’y fait sentir bien évidemment, nuit déjà à leur modernité, en mêlant de truanderie la gueuserie du jour : et encore si c’était du Villon sincère ! Mais M. Richepin que j’ai entrevu à de rares intervalles dans diverses réunions, n’a nullement, grâce à Dieu, le physique de l’emploi ; il n’a pas le piton rubicond, il n’est ni maigre, ni loqueteux, ni famélique. Vous représentez-vous bien le Villon moderne, le roi des gueux et des bohèmes parisiens, dans la correcte tenue classique, en habit noir, point troué ni râpé, et en gants paille ? Comme l'auteur hâve et déguenillé du Testament, qui avait deux ou trois fois manqué la hart de si peu, qui a vécu le moindre de ses vers, renierait son successeur !
Il serait injuste, cependant, de méconnaître l’effort, souvent couronné de succès, de M. Jean Richepin pour s’assimiler les mœurs qu’il veut d’écrire. L’observation peut remplacer, dans une certaine mesure, l’expérience personnelle et nous pourrions signaler dans Voyou, dans Terrains vagues, dans Larmes d’arsouille, bien des traits qui peignent les gueux au naturel. Mais, encore une fois, nous aimons mieux les pièces plus sobrement écrites, celles où le lettré, le poëte qui connaît sa prosodie, le classique, — dirions-nous presque, si nous ne craignions de ne faire une mauvaise affaire avec M. Richepin, — montrent le bout de l’oreille. On y sent pour les petits, pour les pour les enfants qui ont faim et froid et qui toussent, une émotion sincère, bienveillance mélancolique, que l’écrivain a eu seulement le tort d’étendre aux coquins.
En somme, un livre à lire, non pour les délicats qu’il révoltera et qui ne se rendront pas un compte suffisant de la part de d’atelier destinée à épater le bourgeois qu’il renferme, mais pour ceux que n’effraye point un peu de réalisme pathologique et anatomique. La Chanson des Gueux a déjà causé une certaine émotion, feinte ou réelle, et M. Louis Veuillot, entre autres est un farouché de la strophe suivante chanson de petite mendiante :
Ouvrez la porte
Aux petiots qu’ont un briquet.
Les petiots grincent des dents.
Ohé ! les durs d’oreille !
Nous verrons là-dedans,
Bonnes gens,
Si le feu vous réveille !
Pour nous, sans plaider l’innocuité absolue de toute théorie exprimée sous la forme de la poésie, quoique la thèse ait été soutenue plus d’une fois, notamment lors du procès des Fleurs du Mal, nous ne pensons pas que de M. Richepin soit une arme aux mains des gueux, qui ne sont malheureusement si sinistres et si gueux que parce qu’ils ne savent pas lire.
Paul Courty
Jean De Nivelle, « Causerie
parisienne », Le
Soleil, 8 juin 1876, p. 2.
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P. S. — J’ai reçu, à propos de ma dernière causerie, une lettre de M. Jean Richepin, me demandant une rectification que j’insère bien volontiers. L’auteur de la Chanson des Gueux réclame contre Toulouse et Carcassonne que je lui ai attribués comme lieux probables de naissance. M. Jean Richepin, né à Médéah (Algérie), est Parisien depuis l’âge de quatre mois et déclare qu’après avoir fait ses études dans un lycée, il fut élève de l'Ecole normale supérieure. Tant pis ! car alors on ne s’explique pas qu’un jeune auteur de talent et de savoir, comme M. Richepin, ait pu s’oublier jusqu’au point de fournir, par une production malencontreuse, des armes terribles aux adversaires de l’Université en général, et de l’Ecole normale en particulier.
J. DE N.
[Timothée] Colani, « La Chanson des Gueux, par
Jean Richepin » Le
Courrier littéraire, 10 juin 1876, p. 212-214.
La Chanson des Gueux, par Jean Richepin. 1 vol. in-18 de 248 pages. Prix : 3 fr.
(Librairie illustrée, rue du Croissant. 1876.)
« Venez à moi, claquepatins,
Loqueteux, joueurs de musettes,
Clampins, loupeurs, voyous, »
Ce début de la Chanson des Gueux, bel exorde digne de la conclusion, donne tout de suite le ton du livre. M. Jean Richepin, en quête de choses nouvelles, a découvert la Cour des Miracles, les incongruités de Scarron, l’argot d’Eugène Sue, le dictionnaire de la langue verte, et, qui plus est, la dive bouteille ! On conçoit qu’émerveillé de telles trouvailles, le poète en veuille faire part, et qu’il écrive : Venez ! à Messieurs les gueux, qui ne lisent point. Ah ! s’ils lisaient ! s’ils n’étaient point ignorants ! « Eh quoi ! diraient-ils au poète, vous prétendez être des nôtres, et vous ne voyez en nous que des brutes curieuses à peindre ! Nos misères ne sont pour vous que de pittoresques turpitudes, nos souffrances qu’une gueuserie à la Callot ? L’obscur et lamentable troupeau des misérables, des déshérités, des affamés, vous n’avez pas eu, vous, Poète, l'idée de chercher s’il avait une âme ? Et vous croyez que pour être des vôtres, il suffit de contempler des haillons, une bouteille vide, une ordure, et de dire : Voici mon pays ! » Les gueux auraient raison. M. Richepin s’est flatté, s’il ne les flatte guère. « Claquepatins et loqueteux » l’amusent plus qu’ils ne le touchent. A peine lui ont-ils donné quelque émotion dans la Petite qui tousse et dans le Grand-Père sans enfants. Il y en a peut-être davantage dans la jolie pièce intitulée : Mon petit toutou, que le poète attendri adresse à son chien défunt. Pauvre bête ! est-ce pour honorer ta mémoire que, nouvel Alcibiade, il te coupe la queue ? Au surplus, en concédant à M. Richepin cette affirmation : « Le poète est le roi des gueux, »
Il s’agirait de savoir, non point si
lui-même est ce roi, mais plutôt s’il est ce poète.
La haine
du « bourgeois, » de « l’épicier, » du « philistin » est, comme on
sait, le commencement de l’idéal. Encore un de ces paradoxes
étourdissants de nouveauté ! Ingrats novateurs ! Sans le
bourgeois, que deviendriez-vous ? Qui donc étonner, — je dis mal,
— qui donc « épater, » sans le bourgeois ? Et quel semblant
d’idéal vous resterait-il si l’on vous ôtait ce sujet d’ironies et
d’anathèmes ? C’est lui, le bourgeois, qui inspire à M. Richepin
des strophes comme celle-ci :
« Et tous sont ainsi faits ! Vivre la même vie,
Toujours, pour ces gens-là cela n’est point hideux !
Ce canard n’a qu’un bec, et n’eut jamais envie
Ou de n’en avoir plus, ou bien d’en avoir deux ! »
Pourquoi pas trois, comme dans
l’opérette ? Hélas ! le bourgeois n’en comprendrait pas mieux un
canard aussi poète que cela ! D’idéal plus précis, on n’en trouve
pas dans la Chanson des
gueux. M. Richepin a des impressions quelquefois très-vives ;
mais pour les idées, surtout les idées générales, il est pauvre
autant que le roi des gueux peut l’être. On s’amuse de voir cet «
indépendant fougueux, » cet excentrique, se fourvoyer sur le
chemin et sur les traces des classiques et des bourgeois. Regardez
son vieux lapin, fort énergiquement crayonné du reste :
« ... La vie est un si grand bien,
Que ce vieillard, ce gueux, ce chien.
Regrette tout, lui qui n’eut rien ! »
Il descend de La Fontaine :
« Guenille soit, mais guenille m’est chère ! »
La petite pièce intitulée Bout de spleen, n’est pas autre chose que ce mot de Sthele :
« Les hommes désirent allonger leur vie en gros et la raccourcir en détail. »
L’idée mère de Nos revanches se trouvait déjà dans les Gueux de Béranger ;
« Il faut qu’enfin l’esprit venge
L’honnête homme qui n’a rien »
à cela près que les gueux de M. Richepin sont moins honnêtes. Il est encore réjouissant de voir ce normalien émancipé, qui semble vouloir faire une niche à son classique passé, réussir un charmant bas-relief à l’antique, le Bouc aux enfants, et ce sceptique à tous crins, ce fanfaron de vices, trouver des accents pleins d’éloquence dans le souvenir d’un ami. On le voit, M. Richepin est moins révolutionnaire qu’il ne le croit, ou ne veut le faire croire. Ce n’est pas lui qui a inventé les licences de prosodie ; il n’a pas davantage inventé les chevilles ou les vers amphigouriques ; il ne fait point dresser nos cheveux quand il nous montre « des pompiers qui sont doux (?) » ; il ne nous paraît qu’obscur en disant :
« Allumez dans vos yeux un indulgent flambeau. »
En somme, sans l’existence des Odes funambulesques et des Fleurs du mal, il est douteux que M. Richepin eût écrit la Chanson des Gueux. C’est, pour ainsi dire, un excentrique de seconde main ; c’est surtout un excentrique de sang-froid. Il l’avoue lui-même dans ses conseils à Maurice Bouchor. « Pour se faire entendre, » dit-il,
« Être grotesque est un moyen. »
« Vois ! ils s’assemblent. Sois fantasque,
Barbouillé, grimaçant, moqueur.
Sur ta figure colle un masque,
Mets un faux nez, montre un faux cœur...
« Chante des chansons ridicules,
Prêche l’absurde à plein gosier,
Dis en voyant des renoncules
Qu’elles poussent sur un rosier.
« Dis que la hue est la fumée
De ta pipe, que le jasmin
Est une Heur moins parfumée
Qu’un gueux se torchant dans sa main... »
Rendons justice à M. Richepin ; il joint bravement l’exemple au précepte : le faux nez, le faux cœur, les chansons ridicules, le gueux repoussant, tout cela est dans son livre, sans parler des obscénités. Mais ce n’est pas là son dernier mot.
« Quand tu auras conquis la foule, ajoute-t-il, élève-toi bien haut au-dessus d’elle, et si tu vois qu’il te reste « une trace de la bataille ou du tréteau, »
« Débarbouille-toi dans l’aurore,
Et sèche-toi dans le soleil ! »
Puisque M. Richepin prêche d’exemple, nous attendons son talent au retour de ce bain.
Maxime Gaucher, « Causerie
littéraire », La Revue
politique et littéraire, 17 juin 1876, p. 597.
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[…]
Je ne puis dire que quelques mots d’un étrange volume de vers, la Chanson des gueux (1), par M. Richepin. Non qu’il n’y ait là du talent ; il y en a et beaucoup : mais l’auteur, comme Villon et Régnier, a une liberté d’allures et de ton, une crudité de langage qui nous effarouche un peu. Non, il n’est pas assez prude, en vérité ; la chanson qu’il nous fait entendre a déjà fait la joie du cabaret de la Pomme de pin, on l’a répétée en chœur à la Cour des miracles, parmi les éclopés, les maritaux, les faux aveugles ; on l’a redonnée dans la mansarde et même sur le trottoir. Que voulez-vous ! c’est le chantre des gueux, ses bons amis, gueux de la campagne et gueux de la ville. Il aime les pauvres diables, les misérables, les déshérités, tout ce qui souffre, glapit, piaule, coasse et croasse. S’il va aux champs, par exemple, il se penche sur la taupinière pour envoyer un bonjour amical à la taupe ; il s’entretient avec le mulot, cause avec le crapaud de ses petites affaires intimes. El encore, voici le crapaud réhabilité par une circulaire ministérielle, on a fait son éloge à la première page de l’Officiel ; sans doute, c’est aujourd’hui un ami de moins pour le poète des gueux.
Cependant, que ceux qui aiment Villon et Régnier ne craignent pas d’écouter M. Richepin ; qu’ils ne se laissent pas rebuter par certains excès de langage et l’abus d’une trivialité voulue et cherchée, car il faut bien constater qu’il y a la du parti pris. Mais que de fleurs au bord de ces marécages où se complaît le poète ! Quand il oublie un instant son rôle, que de grâce et même quelle fraîcheur ! N’est-ce pas un joli tableau, par exemple, que celui du Bouc aux enfants ? Pauvre vieux bouc, pauvre gueux, autrefois utile, soigné, maintenant hors d’âge et abandonné. Les enfants du village s’en font une monture :
Avec les sarments verts d'une vigne sauvage
Ils ajustent à l’endors des rênes de feuillage :
Puis, non contents, malgré les pointes de ses os,
Ils montent tous les deux à cheval sur son dos,
Et se tiennent au poil, et de leurs jambes nues
Font sonner les talons sur ses côtes velues.
On entend dans les bois, de plus en plus lointains,
Les voix, les cris peureux, les rires argentins ;
Et l’on voit, quand ils vont passer sous une branche,
Vers la tête du bouc leur tête qui se penche
Tandis que sous leurs coups, et sans presser son pas,
Lui va tout doucement pour qu’ils ne tombent pas.
Cela est tout simplement charmant. Je pourrais encore citer d’autres scènes ; mais c’est assez pour donner une idée de ce que l’on peut attendre de ce poète s’il cesse de puiser trop bas ses inspirations.
MAXIME GAUCHER
Fabrice W., « Nouveautés
littéraires », La Vie
littéraire, 22 juin 1876, p. 3.
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La Chanson des gueux, par Jean Richepin, 1 vol. A la librairie illustrée. — « La popularité c’est la gloire en gros sous ; mais c’est toujours la gloire, » a dû se dire M. Richepin en s’adonnant au genre de poésie tout spécial qui compose son volume. Il ne nous étonnerait nullement que certaines pièces de la chanson des gueux devinssent populaires, c’est-à-dire connues de la foule. Est-ce bien le but que doit viser un poète de talent capable surtout de réussir en un genre sinon plus original, du moins plus noble ? Sans doute nous avons eu Villon, Rabelais, qui est souvent poète en prose, et beaucoup d’autres écrivains, non sans mérites, qui se sont inspirés de la muse populaire, mais... Ceci nous amène à dire tout de suite le défaut marquant des poésies de M. Richepin. Leur gauloiserie est cherchée, voulue, affectée, et de plus, elle est triste. De la gauloiserie triste ! C’est original, sans doute. Est-ce agréable ? Non. On y rencontre à chaque pas ce je ne sais quoi de forcé, d’appuyé, de combiné pour l’effet, qui fait le comique sinistre des mélodrames populaires parisiens. La poésie s'accommode-t-elle de ce réalisme théâtral ? Nous ne le croyons pas. Il en est de même de sa rusticité. Voulons-nous dire qu’il n’y a rien de poétique dans la Chanson des gueux ? Pas le moins du monde. Ainsi ce début :
Ouvrez la porte.
Aux petiots qui ont bien froid...
Ce début, malgré l’hiatus que nous admettons, nous ouvre un horizon poétique. Mais la fin :
Ohé, les durs d’oreille, Nous verrons là-dedans
Braves gens.
Si le feu vous réveille.
Cette fin nous ferme brusquement cet horizon. Cette menace d’incendie nous jette en plein mélodrame. Un froid de glace se répand et tue la complainte, qui, naïve, et simplement désolée, eût été charmante.
De même dans l’Enfant de Bohême.
L’épine est en fleurs ; à l’épine blanche
En me promenant j’ai pris une branche.
J’avais emporté mon petit couteau.
Oh ! oh ! Avec mon couteau
J’ai coupé la branche
Bien haut !
Pourquoi faut-il que cela aboutisse à cette menace encore ?
Quand je serai grand, pour gagner des sommes,
J’en ferai ma lance et tirai les hommes.
Même recherche d’effet mélodramatique. Même froid. Même anéantissement de l’impression poétique.
Comment n’a-t-il pas senti cela, le poète de : Le bouc aux enfants, La gloire des insectes, Grand-père sans enfants, A. Frédéric Lemaître. Nous ne pouvons-nous l’expliquer, pas plus que nous ne comprenons l’opportunité et la grâce des sonnets en argot. C’est un jeu, une excentricité, soit ! Mais ce qu’il nous répugne absolument de décorer du nom de poésies, ce sont des pièces comme Fils de fille, Voyou, Un vénérable, où la hideur morale s’étale et fait la roue. Non, l’ignoble ne peut être poétique, à moins que la poésie ne le transfigure et qu’il ne soit plus l’ignoble.
Voulez-vous avoir un spécimen détalent de l’auteur, un échantillon exact de ses défauts et qualités, lisez ces douze derniers vers de la Fin du gueux, qui termine ce livre :
Quand je n’aurai plus rien à jouer de mon rôle,
Quand les hommes, après m’avoir trouvé bien drôle,
Ou très-grand, trouveront que je suis ennuyeux,
Quand mes rimes aussi diront que je suis vieux,
Alors, sans feu ni lieu, courbant ma tête altière,
J'irai m’asseoir tout seul dans quelque cimetière
Par une nuit sans lune et par un temps glacé,
Et là, je raillerai, moi-même mon passé,
Et, parlant d'une voix cyniquement mordante,
Sous le vent du malheur à l’haleine stridente,
Las d’avoir tant marché, triste d’avoir vécu,
De mes espoirs défunts je chaufferai mon c...
Quelle nécessité de cette trivialité finale ? Après des vers fermes et francs, à la Régnier, ne vous parait-elle pas simplement plate, et que cette gauloiserie inattendue réellement sonne faux ?
Star, « La Chanson des Gueux », L’Éclipse, 24 juin 1876,
p. 3.
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Béranger a chanté les Gueux : Jean Richepin les fait chanter. Leurs joies faites de vin et de larmes sont familières à ce poète qui procède de François Villon. Il connaît leur argot, pétri de trompes et d’images, qui donne parfois à la prosodie et à la syntaxe le croc-en-jambe ou le renfoncement de Gavroche. « Je voudrais pouvoir accrocher ici quelques grappes de ces vers étranges qui laisseront le bourgeois pantois à l’instar d’un pétard tiré sous son fauteuil. » Mais la place m’est limitée : je me borne donc à souhaiter à la Chanson des Gueux un succès que lui feront sans doute la majorité du public et le talent original de l’auteur.
Anonyme, « Dépêches
télégraphiques », La
Petite Gironde, 25 juin 1876, p 3.
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Dépêches télégraphiques
[…]
Service spécial de la « Petite Gironde »
Paris, 24 juin, 8h. matin.
[…]
La police a saisi la deuxième édition de l’ouvrage intitulé La Chanson des Gueux, par M. Jean Richepin.
Anonyme, « Extérieur », La République française,
25 juin 1876, p. 2.
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M. Macé, commissaire de police aux délégations, s’est présenté dans les bureaux de la librairie illustrée, 16, rue du Croissant, et, en vertu d'un mandat du parquet, y a opéré la saisie de la Chanson des Gueux, de M. Richepin. Il semble ressortir du libellé du mandat que cette saisie ne sera pas suivie de poursuites et que le parquet se bornera à exiger l'insertion de plusieurs cartons dans le volume.
Anonyme, « Chronique », La Gazette de France, 25
juin 1876, p. 3.
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M. Macé, commissaire de police aux délégations, s’est présenté dans les bureaux de la librairie illustrée, 16, rue du Croissant, et, en vertu d'un mandat du parquet, y a opéré la saisie de la Chanson des Gueux, de M. Richepin. Il semble ressortir du libellé du mandat que cette saisie ne sera pas suivie de poursuites et que le parquet se bornera à exiger l'insertion de plusieurs cartons dans le volume.
Anonyme, « Nouvelles du jour »,
Le Siècle, 25 juin
1876, p. 2.
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M. Macé, commissaire de police aux délégations, s’est présenté dans les bureaux de la librairie illustrée, 16, rue du Croissant, et, en vertu d'un mandat du parquet, y a opéré la saisie de la Chanson des Gueux, de M. Richepin. Il semble ressortir du libellé du mandat que cette saisie ne sera pas suivie de poursuites et que le parquet se bornera à exiger l'insertion de plusieurs cartons dans le volume.
Anonyme, « Gazette du jour »,
La Presse, 25 juin
1876, p. 3.
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M. Macé, commissaire de police aux délégations, s’est présenté dans les bureaux de la librairie illustrée, 16, rue du Croissant, et, en vertu d'un mandat du parquet, y a opéré la saisie de la Chanson des Gueux, de M. Richepin. Il semble ressortir du libellé du mandat que cette saisie ne sera pas suivie de poursuites et que le parquet se bornera à exiger l'insertion de plusieurs cartons dans le volume.
Anonyme, « Faits divers », Journal des débats politiques
et littéraires, 25 juin 1876, p. 2.
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La Tribune annonce que M. Macé, commissaire aux délégations judiciaires, s’est présenté hier chez M. Debons, imprimeur, pour saisir la Chanson des Gueux, de M. Jean Richepin.
Anonyme, « Nouvelles du jour »,
Le Temps, 25 juin
1876, p. 2.
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La Tribune annonce que M. Macé, commissaire aux délégations judiciaires, s’est présenté hier chez M. Debons, imprimeur, pour saisir la Chanson des Gueux, de M. Jean Richepin.
Anonyme, « Petites nouvelles »,
La Patrie, 25 juin
1876, p. 2.
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M. Macé, commissaire de police aux délégations, s’est présenté dans les bureaux de la librairie illustrée, 16, rue du Croissant, et, en vertu d'un mandat du parquet, y a opéré la saisie de la Chanson des Gueux, de M. Richepin. Il semble ressortir du libellé du mandat que cette saisie ne sera pas suivie de poursuites et que le parquet se bornera à exiger l'insertion de plusieurs cartons dans le volume.
Anonyme, « A bâtons rompus »,
Le Bien public, 25
juin 1876, p. 3.
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Un volume de vers de M. Jean Richepin, la Chanson des gueux, vient d’être saisie chez M. Debons, imprimeur.
Anonyme, « Ceci et cela », La Petite République, 26
juin 1876, p. 3.
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M. Macé, commissaire de police aux délégations, s’est présenté dans les bureaux de la librairie illustrée, 16, rue du Croissant, et, en vertu d'un mandat du parquet, y a opéré la saisie de la Chanson des Gueux, de M. Richepin. Il semble ressortir du libellé du mandat que cette saisie ne sera pas suivie de poursuites et que le parquet se bornera à exiger l'insertion de plusieurs cartons dans le volume.
Anonyme, « Les on-dit », Le Rappel, 26 juin 1876,
p. 2.
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M. Macé, commissaire de police aux délégations, s’est présenté hier dans les bureaux de la librairie illustrée, 16, rue du Croissant, et, en vertu d’un mandat du parquet, y a opéré la saisie de la Chanson des Gueux de M. Richepin. Il semble ressortir du libellé du mandat que cette saisie ne sera pas suivie de poursuites, et que le parquet se bornera à exiger l’insertion de plusieurs cartons dans le volume.
Bonne réclame pour la Chanson des gueux !
Anonyme, « Nouvelles
diverses », La Petite
Gironde, 26 juin 1876, p. 4.
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La Chanson des Gueux, de M. Richepin, a été saisie vendredi, à la librairie illustrée de la rue du Croissant, en vertu d’un mandat du parquet. On espère que la saisie ne sera pas suivie de poursuites, et qu’on se bornera à exiger de l’auteur un certain nombre de coupures.
Anonyme, « Informations
générales », Le Progrès de
la Somme, 26 juin 1876 p. 2.
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M. Macé, commissaire de police aux délégations, s’est présenté hier dans les bureaux de la librairie illustrée, 16, rue du Croissant et, en vertu d’un mandat du parquet, y a opéré la saisie de la Chanson des Gueux, de M. Richepin. Il semble ressortir du libellé du mandat, dit la République française, que cette saisie ne sera pas suivie de poursuites et que le parquet se bornera à exiger l’insertion de plusieurs cartons
Le Lynx, « Échos de Paris »,
L’Opinion, 27 juin
1876, p. 3.
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Nous avons annoncé la saisie de la Chanson des Gueux, le volume de vers de M. Jean Richepin.
Cette saisie ne parait pas devoir être suivie de poursuites. Telle a été, du reste la marche adoptée par le parquet, il y a un an environ, vis-à-vis des Diaboliques, le volume de Nouvelles de M. Barbey d’Aurevilly, que l’on ne trouva plus en librairie, mais qui n’a jamais été l’objet d’un procès.
Depuis la saisie, les Diaboliques se vendent fort cher, lorsqu’on peut se les procurer clandestinement, et atteignent facilement jusqu’à cent francs. Cependant, j’en ai vu vendre pour rien un exemplaire, à la vente des livres d’Edouard Moriac, il y a un mois. Cette tranche de fruit défendu ne dépassa pas dix ou douze francs, — et encore avec un lot d’une trentaine d'autres livres. Aucun des marchands présents ne connaissait sans doute la valeur marchande de ce volume.
C’est le cas ou jamais de répéter le Habent sua fata libelli.
Emile Blémont, « La Chanson des Gueux, par
Jean Richepin », Le
Rappel, 28 juin 1876, p. 3.
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Après Villon, Burns, Béranger, et bien d’autres, M. Richepin chante les gueux, gueux de ville et gueux des champs, parmi lesquels il range ses amis et se range lui-même, à titre de rois ou princes des gueux.
Sa gueuserie est peut-être discutable, mais nous n’avons à discuter que sa poésie. Elle a pour qualités maîtresses un sentiment très vif du pittoresque, une rare verdeur d’impression et d’expression, une science souple et sûre de la rime et du rythme. Peu d’imagination, d’ailleurs, et un goût souvent douteux ; mais une étonnante énergie de volonté.
Tout est voulu dans ce livre, qui ne renferme presque aucune naïveté, presque aucune émotion simple. Deux influences bien distinctes s’y font sentir. L’une se traduit en une imitation parfois très heureuse des classiques grecs et néo-grecs de l’idylle, Théocrite, Anacréon, Chénier ; elle a produit plusieurs des meilleures pièces du volume : la Flûte, le Bouc, Grand-Père sans enfants. L’autre se manifeste par une recherche à outrance de la vérité crue, et rencontre à l’occasion des effets saisissants, comme dans un Vieux Lapin et dans Hiver, petite pièce qui rappelle le fin tableau de Jean Béraud.
En outre, l’auteur a cru devoir livrer au public toute une série de pièces artificiellement cyniques, où il s’est donné toutes les peines du monde pour éviter de bien rimer, de faire des vers sans hiatus, et de paraître ce qu’il est, c’est-à-dire un homme charmant, de bonne éducation, de forte érudition et de tenue correcte avec une certaine recherche d’élégance. Pourquoi ce carnaval bizarre ? pourquoi ce faux-nez culotté sur le visage intelligent de ce poète qui sort de l’Ecole normale ? Pourquoi cette descente du Parnasse, qui ressemble à une descente de la Courtille, et où on braille des sonnets, oui, des sonnets en argot ? Nous ne voulons pas en chercher les raisons ; mais cet alliage de brutalité et de préciosité nous choque. Offrir à la Muse du tabac parfumé dans une tabatière jaune, en forme… rabelaisienne, ne nous semble pas suffisamment drôle. M. Richepin a de bien meilleures choses à faire, et il les fera.
Emile Blémont.
Anonyme, « Nouvelles
politiques » L’Univers, 30 juin 1876, p. 3.
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MM. Jean Richepin, auteur de la Chanson des gueux, Decaux, éditeur et Debons, imprimeur, doivent comparaître aujourd’hui dans le cabinet de M. Delahaye, juge d’instruction près le tribunal de première instance.
Juillet↑
Csse de R, « Chronique », La Gazette de France, 3
juillet 1876, p. 2.
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M. Jean Richepin, auteur de la Chanson des Gueux, ayant envoyé à Victor Hugo son livre poursuivi, le grand poète a répondu à cet hommage par la lettre suivante :
« 30 juin.
Je vous remercie, mon cher poète. J'ai dit quelque part qu’un rayon de soleil peut toucher a tout sans cesser d’être un rayon de soleil ; il en est de même de la poésie. Vous le prouvez. Courage ! votre succès fait partie de la liberté de l’art
C’est une bêtise de persécuter les poètes, ils n'en sont que plus applaudis.
Bravo, et merci.
VICTOR HUGO. »
La lettre de M. Victor Hugo est assurément un modèle de satire à la fois mordante et courtoise.
Anonyme, « Correspondance »,
Les Droits de
l’Homme, 5 juillet 1876, p. 3.
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Nous avons annoncé hier que nous rendrions compte de la Chanson des Gueux, de M. Jean Richepin, livre saisi et poursuivi.
En présence d’un parquet qui, loin d’être frotté, frotte les Droits de l’Homme jusqu’au derme, nous croyons devoir ajourner notre appréciation d’un volume en vers, dans la crainte fort justifiée de nous voir poursuivis pour un simple aperçu bibliographique.
Toutefois, nous consulterons des légistes aux cheveux blancs et au crâne dénudé, puis après avoir compulsé des textes, farfouillé tous les codes connus et inconnus, nous espérons pouvoir publier notre compte rendu.
Les Droits de l’Homme adressent à l’auteur de la Chanson des Gueux leurs compliments de condoléance en tant que victime du parquet.
Comme poète, ils le jugeront.
Edmond Péradon, « Les volumes
de vers – La Chanson des gueux », La République des Lettres, 9 juillet
1876, p. 28-31.
Venez à moi, claquepatins,
Loqueteux, joueurs de musettes,
Clampins, loupeurs, voyous, catins,
Et marmousets, et marmousettes,
Tas de traîne-cul-les-housettes,
Race d’indépendants fougueux !
Je suis du pays dont vous êtes :
Le poète est le Roi des Gueux.
{29} Entonne à tue-tête, M. Jean Richepin à la première page de la Chanson des Gueux. Les claquepatins et autres habitants de la Cour des Miracles ne sont pas seuls allés à lui, et nous avons fait la connaissance d’un poète que nous soupçonnions bien un peu, mais que nous n’avions pas encore vu dans l’épanouissement de l’œuvre.
La Chanson des Gueux est fort discutée, et bien des choses, pour et contre, ont été dites à ce sujet : la justice, prétend-on, a même été saisie d’une poursuite qu’on intenterait à l’auteur. A quoi bon ? Ce livre n’avait certes pas besoin de cette constatation pour que son succès fut évident.
Nous avons dit : succès, et nous maintenons ce mot ; mais nous croyons et nous espérons que c’est surtout un succès d’avenir et d’espérances. A travers les orages et les tempêtes de cette poésie intense, on a, par larges échappées de ciel bleu, la vision d’un poète délicat et fort, viril et humain. Le masque voulu dont M. Jean Richepin a affublé son talent, laisse, comme ces loups de satin qui tout en déguisant le visage font place au regard, percer le bout de l’oreille de l’artiste, impressionnable à l’excès et très expérimenté. Malheureusement, M. Jean Richepin est de son temps ; il est jeune et veut arriver vite. La vapeur et le télégraphe ont tué la patience : on sait le temps que l’on met à acquérir une réputation, et les peines, et les déboires, et les ennuis que cela donne ; aussi veut-on sauter d’un bond par-dessus et arriver d’emblée au sommet. Ainsi a voulu, ainsi a fait l’auteur de la chanson des Gueux. Nouvel Alcibiade, - il a du reste la beauté et l’excentricité de l’ancien, - il a coupé gravement la queue de son chien. Nous ne nous en plaindrons pas. Il a sonné une telle fanfare, qu’il a bien fallu, même aux indifférents et aux niais, regarder et entendre. On s’est retourné aux éclats de cette musique endiablée, et on a considéré l’instrumentiste. Cette attention semblait lassée ; la justice s’en mêle et va de nouveau prêter une nouvelle actualité au poète : tant mieux !
Son volume est plein de choses, plein d’idées. Choses et idées qui pour n’être pas exprimées dans une forme achevée – la forme que nous aimons et recherchons – n’en sont pas moins dites dans un style parfois original et étincelant. Certes, nous admettons volontiers que le poète fait les vers et le grammairien les règles d’après les vers du poète, mais nous ne sommes pas, à ce point, partisans de ces heurts de mots, de ces phrases sans tournures et prétentieuses dans leur débraillé, de ces ruptures perpétuelles avec les pauvres règles prosodiques, - surtout quand elles n’ont pour but que d’éviter le travail. Nous devons, cependant, le reconnaître. La vie déborde tellement de ces chansons des gueux, que nous nous laissons avec plaisir emporter avec elles. Il y a si peu de livres faisant vivant une vie qui a été réellement vécue, si peu de livres de bonne foi !
Tous les gueux modernes ont leur portrait dans cette galerie ; ils y sont tous, avec leurs têtes, leurs attitudes et leurs loques. Nous trouvons même que certains d’entre eux sont trop pris sur le réel. Il est des choses qu’il faut savoir et vouloir gazer.
Parmi les petits poèmes qui attirent et retiennent l’attention, il faut placer au premier rang : Les Petiots, l’enfant de Bohême ; et dans un genre plus tempéré et aussi plus réellement poétique : les Plaintes du bois, Vieille statue, l’Epitaphe pour un lièvre, et le Bouc aux enfants, dont voici la fin qui est exquise :
On entend dans le bois, de plus en plus lointains
Les voix, les cris peureux, les rires argentins ;
{30}
Et l’on voit, quand ils vont passer sous une branche,
Vers la tête du bouc leur tête qui se penche,
Tandis que sous leurs coups et sans presser le pas,
Lui, va tout doucement pour qu’ils ne tombent pas.
Ne dirait-on pas un morceau détaché des Contemplations ? – Les Oiseaux de passage sont une pièce bien lancée, bien campée sur ses stances, et tout à fait dans le genre romantique pur : Petrus Borel l’eût enviée. A côté, un sentimentalisme viril et à bon escient émane du Grand-père sans enfants. La note intime et émue y est touchée, sans affectation et très juste. – Tout cela peut bien faire passer sur les grosses verrues du volume.
La partie qui a soulevé le plus de colères est celle qui s’intitule : Gueux de Paris, et qui est dédiée à Raoul Ponchon, un poète aussi – nous dit-on- et un gueux, celui-là, si l’on en croit la légende, mais de qui on semble jouer abusivement, depuis quelques temps. C’est, cependant, dans cette partie que nous voyons cette fantaisie élégiaque que M. Jean Richepin appelle Variations de printemps sur l’orgue de Barbarie, et qui a pour pendant des Variations d’automne. Là aussi est la petite qui tousse :
La pauvre enfant ! regardez.
La toux, par coups saccadés
La secoue
Et la bise qui la mord
Met les roses de la mort
Sur sa joue.
Elle épousera, ce soir,
Sans bouquets, sans encensoir.
Sans musiques,
Plus tôt qu’on n’aurait pensé,
L’hiver, ce vieux fiancé
Des phtysiques !...
Hélas ! Pourquoi l’auteur de la Fin des Gueux, de Polichinelle, des stances à Frédérick Lemaître, de Cimetière intime, dont nous détachons ces strophes :
Et tous les soirs lorsque vient l’heure
Où loin du monde, je suis seul,
J’ouvre chaque bière et je pleure
En déployant chaque linceul.
Quand j’ai fini, d’une main lente,
Je clos mon cœur, morne cité,
Cimetière, cité dolente,
Où pas un n’est ressuscité !...
Pourquoi M. Jean Richepin a-t-il écrit des vers orduriers comme la Marseillaise des benoits ? pourquoi s’est-il cru obligé de nous apprendre qu’il possède à merveille l’argot des forçats, des pensionnaires – et des pensionnés – des maisons publiques ? A quoi bon ? Croit-il que son originalité en est plus éclatante et son mérite plus franc à nos yeux ? Pourquoi des polissonneries comme fils de fille ? Cette dernière pièce a, du moins, le mérite d’être écrite en français. – Pourquoi, enfin et surtout, a-t-il voulu {31} marcher dans les bottes que son confrère et ami, M. Maurice Bouchor, avait si merveilleusement étrenné dans ses Chansons joyeuses. M. Bouchor avait une vivacité d’allures et une verve de gaîté que n’a pu trouver M. Jean Richepin. Ce dernier fait l’effet d’un homme à jeun qui se prétendrait gris : il n’a pu être communicatif, la pire chose qui dût lui advenir. Il s’est trompé ; ses chansons bachiques sentent trop l’incubation.
Que Richepin suive à la lettre les conseils que Son Expérience donne à Sa Jeunesse Maurice Bouchor, qu’il aille bien haut, bien loin !
Là-bas, c’est le pays de l’étrange et du rêve,
C’est l’horizon perdu par de là les sommets,
C’est le bleu paradis, c’est la lointaine grève
Où votre espoir banal n’abordera jamais !
Qu’en attendant, il se roule dans toutes les fanges, qu’il ait toutes les ivresses à cuver, même celle de la popularité – le petit bleu de la gloire ; - mais qu’il se dépêche de se débarbouiller dans l’aurore et de se sécher dans le soleil. Amen.
Edmond Péradon
Charles de Lorbac, « Courrier
des théâtres », Le Bien
public, 14 juillet 1876, p. 4.
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Grande soirée littéraire et musicale, hier, chez Mme de Villars. L’intelligente et gracieuse maîtresse de la maison, M. Fraizier (de la Porte-Saint-Martin) et l’auteur de la Chanson des Gueux, ont fort bien joué une comédie inédite, en un acte et en vers, de M. Jean Richepin. Titre : la Statue (rien de M. Reyer). Le sujet de ce petit acte n’est peut-être pas très neuf ; mais les vers sont frappés au bon coin, énergiques, harmonieux et richement rimes. On a Beaucoup applaudi, et ces bravos devaient être d’autant plus agréables à l’auteur, qu'ils partaient d'un auditoire d’élite, formé d’artistes et de gens de lettres. Les couplets qui se chantent dans les coulisses, et qu’on a beaucoup remarqués, sont de la composition de Mme de Villars. M. Adolphe Nibelle les a accompagnés, et c'est Mme Lhéritier qui les a chantés, en excellente musicienne, d’une voix chaude, colorée, sympathique. ‘ Au fait, pourquoi Mme Lhéritier n’appartient-elle pas à une de nos principales scènes lyriques ? C'est ce que tout le monde se demandait, après lui avoir entendu chanter d'une façon remarquable des fragments de Faust, du Prophète et de la Reine de Saba.
Charles de Lorbac.
Anonyme, « Théâtres », La Liberté, 14 juillet
1876, p. 3.
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Mme de Villar réunissait chez elle, hier soir, un grand nombre d’artistes et de gens de lettres. Le principal attrait de la soirée était l’audition, d’une pièce encore inédite, en un acte et en vers, de M. Jean Richepin.
Très bien interprétée par Mme de Villars, l’auteur, et M. Fraizier (de la Porte-Saint-Martin), la Statue a obtenu le plus vif succès.
Dans la partie musicale on a surtout remarqué Mme Lhéritier, très applaudie dans une composition de la maîtresse de la maison, un air de Haydn et la romance du premier acte de Dimitri.
En somme, très intéressante et très amusante soirée, qui s’est prolongée jusqu’à trois heures du matin.
Fernand de Rodays, « Gazette
des tribunaux », 16 juillet 1876, Le Figaro, p. 3.
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La presse s'est occupée, il y a quelques semaines, de la Chanson des Gueux, dont l'auteur est M. Richepin. Le parquet a pensé que des considérations de morale publique s'opposaient à la mise en vente de cet ouvrage, et, après en avoir fait opérer la saisie, il a cité M. Richepin devant le tribunal de police correctionnelle, sous la prévention d'outrages aux bonnes mœurs. L'affaire était inscrite au rôle d'hier, à la 9e Chambre. M. Richepin ne s'est pas présenté. Le tribunal, sur les réquisitions de M. le substitut Bloch, l'a condamné par défaut à un mois de prison et cinq cents francs, d'amende.
Anonyme, « Informations », Le xixe siècle, 17 juillet 1876,
p. 2.
Nous avons annoncé les poursuites dirigées contre M. Richepin, l’auteur de la Chanson des Gueux, MM. Richepin, Debons, imprimeur, et Decoux [sic], éditeur, ont comparu aujourd’hui sous la prévention d’outrage aux bonnes mœurs. M. Richepin a été condamné à un mois de prison et 500 fr. d’amende, MM. Decoux et Debons à 500 fr. d’amende chacun.
Verdelet, « Causerie
Parisienne » L’Echo
universel, 18 juillet 1876, p. 2.
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M. Richepin est condamné à un mois de prison. — Qu’est-ce que M. Richepin ? — C’est un poète. — Ah ! il y a donc encore des poètes ? — Mon Dieu oui, et la preuve, c’est que M. Richepin a fait la Chanson des Gueux. — Je n’ai pas lu cela. — Madame, cela ne se lit pas ; c’est de la littérature d’hommes, mais c’est de la littérature ; M. Richepin descend légitimement de Villon. — Celui qui fut gracié deux fois par le bon roi Louis XI ? — Précisément ; seulement, Villon était un truand au propre, et M. Richepin n’est un truand qu’au figuré. — Cela me rassure. — Rassurez-vous donc ; tenez M. Richepin pour un poète, et ne le lisez pas.
Dancourt [Adolphe Racot],
« Courrier de Paris », La
Gazette de France, 19 juillet 1876, p. 3.
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La police correctionnelle vient de condamner un jeune poète qui a eu le tort, pour attirer l'attention, de tirer un certain nombre de pétards devant un cloaque. Autour du cloaque avaient cependant poussé de belles et bonnes fleurs, des violettes, des asphodèles et des lis ; L’éclat bruyant des pétards a empêché de voir les fleurs, et M. Richepin a été condamné. J’ai rendu compte de cette Chanson des gueux ; j’en ai dit mon opinion sincère, sans rien dissimuler. J’ai regretté ces pages cyniques, inutiles, écrites de sang-froid, et qui juraient si tristement à côté d’autres pièces élevées et pures. La justice a sévèrement puni M. Richepin. M. Richepin n’a sans doute pas été surpris, et il y a beaucoup d’événements qui me surprendraient davantage. — Je souhaiterais seulement voir retirer en même temps de la circulation certaines publications infâmes qui s’étalent, par livraisons à deux sous, devant des boutiques borgnes, et qui n’ont rien à démêler ni avec la poésie, ni avec la littérature, ni avec la politique, ni avec un parti quelconque. Je citerai entre autres les ignobles livres de Pigault-Lebrun. Cela continue tout doucement à empoisonner, et personne ne semble y prendre garde. J’ai condamné les fanges de la Chanson des gueux. Mais je ne crois pas qu’il y ait prescription pour les émanations putrides des Barons de Felsheim et de la folie espagnole.
Dancourt.
Francisque Sarcey, « Les
Mœurs ! », Le xixe siècle, 21 juillet 1876,
p. 2.
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Il y a de cela un peu plus de cent ans, Piron, tout jeune alors, provoqué par un autre jeune homme de ses amis, qui n’était rien moins que conseiller au parlement de Dijon, à un cartel de débauche et de poésie, avait composé de verve cette fameuse ode, dont le souvenir a depuis toujours pesé sur sa mémoire. Il fut mandé pour cette débauche d’esprit devant le procureur général, qui ne semblait pas d’humeur à badiner. Savez-vous qui le tira d’affaire ? Un président de cour, l’illustre Bouhier. Cet homme de haute et fine érudition, le moins gourmé des doctes, et très gourmet d’ailleurs, qui se régalait à huis clos, avec son ami La Monnoye, de tous les erotica et pœtica de l’anthologie grecque, copiés par Saumaise sur le manuscrit d’Heidelberg, fit venir Piron et lui dit :
— Jeune homme, vous êtes un imprudent ; mais si l’on vous presse trop pour savoir qui est l’auteur du délit, je vous autorise à dire que c’est moi. » Telles étaient les mœurs du temps. Un grave magistrat n’hésitait pas à pardonner à un garçon d’esprit ces échappées de jeunesse, ces juvenilia, comme on les a si justement nommées ; il savait bien que ces bouillonnements d’un sang trop impétueux ne tirent pas à conséquence, et que les plus fous deviennent de fort honnêtes gens, et que l’auteur d’une Ode à Priape est fort capable un jour d’écrire une Métromanie.
Un seul vice leur paraissait irrémédiable et digne de tous châtiments : c’était la sottise. Mais avec les gens de talent et d’esprit, il y a toujours de la ressource. Sans doute Piron eut grand tort d’éternuer (c’était son mot favori) les vers scandaleux de l’ode à Priape ; mais comme après tout, il y avait là-dedans quelque étincelle de poésie, on jugeait, au dix-huitième siècle, qu’il fallait passer cette effervescence de libertinage à un jeune homme de vingt ans et l’attendre à d’autres œuvres. C’est cette idée que le vieux et malin Fontenelle résuma un jour sous une forme bien spirituelle, dans un mot qui est resté :
On parlait de nommer Piron à l’Académie, et ceux qui ne l’aimaient point tâchaient d’éveiller sur cette élection les scrupules de leurs collègues. Ils rappelaient le souvenir de cette ode célèbre, que Piron d’ailleurs avait toujours désavouée. Quand ce fut au tour de Fontenelle d’exprimer son avis :
— L’ode à Priape... dit-il., oui, je sais bien... l’ode à Priape... Si c’est lui qui l’a faite, il faut le gronder bien fort ; mais, si elle n’est pas de lui, il ne faut pas le nommer.
Cela n’est-il pas joli et piquant ?
Toutes ces anecdotes me sont revenues en mémoire, comme je lisais le jugement par lequel M. Jean Richepin, l’auteur de la Chanson des gueux, vient d’être condamné à un mois de prison et cinq cents francs d’amende. Il y a déjà quelque temps que j’ai sur ma table de travail ce volume de poésies, et si je n’en avais pas encore parlé au public, c’est que j’en avais été détourné par les soucis de la politique quotidienne. Car il a beaucoup de talent, ce jeune Richepin, et c’est, parmi nos jeunes poètes, un de ceux qui, avec son ami Maurice Bouchor, ont le plus d’avenir.
J’avais la ferme intention de lui laver la tête. Ce grand gamin de lettres ne s’était-il pas imaginé de mêler à un assez grand nombre de morceaux d’une poésie superbe des fantaisies qui sentent le bohème gouailleur et mal élevé ! Représentez-vous un rapin de génie qui s’interromprait d’un tableau en train pour faire un pied-de-nez ou tirer la langue à la société. C’est l’histoire de Richepin. Ce n’est pas que vous y trouviez rien qui ressemble, même de loin, à l’ode de Piron ou aux épigrammes de Rousseau. Aucune de ces pièces n’est ordurière, ni obscène ; ce ne sont pas même des polissonneries. Régnier en a dit bien d’autres. Ce sont des gamineries d’étudiant, qui trouve plaçant de s'enivrer en un bal public, de briser les pots et de lever le pied à la hauteur de l'œil. Dans tout cela, auraient dit nos pères, il n’y a pas à fouetter un chat. J'aurais mieux aimé assurément que ces niaiseries ne déparassent pas un volume remarquable à tant d’autres points de vue. Mais il est bien probable que l’auteur y tenait plus qu’à tout le reste : à son âge, on croit ne se pouvoir faire remarquer qu’en cassant les vitres. Le travail de ces pièces est exquis ; il les a ciselées avec amour. Quelques-unes sont des modèles de rhythme. Rappelez-vous que le premier volume d’Alfred de Musset fut signalé au public par l’effroyable scandale de la Ballade à la Lune, à cette lune qui regardait effrontément les ébats de deux jeunes époux. Richepin voulait avoir, lui aussi, sa ballade à la lune.
— « A quoi bon ? lui aurais-je dit. Voyez ce qui est arrivé de la Ballade à la lune. Personne ne la lit plus, malgré la grâce du rhythme habilement manié ; tout le monde, au contraire, sait par cœur Portia et quelques-uns des beaux passages de Franck Belcolor. Alfred de Musset n’eût-il pas mieux fait de sacrifier cette fantaisie bizarre, qu’il a traînée ensuite des années, comme une burlesque casserole attachée à la queue d’un chien ? Pour combien de gens cet enfant terrible, alors même qu’il était devenu l’Alfred de Musset des Nuits et de l’Espoir en Dieu, n’a-t-il pas été l’auteur du point sur l’i Musset, s’écriait te bourgeois avec un gros rire ; ah ! oui ! C'était dans la nuit brune... et le poète était jugé là-dessus. « Il avait eu le premier tort ; quel besoin avait-il de faire cette niche aux philistins timorés ? Vous, Richepin, mon ami, vous êtes encore plus coupable qu’il ne l’était : car vous n’êtes pas sûr d’avoir l’excuse de son génie. Un jour viendra où vous serez très ennuyé d’avoir écrit certains vers de ce premier volume, et peut être paierez vous cher le plaisir d’avoir fait pâmer de rire quelques têtes folles de jeunes camarades. »
Je ne me serais pas attendu, en lui parlant ainsi, qu’il pût les payer de la prison. Je révère fort nos magistrats ; mais enfin est-ce leur manquer de respect que de trouver qu’ils n’ont pas toujours autant d’esprit qu’il faudrait pour en avoir assez ? Ils prennent une massue pour assommer une puce. Quoi ! ces bagatelles de poète traînées devant les juges et condamnées après un réquisitoire, où l’on a mis en avant la morale, les principes et le péril social !
Jadis ces peccadilles littéraires relevaient du tribunal du goût et non de la police correctionnelle. Il n’y avait pour juger l’auteur que les critiques, qui faisaient leur office de leur mieux, et les choses n’en allaient pas plus mal. Un volume de vers n’est guère lu en France que par cinq ou six cents amateurs qui, connaissant les Grecs et les Latins, n’ont plus grand’chose à perdre en fait d’innocence. Celui-là n’avait, j’en mettrais ma main au feu, encore perverti aucun de ses lecteurs. Le voilà signalé aux gens friands de scandale. Ils y chercheront ces pièces érotiques qui ne sont pas, il s’en faut, les meilleures du volume. Est-ce là le résultat qu’ont cherché les juges ? Il est à croire que l’auteur, s’il avait donné une seconde édition de son livre, aurait de lui-même retranché ces juvenilia, pour n’en pas compromettre le succès dans le monde des femmes. Il se fût corrigé tout doucement ; car il a beaucoup de talent et d’esprit. Si condamnation va l’enfoncer dans ses idées premières. Peut-être aura-t-il la naïveté de poser au martyr ? peut-être voudra-t-il avoir l’air de ne pas céder, et recommencera-t-il ? Bruxelles est là qui lui offrira ses presses.
Quel dommage qu’il n'y ait plus dans notre magistrature française un président Bouhier ou même un Desbrosses. Il aurait lu le livre ; quelques pièces l’auraient charmé : il eût retrouvé la grâce antique d’André Chénier dans Vieille statue ; il y eût souri de bon cœur de la Pêche à la ligne ; il eût admiré quelques morceaux d’un grand souffle, d’une allure jeune et crâne ; il eût surtout été ravi de cette incomparable science du rhythme, de cette virtuosité prodigieuse chez un débutant ; et le volume achevé, il eût mandé l’auteur dans son cabinet :
— Signez moi mon exemplaire, lui aurait-il dit ; mais ne recommencez plus. Ce n’est pas tout d’avoir de l’esprit, il faut être sage. Et moi, je dirais à nos magistrats :
- Ce n’est pas tout d’être grave, il faut avoir de l’esprit.
Francisque Sarcey.
Simon Boubée, « Les juges jugés
par M. Sarcey », La
Gazette de France, 23 juillet 1876, p. 3.
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La condamnation de M. Jean Richepin auteur de la Chanson des Gueux, inspire à M. Francisque Sarcey un petit article qui ne manque pas de brio. Le moraliste du XIXe Siècle compare les magistrats de l’ancien régime aux magistrats du régime actuel, et sa conclusion est que les vieux magistrats avaient plus d’esprit que leurs successeurs. Dans le bon vieux temps, dit-il, les juges, hommes fort lettrés, se fussent contentés de rire des échappées juvéniles (des Juvenilia) de M. Richepin, tout en lui conseillant d’être plus sage à l’avenir. La chose est possible, et qu’en faut-il conclure ? D’abord que M. Sarcey et ses pareils ne sont pas absolument dans le vrai quand ils nous veulent présenter les hommes de l’ancien régime et les lois d’avant 89 comme si étroitement et violemment hostiles à toutes sortes d’expansions et de libertés. Mais il est une autre conclusion que nous voudrions tirer de l’article de M. Sarcey. Pourquoi les magistrats de l’ancien régime pouvaient-ils — comme l’avoue le moraliste du XIXe Siècle — user en certaines matières de plus de tolérance que leurs successeurs actuels ? Tout simplement parce qu’ils vivaient dans un temps où la base de toute morale n'était pas mise en question comme aujourd’hui. On conçoit très bien qu’un magistrat exerçant ses augustes fonctions dans une époque de foi religieuse, se contente de blâmer doucement une petite débauche littéraire. On conçoit même à la rigueur, qu’il en puisse sourire. Il la regarde de haut. Il sait que le public ne verra en elle qu’une débauche et que l’éducation morale et religieuse des masses contrebalancera dans une certaine mesure l’influence délétère qu’elle pourrait avoir. Les temps sont changés et aussi les devoirs du juge. Aujourd’hui une formidable armée, — dans laquelle M. Sarcey est au moins lieutenant-colonel, — cherche à détruire tous les principes religieux, moraux et politiques sur lesquels s’appuyaient les vieilles sociétés. Ce n’est donc pas le moment de laisser la bride sur le col à toutes les fantaisies littéraires de tous les bouillants jeunes hommes qui veulent la notoriété à tout prix. Sous Louis XIV, quand la religion était en honneur, madame la marquise de Sévigné, une des personnes les plus respectables de son temps, pouvait, sans trop d’inconvénient, s’égayer un peu des contes joyeux de son entourage. Il n’en fut pas de même sous Louis XV, quand le scepticisme voltairien devint à la mode. Les gentilshommes du dix-huitième siècle, qui se délectèrent de Juvenilia ou de Senilia de leurs poètes ordinaires, surent bientôt ce que peuvent coûter de semblables friandises. En voilà suffisamment sur cette matière. Peut-être M. Sarcey est-il au fond plus de notre avis qu’il n’en voudrait demeurer d’accord.
SIMON BOUBÉE.
Un passant, « Les on-dit », Le Rappel, 24 juillet
1876, p. 2.
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Sous ce titre : Dixains réalistes, par divers auteurs, MM. Charles et Antoine Cros, Maurice Rollinat, Auguste de Châtillon, Hector L'Estraz, Jean Richepin, Germain Nouveau, Mme Nina de Villars, etc., publient, à la librairie de l’Eau-forte, des vers qui sont à la fois de la parodie et de la poésie. On aura une idée de ce recueil spirituellement poétique en lisant la pièce suivante, où M. Charles Cros pastiche la manière que M. Coppée a renouvelée du Sainte-Beuve de Joseph Delorme et des Consolations :
Celle qui m'apparaît, quand j'ai clos mes yeux las,
Tricote un bas de laine. Elle a des bandeaux plats.
Elle a passé la fleur de ses jeunes années
Dans des salons proprets, aux couleurs surannées,
Et rêve d'épouser un substitut grivois.
Elle chante, avec un petit filet de voix,
« Le départ d'Alcindor, les pleurs de son amante ».
Son corsage montant et sa petite mante
Cachent probablement un corps grêle et fiévreux :
Il n'est pas étonnant que j'en sois amoureux !
Août↑
Anonyme, « Tribunal
correctionnel de la Seine », La Patrie, 28 août 1876, p. 3.
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TRIBUNAL CORRECTIONNEL DE LA SEINE
(9° chambre.)
Audience du 26 Août
Présidence de M. Hua
Les prévenus sont les sieurs Georges Decaux, âgé de trente ans, libraire-éditeur ;
Auguste - Jules - Jean - Ernest Richepin, homme de lettres ;
René-François-Sylvain Debons, cinquante neuf ans, imprimeur ;
La prévention relève contre eux les charges suivantes :
1° Contre Decaux, d'avoir, en 1876, à Paris, commis le délit d'outrages aux bonnes mœurs en publiant et mettant en vente un écrit intitulé : la Chanson des gueux, par Jean Richepin, notamment :
1. Dans la pièce intitulée : Idylle de pauvres, le passage commençant par ces mots : « Ils sont là tous les deux, » et finissant par ceux-ci : « Se fond dans un subtil éclair. »
2. La pièce intitulée : Fils de fille, commençant par ces mots : « Je suis le fils d'une gueuse, » et finissant par ceux-ci : « L'ancien mari de maman. »
3. Dans la pièce intitulée : Voyou, le passage commençant par ces mots : « Mais, Crottas ! » et finissant par ceux-ci : « Ma sœur n'a pas encore dix ans. »
4. Dans la pièce intitulée : Frères, il faut vivre : 1° le passage commençant par ces mots « Mange aussi ! » et finissant par ceux-ci : « Et pourquoi je m'en vante ; » 2° le passage commençant par ces mots :« Et des femmes ! » et finissant par ceux-ci : « Rassasié, se Couche. »
5. Dans la pièce intitulée : Sonnet argotique (traduction), » le passage commençant par ces mots : « Et si tu tiens à ta tête, » et finissant par ceux-ci : « A toi, d'un coup de pied au c... »
6. La pièce intitulée : Ballade de joyeuse vie, commençant par ces mots : « Qu'au souffle pointu des hivers, » et finissant par ceux-ci : « Du ventre et du nombril. »
2° Contre Richepin, de s'être rendu complice du délit en remettant à Decaux, pour être imprimé et publié, l'écrit contenant les passages ci-dessus.
3° Contre Debons, de s'être également rendu complice du délit en imprimant l'écrit qui renferme les passages incriminés.
A l'audience du 15 juillet dernier, ont été condamnés par défaut :
Decaux, à 500 fr. d'amende ;
Richepin, à un mois d'emprisonnement et 500 fr. d'amende ;
Debons, à 500 fr. d'amende.
L'affaire revenait dans l'audience du 26 août sur opposition des prévenus.
Pour donner une idée de la manière du poëte, auteur de la Chanson des Gueux, nous reproduisons le prologue de l’ouvrage.
Venez à moi, claquepatins,
Loqueteux, joueurs de musettes,
Clampins, loupeurs, voyous, catins,
Et marmousets, et marmousettes,
Tas de traîne-cul-les-housettes,
Race d'indépendants fougueux !
Je suis du pays dont vous êtes :
Le poète est le Roi des Gueux.
Vous que la bise des matins,
Que la pluie aux âpres sagettes,
Que les gendarmes, les mâtins,
Les coups, les fièvres, les disettes
Prennent toujours pour amusettes,
Vous dont l'habit mince et fongueux
Paraît fait de vieilles gazettes,
Le poète est le Roi des Gueux.
Vous que le chaud soleil a teints,
Hurlubiers dont les peau bisettes
Ressemblent à l'or des gratins,
Gouges au front plein de frisettes,
Momignards nus sans chemisettes,
Vieux à l'oeil cave, au nez rugueux,
Au menton en casse-noisettes,
Le poète est le Roi des Gueux.
ENVOI
Ô Gueux, mes sujets, mes sujettes,
Je serai votre maître queux.
Tu vivras, monde qui végètes !
Le poète est le Roi des Gueux.
M. le président expose au prévenu Decaux les faits à sa charge.
Le prévenu. — Je reconnais avoir édité l'ouvrage renfermant les passages incriminés ; lors de l'instruction, j'ai offert de remplacer ces passages par des cartons.
Le prévenu Richepin déclara également avoir offert de remplacer par des cartons les articles incriminés.
Le prévenu Debons déclare qu'il a avisé d'une façon générale son correcteur d'avoir à lai signaler les passages des ouvrages remis pour être imprimés, lorsqu'ils lui paraissaient pouvoir tomber sous le coup de la loi.
Le correcteur ne lui a rien dit en ce qui touche la Chanson des gueux.
M. l'avocat de la République Bloch expose les faits et requiert l'application des art. 8 de la loi du 17 mai 1819, 5 § 6 de la loi du 29 décembre 1875, 59 et 60 du code pénal.
Me Christian présente la défense des prévenus. L'avocat s'attache à établir que si l'auteur de la Chanson des gueux s'est parfois laissé entraîner à la suite du vieux poëte Villon, il n'a eu aucune intention mauvaise.
A l'appui de son allégation, le défenseur lit plusieurs pièces du recueil respirant, selon lui, la plus pure morale. Le tribunal a maintenu purement et simplement le jugement du 15 juillet.
Anonyme, « Outrage aux bonnes
mœurs ; La Chanson des
Gueux » Le
Temps, 28 août 1876, p. 2-3.
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M. Richepin, homme de lettres, auteur d'un recueil de poésies intitulé la Chanson des Gueux fut condamné par défaut, le 15 juillet dernier, à un mois de prison et 500 francs d'amende à raison du délit d'outrage aux bonnes mœurs.
{3}
M. Richepin, l'imprimeur et l'éditeur ont forme opposition à ce jugement. L'affaire revenait hier. M. Richepin déclare qu’il s'est parfois laissé entraîner à la suite de notre vieux poète Villon, mais qu'il n'a eu aucune intention outrageante à l'endroit de la morale et des mœurs.
Le tribunal, sur les réquisitions de M. le substitut Bloch et malgré les efforts de Me Christian, a maintenu la condamnation à l'égard de l'auteur, de l'éditeur (1 mois de prison et 500 fr. d'amende), et de l'imprimeur (500 fr. d'amende).
Anonyme, « Bulletin
judiciaire », Journal des
débats politiques et littéraires, 28 août 1876, p. 2.
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[…]
Dans son audience d'hier, la 9e chambre du tribunal correctionnel de la Seine a maintenu, après un débat contradictoire, le jugement de défaut prononcé le 15 juillet contre MM. Auguste-Jules-Jean-Ernest Richepin auteur d'un volume de poésies intitulé la Chanson des Gueux ; Georges Decaux, libraire éditeur, et Sylvain Debons, imprimeur. Le tribunal a de nouveau déclaré : 1° que M. Decaux a commis le délit d'outrage aux bonnes mœurs en publiant et mettant en vente l’écrit intitulé la Chanson des Gueux 2° que MM. Richepin et Sylvain Debons se sont rendus complices dudit délit. Le tribunal a, en conséquence, condamné M. Ernest Richepin à un mois de prison et 500 fr.. d'amende ; MM. Decaux et Debons chacun a 500 fr. d'amende.
Septembre↑
Anonyme, « La population en
France », L’Opinion
nationale, 2 septembre 1876, p. 1.
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L’autre jour, dans la Tribune, M. Jean Richepin a trouvé un remède infaillible au mal dont nous nous occupons ici.
« Faites des enfants, dit-il en substance aux filles du peuple, croissez et multipliez, et ne vous occupez pas du reste. » Le moyen n’est pas nouveau : il est simple, facile et même agréable à suivre, mais M. Jean Richepin qui cite une belle chanson de Darcier à l’appui de son système, n’oublie qu'une chose : comment ces enfants de l’amour et du hasard arriveront-ils à vivre, une fois nés ?
La question vaut la peine qu’on la pose, car il ne faudrait pas que M. Jean Richepin se crût autorisé à prendre un brevet d’invention pour son remède. Une des causes de la lenteur du peuplement dans notre pays réside dans la mortalité excessive des nouveau-nés, soit que, provenant de mariages, les parents se voient forcés de les mettre en nourrice au dehors, soit qu'abandonnés par un père anonyme aux soins d'une mère hors d’état de les élever, ils tombent à la charge de l’Etat.
Anonyme, « M. Jean Richepin… »,
L’Opinion nationale,
7 septembre 1876, p. 1.
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M. Jean Richepin, de la Tribune, n’est pas content.
Il nous reproche d’avoir méconnu les grâces irrésistibles de son style ; il raille l’économie politique et ses prétendus mystères ; du haut de ses brades et de ses diplômes, filous regarde en pitié.
Il n’oublie qu’une chose : c’est de réfuter notre argumentation et de nous démontrer que, si la population française cesse de s’accroître, c’est la faute des seuls bourgeois.
Jusqu’à nouvel ordre, nous persistons à croire que M. Jean Richepin aurait beaucoup à apprendre à l’école des Say, des Bastiat, etc.
En attendant, rien ne l’oblige, que nous sachions, à parler de ce qu’il ne connaît pas.
Anonyme, « M. Jean Richepin… »,
L’Opinion nationale,
9 septembre 1876, p. 1.
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M. Jean Richepin, de la Tribune, nous répond aujourd’hui par un argument qu’il croit sans réplique : « Où sont, dit-il, les familles nombreuses ? Dans le peuple. Donc, etc... »
Le qu’il y a de certain, ce que prouvent les chiffres, c’est que, si les paysans avaient seulement, en moyenne, quatre enfants, la question de la population ne se poserait même pas devant l’opinion publique.
Que M. Richepin se renseigne ; il verra que dans les régions particulièrement signalées par M. Léonce de Lavergne, en Normandie, en Bourgogne, etc., il n’y a guère plus de deux ou trois enfants par famille de paysans.
A moins que M. Richepin ne veuille mettre les paysans en dehors du peuple, il se verra donc forcé de reconnaître que notre thèse est absolument juste.
Cela posé, nous ne voulons pas prolonger indéfiniment une discussion désormais sans objet.
Quant aux critiques que M. Jean Richepin dirige contre notre style, nous tâcherons d’en faire notre profit, et nous reconnaîtrons par un bon conseil le service qu’il veut bien nous rendre.
En parlant au hasard de questions qu'il ne connaît pas, M. Jean Richepin est déjà assez amusant. Quand il saura ce qu’il dit, il sera irrésistible.
Anonyme, « Revue des
journaux », L’Ordre de
Paris, 10 septembre 1876, p. 2.
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Nous avons raconté la grande querelle survenue entre l’économiste de la Tribune et l'économiste de l’Opinion.
L’économiste de l’Opinion le prenait hier de haut avec son collègue de la Tribune, ce dernier lui répond ce matin sur le mode ironique : c’est un adieu, M. Richepin se trouvant obligé de se retirer pour quelque temps du monde, en récompense des services qu’il a rendus, comme chansonnier, à la littérature française.
Bonsoir, Monsieur de l’Opinion ! A mon corps défendant, je suis obligé de cesser la lutte avec vous. Je me constitue prisonnier aujourd'hui même, comme chansonnier, ce qui fait que je ne pourrai plus vous répondra comme journaliste. Si vous ne m’avez pas trop gardé rancune, j’espère que vous serez assez aimable pour m’envoyer votre prose à Sainte-Pélagie. Je ne sais pas jusqu'à quel point j’y pourrai puiser la science économique que vous pensez avoir ; mais je suis sûr à tout le moins de trouver dans cette lecture quelques moments de douce gaîté, dont je vous remercie d’avance. — Jean Richepin.
Anonyme, « Gazette du jour »,
La Presse, 10
septembre 1876, p. 3.
M. Jean Richepin, condamné à un mois de prison comme auteur de La Chanson du Gueux, s’est constitué, hier soir, prisonnier à Sainte-Pélagie.
Anonyme, « Dernières
nouvelles », Le Progrès de
la Somme, 10 septembre 1876, p. 3.
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site RetroNews. Article recensé par Yves Jacq.
M. Jean Richepin, condamné à un mois de prison pour sa « chanson des Gueux », s’est constitué prisonnier ce matin à Ste-Pélagie où il a retrouvé M. Deville des Droits de l’homme, et M. Alfred Taillez, gérant du Bien Public. Si Ste-Pélagie n’est pas plus remplie encore, ce n’est pas la faute de L’Univers et du Français qui signalent hier soir au ministre de la justice divers articles de leurs confrères. Ce n’est pas au ministre, c’est aux républicains que je signale la phrase suivante que je trouve dans un journal bonapartiste de Toulouse : l’Union méridionale : « Sous la République, qui naît toujours en France soit d’un crime comme celle du 4 Septembre 1870, soit d’un faux comme celle du 25 février 1875. »
Anonyme, « Echos », Les Droits de l’homme, 11
septembre 1876, p. 2.
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M. Jean Richepin, condamné à un mois de prison comme auteur de la Chanson des gueux, s’est constitué, hier soir, prisonnier à Sainte-Pélagie.
Que la prison lui soit courte !
Anonyme, « Informations », Le xixe siècle, 11 septembre
1876, p. 2.
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Jean Richepin, auteur des Gueux, et rédacteur de la Tribune, s’est constitué prisonnier à Sainte-Pélagie.
On sait que M. Jean Richepin n’a pas fait appel du jugement du tribunal correctionnel qui l’a condamné à un mois de prison.
B. C., « Chronique
communarde », L’Univers, 12 septembre 1876,
p. 2.
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Ne quittons pas la Tribune sans venir charitablement en aide à un de ses rédacteurs, M. Richepin. En sa qualité de poëte, M. Richepin a le cœur sensible. Il éprouve à cet endroit, à ce viscère, comme on dit dans son école, le contre-coup de toutes les douleurs humaines. Il y a quelque temps, il pleurait sur le sort d'une jeune fille dont le père, maître d'école au pays de la lune, avait été destitué par un tyran du nom de Broglie. Il tremblait, ce poëte ingénu, non pas qu'elle lût ses poésies, elles sont saisies, mais qu'elle rencontrât un de ces affreux bourgeois qui ne respectent rien. : Aujourd'hui il éprouve les mêmes douleurs et les mêmes appréhensions sur le sort d'une autre jeune fille dont le père vient d'être condamné à un an de prison pour vol. Egaré par la philanthropie dont son cœur est plein, il interpelle les juges et leur crie :
Vous avez condamné le voleur ; vous avez frappé l'homme qui vous menaçait ; soit ! Vous avez fait votre devoir envers l'un, vous avez usé de votre droit contre l'autre. Mais l'enfant, qu’est-ce qu'elle a fait ? Mais la grand'mère, de quoi est-elle coupable ? Et cependant, vous les condamnez aussi, vous les frappez aussi, et plus durement encore. La maison de Picardat étant vendue, que deviendra sa mère ? Vous la condamnez à la mendicité et au vagabondage.
Nous pourrions faire remarquer, entre autres choses, à M. Richepin, que si quelqu'un est coupable ici, que si quelqu'un mérite ses colères, c'est non le magistrat qui protège la propriété, mais ce père que la pensée de sa chère enfant n'a pas retenu, et qui, par son vol, l'a véritablement condamnée à la honte et à la pauvreté; nous pourrions, par d'autres considérations non moins topiques, éclairer et élargir l'étroite et accidentelle humanité de M. Richepin; mais nous préférons lui donner tout de suite un moyen de préserver la jeune fille et d'apaiser les tumultes de son cœur. Que ne va-t-il prendre cette enfant et que ne la conduit-il sur-le-champ, dans un de ces nombreux et confortables asiles ouverts par les radicaux à des infortunes de genre ? Et dans le cas où il serait trop long de les découvrir et de les atteindre, que ne demande-t-il qu'on consacre au soulagement de la mère et de l'enfant un peu de l'argent destiné à la manifestation Félicien David ? Si cependant ces moyens ne réussissaient pas ; nous prierons M. Richepin de se souvenir que la charité catholique a des secours pour toutes les infortunes et des consolations pour toutes les douleurs. B. G.
Anonyme, « Chroniques », La Gironde, 1 septembre
1876, p. 1.
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site RetroNews. Article recensé par Yves Jacq.
– M. Jean Richepin, auteur des Gueux et rédacteur de la Tribune, s’est constitué prisonnier à Sainte-Pélagie. On sait que M. Jean Richepin n’a pas fait appel du jugement du tribunal correctionnel qui l’a condamné à un mois de prison.
L.A, « Au rideau – Théâtre de
la Tour d’Auvergne », Les
Droits de l’homme, 16 septembre 1876, p. 4.
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Et nous, enfants, à la Tour-d-Auvergne ? J’ai assisté (c’était en 1873, je crois) à une étrange première dans cette petite salle où les luges ont de vieux œils-de-bœuf comme les antiques salles du boulevard du Crime.
Cette soirée, artistique s’il en faut, avait été organisée par des jeunes, Richepin, Arène, Gill, d’Hervilly, etc.…, il y a des etc. Comme ou a ri, pleuré, applaudi ! Quelles bonnes facéties bohèmes accompagnaient cette représentation d’œuvres vierges ! Une entre autres qui consistait à imiter dans le Duel aux Lanternes la détonation d’un pistolet déchargé dans un lointain tout proche, en faisant sauter le bouchon d’une Veuve Cliquot !
Aussi, me suis-je bien volontiers souvenu de la vieillotte petite salle, surtout en apprenant que l’excellent artiste Rey y dirigeait un cours d’apprentis Frédéric Lemaître, d’aspirantes Agar, de surnuméraires Carvalho.
Et j’ai quitté sans regrets la Tour-d’Auvergne, Les artistes n’y sont pas plus mauvais qu’ailleurs ; et s'ils ne brûlent pas encore les planches, ils chauffent au moins très suffisamment l’enthousiasme des spectateurs, car ceux-ci applaudissent.
P[aul] B[ourget] « L’homme du
jour – M. Jean Richepin », L’Eclipse, revue comique illustrée, 17 septembre
1876, p.89-90.
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L'auteur de la Chanson des Gueux est pour le moment en prison. Il purge la condamnation qui lui a été infligée pour avoir outragé les bonnes mœurs dans six passages de son livre. C'est évidemment ce qu'a voulu exprimer André Gill, en lui donnant cet air farouche. Il a fait le portrait du condamné plutôt que celui du poëte. A l'état libre, M. Jean Richepin n'a point une mine si rébarbative ; la bouche est moins torve, le nez moins sauvage. L’œil moins, féroce, la chevelure moins broussailleuse. Un critique de la Liberté, parlant de lui dans Hommes et Choses, lui prête un regard doux et une barbe de jeune prêtre d'Eleusis. Il ressemble beaucoup au Garacalla du musée des Antiques. C'est un homme de vingt-six ans environ, solidement construit, bien planté sur ses jambes, les extrémités fines et les muscles forts, les épaules larges, et Aurélien Scholl l'a rangé avec raison dans l’Académie des Hercules. Le Roi des Gueux ne porte guère l'uniforme de ses sujets. Il n'a ni souliers percés, ni culotte à jour, ni pourpoint de truand. Au contraire, il est vêtu avec une certaine élégance. Sans tirer l'œil, sa toilette témoigne d'un dandysme moderne et sobre. Ce maitre-gueux des traine-cul-les-houssettes est un homme du monde.
Toutefois, il a connu la misère et les durs moments. Ancien élève de l'Ecole normale, ayant renoncé à l'Université pour courtiser la Muse, il a plus d'une fois diné d'un sonnet et déjeuné d'une ballade. Pendant quatre ou cinq ans il a fait le terrible métier, qui consiste à vendre au rabais du grec, du latin, de la philosophie, et tout ce qu'il faut pour faire des bacheliers. Ce n'est donc pas, malgré ses airs d'aujourd'hui, un gueux absolument d'imagination. Tout en livrant le combat delà vie, M. Jean Richepin faisait son œuvre. Il passe pour paresseux, ce qui ne l'empêche pas d'avoir en portefeuille plus d'un livre. C'est ainsi qu'il va publier successive- ment : un volume de Nouvelles, intitulé Les Morts bizarres ; un second recueil de vers appelé Les Caresses, et un roman, André Fairdolle. Nous souhaitons que ces coups rapides sur le tam-tam de la publicité aient le même retentissement que la Chanson des Gueux. La Chanson des Gueux, en effet, est une des œuvres qui ont fait le plus de bruit cette année. Elle a fait même tant de bruit que la justice s'en est émue, ce qui a valu à l'auteur son logement à Sainte-Pélagie. La presse tout entière s'est occupée de ce vigoureux début. Les critiques n'ont pas manqué. On a reproché au poëte sa brutalité, ses mots crus, son cynisme, son débraillé voulu. M. Pierre Véron, dans le Charivari, a même été jusqu'à dire que ce livre était une mauvaise action. Mais en somme, tout le monde a reconnu la puissance et l'originalité de l'œuvre. Les journaux les plus opposés, le XIXe Siècle et la Gazette de France, l’Événement et le Gaulois, ont rendu hommage au talent nouveau. Victor Hugo a protesté, dans une lettre adressée à M. Jean Richepin, contre les poursuites de la justice ; et Louis Veuillot a dit, en parlant du poëte poursuivi : « Il a le cuivre, il retentira. » Peut-être a-t-il trop le cuivre ; peut-être se complaît-il plus qu'il ne faut dans les peintures violentes, dans les accords bruyants. Si j'avais un conseil à donner à M. Jean Richepin, je lui dirais, maintenant qu'il a fait son entrée en poussant une note vibrante, de ne point répéter cette note. Il ne faut pas qu'il s'attarde dans le réalisme à outrance. En attendant ses nouvelles œuvres, nous allons avoir bientôt la seconde édition de la Chanson des Gueux, L'édition sera émondée. On n'y trouvera plus {90} les six passages incriminés. Mais qu'on se rassure ! Cette suppression n'enlèvera pas au livre sa physionomie. Les lecteurs n'y perdront rien, et je crois même que M. Jean Richepin y gagnera. A sa place, j'aurais retranché de moi-même toutes les choses trop crues. Il est vrai que c'eût été une grosse besogne ; car, malgré les ratures de la justice, il en reste encore beaucoup dans le volume. M. Jean Richepin est aujourd'hui un des principaux collaborateurs de la Tribune.
P.B.
Jules Barbey d’Aurevilly,
« Littérature – La Chanson
des gueux », Le Constitutionnel, 19 septembre 1876,
p. 1.
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I
L’auteur de la Chanson des Gueux a été jugé et condamné pour ce livre de poésies. Mais je ne sache pas que la condamnation judiciaire qui l’a frappé ait supprimé le livre ; je ne sache pas qu’elle puisse l’ôter des mains qui l’ont acheté et de la mémoire de ceux qui l’ont lu ; je ne sache pas, enfin, que cette condamnation doive empêcher la Critique littéraire de rendre son jugement aussi, non sur la chose jugée, qu’il faut toujours respecter pour les raisons sociales les plus hautes, mais sur les mérites intellectuels d’un poète au début de la vie (2) et aux premiers accents d’un talent qui chantera très ferme plus tard, si j’en crois la puissance de cette jeune poitrine.
M. Jean Richepin n’est pas voué à l’éternel refrain de sa Chanson des Gueux. Il n’est pas si Gueux que cela… Il ne fera pas toute sa vie le Villon, comme Chatterton fit le Rowley. Le système, l’exagération volontaire, l’archaïsme, l’imitation, fatale pour les plus forts quand ils ont ce charmant défaut de la jeunesse, mère de tant de sottises, toutes ces choses qui contaminent ça et là l’œuvre actuelle, doivent, par le fait de la santé et de la vigueur de son esprit, mourir prochainement en M. Richepin et disparaître de ses œuvres. Il est certainement assez fort pour prétendre un jour à l’originalité et pour chanter dans le strict et pur registre de sa voix. Il n’est pas fait pour n’être qu’un poète comme Paul-Louis Courier fut un prosateur. Il a, lui, ce que n’avait pas le sec et retors Courier, homme de verbe et de formules : il a le feu, la verve, les entrailles, l’abondance, une touche large et grasse, et même quelquefois grandiose. On sent, sous l’imitation, une nature, — et il faut le lui rappeler aujourd’hui, car M. Richepin est à sa mauvaise heure. Le cœur de l’homme est ainsi pétri que toute condamnation l’exalte et fait lever dans son âme le génie aveugle et violent de la contradiction, qui dort en nous et qui est si promptement debout !… On persiste, alors, dans ce qu’on a fait, et on le recommence en l’aggravant. Le talent tourne sur lui-même au lieu de s’élever au-dessus de lui-même, et c’est ce que je voudrais empêcher. Je voudrais que la Critique sauvât le talent en péril d’un jeune homme qui me semble fait pour aller aux astres, comme disaient magnifiquement nos pères, mais à la condition de purifier ses ailes de l’imitation, cette glu qu’il prend peut-être pour une gomme d’or.
Je sais bien qu’il est difficile de déterminer avec justesse là où l’analogie d’imagination finit dans un homme et où l’imitation commence. Le poète de la Chanson des Gueux est d’une race et il porte les signes de sa race. Il ressemble à Villon (par le tour d’imagination) autant qu’il l’imite. Littérairement, c’est un Gaulois. Il a des parentés évidentes avec les grands Gaulois de notre littérature : Rabelais, Mathurin Régnier, tous ces braveurs d’honnêteté dans les mots, — La Fontaine lui-même, si on pouvait comparer quelqu’un à ce délicat de La Fontaine dans ce qui n’est pas délicat : la gauloiserie ! Mais si M. Richepin a des parentés naturelles avec ces Maîtres, noblesse oblige, et il est temps d’introduire dans la famille d’esprits dont il fait partie une individualité nouvelle. L’y a-t-il introduite ? Voilà la question. Rabelais, s’il revenait au monde, et Mathurin Régnier, dont M. Richepin procède plus que de personne, écriraient ils maintenant ce qu’ils ont écrit autrefois ?… Croyez-vous qu’ils feraient — si l’idée leur en venait — la Chanson des Gueux comme M. Richepin nous a faite ?… Non ! Rabelais et Régnier feraient différent de ce qu’ils ont fait, sous peine d’être inférieurs à eux-mêmes. Ils ne seraient pas leurs propres échos. Comme ils ont eu, Rabelais surtout, l’originalité dans leur temps, ils auraient l’originalité dans le nôtre, — l’originalité, qui est l’ongle du lion en fait de génie ! Rappelez-vous les Contes drolatiques de Balzac, à coup sûr la plus étonnante de ses œuvres, mais que personne n’oserait appeler « une œuvre de génie », parce que l’inspiration première et ia langue — une merveille d’archaïsme ! — y manquent d’originalité.
II
Et, cependant, ce n’est pas le sujet qui en manque, — d’originalité, — dans la Chanson des Gueux ! Le sujet du livre de M. Jean Richepin a sa nouveauté, quoiqu’il ait été parfois effleuré par les peintres, les conteurs et les poètes. Seulement, aucun d’eux ne l’a touché à fond et n’a essayé d’épuiser dans un vaste ensemble ce grand sujet de la Pauvreté en toutes ses manifestations pittoresques, touchantes, grotesques et terribles. Les « Gueux », pour employer le mot insolent et narquois que la race gauloise inflige presque gaiement à ceux que l’Église, dans sa tendresse sublime, appelle « les membres de N.-S. Jésus-Christ », les gueux ne pouvaient pas ne point tenter l’imagination de ceux-là qui savent où se trouve la Poésie dans les choses humaines. Mais s’ils l’avaient exprimée, cette poésie de la Pauvreté, ce n’avait guères été qu’en passant, par traits détachés, par éclairs, en quelques groupes ou en quelques têtes flambant de génie, dans un coin de livre ou de tableau… Qui les avait vues, ces têtes, les avait contemplées ; qui les avait contemplées ne pouvait plus les oublier. Chez les poètes, par exemple, nous avions le Vieux mendiant du Cumberland de Wordsworth, le Vieux vagabond de Béranger, sa Chanson des Bohémiens, — et même sa Chanson des Gueux, si maigre, du reste, quand on la compare à celle de M. Richepin ! Chez les conteurs, nous avions l’Edie Olchitree de Walter Scott, et le vieux Par-les-chemins de Balzac. Je ne parle point des Misérables de Victor Hugo, qui sont des Pauvres à qui on a fait des têtes, — pour me servir d’une expression du métier dramatique, — des Pauvres arrangés dans l’intérêt d’un parti, des Communards d’avant l’heure. Chose mesquine et triste ! car Victor Hugo nous a donné une cour des Miracles, dans sa Noire Dame de Paris, de manière à prouver qu’il pourrait peindre, s’il voulait, ressemblant et puissant tout à la fois. Chez les peintres, nous avions le Pouilleux de Murillo, dans sa pluie de soleil et d’or. —Callot seul, le bohémien Callot avait fait, lui, œuvre d’ensemble. Tout un monde de gueux a passé dans son œuvre… Mais, qu’on me passe le mot ! ce sont des gueux spéciaux : — tous les Meurt-de-faim, tous les Stropiats, tous les Béquillards, tous les tronçons de l’effroyable guerre de Trente Ans ; une page plus d’Histoire que de nature humaine. Eh bien, c’est un ensemble encore plus large et plus étreint que celui de Gallot, qu’a voulu réaliser, dans un autre genre d’Art et d’expression, un jeune homme qui n’a pas été un bohémien comme Callot, mais tout au plus un bohème comme on l’est quelquefois, quand on a vingt ans, à Paris, au XIXe siècle, et ce jeune homme s’est cru de force à mettre dans un livre de sentiment et d’observation, et de chanter ou de faire chanter en des poésies personnelles ou impersonnelles, toutes les misères de son temps, ces misères invincibles à la philanthropie, et qui, sous le costume et les vices de chaque siècle, forment la Misère éternelle !
Il faut convenir que cette idée ne pouvait venir qu’à une tète poétique, et je dirai plus : — à une âme profonde.
On peut être trompé, surtout en fait d’âmes, dans ce monde épais et sans transparence, mais jusqu’à nouvel ordre il me fait l’effet d’en avoir une, ce M. Richepin. Il me fait, lui le Villonesque et le Rabelaisien, l’effet d’avoir ce que n’avaient ni Villon, ce polisson auquel ce diable de Louis XI, si bon diable, épargna la corde, ni Rabelais, cet impitoyable génie du rire à outrance, qui aurait eu tout, s’il avait eu du cœur ! Le poète de la Chanson des Gueux ne les peint pas que de par dehors, pour le seul plaisir de faire du pittoresque. Malgré l’osé, le cru, et même le cynique, à quelques-endroits, de sa peinture, ce n’est nullement un réaliste de nos jours. Il est mieux que cela. Il a l’âme ouverte à tous les sentiments de la vie, et il les mêle — et fougueusement ! — à ses peintures. Il sait s’incarner dans les gueux qu’il peint. Mais il n’a pas, malheureusement, il faut bien le dire, le seul sentiment qui l’aurait mis au-dessus de ses peintures, le sentiment qui lui aurait fait rencontrer cette originalité que Villon, Rabelais et Régnier ne pouvaient pas lui donner. Il n’a pas le sentiment chrétien.
C’est, en effet, dans la profondeur du sentiment chrétien qu’était l’originalité qu’il n’a pas. Depuis que le monde est monde, le Christianisme seul a compris les pauvres et les a bien vus. Seul, ce rayon de Dieu leur tombant sur la tête, plus chaud et plus magnifique que le soleil de Murillo, a éclairé les gueux et les a idéalisés. La religion de l’adorable saint François d’Assise, qui se fit gueux d’une autre façon que M. Richepin, lequel se vante un peu trop d’en être un ; la religion du très moqué, du très peu compris mais du très grand Bienheureux Labre, qui fut un mendiant comme M. Richepin ne le sera probablement jamais, est très nécessaire au poète des Pauvres s’il veut creuser dans leurs abjections et leurs vices, dans leurs grandeurs et leurs vertus. M. Richepin, dans ses poésies, n’est pas plus un matérialiste appuyé qu’il n’est un réaliste de ce temps. L’âme qu’il a le sauve de ces abaissements. Mais M. Richepin, malgré son âme, au-dessus de la plupart des âmes de son siècle, est cependant un homme moderne, pétri par la main de l’éducation moderne. Après tout, sous les haillons dont il s’enveloppe si diogéniquement en ses poésies, c’est un épicurien aux yeux païens, et un épicurien qui n’a pas la modération et l’équilibre d’Épicure ; car c’est un intense, que M. Richepin, s’il en fut jamais ! Ame ardente, s’il avait été chrétien il l’aurait été comme il est tout, il l’eût été intensivement comme il est poète, et son talent — dans sa Chanson des Gueux qui n’est qu’énergique et quelquefois infernalement énergique — en aurait été divinisé !
III
Je veux pourtant vous dire ce qu’il est, ce talent qui aurait dû monter jusqu’au génie pour être digne du sujet qu’il n’a pas craint d’aborder. Incontestablement, ce talent est très grand. L’homme qui chante ainsi est un poète. Il a la passion, l’expression, la palpitation du poète. Mais son livre n’est pas qu’un recueil de poésies ; c’est toute une composition. Il l’a divisé en trois parties : les Gueux des Champs, les Gueux de Paris, et Nous autres Gueux ! Dans mes impressions, à moi, les Gueux des Champs sont très supérieurs aux deux autres, et sans que le talent du poète y soit pour tout, mais par le fait aussi du sujet, de son atmosphère, de ses paysages, de ses superstitions et de ses mœurs. Les pauvres des champs, quels que soient leur bassesse, leurs passions, leurs vices mêmes, sont autrement poétiques que les atroces voyous de Paris, ces excréments de capitale et de civilisation, qui souillent l’aumône en la recevant… Et, d’ailleurs, ils sont placés plus loin de nous, dans une perspective qui est une poésie de plus. Les Couche-tout-nus d’Eugène Sue et de tant d’autres romanciers de cette époque, où le talent, quand on en a, regarde plus en bas qu’en haut, sont des types usés à force de s’en servir, et il faut toute la flamme d’expression de M. Richepin pour que nous ne soyons pas dégoûtés jusqu’au vomissement de cette vile canaille, aux infâmes sentiments et à l’abominable langage. M. Richepin, lui, a avalé son crapaud. Il va jusqu’à l’argot de ces arsouilles (le mot y est, et bien d’autres encore ! )… Il a écrit plusieurs poésies en pur argot, qu’il s’est obligé à traduire en français dans la page suivante. Franchement, c’est trop ! Mais M. Richepin est Jean-le-Téméraire en littérature. Il a peut-être cru que la hardiesse, et la crânerie dans la hardiesse, seraient de l’originalité. Il n’en est rien. L’Originalité ressemble à l’ange qui n’eut qu’à étendre la main pour vaincre Jacob, lequel faisait ce que fait M. Richepin, quand il s’efforce et donne d’une tête de bélier enragé contre tout. Et, du reste, pour ce que ces chansons en argot expriment et pour ce que la traduction française nous en apprend, il n’était vraiment pas la peine de se verdir à cette langue-là !
Mais ce n’est point dans ces partis pris de jeune homme qu’est le talent du poète de la Chanson des Gueux. Je l’ai dit déjà, là où je l’aime le mieux, c’est dans ses Gueux des Champs. Là il y a réellement de grandes et fortes beautés ; là l’accent profond, la couleur vraie, l’âcre senteur du sujet et en beaucoup de pièces ses lueurs terribles ; car toute misère est terrible quand l’Idée n’est pas là pour la désarmer. Or, et c’est là ce que je reproche aux Gueux des Champs de M. Richepin. L’Idée de Dieu ne passe pas une seule fois dans le cœur ou dans la pensée de ces vagabonds et de ces mendiants dont il est le rhapsode, — dont il chante les Odyssées et les Idylles sur ce noir violon de ménétrier, brûlant et sinistre, qui vous émeut tant, et qui met jusque dans les airs de l’amour toutes les férocités de la vengeance contre la misère de la vie. M. Richepin sait le secret des sensualités et des intempérances du pauvre. Je ne lui reproche pas de le savoir, et même de le dire ; mais ce que je lui reproche, c’est d’avoir trié tous ses gueux sur le volet du diable. Tous, ils ont un pied dans le malheur et l’autre dans le crime, et ils boitent de l’un et de l’autre côté, comme dit l’Écriture. Mais à côté de ceux-là, et précisément aux champs, dont M. Richepin est un vivant paysagiste, il y a d’autres gueux que les siens !… Je ne nie pas les désespérés, mais il y a les résignés aussi, et ils ne sont pas dans le livre de M. Richepin. Ceci est un hiatus, un trou énorme dans son œuvre, qui avait la prétention d’être un ensemble et qui n’est plus que les fragments épars d’un poème interrompu, et qu’il faudrait achever.
Et il n’y a pas que cela, au surplus, qui rompe l’unité du poème de M. Jean Richepin. Ici, ce sont les gueux qui manquent, mais ailleurs, c’est le poète des gueux. M. Richepin ne l’est point partout, dans sa Chanson. En une foule de pièces, comme, par exemple : Vieille Statue, la Flûte, le Bouc aux enfants, etc., je cherche le ménétrier des gueux et je ne trouve qu’un épicurien, un lettré, un renaissant et même un mythologue, qui croise André Chénier avec Mathurin Régnier et Callot. Lisez surtout la pièce : Vieille Statue :
O Pan, gardien sacré de cette grotte obscure
Toi qui ris d’un air bon dans ta barbe de pierre !
Et quoique la pièce soit charmante et fasse bas-relief… grec, cependant, les gueux des champs au XIXe siècle, les gueux réels qui nous ont touché de leur coude percé, n’ont rien à faire avec Pan et cette voix classique qui ne résonne plus que dans les mémoires cultivées, et non dans les entrailles humaines. Évidemment, ce sont là des hors-d’œuvre dans l’œuvre de M. Richepin. Mais quand on fait chanter des gueux, quand on est, comme M. Richepin, presque un dandy de gueuserie, si un dandy n’était pas toujours froid, une telle chose est plus qu’un hors-d’œuvre, c’est une contradiction.
Et je viens peut-être d’écrire le mot qui explique le mieux les défauts et les fautes du poète de la Chanson des Gueux : il a trop le dandysme de ce qu’il chante. Fait pour être naïf puisqu’il est poète et qu’il a des sensations vraies, il devient dandy par intensité, — par amour de son sujet peut-être, — et le dandysme est toujours de l’affectation. Le dandysme a diminué Byron lui-même. Il est vrai que c’était le dandysme du dandy pur mêlé au poète, — le dandysme de Brummell, qu’il admirait, disait-il, presque autant que Napoléon, —tandis que le dandysme de M. Richepin est d’un autre genre. C’est le dandysme de la gueuserie dans ce qu’elle a de plus audacieux, et… (ma foi ! je le dirai, car avec un robuste comme M. Richepin on peut être dur, ) quelquefois de plus grossier. Le dandysme de la gueuserie, cette affectation, a poussé M. Richepin aux outrances d’attitude et d’expression dont son livre et son talent pouvaient se passer. Seulement, — voici quelque chose en faveur du poète que je blâme, — l’affectation, qui, ordinairement, éteint la verve, n’éteint point la sienne. Elle est, chez lui, inextinguible. Qualité rare en tout temps que la verve, mais plus rare et plus précieuse que jamais dans une époque épuisée où personne ne vit fort ! La verve est une des qualités dominantes de l’auteur de la Chanson des Gueux, et il fallait qu’elle fût de bonne trempe pour avoir résisté au besoin d’effet à tout prix qu’il poursuit avec tant d’acharnement dans tout le cours de son livre, et particulièrement dans la troisième partie intitulée : Nous autres Gueux ! — partie inférieure de ses poésies, trop pantagruélique à mon gré, et dans laquelle non pas seulement l’ivresse, mais l’indigestion est glorifiée.
Enfin, me voilà au bout de ma critique sur le livre de M. Richepin ! Je lui ai dit franchement mon opinion sur son œuvre, mais je ne lui ai pas dit toute mon impression. Si la Critique était une chose de sensibilité, il serait absous… mais la Critique relève de plus haut que de l’émotion du critique. Mon impression fut excessivement vive quand je lus le livre d’enfilée, et l’enthousiasme me prit au point que j’eus besoin de réflexion et d’une seconde lecture pour en apercevoir les défauts. Ils sont cachés par tant de qualités brillantes, que, d’abord, on ne les voit pas. Le livre est entraînant, et c’est peut-être ce qui l’a fait trouver dangereux… Je crois qu’on peut dire à la décharge du poète de la Chanson des Gueux, qu’il n’a pensé qu’à son effet littéraire. Il ne s’est pas préoccupé de l’effet moral de son livre, et il a appris à ses dépens que d’autres pouvaient s’en préoccuper. Selon moi, — je l’ai dit, mais j’insiste parce que la cause est grave et que le poète condamné de la Chanson des Gueux vaut la peine qu’on insiste, — toutes les qualités de sa poésie, qui n’est pas que truande et féroce, acharnée, archiloquienne, mais souvent d’une tendresse et d’une compassion infinies(voir, entre autres, le Chemin creux, les Pleurs de l’Arsouille, et surtout le Grand-Père sans enfants), appartiennent à son âme, et les défauts de cette poésie à son temps et au malheur qui l’a fait naître au XIXe siècle. L’absence de foi religieuse, l’indifférence de tout ce qui créait la vie morale autrefois, ont empêché son observation d’être complète et lui ont mutilé son œuvre. Voilà ce qu’il y a gagné. Généreux d’instinct, il n’a vu que les côtés sombres, cruels, vicieux, menaçants de la pauvreté, comme le grand Balzac (ce qui, du reste, n’est pas une excuse), ne vit que les côtés mauvais du paysan dans ses Paysans.
Balzac, il est vrai, était chrétien, et il n’oubliait pas qu’il le fût. Balzac blâmait, avertissait. Il était moraliste tout en faisant sa peinture. M. Richepin ne fait que la sienne. Balzac disait, dans ses Paysans, au législateur et à la société menacée, pour qu’ils y prissent garde : Voilà le « Robespierre à mille têtes ! » Et l’horreur qu’il en donnait était salutaire et pouvait être féconde. M. Richepin ne donne pas cette saine horreur. Il n’offre pas, comme Persée, aux yeux, qu’elle épouvante, la tête coupée de la Méduse… On dirait qu’il est amoureux de son effroyable beauté et qu’il en caresse les serpents.
Un Domino [François Oswald],
« Echos de Paris », Le
Gaulois, 27 septembre 1876, p. 1.
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Ramassé dans la souscription ouverte par la Tribune pour les frais d’un congrès ouvrier :
L’auteur de l’auteur de la Chanson des Gueux.
Si M. Richepin père est assez bon pour se croire honoré dans la personne de son fils, que pensez-vous de cette rédaction ? Nous avions déjà l’inscription célèbre : « Ci-gît la mère des trois Dupin. » Nous espérons qu'on va poursuivre dans cette voie et mettre sur la tombe du père d'Alexandre Dumas Ier l'épitaphe suivante :
« Ci-gît l’auteur de l’auteur (dramatique) de l'auteur du Père prodigue et du Fils naturel. »
[…]
Un Domino
Un Domino [François Oswald],
« Echos de Paris », Le
Gaulois, 29 septembre 1876, p. 1.
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Les procédés de la presse radicale sont vraiment étranges : A la suite d'un petit article le concernant, qui a paru dans le Gaulois, M. Richepin a cru devoir nous adresser une demande d’explication ; mais, avant même d'avoir reçu notre réponse, il a fait publier sa lettre dans un journal rouge.
Bien que cette façon d'agir ait lieu de nous paraître singulière, nous consentons à suivre M. Richepin dans la voie qu'il a choisie et à correspondre avec lui par la voie des journaux.
Voici sa lettre :
Sainte-Pélagie, 27 septembre 1876.
Monsieur le rédacteur,
Il faut vous en prendre à Votre intelligence seulement, si vous n'avez pas compris la plaisanterie de mon père signant : l'Auteur de l'auteur de la Chanson des Gueux. Mon père, ancien médecin militaire, blessé en Crimée, officier de la Légion d'honneur, a pris sa retraite après trente ans de services et une vingtaine de campagnes. Il est donc au-dessus de vos railleries. Toutefois, il y a dans votre écho une phrase, ambiguë qui m'a blessé pour lui et pour moi : Si M. Richepin est assez bon pour se croire honoré dans la personne de son fils... Au cas où vous auriez eu l'intention de toucher en quoi que ce soit à l'honorabilité de mon père ou à la mienne, je vous prie, monsieur, de me le dire nettement pour que j'en tire réparation. Veuillez agréer, etc
JEAN RICHEPIN.
Voici maintenant la nôtre :
Monsieur, Il faut vous en prendre vous-même à votre intelligence, si vous n'avez pas compris que j'ai également fait une plaisanterie en réponse à celle de monsieur votre père. Le ton et la conclusion de l'entrefilet me semblent pourtant le prouver surabondamment. Vous voulez bien m'apprendre que M. votre père est ancien médecin militaire, blessé en Crimée et officier de la Légion d'honneur. Je vous en félicite ainsi que lui, et je ne veux pas être en reste de politesse avec vous je m'empresse donc de vous déclarer que mon père, fonctionnaire de l'Empire, était, lui aussi, officier de la Légion d'honneur. Mais, à vous parler franc, je ne vois guère ce que vient l'aire dans le débat que vous soulevez l'énumération des états de services de nos parents. Il a plu à M. votre père de se livrer à une facétie : il me plait à moi de la relever et de riposter par une autre facétie : c'est mon droit et je le maintiens. La mienne ne vous semble pas plus spirituelle que la vôtre ne m'avait paru drôle ; peu importe, mettons, pour eu finir, que nous sommes tous deux au-dessus de nos railleries réciproques. C'est tout ce que je puis vous concéder. Quant à votre honorabilité, vous ne m'avez donné aucun motif d'en douter, et je ne fais aucune difficulté de vous déclarer que je n'ai pas voulu y faire allusion. Je n’en reste pas moins à votre disposition, et je vous prie d'agréer, etc.
FRANÇOIS OSWALD.
(Domino.)
Anonyme, « Procès du journal
La Tribune », Le Siècle, 29 septembre
1876, p. 4.
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Hier est venue devant la cour d’assises de Seine, présidée par M. Seveste, l’affaire de la Tribune :
On connaît les faits. L'objet de la poursuite était un article intitulé : Lettres à tous, daté de Paris le 6 septembre 1876, commençant par ces mots : « Lorsqu'il était question, » finissant par ceux-ci : « d'une foule d'Excellences qu'il n'a jamais vues. » et signé Panurge. Le gérant de la Tribune, Gendron, reconnaît qu’en cette qualité il a publié l’article dont il s’agit. Il a refusé d’en faire connaître l’auteur, prétendant qu’il ignorait lui-même son véritable nom.
Après l’interrogatoire de M. Gendron, M. l’avocat général d’Herbelot prend la parole. « Le journal la Tribune, dit-il, est un des journaux conçus dans le plus mauvais esprit. II a la spécialité des doctrines socialistes et antireligieuses, et il n'a jamais failli à cette tâche. » Il lit successivement un certain nombre d'articles, signés les uns : Richepin, Guillemot, etc., les autres anonymes, et arrive enfin à l'article incriminé, qu'il lit de nouveau à MM. les jurés, en leur demandant une répression sévère. La parole est donnée ensuite à Me Gatineau, qui présente la défense de M. Gendron. A trois heures et demie, le jury entre dans la salle des délibérations et en rapporte un verdict de culpabilité. La cour condamne M. Gendron, gérant de la Tribune à trois mois de prison et quatre mille francs d'amende.
M. Debons, imprimeur, est acquitté.
Octobre↑
Adr. En Desprez, « Soirée
artistique », Le Petit
Parisien, 29 octobre 1876, p. 2.
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M. Eugène Paz a donné hier soir une brillante soirée musicale, à laquelle il avait spécialement convié la presse et le corps médical. L'immense salle du gymnase, éclairée à giorno, était appropriée à la circonstance. Les trapèzes et les échelles de cordes remontaient vers le plafond, taudis que les haltères, les armes et les autres instruments, étalent symétriquement rangés dans les ateliers le long des parois. Dans le fond, on aurait dressé une estrade spacieuse où tour à paraissaient les exécutants. Dès neuf heures, mille ou douze cents personnes se sont commodément installées sur leurs sièges, en réservant, bien entendu, les premières banquettes pour les femmes en grande toilette.
Le programme était des plus attrayants. Il faut, comme Eugène Paz, être l'ami de tous les artistes pour réunir à la même heure un tel choix de virtuoses. Nous ne tenterons pas de dire combien l'auditoire était charmé en écoutant Nathan, Ismaël, Stéphane, Melchissedec, Manoury. Boudouresque et la belle Mlle Fouquet. Darcier accompagnait au piano la sonnet d'Arrers, l'une de ses plus touchantes mélodies. Coquelin Cadet a détaillé avec infiniment d'esprit le vieil habit, de Jean Richepin, et la lettre de Bridet, amusante fantaisie de Durandeau, puis Fusier a fait ses étourdissantes Imitations.
Une surprise était ménagée aux spectateurs. Le jeune d'Engremont, qui, croyons-nous, n'avait point encore paru devant le public parisien, a exécuté sur le violon le 7e concerto de Bériot. Eugène Maurice d'Engremont a neuf ans et demi son visage intelligent, fin, un peu pâle, est encadré de cheveux châtains ; il porte une jaquette noire avec un large col blanc rabattu, un pantalon court et des bas qui laissent voir la jambe ferme et nerveuse. Ses petites mains maigres se jouent sur l'instrument avec une incroyable agilité. Né au Brésil, sa mère est brésilienne, mais son père est français. M. d'Engremont, musicien fort habite, a sans doute donné, dès le berceau, les premières leçons à son fils, mais on demeure étonné en trouvant à cet âge tant de réserve, de méthode et de goût. Dans l'interprétation de l'œuvre si difficile du maître, cet enfant a montré une force, une finesse, un sentiment des nuances qui ont très vivement impressionné le public. Le jeune virtuose a été couvert d'applaudissements. Ce succès est d'autant plus touchant qu'il a été obtenu au milieu de ce groupe d'artistes éminents, dont nous parlions tout à l'heure.
A en juger par la satisfaction de ses invités, M. Eugène Paz doit être content de sa charmante soirée.
Novembre↑
Gros Jean, « Propos des frères
Jean », L’Estafette,
1er novembre 1876,
p. 3.
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Indigents, indulgents – l’avenue du grand Corneille.
Jean Richepin est l’auteur d'un livre de poésies que les rigueurs officielles abritent contre nos critiques. Il écrit dans la Tribune, qui est « l’organe républicain des questions démocratiques et sociales ». C’est, du moins, ce que je me suis laissé dire par les murs de Paris.
L’auteur de la Chanson des Gueux, raconte, dans l’une de ses chroniques, qu’il a entendu dire ces mots à une vieille femme : Nous sommes bien malheureux, nous autres indulgents !
Indulgents au lieu d’indigents. M. Richepin s’empare du lapsus de la pauvre vieille, il l’accepte comme une grande vérité involontairement découverte : oui, les indigents sont des indulgents. Quelle dose de patience ne leur faut-il pas pour supporter le poids d’une société qui les écrase, qui les exploite et qui les ignore ? Quelle dose de charité ne leur faut-il pas pour pardonner à leurs maîtres et à leurs bourreaux ? Être le nombre, être la force, tout souffrir et se taire.
-M. Scribe aurait ajouté : sans murmurer . – Tel est le lot des indigents. Oh ! oui, elle avait raison la bonne femme : ils seraient bien mieux nommés les indulgents.
N’ayant pas sous les yeux le texte que j’ai lu rapidement en chemin de fer, j’abrège et je gâte, nécessairement. Car bien que je sois du peuple, comme M. Richepin, et que je l’aime, autant qu’il peut l’aimer lui-même, je ne possède point le vocabulaire de la sensibilité « démocratique et sociale » qui n’est que l’art de semer la zizanie entre ceux qui ont des bottes percées et ceux qui ont des bottes neuves.
Seulement, que mon confrère me permette de lui reprocher doucement de n’avoir pas lu ses classiques. Indulgents est un mot auquel il ne faut pas toucher quand on est républicain. Ce mot a été immortalisé par l’acception spirituelle et scélérate que lui a imposée Robespierre lorsqu’il inventa, – ce fut un des derniers efforts de son génie, – la faction des indulgents lorsqu’il inscrivit dans nos lois ce crime nouveau, le crime d’indulgence, qui avait échappé aux délateurs des douze Césars. Ce jour-là, il mâchait de la besogne à quelque Tacite futur, qui, malheureusement pour a morale historique, n’est point venu.
Voilà le souvenir qu’on ne peut manquer de réveiller quand on parle des indulgents dans la maison de Robespierre !
Quant aux indigents, un rapport qui est exactement de la même époque, nous renseigne sur la façon dont la Convention entendait pratiquer l’extinction du paupérisme. Ce rapport est de Barrère : il est daté du 11 mai 1794… pardon ! du 22 floréal an II.
Anonyme, « Nouvelles
politiques », L’Univers, 11 novembre 1876, p.
2.
Article recensé par Yves
Jacq.
On lit dans la Gazette des Tribunaux :
Par jugement du 15 juillet 1876 (9e chambre du tribunal correctionnel de la Seine), maintenu sur opposition le 26 août suivant, MM. Jean Richepin, homme de lettres, Georges Decaux, éditeur, et Debons, imprimeur, ont été condamnés, le premier à un mois de prison et 500 francs d’amende, et les deux autres à 500 francs d’amende chacun, pour avoir commis le délit d’outrage aux bonnes mœurs en publiant et mettant en vente un volume intitulé la Chanson des Gueux.
Sur l’appel a minima de M. le procureur général à l’égard du sieur Decaux, éditeur, la cour après le rapport de M. le conseiller Guillemain et sur les conclusions de M. l’avocat général Chevrier a confirmé la décision des premiers juges, et y ajoutant, a ordonné la suppression et la destruction du livre saisi. – (Chambre corectionnelle. – Présidence de M. Descoutures. – Audience du 8 novembre.)
Anonyme, « Cour d’appel de
Paris », Le Bien
Public, 12 novembre 1876, p. 4.
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Présidence de M. le conseiller Descoutures
La Chanson des Gueux, de M. Jean Richepin.
Le 26 août dernier, MM. Jean Richepin, homme de lettres, Decaux, éditeur, et Debons, imprimeur, étaient condamnés, le premier à un mois de prison et 500 francs d’amende, pour avoir commis, aux termes du jugement, le délit d’outrages aux bonnes mœurs, en publiant et mettant en vente un volume intitulé : la Chanson des Gueux.
M. le procureur général appela a minima de cette sentence, à l’égard de l’éditeur, M. Decaux, et, le 8 courant, la cour, sur les conclusions de M. l’avocat général Chevrier, confirmant la décision des juges de la 9e chambre correctionnelle et y ajoutant, a ordonné la suppression et la destruction du livre saisi.
Anonyme, « Notes parisiennes »,
Le Sémaphore de
Marseille, 12 novembre 1876, p. 1.
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site RetroNews. Article recensé par Yves Jacq.
[…]
Quelques nouvelles.
– Je vous ai parlé d’un volume de vers de M. Jean Richepin, la “Chanson des Gueux”, où je vous signalais moi-même quelques hardiesses de langage. Le poète avait osé parler un peu vertement la langue des rues. Or, le parquet s’est inquiété, et l’été dernier le tribunal a condamné M. Jean Richepin à un mois de prison ; en outre, il forçait le poète à retirer de son volume quelques pièces de vers particulièrement visées dans le jugement. M. Jean Richepin a fait son mois de prison, le volume expurgé continuait à se vendre. Mais voilà que le procureur de la République, non satisfait, paraît-il, a interjeté appel, et voilà que la cour a définitivement condamné la “Chanson des Gueux” à disparaître. Elle sera saisie et mise au pilon. Remarquez qu’il s’agit d’un volume de vers, c’est-à-dire d’un recueil purement artistique qui ne s’adressait pas au grand public Remarquez que les audaces de Jean Richepin étaient surtout des audaces de langue. A ce compte, il faudrait brûler en place publique Rabelais, Brantôme, la plupart des Mémoires, Voltaire, que sais-je encore ? jusqu’à Pascal et Montesquieu. Toute notre ancienne littérature y passerait. Je sais qu’il faut s’incliner devant la chose jugée ; mais, on peut le dire hardiment, ce sont là des jugements que la postérité casse toujours.
[…]
Sosie, « Chronique », La France, 16 novembre
1876, p. 2.
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Vous vous imaginez peut-être, sur la foi de vos classiques souvenirs, que les abords du mont appelé Parnasse sont pentes joyeuses et doux-fleuries, o s favoris des muses trouvent à chaque pas, pour consoler leurs peines et encourager leurs efforts, de frais ombrages, des ruisseaux murmurants, et des lits de gazon jonchés de roses ! Les temps sont bien changés depuis que la naïve imagination de nos premiers poëtes se plaisait à peindre ainsi de couleurs riantes le domaine enchanté où se promenait leur fantaisie. Aujourd’hui, les fleurs y sont rares ; mais, en revanche, on y rencontre souvent des épines. Il se trouve même parfois qu’après s’être meurtri les pieds aux rocailles peu aimables de la critique, et fatigué les poumons à souffler dans des pipeaux que les amis traiteront demain de mirlitons, on n’a même pas le droit de reposer, « la tête à l’ombre et les pieds au soleil », et que, s’étant endormi au pied d’un buisson hospitalier, on se réveille avec étonnement dans une chambre de Sainte-Pélagie.
C’est ce qui est arrivé à M. Jean Richepin, l’auteur de la Chanson des Gueux.
Un mois de prison, voilà la surprise du réveil ; cinq cent francs d’amende, voilà les épines. Vous conviendrez qu’il est permis de rêver un sort plus doux. Certes, il est probable que M. Richepin n’avait pas élevé son ambition jusqu’aux honneurs du martyre. On les lui a donnés pourtant. Aujourd’hui on fait mieux encore. Ce livre, mis d’abord à l’index, et mutilé par les ciseaux d’une censure impitoyable, doit être absolument et irrévocablement détruit. Ce n’est plus une correction, c’est un anéantissement.
Voilà ce qu’on peut appeler une mesure radicale. Nous professons avant tout un respect sincère pour les sentiments qui l’ont inspirée ; étant sincères eux-mêmes, ils y ont droit. Mais cette sincérité n’étant pas un gage suffisant d’infaillibilité, – à moins d’admettre que les opinions les plus naïves sont aussi les plus indiscutables, – nous nous permettrons d’élever quelques doutes sur la légitimité d’une pareille rigueur. Aucune mesure, même légale, n’est au-dessus de la discussion. Tout au moins avons-nous le droit de présenter sur celle-ci quelques réflexions, dont l’opportunité ne saurait paraître douteuse qu’à des esprits superficiels. Pour ces esprits, le cas de M. Richepin est peu de chose. Un livre de vers de plus ou de moins, n’est ce pas là une grosse affaire ? La société s’en portera-t-elle plus mal ?
Peut-être ?
***
Dénicheff, « A Bâtons rompus »,
Le Bien Public, 19
novembre 1876, p. 2.
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Un nouveau livre de l’auteur de la Chanson des Gueux, M. Jean Richepin, vient de paraître chez Decaux, sous ce titre : les Morts Bizarres. C’est une série de nouvelles empreintes d’une puissante originalité. Nous y reviendrons.
Paul Arène, « La Tribune
littéraire », La
Tribune, 21 novembre 1876, p. 1.
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[…]
Les morts bizarres ! (Georges Decaux, éditeur.) – Le titre fait rêver et rappellera fatalement aux Parisiens d’il y a quinze ans, ce bon pâtissier Gru, homme doux qui, un matin, on ne sait pourquoi, s’imagina de confectionner, entre un vol-au-vent et une bonne glacée, son livre, livre terrifiant que je vois encore avec sa croix noire sur fond roue de sang, et ces mots inscrits en blanc dans la croix : Les morts violentes !
Il n’y a d’ailleurs, hâtons-nous de le dire, qu’un simple rapport de couverture entre les morts de l’auteur de la Chanson des Gueux et celles du pâtissier Gru. Les gens qui aiment à frissonner en souriant de leur chair de poule seront ravis de ces contes à faire peur, où se combinent – sans que l’originalité de M. Jean Richepin disparaisse – l’invention comique de Champfleury, la mathématique sinistre d’Edgard Poë et quelque peu aussi l’esprit mystificateur de Pétrus Borel le lycanthrope.
***
Dizains réalistes, par divers auteurs (librairie de l’Eau-forte.) Volume oblong et parodique dont la mission est de railler amicalement les modernités, par trop familières quelquefois, du poète souvent couronné qui écrivit un jour le Petit épicier de Montrouge. Ne provoque pas la parodie qui veut, et la parodie spirituelle n’a jamais blessé personne. Ces Dizains réalistes auront le résultat de faire relire les vers de M. François Coppée.
***
[…]
Décembre↑
Maxime Gaucher, « Causerie
littéraire », La Revue
politique et littéraire, 9 décembre 1876, p. 569
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[…]
La Chanson des gueux avait tristement conduit M. Richepin à Sainte-Pélagie ; le nouveau volume qu’il vient de publier (1) ne témoigne pas que ce repos forcé ait calmé son esprit. On sent que les fruits de ses nouvelles méditations n’ont pas été mûris par le soleil ; ils ont grandi à l’ombre et sont aigres. M. Richepin est un railleur amer et triste. Son ironie implacable ne ménage ni les hommes ni les choses. Le respect se meurt, disait Royer-Collard ; M. Richepin ne le ressuscitera pas, tant s’en faut. Pour les faibles, les opprimés, les malheureux même, on dirait que la pitié a fait place au dédain. Il n’a plus de larmes pour l’âne de la fable, victime des jugements de cour : Tant pis pour toi, pauvre hère ! Pourquoi es-tu si humble, si résigné ? Endure la mort comme tu as enduré les coups ; c’est ton lot de souffrir, et c’est bien fait puisque tu ne te révoltes pas ! – Les jugements de cour ne sont pas seuls iniques. Voici un personnage condamné pour un crime dont il est innocent ; M. Richepin rit en écoutant le foudroyant réquisitoire ; et, lorsque la sentence fatale est prononcée, il rit. Le vrai coupable va se dénoncer aux magistrats, on refuse de l’écouter, et on l’enferme comme un fou : M. Richepin rit. Ailleurs, dans un naufrage, un des passagers, muni d’une ceinture de sauvetage, se soutient sur l’eau. Une mère lui tend son enfant en lui criant : Sauvez-le ! L’homme à la ceinture jette l’enfant dans le gouffre et garde le biberon : M. Richepin rit de plus belle. La Providence sans doute va intervenir, et le misérable sera foudroyé… Non ! il arrive sur un rocher, où il sera sauvé par les pêcheurs de la côte. Cependant, en attendant les sauveurs, il détache des moules du rocher, les mange et en meurt, car les moules sont malsaines dans les mois qui n’ont pas d’r. Ces bivalves, instruments de la Providence, est-ce assez plaisant ? Aussi, cette fois, M. Richepin rit aux éclats. Comme on voit, la gaîté de M. Richepin n’est ni de la franche ni de la bonne gaîté. Je ne la crois pas non plus communicative, ce dont je suis aise.
Fabrice W., « Nouveautés
littéraires », La Vie
littéraire, 21 décembre 1876, p. 3.
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Les morts bizarres, par Jean Richepin, 1 vol. in-18, 3 fr. chez G. Decaux. – L’étrange est certainement, de nos jours, un grand élément de succès dans le roman et les nouvelles. Les Allemands et surtout les Américains ont ouvert la carrière. Nous nous y sommes jetés après eux. M. Richepin a, dans l’imagination, ce qu’il faut pour lutter avec un Hoffman et un Edgar Poë. Nous lui conseillons de chercher ses effets plutôt dans le rêve des phénomènes psychologiques que dans la bizarrerie des incidents. C’est à quoi il tend du reste dans quelques-uns de ses récits, et, dans ce genre, son Chef-d’œuvre du crime est tout à fait réussi. La Uhlane, le Chassepot du petit-Jésus sont émouvants sans bizarrerie. Le Disséqué est trop invraisemblable. Un empereur est d’un comique sinistre, offensant un peu trop les imaginations délicates. Il nous semble que s’il renonçait une bonne fois au cynisme, son talent s’élèverait et il prendrait décidément la place qu’il doit tenir.