1877
Janvier↑
Anonyme, « Petite Gazette – La
Chanson des Gueux, par M. J. Richepin », Le Musée universel, 1er janvier 1877, p. 32.
Ce volume de poésie est d’un véritable poète, chez qui l’on voit cependant, – fort mal à propos selon nous, – le dessein de tirer quelques coups de pistolet pour éveiller les gens.
Eh, bon Dieu ! les coups de pistolet ne vont qu’aux détrousseurs de popularité ; et M. Richepin n’en est pas un. Il a trop de talent pour s’arrêter à ces moyens vulgaires ; il y renoncera.
C’est déjà un diplomate. Voyez comment il parle à ceux qu’il appelle les « critiques influents » :
O tigres que la presse abrite dans ses jungles,
N’aiguisez pas vos crocs, n’allongez pas vos ongles,
Et, comme de bons chats faisant un gros dos rond,
– Sans trop vous endormir pourtant, faites ron-ron.
Anonyme, « Principaux procès de
Presse », Le Bien
Public, 2 janvier 1877, p. 2.
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Janvier
On saisit le Tintamarre, cette saisie a été suivi d’un procès avec 50 fr. d’amende, pour quelques vignettes, si peu importantes qu’il n’avait crû nécessaire de les faire censurer.
Février
Condamnation du journal la France à 1,000 fr. d’amende, pour fausses nouvelles.
-Le journal l'Aigle, d’Ajaccio, est poursuivi, à la requête du procureur général, pour avoir publié la proclamation adressée de Wilhemsoehe, en 1871, au peuple français, et la faisant suivre d’attaques contre le gouvernement actuel.
— Condamnation à Alger du journal l’Akbar à 750 fr. d’amende et à 1.000 fr.de dommages et intérêts pour diffamation Contre M. Bourlier, candidat aux élections sénatoriales. L’imprimeur a été acquitté.
— Condamnation, sur la plainte de M. Buffet, de M. Lenoir, gérant de la République française, à un mois de prison et 2,000 francs d’amende. L’insertion du jugement est ordonnée dans cinq journaux de Paris et des Vosges. — Appel le 17 mars.
Condamnation du Progrès de l’Est a 1,000 fr. d’amende et 1,000 de dommages-intérêts en vers M. Ravinel, député des Vosges, sur la plainte de celui-ci. — Condamnation du Courrier de Bruxelles à 500 fr, de dommages-intérêts envers M. Cavalié, réfugié de la Commune, que ce journal avait désigné comme promoteur des grèves à Charleroi,
Mars
MM. Gustave Firscbach et Auguste Schneegans, l’un gérant, l’autre rédacteur du Journal d'Alsace, ont été condamnés chacun à un mois de forteresse pour avoir critiqué un arrêté du grand-duc de Mecklembourg.
Les Droits de l’Homme sont condamnés par le tribunal correctionnel de Meaux pour l’article : L’Amnistie et le centre gauche :
Deville, 3 mois de prison et 1,000 fr. d’amende ;
Chaplain, un jour de prison et 1,000 fr. d’amende.
Sur l’appel à minima du ministère public, la cour d’appel condamne, par défaut, le 7 avril :
Deville, six mois de prison et 1,000 fr. d’amende ;
Chaplain, trois mois de prison et 1,000 d’amende ;
Les imprimeurs, deux mois de prison et 2,000 fr. d’amende. Le jugement est confirmé par la cour d’appel le 4 mai.
— La 8° chambre correctionnelle de la Seine condamne le 29 mars, les Droits de l’Homme pour publication d'un journal sans dépôt préalable de cautionnement (par défaut) :
Chaplain, gérant, 500 f. d’amende ;
Les imprimeurs, 2,000 fr. d'amende.
Sur opposition du journal les Droits de l'Homme, le jugement, par défaut, du 20 mars est confirmé le Ilavril et l’amende dès imprimeurs réduite à 1,200 fr.
Le Progrès de l’Est est condamné, à la requête des Frères de la doctrine chrétienne, à 4,000 francs de dommages-intérêts. Ultérieurement la cour a confirmé cette condamnation.
Avril
Procès intenté à M. Ed. About, XIXe siècle, par M. Dariste de Chavannes, professeur à la Faculté des sciences de Lille. Diffamation dans le numéro du 8 mars, M. About est condamné à 500 francs d’amende.
M. Leguereau, gérant des Droits de l’Homme, parait devant la 9e chambre correctionnelle, pour défaut de dépôt au parquet des numéros les 12 et 13 avril ; il est condamné à deux amendes de 100 fr chacune.
Le gérant et l'imprimeur de l’Opinion nationale, pour avoir publié un journal à 5 centimes sans avoir versé de cautionnement, sont condamnés à 100 francs d’amende chacun. La cour confirme le jugement.
Mai
La 10e chambre correctionnelle condamne les Droits de l'Homme pour un article intitulé : la Réunion de la rue d’Assas, dans la personne du gérant Bolâtre, à 2 mois de prison et 3,000 francs d’amende (3 mai).
— La 11e chambre condamne les Droits de l’Homme pour avoir publié une lettre signée Adolphe Clémence, condamné de la Commune, à 500 francs d’amende (11 mai).
— L'Univers, attaqué en diffamation par M. Guyot-Montpayroux, est condamné à 100 fr. d’amende et 200 fr. de dommages-intérêts, et à l’insertion du jugement dans trois journaux.
— Le pourvoi en cassation de la République française contre l’arrêt de la cour d’appel du 17 mars, la condamnant à un mois de prison et 2,000 fr. d’amende pour outrages à M. Buffet, est rejeté.
Le Progrès des Côtes-du-Nord, prévenu d’avoir injurié le corps des officiers de l’armée territoriale, est condamné à un mois de prison, 2,000 francs d’amende et aux frais. — Lo 1 jugement est confirmé par la cour d’appel. Le Journal des Charentes, attaqué en diffamation par la Bibliothèque coopérative et par MM. le docteur Brard et Siret, est condamné successivement à 100 francs d’amende, 100 francs de dommages-intérêts ; 100 francs d'amende et 200 francs de dommages intérêts et les insertions à la première page du Journal des Charentcs , et à 50 francs d’amende et 50 francs de dommages-intérêts.
L’Estafette, ayant publié une lettre signée Henri Rochefort est condamné à 500 francs d’amende.
Juin
La 11e chambre condamne les Droits de l'Homme pour avoir publié les numéros des 24, 25 et 26 mai, alors que le prélèvement d’une amende avait entamé le cautionnement à 3,000 fr. d’amende (9 juin). La cour abaisse l’amende à 2,000 fr, (12 juillet).
— La 9e chambre jugeant que les articles signés X... sont d’Henri Rochefort, condamne par défaut les Droits de l’Homme à deux amendes de 5,000 fr., avec exécution provisoire.— L’opposition est repoussée le 7 juillet. Et la cour confirme le jugement le Ilaoût tout en supprimant la solidarité de deux gérants.
— La Fronde est condamnée à 15 jours de 1 prison et 1,000 fr. d’amende pour publication d’articles politiques dans ledit journal non cautionné (4e chambre, Marseille).
— Le Bien public pour la « Lettre du pays des soutanes), du 17 mai 1876, est condamné par défaut par la 9e chambre : M. Tailliez, gérant, à 3 mois de prison et 2.000 fr. d’amende M. Dubuisson, imprimeur, à 500 fr. d’amende.
Le journal L’Eclipse est condamné pour diffamation, sur la plainte de M. le baron d'Herpent, à 100 fr. d’amende.
Juillet
Le Progrès du Var est condamné à 500 fr. d’amende pour un article dirigé contre le maire d'Hyères, à propos de l'attitude dé ce fonctionnaire lors de l’exhumation des cendres de Michelet.
Un vaillant journal, le Courrier de la Moselle, est saisi.
La 9e Chambre, sur la plainte de M. Duke, condamne le 28 juillet, les Droits de l'Homme À 2.000 fr. d’amende et insertion dans 10 journaux de province.
La Cour confirme le jugement, par défaut, le 30 août, et contradictoirement le Iloctobre en fixant à 200 fr. le maximum des insertions à Paris et à 100 fr. en province.
Août
MM. Richepin, homme de lettres, Decaux éditeur, et Debons, imprimeur, sont condamnés, le premier à un mois de prison et 500 francs d’amende, les deux autres à 500 fr. d’amende pour la publication du volume intitulé : la Chanson des Gueux.
La cour d’appel confirme le jugement de la 9e chambre qui condamne M. Alfred Tailliez, gérant du Bien public, à trois mois de prison et 2,000 fr. d’amende. (Affaire du Pays des Soutanes.)
M. Louis Thésia, rédacteur du journal bonapartiste le Mont-Blanc, est condamné à 150 fr. d’amende pour coups et blessures avec canne plombée.
La 8e chambre correctionnelle condamne les Droits de l'Homme à trois mois de prison et 3.000 fr. d’amende, pour offenses envers la Chambre des députés (24 août).
La cour d’appels correctionels confirme par défaut le 26 août, et le 30 la cour annule l’arrêt du 26 — Le jugement primitif est confirmé par la cour le 27 septembre.
Le Journal L’Iroquois, qui n’a vécu que huit numéros, est condamné par la 11e chambre à 350 fr. d’amende.
Le journal le Frondeur, de Montpellier, est condamné à 1,000 fr. d’amende pour articles politiques.
Septembre
Le journal l’Yonne est condamné à 50 fr. d’amende et 60 fr. de dommages-intérêts, sur la plainte de M. Moiron, maire de Blaimay, et bonapartiste avéré.
— La cour d’assises de la Seine condamne M. Gardron, gérant de la Tribune, à trois mois de prison et 4,000 fr. d’amende, pour n'avoir pas respecté les membres du clergé.
Octobre
L’Echo de Vincennes, pour publication d’articles politiques dans un journal littéraire est condamné à huit amendes de 16 francs ; huit contraventions et à une amende de 20 francs pour le délit.
— Le journal la Comédie est condamné par la 9e chambre à 200 d’amende pour publication d’un dessin (le clergé) non autorisé.
— Le journal la Numidie ayant diffamé M. Lucet, sénateur de l’Algérie, est condamné à 1,000 fr. d’amende.
La 10° chambre condamne pour la brochure De la nécessité de l'amnistie, M. Xavier Raspail, à huit mois de prison, 1,000 fr. d’amende, M. Dubuisson, à 500 fr. d’amende.
Le tribunal correctionnel de Bourg condamne le journal le Progrès de l'Ain, pour compte-rendu infidèle d’un procès et injure à la magistrature, à 3,000 fr. d’amende et aux dépens. Insertion dans les journaux de l’Ain et affichage dans les communes, au nombre de dix exemplaires par commune.
-La dixième chambre condamne le 27 octobre, par défaut, M. Rigout, gérant du journal les Droits de I’Homme pour l’article Gloire aux Vaincus, à deux ans de prison, 4,000 francs d’amende, avec exécution provisoire ; — statuant sur l'opposition du journal, la dixième chambre confirme le 4 novembre le jugement du 27 octobre en réduisant la prison à un an. — La cour confirme le juge ment par défaut le 18 novembre, et contradictoirement le 25 novembre.
Novembre
La Sentinelle de Nancy est condamnée à quatre mois de prison et à 4,000 fr. d’amende pour diffamation envers l’armée (4 novembre). Le jugement est confirmé par la cour. — La 8e chambre correctionnelle, sur la plainte en diffamation de M. Josse, marchand boucher, condamne la Liberté à 16 fr. d’amende et 25 fr. de dommages et intérêts, et la Petite République française, par défaut, à la même peine.
Cour d’appel de Paris. — La Chanson des Gueux, de M. Jean Richepin, sur l’appel a minima du procureur général ; confirmation du jugement du 26 août et y ajoutant la suppression et la destruction du livre saisi.
— Sur la plainte de Mme de Montijo, les Droits de l'Homme sont condamnés par la 10e chambre, le 16 novembre, à 1,000 francs d'amende, 1,000 fr. de dommages-intérêts et à l’insertion dans des journaux de Paris et des départements. — Le jugement est confirmé par la cour le 22 décembre.
— Le tribunal correctionnel d’Alger, sur la plainte de Mme de Montijo, condamne les Droits de l’Homme par défaut à 600 fr. d’amende avec insertion dans plusieurs journaux.
Sur la plainte du Père Dulac, et sur la plaidoirie de M. de Germiny, le Bien-public, la République française, la Petite République, et le Peuple, sont condamnés à 2,000 fr. d’amende et à l’insertion dans dix journaux de Paris et vingt journaux de province ; on fixe A 6,000 fr. le prix des insertions. (Affaire de l’Ecole polytechnique).
Affaire Montijo. — La 10e chambre condamne la Tribune et la Petite République à 1,500 fr. d’amende et 1,500 fr. de dommages et intérêts ; l’Evénement, le Siècle, le Peuple, l’Indépendance, à 1,000 fr. d’amende et 1,000 fr. de dommages et intérêts ; le Havre et le Courrier de l’Aisne, à 500 fr. de dommages et intérêts ; plus, les insertions en tête des journaux condamnés, dans sept journaux de Paris et huit de province.
Le journal clérical le Combat est condamné à 16 fr. d’amende pour diffamation. M. Tridon, reporter du Figaro, est condamné par la 9e chambre de police correctionnelle à quinze jours de prison pour s’être présenté à l’Hôtel Dieu comme attaché au parquet, ce qui était faux.
L’Unité française est condamnée par le tribunal correctionnel de Grenoble, pour diffamation à 100 fr. d’amende, 500 fr. de dommages-intérêts, et à l’insertion dans trois journaux. La 9e chambre condamne le Peuple à 200 fr. d’amende pour compte-rendu de la plaidoirie de Me Floquet dans l’affaire Du Lac.
Le Figaro, poursuivi devant la 8e chambre pour offenses envers le Sénat et injure envers l’armée, est acquitté.
Le Gaulois, attaqué par M. Talandier, est acquitté par la 9e chambre.
Décembre
M. Tailliez, gérant du Bien public, sort de la prison de Sainte-Pélagie le 2 décembre. (Voir en juin.)
Par défaut de déclaration préalable, le journal républicain le Petit Nouvelliste est condamné A 1,000 fr. d'amende par le tribunal correctionnel de Pithiviers, et supprimé. Sur la plainte de M. Villemot, ancien membre des commissions mixtes, le journal L’Avenir de la Haute-Saône, est condamné par la Cour de Besançon à 2,000 fr. de dommages-intérêts, et à l’insertion dans un certain nom bre de journaux.
La 11e chambre condamne, le 7 décembre, les Droits de I’Homme pour l’article : « La Police des mœurs, » MM. Rigout à trois mois de prison et 1,000 fr. d’amende, Yves Guyot à six mois de prison et 3,000 fr. d’amende.
Le Petit Parisien est condamndé par la 8e Chambre corectionnelle, pour compte rendu de procès en diffamation, à 50 fr. d’amende.
Après refus d’insertion d’une réponse et sur la plainte de M. Arrazat, vice-président conseil général de l’HérauIt, l’Union national, organe légitimiste, est condamné à 300 fr. d amende, 3,000 fr. de dommages-intérêt et insertion du jugement dans un certain nombre de journaux.
Le tribunal correctionnel de Brest, condamne le Républicain du Finistère, à 500 fr. d’amende et un mois de prison.
Le journal la Vie mondaine, attaqué en diffamation par M. de Fontanes, rédacteur du journal le Monde élégant, est condamné à 150 fr d amende et 600 fr. de dommages et intérêts.
Procès de M. Bertron, candidat humain, contre l’Evénement. Le plaignant demandait l’insertion dans 1183 journaux. Inutile de dire qu’il est débouté. Sur la plaine de Mme de Montijo, sont condamnés
L’Avenir de la Vienne, à 300 fr. d'amenda avec insertion dans 4 journaux, par le tribunal correctionnel de Poitiers.
L’Yonne, à 1,500 fr. de dommages et intérêts, 300 fr. d’amende, et insertion dans 10 journaux, par le tribunal correctionnel de Lyon,
Le Progrès libéral à 200 fr. de dommages-intérêts, 100 fr. d’amende et insertion dans un journal, par le tribunal correctionnel de Toulouse.
La Dépêche, à 200 fr. de dommages et intérêts, 300 fr. d’amende, et insertion dans un journal, par le tribunal correctionnel de Toulouse.
L’Indépendant de l’Oise, à 300 fr. de dommages et intérêts, 300 fr. d’amende et insertion dans plusieurs journaux, par le tribunal correctionnel de Clermont.
Le Mémorial des Deux-Sèvres à 200 fr. de dommages-intérpets, 200 fr. d’amende et insertion dans plusieurs journaux, par le tribunal correctionnel de Niort.
L’Indépendant de la Charente-Inférieure à 100 fr. de dommages-intérêts, 300 fr. d’amende et insertion dans quatre journaux, par le tribunal correctionnel de La Rochelle.
Georges Mayrant, « Revue du
jour », Le Gaulois, 3
janvier 1877, p. 3.
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M. Jean Richepin publie dans la Lune rousse la chronique scandaleuse des chiens viveurs :
J'en connais deux qui sont toujours ensemble, qui n'appartiennent, à personne, qui n'ont ni collier, ni laisse, ni muselière, et qui font la noce…
Tout le monde les a rencontrés, sans y faire attention, sur le coup de huit heures du soir, au moment du café, flânant, le long du boulevard, entre la rue Montmartre et la place de l'Opéra.
Car ce sont des boulevardiers, et même des noctambules.
Ce qu'ils font de leur matinée, et même de leur après-midi, je l'ignore. Sans doute ils nichent dans quelque trou de la banlieue, au pli d'un terrain vague, à l'abri d'une bâtisse abandonnée, ou dans un coin des Halles. Peut-être même changent-ils de domicile tous les jours, selon le hasard, la veine, l'endroit où ils sont quand ils ont envie de dormir. Ils sont assez bohèmes pour cela. Là-dessus, personne ne connait leur secret.
Mais je sais leur vie de huit heures du soir à cinq heures du matin.
A huit heures du soir, ils commencent leur tournée par le Suède et le Madrid, et vont ainsi de café en café, récoltant des coups de pied et des morceaux de sucre.
C'est leur absinthe avant de souper ; car ils soupent. De minuit à trois heures du matin, ils se faufilent dans tous les restaurants nocturnes. Ils entrent doucement, la queue entre les jambes, l'oreille basse, l'échiné de guingois, le nez inquiet, en sondeur. Les patrons et les garçons, qui les connaissent, les guettent souvent pour les flanquer à la porte et leur casser des cannes sur le dos. Mais ils sont plus fins que les patrons et les garçons, ils attendent le moment où on a la tête tournée, ils profitent du moindre éclair de sécurité, et ils se glissent d'un trait sous une banquette, les peinards !
Quelquefois, un consommateur qui les a rencontrés sur le trottoir les amène avec lui. Il faut voir alors comme ils se redressent, comme ils portent beau, comme ils prennent des airs de chiens sérieux et arrivés. Zut pour les patrons, et du flan pour les garçons !
Ces soirs-là on monte sur la banquette pour manger, et l'on traine sur le velours des os bien gras, et, sur l'ordre du monsieur protecteur, le garçon apporte de l'eau dans une soucoupe dorée pour tremper les babines du toutou qui rigole.
Ah ! il y a comme ça de bonnes aubaines. Il y a même des fois où on veut les emmener coucher, leur faire un sort. Mais pas de ça, Lisette. Mes deux chiens sont indépendants. Et ils lâchent brusquement ceux qui leur font des propositions déshonnêtes. Ils ne songent pas à la vieillesse qui vient, au jour où ils auront le nez moins fin, les pattes fourbues, les reins cassés ; ils ne voient pas à l'horizon la fourrière, la hideuse fourrière où on les pendra. Pauvres caniches déclassés ! ils ne pensent jamais à se faire une position.
[…]
GEORGES MAYRANT.
Robert Briquet, « La Lune
rousse », Le
Tintamarre, 14 janvier 1877, p. 2.
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Nous sommes heureux de souhaiter la bienvenue au nouveau journal d’André Gill, qui retrouvera certainement la vogue de l’ancienne Lune, dont le spirituel et puissant caricaturiste a fait jadis le succès.
Ce ne pourrait être pourtant qu’à la condition de ne pas trop agacer son public avec des poésies grotesques et puantes de prétention, du genre de celles que nous remarquons dans deux de ses derniers numéros et signés : Jules Dementhe.
Ce versificateur ampoulé vise, sans le moindre succès, depuis une vingtaine d’années, au réalisme dans lequel Richepin s’est fait un nom en trois mois.
Oui, mais voilà… Richepin, c’est Richepin, et Jules Dementhe… ce n’est rien du tout.
Richepin a la puissance, la couleur, l’originalité, l’observation. Jules Dementhe est sec, maniéré, boursouflé, redondant, et par-dessus tout profondément ennuyeux.
Les efforts qu’il tente pour arriver à décrocher un effet, sans cesse rebelle à sa muse de pion d’externat, sont véritablement pénibles et navrants.
Tantôt il torture la raison au profit de la rime, comme dans ce vers :
« le vacarme,
» Hurlant sur ses talons de quelque émeute de ARME, »
dédaignant la règle qui défend d’employer le mot armes au singulier dans cette acception.
Tantôt il massacre la rime et la raison à la fois au profit de… rien du tout, comme dans ce vers inepte et albert-millaudien :
« Ne lui ferait dresser l’oreille ni les yeux ».
« Dresser les yeux » est un chef d’œuvre.
Nous nous étonnons que Gill, dont la plume de poëte vaut le crayon de dessinateur, pousse la complaisance jusqu’à laisser emm…agnarder sa feuille coquette et spirituelle par d’aussi piètres élucubrations.
Gill est obligeant et bon, tout le monde le sait…
Mais il doit y avoir des lampes à faire dans les bureaux de rédaction de la Lune rousse.
Robert Briquet
Anonyme, « Les Morts bizarres, par M. Jean
Richepin », L’Homme
Libre, 16 janvier 1877, p. 3-4.
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M. Jean Richepin, que la nature a doué de belles et fortes qualités de poète et d’écrivain, a le tort grave de professer la théorie de Baudelaire : étonner le public à tout prix. Il la conseillait, en la pratiquant lui-même, à un ami, dans la Chanson des Gueux, et c’est encore elle qui lui a inspiré les nouvelles réunies sous ce titre : les Morts bizarres. La Chanson des Gueux nous avait présenté M. Richepin comme un disciple de François Villon, plus cynique que son maître ; les Morts bizarres nous le montrent comme un imitateur exagéré d’Edgar Poe. A ses poésies, il manquait le charme et la naïveté de Villon ; à ses nouvelles, il manque la conviction d’Edgar Poe. L’auteur du Cas de M. Valdemar, du Chat noir, du Puits et du Pendule, de Ligeia, etc., croyait à ses récits et vous faisait partager sa croyance. Dans M. Richepin, vous sentez, au contraire, un sceptique, et l’accumulation et la recherche de ces effets à outrance étonnent à vous émouvoir.
Ceci dit, passons à l’examen des Nouvelles de M. Richepin.
Constant Guignard est l’histoire d’un pauvre diable, voué à la malchance. Son guignon commence avec sa naissance. Venu avant terme, sa mère meurt en accouchant, et son père se pend par désespoir. Au collège, son temps se passe à faire des pensums qu’il ne mérite pas, à recevoir des coups destinés aux autres et à acquérir, malgré son intelligence et son travail, la réputation d’un cancre et d’un cafard. Aux examens du baccalauréat, il fait la version de son voisin, qui est reçu, et il se voit refusé sous l’inculpation d’avoir copié la sienne.
Entré dans une maison de commercé qui brûle le lendemain, Constant Guignard se jette dans les flammes pour sauver la caisse de son patron ; il enfonce le coffre-fort scellé au mur, en enlève les valeurs, que le feu consume dans ses mains, et il est condamné à cinq ans de prison pour avoir essayé, à l’aide d’un incendie, de s'approprier la fortune d’autrui.
A la maison centrale, où il fait son temps, Constant Guignard s’interpose dans une révolte pour sauver un gardien, qu’il parvient ainsi à faire massacrer par les rebelles, ce qui lui vaut vingt ans de déportation à Cayenne.
De retour en France, après une évasion heureuse, Constant Guignard fait écraser dans une foule un vieillard, deux femmes et trois enfants, en voulant arrêter un cheval emporté, attelé à une voiture vide. L’argent qu’il donne à de pauvres ménagères est dépensé au cabaret par leurs maris. Les tricots qu’il distribue à des ouvriers habitués au froid leur procurent des fluxions de poitrine. Il recueille un chien errant qui donne la rage à six personnes du quartier. Il achète pour un jeune homme intéressant un remplaçant qui vend à l’ennemi les clés d’une place forte. Il adopte et fait élever, avec la tendresse d’un père, une jeune fille qui, à dix-huit ans, s’éprend de lui, et qu’il trouve un matin couchée au travers de sa porte, un couteau dans le cœur, parce qu’il lui a offert de la doter et de la marier à un autre.
Répugnant à dénoncer un de ses amis qui va commettre un crime, Constant Guignard se mêle intimement à l’action pour la déjouer, mais son ami, qui l’a deviné, s’arrange de manière, le crime commis, à le faire arrêter et condamner à sa place.
Au moment d’être guillotiné, Constant Guignard annonce au bourreau qu’il lui a légué sa fortune, et l’exécuteur, ému d’une pareille générosité, s’y prend à trois fois pour couper le cou à son bienfaiteur.
Enfin, un ami touché des vertus méconnues de Constant Guignard, lui achète une concession à perpétuité, lui commande une tombe en marbre, et lui écrit une belle épitaphe, mais il meurt le lendemain d’un coup de sang et l’ouvrier marbrier grave ainsi l’épitaphe : Ci git, Constant Guignard, homme de rien !
Juin, juillet, août nous racontent la mort d'un égoïste forcené qui, appelé en Amérique par un héritage à recueillir, s’embarqua avec provisions de bouche, pharmacie de poche, ceinture hypogastrique contre le mal de mer et appareil de sauvetage. Les provisions sont avariées par l’embrun, la pharmacie est brisée par un coup de roulis, et la ceinture augmente les nausées de l’égoïste. Le navire touche, près du port, contre un écueil et sombre, mais notre homme surnage, grâce à son costume de gutta-percha. Il repousse son compagnon d’infortune qui voulait s’accrocher à lui ; il prend un nourrisson que lui tendait une pauvre mère sur le point d’être engloutie, et le laisse retomber dans la mer après s’être emparé de son biberon, rejeté sur le rivage, l’égoïste s'accroche à un rocher, en arrache des huîtres et des moules dont il se repaît et y est enfin recueilli par des pêcheurs qui l’installent dans un bon lit et lui font prendre un cordiale énergique. Mais tout à coup il est pris de crampes d’estomac, suivies de tranchées, et on appelle un vieux médecin qui constate, à son grand étonnement, un empoisonnement. « Un empoisonnement ! » s’écrie notre égoïste. « Dans quel mois sommes-nous ? » — « En juin, » lui répond-on. — « Alors, je suis perdu ! » et il expire en murmurant :
Juin, juillet, août, Ni huîtres, ni femmes, ni choux !
Dans l'Assassin nu, un ancien forçat qui a cru nécessaire de se dénuder complètement pour massacrer deux vieillards, s’aperçoit dans une glace, s’effraye de cette apparition et, en voulant la tuer, se précipite sur la glace, la brise en tombant à travers et se coupe ainsi l'artère de la gorge.
Un empereur, ou le suicide, dans un water-closet du passage Jouffroy, d’un jeune fou qui, ne pouvant être empereur et vivre comme Héliogabale, veut au moins mourir comme lui, dans des latrines.La Paille humide des cachots, Un prisonnier, pour ennuyer ses geôliers et blaguer la justice, prend la résolution de faire sécher la paille. Le soleil n'entrait guère qu'une demi-heure par jour dans son cachot. Sa botte de paille se composait de trois mille trois cent sept brins, Pour sécher un brin, il fallait au prisonnier trois quarts d’heure. En mettant que le soleil ne brille en moyenne qu’un jour sur trois, sa botte de paille, pour cesser d’être humide, exigeait donc seize ans, un mois, une semaine et six jours. Au bout de dix ans, le prisonnier avait sur la poitrine, sous les vêtements, deux tiers de sa botte de paille' parfaitement secs. Au bout de quinze ans, il ne lui restait que cent trente-six brins de paille humides ; mais une nuit, le prisonnier, en rêvant, renverse sa cruche sur sa poitrine et toute la paille se trouve mouillée. Alors, de désespoir, il mange sa paille et meurt d’une indigestion héroïque.
Un lâche. — Discours adressé par un individu qui n’ose se suicider à un ami qui, vaincu par son éloquence, le tue d’un coup de revolver.
Le disséqué. — Nous avons affaire ici à un étudiant en médecine qui veut prendre la matière en flagrant délit de pensée, c’est-à-dire analyser, disséquer un être vivant et tenir sous ses doigts un cerveau pensant. Faute d’un sujet de bonne vo longé, l’étudiant tenta l’expérience sur lui-même, et un beau jour on le trouvé dans la cuisine d’une crémerie, la poitrine dépouillée et les chairs à vif. Les nerfs blancs, les artères bleues, les muscles rouges, les aponévroses grisâtres, hideusement mis à jour, et la peau taillée en un grand lambeau carré retombant sur le ventre comme un tablier rose, constituent, on en conviendra, un aimable spectacle devant lequel trois spectateurs (insurgés de la Commune) ne peuvent moins faire que d’fisc respectueusement leurs képis.
Le chef-d'œuvre du crime — Un nommé Lapissotte, pauvre, sans talent, mais se croyant un homme de génie, débute dans la vie en prenant un pseudonyme et il continue à en changer pendant dix ans, sans parvenir à la gloire et en demeurant le plus inconnu, le plus obscur et le plus pauvre des gens de lettres. Il se décide alors à commettre un crime pour se prouver a lui-même sa supériorité intellectuelle, et il assassine une vieille dame assez habilement pour faire guillotiner à sa place un innocent.
Mais bientôt lui vient le désir, la tentation de raconter son crime et il en publie le récit dans la Revue des Deux Mondes, sous forme d'une confession, qu’il signe de son vrai nom : Oscar Lapissotte.
Le succès prodigieux de son Chef-d'œuvre du crime finit par irriter Lapissotte : Ie parce qu’on s’obstine à prendre son vrai nom pour un pseudonyme ; 2e parce qu’on lui attribue la gloire d’avoir inventé et non commis un crime. Il s’en déclare l’auteur et réclame comme sien le nom de Lapissotte.
On applaudit d’abord à son originalité de vouloir se faire passer pour un assassin; on va même jusqu’à le comparera Baudelaire ; puis on finit par se moquer de lui. Furieux alors, il court se dénoncer lui-même au juge d’instruction qui lui rit au nez et qu’il veut étrangler : et sur ce, on l’arrête et on l’envoie à Charenton.
Bonjour, monsieur, est encore l’histoire d’un homme de lettres incompris qui vise au rôle de chef d’école. Croyant avoir inventé le genre moderne, il cherche 1 expression propre de notre époque qu’il incarne, sous le titre de Bonjour, monsieur, d’abord dans un sonnet qu’il brûle, puis dans un drame qu’il détruit, ensuite dans un roman en dix volumes qu’il réduit à cinq, à deux, à un, pour arriver à une nouvelle de cent pages qu’il jette au feu pour rechercher en vain son sonnet. Enfin, à quatre-vingt-douze ans, il meurt en léguant à un ami la vie moderne condensée dans ces mots : Bonjour, monsieur.
La machine à métaphysique n’est Joint chose facile à analyser. Essayons cependant : Un fou croit à l’existence dans l’homme d’un sens de l'absolu, lequel, à la fois interne et externe, saisit son objet comme les sens externes, et immatériel comme les sens internes, et n'a absolument rien de commun avec les uns ni les autres. Pour exercer ce sens nouveau, il faut trouver un état dans lequel l’esprit ne serait occupé ni de sensations, ni de pensées. Rien de plus facile que de supprimer les sensations : c’est une affaire de nerfs à paralyser. Il est plus difficile de supprimer les pensées, mais on peut y arriver en atrophiant toutes les idées au profit d’une seule. Or, la douleur nerveuse produit l’extase et l’ébranlement dans lequel tout s’annihile, sorte de courant qui fond tout l’homme et permet à l’esprit d’être tout à l’absolu. I1 s’agit donc d’imaginer une douleur nerveuse continue, assez puissante pour vous jeter dans cette extase, et un appareil qui, tout en vous empêchant d’échapper à cette douleur, vous permette d’écrire vos visions.
Partant de ces données lumineuses, le fou commence par mettre dix ans à se rendre aveugle, sourd et muet. Puis, il invente un fauteuil dans lequel ses jambes seront prisonnières, et sa tête s’appuiera sur le long de l’oreillette de droite. Un tampon de fonte, recouvert de caoutchouc, lui maintiendra la bouche ouverte. Une vrille, à mouvement rapide et continu, s’enfoncera dans une dent creuse et parcourra un demi-centimètre de chemin en une heure. Un mécanisme fera courir lentement sous sa main droite un rouleau de parchemin sur lequel il écrira les perceptions.
Cet appareil, aussi simple qu’ingénieux, préparé, le fou s’y installe et, rivé au fauteuil par deux attaches de fer, il pousse un bouton qui met en mouvement les deux mécanismes, montés pour marcher une heure sans s’arrêter. Lorsque le domestique du fou entre dans la pièce où s’était enfermé son maître pour se livrer à cette adorable expérience, il le trouve mort : la main avait tracé des mots sans suite, et la vrille continuait à grincer dans la dent creuse. Et ce grincement c’était le rire de l’absolu !
Deshoulières est un fou d’une autre espèce, à la recherche, lui, de l’imprévu. Pour le trouverai tua sa maîtresse, l’embaume et continue à être son amant. Mais son crime est demeuré inconnu et Deshoulières va se dénoncer lui-même, ce qui était imprévu. Son avocat le défend de manière à enlever un acquittement, mais par amour de l’imprévu, Deshoulières demande la parole et démontre sa propre culpabilité si victorieusement qu’il parvient à se faire condamner à mort. Il ne s’agit donc plus pour lui que de se faire guillotiner d’une façon imprévue. Rien de plus simple, et au moments la planche bascule, Deshoulières se rejette en arriéré par un effort terrible et se fait ainsi décalotter le crâne comme un œuf à la coque.
Une histoire de l'autre monde, traitée plus sobrement au point de vue de l’horrible et de la bizarrerie, aurait pu devenir une œuvre vraiment dramatique et émouvante. Mais il a plus à M. Richepin de faire de ses deux héros, déportés comme insurgés de la Commune à la Nouvelle-Calédonie, deux types physiquement affreux, l’un de la force dit l’homme-taureau, l’autre de l’agilité dit la sauterelle, et d’entourer leurs aventures et leurs amours d’incidents si invraisemblables et si repoussants que les souffrances, l’amitié, le dévouement mutuels de ces pauvres diables ne parviennent pas à les rendre intéressants.
Il en est autrement, par exemple, de la Uhlane et du Chassepot du petit Jésus, deux épisodes de la guerre de 1871 tout à fait réussis. Que M. Richepin se résolve donc à être lui, à ne plus rechercher le succès dans le cynisme et l’effarement de ses lecteurs, et il arrivera, sans nul doute, à occuper la place à laquelle son talent lui donne droit d’aspirer et à s’y maintenir.
Février↑
A., « Lettres parisiennes du
dimanche », La
Gironde, 20 février 1877, p. 2.
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Je viens de parcourir un nouveau volume de vers de M. Jean Richepin, le fougueux auteur de la Chanson des Gueux. Ce livre, intitulé les Caresses, et publié chez l’éditeur Georges Decaux, sera certainement très remarqué. Il atteste que le jeune écrivain a franchi, et fort crânement, ma foi ! une nouvelle étape littéraire.
Désormais, on ne trouvera plus dans ses poésies la trace de l’effort. Son vers est souple et vibrant ; il n’est jamais vulgaire, il est souvent étonnant. M. Jean Richepin n’a plus gardé, de l’entrainement juvénile, qu’un certain goût pour les rythmes bizarres ; mais il faut bien lui passer quelque chose…
Après la Chanson des gueux, on pouvait douter encore et faire des réserves prudentes sur le compte de M. Jean Richepin. Après les Caresses, aucune hésitation n’est plus possible : un nouveau poète nous est né !
L’Homme qui lit [Jules
Poignand], « Les Poètes » Le Gaulois, 22 février 1877,
p. 3.
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Jean Richepin, le poète de la Chanson des Gueux, vient de publier un nouveau volume de vers chez Decaux. Je l'ai lu avec un plaisir réel, mais le mot « plaisir » rend mal l'impression que cette lecture m'a fait ressentir. Ce que j'ai éprouvé, c'est une vraie joie de lettre, cette joie d'artiste dans laquelle le présent entre toujours pour quelque chose et l'espoir pour beaucoup. On n'a pas souvent l'occasion de se trouver en présence d'un poëte. Je ne sais, pour ma part, rien d'aussi rare. C'est l'oiseau bleu, la rose noire, le phénix. Jean Richepin est un poëte, un grand poète à son second volume. Laissez venir les autres et vous verrez. Je ne crois pas me tromper. L'auteur des Caresses a tout ce qui constitue un maître avant le chef-d'œuvre : La science et la musique du vers et de la rime, la pensée forte, puissante, dominatrice, rêveuse, câline, la hardiesse, l'imprévu, l'accent, les défauts. Son nouveau volume m'a rappelé les premières toiles de Delacroix, avec leur belle furie de couleurs, leurs incorrections qui faisaient tomber les bras de Ingres. Bien des bras tomberont devant les vers de Richepin, devant ses fautes de goût, car le poète enjambe quelquefois ce garde-fou de la pensée. Il est encore dans l'âge de la gymnastique. Cela passe ; ce qui reste, c'est le talent.
Au moment de faire un choix, j'hésite. Reproduire un sonnet ce ne serait pas donner une idée suffisante de ce recueil où chaque page est marquée d'un cachet différent. Dans la première partie, le poëte semble s'être essayé à montrer toute la souplesse de son esprit et de son vers. Côte à côte, il a placé des sonnets grec, romain, moyen-âge, renaissance, Watteau, romantique, moderne, et tous ces sonnets paraîtraient de leur temps si la facture exquise du vers ne datait pas d'aujourd'hui. Cette suite de sonnets est comme une préface. Toutes les origines du talent de Richepin s'y trouvent avec l'histoire de la poésie. Autre embarras : à côté d'une chanson toute d'amour, montant du cœur aux lèvres comme les baisers, on rencontre un cri de chair comme le Goinfre, où la passion éclate, crie, hurle. Ceci n'est point un reproche. Il est bon que les poëtes soient des hommes. D'ailleurs, si la poésie se fait un peu réaliste, la faute en est à Lamartine et à Byron, qui ont créé les pâles et les fatals. Il faut bien que la réaction du bifteck ait lieu. Et le pis qui puisse arriver, c'est que la génération qui lira Richepin engraisse. Cela vaut mieux que de mourir de la poitrine comme la génération qui lisait Lamartine. Ceci dit, j'opte pour le Goinfre d’amour : l’amour vivant, dit le poète, n'est pas un délicat qui grignote du bout des dents, réglant son estomac et restant sur sa faim de peur d'être malade.
C'est un goinfre attablé qui, plus que de raison
Enivré de vin pur, gavé de venaison,
Ote le ceinturon qui lui gêne la taille
Et sans peur d'avoir mal au ventre, fait ripaille.
Il ne sait si demain sera jour de gala
Et veut manger de tout pendant que tout est là.
Ceci n'est que le début. Je cherche un contraste à ce tableau et je le trouve Dans les fleurs.
Mignonne, allons-nous-en dans un pays de songe,
Joli, capricieux, absurde, comme vous,
Azuré d'impossible et fleuri de mensonge,
Où les arbres, les eaux et le ciel seront fous.
Regardez ! le soleil sort de chez sa maîtresse
En galant négligé du matin, pâli, las,
Tandis qu'à l'horizon tramant sa noire tresse
Elle lui jette au nez des bouquets de lilas.
Lilas de l'aube, blancs lilas semés de perles !
Mettez à votre front ce nimbe gracieux.
La diane déjà chante au gosier des merles.
Les feuilles au réveil s'ouvrent comme des yeux.
Je voudrais citer encore : Les Fils du télégraphe, la Noce féerique, le Soleil riche, le Soleil pauvre, le Pendu Joyeux, Vieilles Amourettes, les Somnambules. Mais d’autres volumes de vers m’attendent. Il en a fleuri un grand nombre cette semaine.
Anonyme, « Librairie », Le Temps, 23 février
1877, p. 3.
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M. Jean Richepin, dont tout le monde a lu la Chanson des Gueux, vient de se placer au premier rang des poëtes contemporains par la publication d’un nouveau volume ayant pour titre LES CARESSES.
Anonyme, « Hier et
aujourd’hui », Le Petit
Parisien, 24 février 1877, p. 2.
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[…]
M. Jean Richepin vient de publier un second volume de poésies, qui ne sera pas moins remarqué que le premier.
Il est intitulé les Caresses, et il est plein de cette jeunesse et de cette fougue qui marquent les œuvres précédentes du poète des gueux, devenu du coup le poète des amoureux.
[…]
Anonyme, « Faits divers », La République Française,
25 février 1877, p. 3.
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site RetroNews. Article recensé par Yves Jacq.
M. Jean Richepin, dont tout le monde a lu la Chanson des Gueux, vient de se placer au premier rang des poëtes contemporains par la publication d’un nouveau volume ayant pour titre : Les Caresses.
Mars↑
Pierre Veron, « Livres », Le Charivari, 3 mars
1877, p. 2.
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C’est l’heure où la librairie parisienne reprend toute son activité.
Il y a la pousse des livres comme il y a la pousse des feuilles.
Commençons par la poésie.
Une forte réclame célèbre depuis une quinzaine de jours la gloire de M. Richepin, qui s’est placé au premier rang parmi les poètes modernes. On ne se dit pas de ces choses-là à soi-même
Mais il serait injuste de rendre l’auteur responsable de ces excès de zèle. Prenons donc ses vers comme ils sont, sans nous soucier des coups de grosse caisse qui les précèdent.
M. Richepin s’est fait naguère une notoriété de mauvais aloi en publiant cette Chanson des gueux dont il n’y a plus à parler, puisque la police correctionnelle est maladroitement intervenue, là où le bon goût devait seul faire justice.
Le poète de la Chanson des gueux traitait le public à coups de triques, Aussi, quel étonnement en lisant le titre de son nouveau volume, les Caresses.
Mais il ne faudrait pas s’y méprendre. Ces caresses-là mordent et rugissent. Ne pas s’attendre, sur la foi de l’étiquette,
A de petits vers doux et langoureux.
Telles pièces, par exemple : A Corps perdu, le Goinfre d’amour, ou la Salive de tes baisers sent la dragées (sic), tient plutôt encore du hoquet que du soupir. Et l’on retrouve malheureusement çà et là l’intention d’épater le bourgeois, intention qui exclut toute sincérité dans l’accent.
C’est le grand défaut de M. Richepin. La pose ! Ah ! s’il voulait être simple ! Ah ! s’il ne préméditait pas ses violences à froid ! Ah ! s’il ne cherchait pas à être le Clodoche de la poésie !
Cela viendra, n’en doutez pas. Cela a commencé déjà à venir dans certaines pièces des Caresses.
Car ce n’est pas un médiocre que cet attroupeur de badauds ! Car il a le souffle, il a l’adresse de la forme, il a même le charme et la pensée quand il veut… ou quand il peut.
Voilà que la première partie de son programme est réalisée. Il est connu. Cela ne suffira pas, j’en suis convaincu, à son ambition intime. Faire un rassemblement, la belle affaire ! La première virago venue qui se fait casser des pavés sur le ventre obtient le même résultat tout de suite.
La muse de M. Richepin ne saurait se contenter d’être cette virago-là. Quand on peut voler, il est impossible qu’on s’obstine à patauger.
Il y a dans les Caresses de vrais beaux vers. Il y en aura encore davantage dans le prochain volume. A mesure que le limon déposera, les paillettes d’or apparaîtront.
Robert Briquet, « Jean
Richepin », Le
Tintamarre, 4 mars 1877, p. 6.
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Après la Chanson des Gueux et ses âpres hardiesses de réalisme, voici un nouveau volume de poésies, non moins hardies, mais plus tendres. Cette fois, le poète des Bains à quatre sous chante l'amour comme il le comprend : chaud, ardent et souvent terrible.
(Que l'on en Juge par ce préambule expressif de son livre)
DÉCLARATION
L’amour que je sens, l’amour qui me cuit,
Ce n’est pas l’amour chaste et platonique,
Sorbet à la neige avec un biscuit ;
C’est l’amour de chair, c’est un plat tonique.
Ce n’est pas l’amour des blondins pâlots
Dont le rêve flotte au ciel des estampes.
C’est l’amour qui rit parmi des sanglots
Et frappe à coups drus l’enclume des tempes.
C’est l’amour brûlant comme un feu grégeois.
C’est l’amour féroce et l’amour solide.
Surtout ce n’est pas l’amour des bourgeois.
Amour de bourgeois, jardin d’invalide !
Ce n’est pas non plus l’amour de roman,
Faux, prétentieux, avec une glose
De si, de pourquoi, de mais, de comment.
C’est l’amour tout simple et pas autre chose.
C’est l’amour vivant. C’est l’amour humain.
Je serai sincère et tu seras folle,
Mon cœur sur ton cœur, ma main dans ta main.
Et cela vaut mieux que leur faribole !
C’est l’amour puissant. C’est l’amour vermeil.
Je serai le flot, tu seras la dune.
Tu seras la terre, et moi le soleil.
Et cela vaut mieux que leur clair de lune !
Fischbacher, « Les Caresses, par Jean
Richepin, Paris, Decaux, 1877. Un volume in-18 de 299 pages. Prix
3 francs », Le Courrier
littéraire, 10 mars 1877, p. 85-87.
L’auteur de la Chanson des Gueux avait une
revanche à prendre auprès du public, non pas au point de vue du
talent— car M. Richepin a beaucoup de talent, — mais de la morale.
Cette Chanson des
Gueux, en effet, à part certaines pièces fort belles, et qui
détonent dans l’ensemble du livre, telles que le Bouc, n’est guère
que le tableau très-réaliste des vices les plus ignobles de notre
époque, et de l'ivrognerie en particulier; et, sans approuver la
mesure qui a déféré le livre à la justice, estimant qu’en pareille
matière le public est le véritable juge, nous sommes autorisés à
dire que M. Richepin avait de ce côté une revanche à prendre, et
qu’il devait d’autant plus la désirer, que son talent de poète est
plus incontestable. A-t-il pris cette revanche ? Nous croyons
qu’il en a eu l’intention, mais nous
ne sommes pas
très-persuadé qu’il y soit parvenu. Dans son premier livre, il
avait beaucoup chanté l’amour, comme il avait beaucoup chanté le
vin. Dans celui-ci il célèbre moins le vin, mais presque
exclusivement l’amour. Les
Caresses : ce titre le dit assez. Nous ne chicanerons
cependant pas M. Richepin sur le choix de son sujet : de tout
temps il a été le thème favori des poètes, et a produit
quelques-uns des plus admirables chefs-d’œuvre littéraires de
l’humanité. Mais il y a amour et amour : et celui de M. Richepin
n’est pas positivement celui que nous aurions voulu lui voir
choisir pour objet de ses inspirations poétiques : cet amour dont
il a dit au seuil même de son livre ;
L’amour que je sens, l’amour qui me cuit,
Ce n’est pas l’amour chaste et platonique,
Sorbet à la neige avec un biscuit ;
C’est l’amour de chair, c’est l’amour tonique.
C’est l’amour qui rit parmi des sanglots
Et frappe à coups drus l’enclume des tempes.
{86}
Pas plus que M. Richepin, nous ne nous plaisons au spectacle de l’amour platonique, genre et sentiment également faux. Mais il ne faudrait pas cependant confondre, comme il le fait, l'amour platonique et l’amour chaste. La chasteté est une vertu et une force et nous semble tout à fait inséparable du véritable amour.
Quant à son amour de chair et qui n’est pas chaste, nous craignons bien, malgré l’affirmation de M. Richepin, qu'il ne soit pas plus tonique qu’il n’est chaste. L’amour véritable sera toujours chaste, parce que l'honnête homme respectera toujours dans son corps la femme qu’il aime véritablement, et cet amour pourra être, comme dit M. Richepin, un amour do chair, sans cesser pour cola d’être chaste. L’amour, tel que le comprend M. Richepin, est l’amour des bêtes, l’amour des fauves, plus que celui des hommes.
Puisqu’à mon fauve amour tu voulus te soumettre,
Il faudra désormais le nourrir comme un maître,
Et tu sais qu’il est plein d’appétits exigeants.
Un féroce mangeur ! Il n’est pas de ces gens
Qu’un morceau de pain sec rassasie et contente.
Ce qu’il demande, lui, c’est la chair palpitante,
C’est ton corps tout entier, c’est ton être absolu,
Et tout le nécessaire et tout le superflu
Serait à peine assez pour notre convoitise.
Telle est la note dominante de ces poésies,
et on la retrouve avec plus d’acuité encore dans nombre de pièces
que nous ne pourrions citer, telles que au Théâtre, une Fantaisie, Insatiablement, et même celle de Paris,
où bien des qualités littéraires sont gâtées par la brutalité
réaliste de certains tableaux qu’il vaudrait mieux voiler que
mettre en lumière : J’ai connu les rideaux du fiacre hasardeux,
s’écrie, en un endroit M. Richepin. Ce sont là des confidences que
le public ne lui demandait pas, pas plus peut-être que la muse.
Mais cotte part faite à la critique, il est juste de reconnaître
que M. Richepin est un vrai poète, que ses vers sont énergiques et
sonores, venus souvent d’un seul jet ; qu’il a une manière à lui,
et que si sa tendance à l’originalité lui fait souvent trop
hasarder, du moins il n’est jamais banal. Ces qualités nous les
rencontrons surtout dans les divisions de son recueil qu’il a
intitulées Brumaire et Nivôse, que, sous le rapport du talent
aussi bien que de la moralité, nous préférons beaucoup à celle de
Thermidor, L’automne et même l’hiver de l’amour l’eût mieux
inspiré que son été. On v entend de vrais accents partis du cœur,
et souvent d’un cœur meurtri. L’amour, même celui que chante M.
Richepin, ne rit pas, ne mange pas et ne boit pas toujours ; les
pleurs voilent parfois ses yeux, et sur ses lèvres les sanglots
succèdent aussi au rire. Les vers où cotte tristesse, cette
amertume du bonheur— ce nescio quai amare voluptas que
connaissait déjà Lucrèce— ont laissé leur trace, sont, à notre
avis,
les meilleurs que M. Richepin ait écrits, et c’est bien
d’eux que l'on pourrait dire, avec Alfred de Musset,
Les chants désespérés sont les chants les plus beaux
Et j’en sais d’immortels qui sont de purs sanglots.
{86}
Ces sanglots ne durent pas chez notre poëte, mais comme ils sont sincères et viennent de l’homme même, ils émeuvent et prouvent que le beau émane véritablement de l’âme.
Paul Demeny, « Chronique », Le Bien Public, 11 mars
1877, p. 2.
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En amour comme à table, il y a gourmands et gourmets.
Je sais bien qu’il est de mise aujourd’hui de railler Lamartine et Byron, qui sont, prétend-on, de l’école des poitrinaires ; mais, quoi qu’on fasse pour fonder une société de fonte et de fer, boulonnée, graissée, agencée à l’instar d’une machine, il y aura encore, comme on l’a très bien dit, des heures où l’on éprouvera la joie d’aimer, le bonheur de cueillir les fleurs de la route, toujours fraîches malgré les escarbilles du coke, et de regarder un pan du ciel, toujours bleu malgré les fumées des usines.
Le hasard fait que le même jour, deux livres de poëtes amis se trouvent côte à côte, sur ma table, l’Exilée, de François Coppée et les Caresses de Jean Richepin. Quelle dissonance ! Un rêveur, un nuageux, un sentimental et un matérialiste, un réaliste, un brutal.
Le parallèle est piquant à faire et je veux le tenter.
Tous deux sont jeunes : Coppée a déjà donné sa note ; il a un nom dans les lettres et tout son tort c’est d’avoir débuté par un petit chef-d’œuvre, goûté des délicats, le Passant. Richepin, un vieux camarade de collège, a attendu pour casser les vitres.
Il n’y a pas été de main morte, la Chanson des Gueux l’a mené droit à Sainte-Pélagie. Quelle gloire ! La paille humide des cachots pour un volume de vers ! c’est rare. Aussi, s’est-il dit : on me coffre pour chanter la société que je rêve, je vais chanter l’amour comme je l’entends :
C’est un goinfre attablé qui, plus que de raison
Enivré de vin pur, gavé de venaison,
Ote le ceinturon qui lui gêne la taille
Et sans peur d’avoir mal au ventre, fait ripaille
Il ne sait si demain sera jour de gala,
Et veut manger de tout pendant que tout est là…
Voilà bien le gourmand.
Coppée, le gourmet, s’exprime autrement :
Pour monter d’un coup d’aile au sommet de la tour,
Pour emplir de clarté l’horizon noir d’orage
Et pour nous enchanter de son puissant mirage,
Quel temps faut-il à l’aigle, à l’amour ?
***
Richepin chante la chair, le triomphe des sens, les nuits folles, et tout cela, avec une fougue étonnante, un entrain qui enlève les plus froids, une foi robuste d’amoureux qui se vautre dans le plaisir :
L’amour que je sens, l’amour qui me cuit,
Ce n’est pas l’amour chaste et platonique,
Sorbet à la neige avec un biscuit ;
C’est l’amour de chair, c’est un plat tonique.
Foin des blondins pâlots ! Foin de l’amour bourgeois ! Foin surtout de l’amour de roman, faux et prétentieux ; c’est l’amour vivant, l’amour humain qu’il lui faut, et, comme il le dit en propres termes, l’amour « qui porte à la peau. »
Coppée ne sonne pas cette fanfare bruyante ; il module ses chastes sentiments sur le chalumeau, comme le poète de Mantoue :
A votre lampe, aux soirs d’été
Les papillons couleur de soufre
Meurent pour avoir palpité.
Ainsi mon amour, comme un gouffre
M’entraîne et je vais m’engloutir :
Ne me plaignez pas si j’en souffre
Souffrir pour une femme ! Allons donc ! Ce n’est pas une qu’il faut aimer,
La femme est un danger quand on n’en aime qu’une.
Aime-les toutes, c’est le parti le plus sûr ;
La brune aux yeux de nuit, la blonde aux yeux d’azur,
La rousse aux yeux de mer, et bien d’autres encore.
crie Richepin à son ami Bouchor.
Et pourtant, à côté de l’instinct quelque peu bestial et exprimé à l’avenant, le poëte des Caresses est souvent tendre, et même élégiaque. Ce singulier mélange ne manque pas de charme : que la passion hurle, éclate, parle en maîtresse, ou que le sentiment couve, triste et rêveur, loin de l’objet aimé, le vers est toujours plein, sonore, ciselé de main de maître. Rien de plus exquis, par exemple, que la pièce intitulée : Ses yeux :
Beaux yeux bleus aux lueurs profondes,
Comment mes vers oseront-ils
Voguer sur les mouvantes ondes
Que font vos changements subtils ?
Est-ce là du Coppée ou du Richepin ? C’est à s’y méprendre en vérité ! Le poëte de l’Exilée trouve, en effet, les mêmes accents :
Quand vous me montrez une étoile,
Pourquoi les pleurs, comme un brouillard,
Sur mes yeux jettent-ils leur voile ?
Quand vous me montrez une étoile,
C’est que je pense à son regard.
***
Le duo poétique pourrait continuer ainsi longtemps, les dissonances s’effaçant de plus en plus et concourant au même effet harmonique, car mes deux musiciens sont artistes à un haut degré, bien que dans des tonalités différentes.
Richepin m’enchante avec ses comparaisons gastronomiques, et sa voluptueuse fantasmagorie de l’amour matériel. Coppée me berce doucement avec ses rêves un peu gris, mais toujours tendres et touchants.
Dans le premier, il y a certainement plus de feu, plus de tempérament, plus de jeunesse et plus de force. Mais les désillusions du second, et son besoin d’aimer quand même, besoin moins impérieux, plus discret et de meilleure compagnie, séduiront bien des cœurs.
Du reste, Coppée ne peut pas être jugé sur ce fragment poétique qui n’est qu’un lambeau de mélodie échappé à sa lyre, et Richepin ne voudrait pas être jugé sans ressort sur un livre qui est encore une œuvre de jeunesse, mais qui le range déjà au premier rang des poètes contemporains.
On n’est pas plus ardent, plus hardi, plus révolutionnaire en amour, sans compter que, dans une série de sonnets, empruntant leur nom aux différentes époques littéraires, l’art du pastiche est poussé bien loin.
D’ailleurs, ni l’un ni l’autre n’a de tête-à-tête gênant à redouter, puisque, comme dit l’antique géométrie, les parallèles ne se rencontrent jamais.
Paul Demeny
Fabrice. W., « Les Caresses,
poésie par Jean Richepin ; 1 vol. in-18 », La Vie littéraire, 15 mars 1877, p.
3.
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Nous en avons été convaincu dès l’apparition du premier livre de M. Richepin : il y a deux hommes en lui : 1° Le poète de tempérament et d’instinct en même temps, savant en l’art des vers, d’un talent souple et varié ; 2° l'homme possédé du désir irrésistible de faire naître un grand brouhaha autour de ses productions. Cet homo duplex, nous le retrouvons dans les Caresses. Le sujet du livre, c’est l'amour : espoirs, désirs, bonheurs, jouissances, triomphes ; puis jalousies, désillusions, désespoirs, malédictions, regrets, enfin apaisements, consolations dans le souvenir des jours roses. A chaque saison, Floréal, Thermidor, Brumaire, nivôse, correspond une des phases amoureuses sus-indiquées. Notre cadre étroit nous interdit absolument l’analyse et la critique développée de ces pièces si nombreuses et si variées. Il faudrait nous arrêter d’abord aux sept Sonnets, grec, romain, moyen-âge, renaissance, Watteau, romantique et moderne. Le sonnet grec a nos préférences. Il nous parait impossible, techniquement, de faire mieux. La noce féerique, Le bateau rose. Le galant jardinier, sont de jolies divagations d’amoureux. Le goinfre d’amour, qui est dans les meilleures cordes de l’auteur, est une chose presque parfaite. Malheureusement quand nous arrivons aux jalousies, aux fureurs, nous ne pouvons plus guère admirer. Lorsque le poète parle de ses yeux de cuivre, il nous fait vaguement penser à un Othello de baraque à la foire aux jambons, et dans Les poisons inutiles nous sentons qu’il cherche l’horrible, mais nous trouvons qu’il rencontre l’écœurant et le ridicule. L’apaisement, la consolation dans les souvenirs heureux, nous rendent les jolies pièces délicates et artistement travaillées.
On pourrait nous accuser d’être encore trop resté sous l’impression du premier volume de M. Richepin et de hasarder un reproche que ne mérite pas son nouveau livre. C’est pourquoi nous citons les fragments suivants
L’AMOUR MALSAIN
Non, nous ne savons plus aimer comme nos pères.
Ils aimaient en lapins, nous aimons en vipères.
Ils avaient l’amour calme et faisaient des enfants,
Nous, nos plaisirs fiévreux ont des nœuds étouffants.
Notre bonheur n'est point le fade cataplasme,
C’est le vésicatoire aigu qui donne un spasme.
Nous cherchons le poison subtil et l’art nouveau
Qui vous crispent les sens, les nerfs et le cerveau.
Nous sommes dégoûtés de l’épouse placide,
Dont le baiser n’est pas rongeant comme un acide.
Vos amours, ô bourgeois, sont des fromages mous ;
Le nôtre, un océan d’alcool plein de remous.
Excusez-nous de ne point citer toute la pièce. L’espace nous fait défaut.
FABRICE W.
Maxime Gaucher, « Causerie
littéraire », La Revue
politique et littéraire, 24 mars 1877, p. 927.
[…]
M. Jean Richepin a l’oreille du public, et il en abuse pour y verser d’étranges choses. Son second volume de vers, les Caresses, quelque succès qu’il obtienne – et il obtiendra peut-être un succès Zola, – est absolument médiocre. J’y constate les défauts du premier sans y trouver les mêmes qualités de fantaisie originale. Ce n’est qu’une supposition, mais il ne m’étonnerait pas que le premier eût été composé avec le dessus du panier, et celui-ci avec le dessous, les pêches à quinze sous, dédaignées d’abord. Les caresses de M. Richepin sont étrangement brutales, si brutales que je ne puis décemment en donner une idée. Une courte citation m’en dispensera :
L’amour que je sens, l’amour qui me cuit,
Ce n’est pas l’amour chaste et platonique,
Sorbet à la neige avec un biscuit,
C’est l’amour de la chair, c’est un plat tonique.
Sur ce thème délicat, de nombreuses et lourdes variations. M. Richepin veut que nous soyons fixés sur son tempérament. Il montre son biceps et dit : Tâtez ! comme les Hercules forains. On pourrait chanter cela sur l’air populaire : Ça n’est pas d’la chair, c’est du marbre.
Le Théâtre-Français a donné une intéressante reprise du Joueur. J’en suis sorti avec cette conviction encore raffermie que décidément le chef-d’œuvre de Regnard n’est pas un chef-d’œuvre. Ah ! si Molière avait traité un pareil sujet ! Nous eussions eu une comédie touchant au drame sans y tomber jamais, comme Tartufe. Regnard l’a effleuré à peine.
Avril↑
André Theuriet, « Les poètes
contemporains : Jean Richepin (1) », La Vie littéraire, 5 avril 1877,
p. 1-2.
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Vers 1867, un petit groupe poétique, l’école parnassienne, s’épanouit à l’ombre de la renommée de trois maîtres poètes : — Baudelaire, Leconte de Lisle, Banville, — comme un semis de fleurettes bizarres à l’abri de trois beaux arbres de haute futaie. Dès cette époque, les esprits qui s’intéressaient encore à l’histoire littéraire eurent certaines raisons de pressentir que cette floraison un peu artificielle serait rapidement étouffée par un violent épanouissement de plantes plus sauvages et plus vivaces. En effet, toute proportion gardée, les Parnassiens, avec leur impassibilité voulue, leur dédain de la vie moderne, leur dogmatiste féroce en matière de prosodie, ressemblaient de loin à cette hautaine école de Malherbe qui, à la fin du XVIe siècle, régentait le Parnasse et s’attirait cette rude apostrophe de Mathurin Régnier :
Froids à l’imaginer, car s’ils font quelque chose.
C’est proser de la rime et rimer de la prose
Que l’art lime et relime et polit de façon
Qu’elle rende à l’oreille un agréable son,
Et voyant qu’un beau feu leur cervelle n’embrase
Ils attifent leurs mots, ajolivent leur phrase...
De même que le despotisme de Malherbe détermina une réaction et fit surgir des révoltés comme Théophile et Saint-Amand, le poète de Crevaille, ainsi les dogmes absolus, les formules étroites de l’école parnassienne ont provoqué une explosion de poésie tapageuse, un peu cynique et débraillée, mais au demeurant bien plus vivante et plus humaine. L’un des nouveaux venus, M. Maurice Bouchor, a dit vertement leur fait aux membres du Cénacle, et leur a déclaré tout net que leur régime débilitant ne saurait lui convenir ;
L’amour ne vous a pas tendu son large verre,
Le vin n’empourpre pas vos fronts décolorés :
Dans un air étouffant votre muse sévère
D’huile rance imprégna vos vers élaborés...
Mais nous, dont la vigueur encore se développe,
……………………………………………….
Sous ouvrons notre esprit à toute idée humaine.
et la réalité, toujours belle sans choix,
Nous découvre un plus large et plus riche domaine
Que les souvenirs grecs ou les rêves chinois.
Le chef de ces violents, le capitaine de cette bande de renverseurs de dieux, est M. Jean Richepin, l’auteur de cette Chanson des Gueux qui a reçu la férule du tribunal correctionnel et a dû à cette circonstance, non pas tout son succès, — car le livre est plein de talent — mais une publicité dont les volumes de vers, même les meilleurs, ne jouissent que rarement. On me dit que M. Richepin est sorti de l’Ecole normale. Allez donc croire après cela à l’influence des milieux ? Eût-on jamais supposé que de cet austère bâtiment de la rue d’Ulm, dont les couloirs sonores semblent hantés par de nobles périphrases et de solennelles prosopopées, dût jaillir une voix effrontée et narquoise, entonnant dans la langue de Villon ce cantique des gueux ?
Vous, que le chaud soleil a teints,
Hurlubiers dont les peaux binettes
Ressemblent à l’or des gratins,
Gouges au front plein de frisettes,
Mômignards nus sans chemisettes,
Vieux à l’œil cave, au nez rugueux,
Aux mentons en casse-noisettes,
Le poète est le roi des Gueux.
D’où qu’elle vint, la chanson était une gaillarde chanson, et le chanteur un hardi poète. De toutes parts, on lui a fait accueil, et cet audacieux a reçu du premier coup une bienvenue qu’on ne prodigue guère d’habitude aux poètes débutants. Il ne faudrait pas croire cependant qu’il n’y ait eu là qu’un succès de scandale, et que le tapage fait autour de ce livre ait été la principale cause de la réussite. Non, il y avait autre chose dans cette vogue extraordinaire. Les lettrés saluèrent dans ce nouveau poète deux qualités bien françaises : — l’esprit et le naturel, — deux denrées assez rares dans la poésie contemporaine, et qu’on ne rencontrait qu’à très petites doses dans les productions de l’école paroissienne.
Parmi les Parnassiens il y avait des virtuoses très-habiles, des psychologues raffinés et de subtils coupeurs de cheveux en quatre, mais leur cénacle sentait le renfermé ; — et la preuve c’est que les meilleurs d’entre eux se sont hâtés d’en sortir, dès qu’ils ont eu un public. Dans ce petit temple plein de parfums exotiques, on avait la nostalgie de la nature et du plein air. On n’y sentait ni sincérité ni passion vraie, et on était tenté de crier à cette poésie maladive et crépusculaire les mots que George Sand adresse à l’un de ses personnages : « Ouvre donc la bouche quand tu parles, pose donc les pieds quand tu marches, mange donc avec les dents, pleure donc avec les yeux, ris donc de la poitrine et non des sourcils... Si tu es une fleur ou un papillon, envole-toi ; si tu es morte, dis-le tout de suite ! » Avec M. Jean Richepin, on est tout heureux de retrouver une poésie bien vivante, bien en chair, ayant de robustes poumons dans la poitrine et du sang sous les ongles. Il suffit de lire la partie de la Chanson des Gueux intitulée les Gueux aux champs, pour reconnaître qu’on a affaire à un talent vigoureux et bien portant. Le vers de M. Richepin est plein, sonore et forgé de main d’ouvrier. Le poète se sert merveilleusement des ressources emmagasinées avec soin par l’école parnassienne ; comme ses devanciers, il sait trouver des coupes ingénieuses, des rythmes heureux, des rimes riches et neuves, mais de plus qu’eux il a l’émotion, le coup d’aile et une imagination féconde. Certaines pièces : Vieille statue, le Bouc aux enfants, Tristesse des bêtes, Idylles des pauvres, ont une sobriété lumineuse tout à fait grecque, avec une note de passion moderne. On y sent passer un souffle de Théocrite et de Burns, sans que cette double influence tourne jamais au pastiche. Chaque poème a une saveur, un accent tout personnels. On peut citer comme caractéristique de la manière originale de M. Richepin la pièce qui a pour titre : Oiseaux de passage.
Le poète décrit une cour de ferme, paisible et vulgaire, où, l’œil mi-clos, d’un air satisfait, tous les oiseaux domestiques : pigeons, canards, coqs et dindons, se prélassent dans un béat assoupissement. Tout à coup, bien haut dans le ciel, passe un grand vol d’oiseaux voyageurs, et cette apparition étrange met en rumeur la basse-cour. Les pigeons ont des cris de stupeur, et le coq jette un appel strident vers les hauts pèlerins du ciel. « Soyez donc calme, bourgeois ! s’exclame à son tour ironiquement le poète, il n’y a rien de commun entre eux et vous... »
Regardez-les passer ! Eux, ce sont les sauvages.
Ils vont où leur désir le veut, par-dessus monts.
Et bois, et mers, et vents, et loin des esclavages.
L’air qu’ils boivent ferait éclater vos poumons.
……………………………………………………..
Ils sont maigres, meurtris, las, harassés, qu’importe !
Là-haut chante pour eux un mystère profond.
A l’haleine du vent inconnu qui les porte
Ils ont ouvert sans peur leurs deux ailes. Ils vont !
La bise contre leur poitrail siffle avec rage,
L’averse les inonde et pèse sur leur dos.
Eux, dévorant l’abîme et chevauchant l’orage,
Ils vont loin de la terre, au-dessus des badauds.
Ce mélange de sarcasme, d’humour et de lyrisme ; cette pitié virile pour les choses, les bêtes, les pauvres gens ; ce naturalisme profond imprégné d’une vive sensibilité, on le trouvera dans Première gelée, Noël misérable, La petite qui tousse, etc., et surtout dans la sombre et magistrale pièce qui clôt le volume : La fin des gueux, un morceau peint à larges coups de pinceau, avec une fougue sauvage et mélancolique. Je laisse de côté les sonnets bigornes, et les chansons à boire, où M. Richepin semble avoir pris trop au sérieux son rôle de disciple de Villon ; je n’y vois que des espiègleries regrettables, n’ayant rien à démêler avec l’art, et écrites uniquement en vue d’ébaubir les bourgeois. Mais je garde de ce volume une impression de haute poésie, robuste, trempée aux sources mêmes de la saturent se tenant toujours, en tant que langue et franchise d’allure, dans la saine tradition française.
Dans le public lettré, ceux qui avaient goûté le talent de M. Jean Richepin comme ceux qui l’avaient discuté, amis et ennemis, admirateurs et détracteurs, attendaient curieusement le poète à son second volume. Cette seconde publication a surpris du même coup les amis et les malveillants. Sous le titre des Morts bizarres, le livre attendu contenait des nouvelles en prose, des récits courts, spirituels, bien menés, trahissant un peu trop peut-être la fréquentation d’Edgard Poë, mais en somme ayant du relief, de l’humour et de l’originalité. Là encore l’auteur est resté dans la bonne tradition française. En ce temps de prose prolixe, où, sous prétexte d’analyse exacte, on plaque brutalement les couleurs sans les nuancer, et où on semble avoir perdu l’art de composer, c’est merveille de rencontrer un écrivain sachant encore conter avec sobriété et précision. Voyez cependant le mérite d’une œuvre savamment composée, où aucun détail n’est inutile, où les effets sont habilement ménagés ! Les vingt pages de l’Assassin nu ou du Chef-d'œuvre du crime produisent une impression bien autrement dramatique que tel roman avec ses longs chapitres bourrés de descriptions et d’analyses. Cette précieuse sobriété ne serait un danger que si elle tournait à la sécheresse, et c’est là l’écueil dont M. Richepin devra se garer. Il y a dans les Morts bizarres quelques morceaux qui sont de vrais squelettes de récits, et où on regrette de ne pas trouver un peu plus de chair sur les os.
Je voudrais pouvoir dire, en terminant cette étude, que le nouveau volume de vers de M. Jean Richepin me satisfait à l’égal de la Chanson des gueux, malheureusement je suis forcé de convenir que le livre des Caresses m’a fait éprouver une légère déception. L’auteur a voulu y célébrer l’amour à sa façon ; non pas l'amour chaste, élégiaque ou romanesque, mais, dit-il bien haut, l’amour vivant, « l’amour humain. » Or, j’ai beau me dépouiller de tous les préjugés bourgeois qui me restent, je ne trouve rien de bien humain dans cette débauche purement charnelle qui se prolonge pendant tout un volume. Je m’intéresse peu à ces goinfreries de sensualité, à cette platée de baisers sentant la dragée, à ces repues franches qui recommencent toujours et lassent à force de monotonie brutale. Certes, dans les Caresses, M. Richepin n’a perdu aucune de ses qualités d’artiste, mais je vois reparaître avec peine dans ce volume, les subtilités raffinées, les audaces voulues, les fanfaronnades peu sincères que je reprochais tout à l’heure à l'école parnassienne. Si les amours des bourgeois, comme le prétend le poète, « sont des fromages mous » les siens ressemblent un peu trop à un roquefort persillé, vermiculant et prodigieusement avancé. Cet amour fleure peau, où il n’entre pas un atome de passion, me touche si peu que, lorsque le poète l’a perdu, je ne me sens nullement ému par son désespoir. L’un ne me paraît pas plus sincère que l’autre. Je suis tenté de crier à ce faux désespéré : — Pourquoi geindre de la sorte ? L’amour n’était pour toi qu’une ripaille des sens, la première belle fille venue te redonnera le même régal ; il n’y a pas là de quoi te sauver au bord de la mer pour pleurer un trésor qui n’était qu’un tas de monnaie courante et banale...
Et pourtant, c’est dans cette dernière partie du livre, nivôse, que sont les meilleures pièces ! — L’oubli impossible, L’inconsolable, Deux liards de sagesse, Vaines paroles, Parfum suprême, etc. Mais n'importe, l’effet de l’ensemble est manqué ; le livre des Caresses est inférieur à la Chanson des gueux.
Notre temps n’est pas déjà si prude et chacun y peut chanter l’amour à sa guise, mais, pour que cet amour intéresse, il faut avant tout qu’on le sente sincère. Je ne dirai pas à M. Jean Richepin de mettre dans ses poèmes d’amour plus de sensibilité : il me rirait au nez ; cette qualité-là n’est plus à la mode. Mais je lui demanderai d’y mettre de la passion, de la vraie, bien palpitante et saignante, comme celle de Musset ou de Heine. Alors il pourra, sans se soucier de scandaliser les bourgeois ou de leur plaire, annoncer qu'il chante « l’amour vivant, l’amour humain, » — et sa chanson trouvera de l’écho.
ANDRÉ THEURIET
Anonyme « Salle des
conférences », Le
Globe, 15 avril 1877, p. 244.
39, boulevard des Capucines. – Dimanche 15 avril, M. le baron du Potet : le magnétisme devant la science et l’humanité. – Lundi 16 avril, M. H. de Lapommeraye : La semaine dramatique, 77e feuilleton parlé : Les Mohicans de Paris, drame d’Alexandre Dumas père ; les chansonniers au théâtre ; les types militaires sur la scène ; les pièces nouvelles du Palais-Royal. – Mardi 17 avril, M. le docteur Constantin James : Des eaux minérales contre les éruptions de la peau. – Mercredi 18 avril, M. Emile Deschanel, député : La question des femmes. – Jeudi 19 avril, M. Francisque Sarcey : Jean Richepin, ses poésies. – Vendredi 20 avril, M. le professeur Galopin : le tabac, l’absinthe et la folie. – Samedi 21 avril, M. Camille Flammarion : Le Soleil.
V.N « Chronique de la foire »,
Le Petit Journal, 16
avril 1877, p. 2.
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Je viens de rencontrer à la foire tout un essaim de jeunes poëtes, parmi lesquels j'ai remarqué Maurice Bouchor, Paul Bourget et Jean Richepin.
Savez-vous comment ce dernier se repose du mois de prison que lui a valu la Chanson des Gueux ? Il va lutter chez Marseille.
V. N.
Anonyme, « Petites nouvelles »,
Le Petit Parisien, 17
avril 1877, p. 3.
Jeudi 19 avril. M. Francisque Sarcey : Jean Richepin, ses poésies.
Juin↑
Maurice Bouchor, « Les Caresses
par Jean Richepin », La
Vie littéraire, 7 juin 1877, p. 3.
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C’est un poème d’amour de quatre mille vers, qui empoigne comme un roman, qui vous grise, qui vous fait passer sous les yeux une cohue de phrases bariolées, étincelantes, féeriques. Le cœur de l’homme y est autant que dans la Chanson des gueux ; et le poète dévoile ici un coin de lui-même plus intime et plus curieux. C'est l’œuvre d’un artiste passionné, d’un tempérament fougueux, constamment en proie à des sensations aiguës et qui appelle à son aide les procédés les plus délicats du style, pour rendre toute la force et toute la finesse, de ces sensations. Le livre, avant tout, est personnel ; ce sont des airs nouveaux sur des paroles nouvelles. N’y cherchez pas l’ancienne Muse inspiratrice, sans contour et sans couleur, effacée dans les brouillards d’un « ciel d’estampe. » Dignes bourgeois qui croyez-encore aux choses poétiques, lisez ce livre, et convainquez-vous que le poète a su extraire la poésie de son temps ; si vous niez qu’elle existe, vous avez là un monument qui vous crève les yeux, élevé à la gloire d’une parisienne. Elle est bien parisienne, en effet, l’héroïne de ce livre, parisienne de son chapeau mignon à la pointe de ses bottines exiguës, de la toilette au cœur :
J'aime à sentir ployer tes reins, fondre ta taille,
Dans le froufrou soyeux et craquant de la faille
J’aime tes bracelets, tes bagues, tes bijoux.
Tout ce que ton caprice enfant a pour joujoux.
Et rien ne me rend fou, frénétique, idolâtre,
Comme l’éclat de tes toilettes de théâtre,
Quand, faisant palpiter au bout fin de ton gant
Comme un grand papillon l’éventail élégant,
Avec des airs de reine et des lires de fée,
La poitrine en avant, la tête ébouriffée,
Tu te plais à montrer aux lustres envieux
Tes diamants aigus qui poignardent les yeux.
Une pareille femme n’est pas faite pour inspirer des rêveries sentimentales ; mais bien « l’amour féroce et l’amour solide » qui se traduit par des expressions d’une matérialité ardente, des images sensuelles et exactes. Elle est d’autant plus maîtresse et toute puissante qu’elle n’a pas affaire à un parisien comme elle, léger, spirituel, et d’humeur facile, incapable d’être ému au fond. Le poète a la barbarie et la magnificence à la fois d’un roi d’orient, les brutalités et les raffinements d’un artiste de la Renaissance anglaise. Elle est pour lui « un grand rosier sauvage — aux épines assassines » il se compare à un homme dansant une gigue au bout de la potence ; » c’est un féroce mangeur, un « goinfre d’amour » qui veut être rassasié. La passion physique l’étreint tellement que pour lui « les paroles même ont des doigts caressants. » Il veut qu’elle donne ses baisers « comme si elle n’avait plus qu’un jour à vivre. » Il n’est pas comme il le dit avec une éloquente trivialité,
Un délicat épris de gourmandises
Qui grignote du bout des dents, plein de dégoûts.
Réglant son estomac, buvant à petits coups.
Craignant les larges plats et a grande rasade,
Et restant sur sa faim pour n’être pas malade.
C’est un goinfre attablé qui, plus que de raison,
Enivré de vin pur, gavé de venaison.
Ote le ceinturon qui lui gêne la taille.
Et sans peur d’avoir mal au ventre fait ripaille.
Il n’en est que plus passionnément épris de cette créature artificielle et changeante, qu’il admire naïvement avec des adorations et des humilités que seul peut avoir un tueur de monstres. Il ne s’accoutume pas à elle ; le moindre chiffon en fait une femme nouvelle. Il a beau se récrier sur la beauté plastique ; au fond, c'est la poupée coquettement attifée qui le séduit. Il la retourne dans tous les sens, comme un joujou ; lui décrit ses toilettes, s’attarde sur un pli que fait son peignoir, la promène et l’analyse partout, dans la rue, au théâtre, et jusque dans des cabarets où une fantaisie déréglée lui donne envie des mêler à des femmes de vie scabreuse. La sincérité de l'écrivain est absolue ; c’est pour cela que cette figure ailée, papillonnant et lumineuse se détache si nettement sur le fond sombre et vigoureux des violences de l’homme.
Il a développé sa passion depuis a jusqu’à z ; Floréal, Thermidor. Brumaire, Nivôse, telles sont les divisions des Caresses. Au temps des fleurs, il s’est fait singulièrement tendre pour apprivoiser un oiseau aussi capricieux ; la force est contenue, et ce sont les plus suaves pensées, les plus exquises mièvreries de l’amour jeune. Les tètes brûlantes goûtent mieux que les autres la fraîcheur et le repos. De là, quand il peint un paysage printanier, ces vers qui jaillissent du fond de l’être, ces élans magnifiques et ces sensations de visionnaires. Il lui dit :
Là, je veux, l’oreille au vent,
Te bien faire entendre comme
Les grands arbres en rêvant
Parlent tout haut dans leur somme.
Plus loin, avec une curiosité d’enfant, il note le cri ou le chant de chaque oiseau, et le traduit adroitement par un mot ou un vers. —
La nuit jette au nez du soleil, son amant, des bouquets de lilas.
Lilas de l’aube, blancs lilas semés de perles !
Nous irons, dit-il dans une autre pièce.
Nous rafraîchir les yeux dans les yeux verts des feuilles.
Il dit encore, avec une sorte de négligence grandiose :
Et tes cheveux seront avec ceux du soleil.
Il excelle à rendre d’une façon précise une courte impression, un détail familier :
Dans le rayon filtrant par le trou du volet
Les atomes dorés danseront leur ballet.
La fougue du tempérament se déchaîne plus à l’aise dans la seconde partie, Thermidor. C’est bien un été torride ; un souffle de simoun traverse ces pages qui vous portent à la tête et vous obscurcissent les yeux, tant elles flambent. Rien de voilé : ce sont des spasmes, des cris de joie aigus comme des cris de douleurs, des sanglots, des vêlements.
Dans des spasmes pareils au rut fauve des cerfs, Fais saigner largement mon corps et ma pensée ! Ilse résume d’une façon admirable quand il dit :
Et nous fouillons la vie en désirant la mort. La troisième époque, c’est l’automne.
. . . Elle a pour jeux
De tuer les oiseaux et d’arracher les fouilles.
La maturité de l'amour est venue vite, en raison de son intensité. La passion s’énerve et se lasse ; les chaînes deviennent lourdes à porter. Le poète garde rancune à la petite fée qui l'a ensorcelé et qui l’ensorcelle encore. Il lui dit de ne pas trop compter sur sa soumission. Il s’en veut à lui-même, et au temps. Il couche « sur des peaux de hérissons. » Il se compare à un dompteur mangé à la fin par sa tigresse bien-aimée, sans s’apercevoir que c’est lui qui est la bête fauve et qu’il a besoin de liberté. Avec lui, les querelles, les brouilles sont terribles ; il en souffre profondément et ne pardonne qu’à moitié. Cette saison-là est malsaine et donne les fièvres. Les comparaisons ont un goût âpre et étrange :
Mon amour a muré ton corps dans une geôle.
Mon souvenir jaloux t’a marquée à l’épaule.
Mon souvenir te tient comme dans un gluau.
Cette chemise en soufre est collée à ta peau.
Le jour, quand ton pouls bat la charge de la fièvre,
C’est que mon souvenir vient te mordre à la lèvre.
Le soir, quand ton sang bout comme un damné d’enfer,
C’est que mon souvenir vient allumer ta chair.
La nuit, quand ton sommeil est un combat sans trêves,
C’est que mon souvenir vient violer tes rêves.
En nivôse, l’amour est mort. Le poète le compare, dans un sonnet plein de grâce et de précocité, à un plat de faïence qu’on a laissé tomber par terre. Les souvenirs reviennent en foule ; mais, dans cette riche imagination, ce ne sont pas de froides et incolores idées ; ce sont des figures vivantes.
Sur une mer cramoisie
Aux feux roses du levant
Quand j’ai lancé dans le vent
Les nefs de ma fantaisie.
Tous ces bateaux amoureux,
Plus frais qu’une matinée,
Sur la vague satinée
Avaient un ciel fait pour eux.
Ils voguaient à pleines voiles.
Et les chants des matelots
Faisaient sourire les flots
Et se pâmer les étoiles.
L’homme désenchanté n’est plus qu’un « haut bois plaintif qui se nourrit de vent, » un « vieux toit rompu qui se repaît de pluie. » Avec sa brutalité ordinaire il se dit !
Soupirs et pleurs, tout est stérile.
Tu n’arroses
Qu’un linceul, et pas même encore
— ton mouchoir.
Une amère philosophie sort de son expérience. Il s’enfonce dans une misanthropie aussi farouche que sa passion était déréglée. Les idées le hantent tellement qu’il ne parle plus que par maximes. Sur quatre vers rimant ensemble au commencement d’un sonnet, trois sont des aphorismes peu folâtres :
La femme et ses désirs sont réglés par la lune.
Tous les amours du monde ont une fin commune.
La femme est un danger quand on n’en aime qu’une.
Il essaie de se plaisanter ; mais la plaisanterie ne peut lui sortir du gosier ; il est moins badin que jamais. Dès lors, il se consume en inutiles regrets.
Mes pleurs salés faisaient des brûlures au sol,
Et laissaient des trous noirs dans les herbes fleuries.
Je signalerai encore l’avant-dernière pièce, adressée à Paris, ville de corruption et de plaisir, seul endroit où ait pu prendre racine la fleur empoisonnée et capiteuse de son amour ; il bénit la grande Babylone qui a su donner à sa machine de tels ébranlements nerveux. Et, comme la sensation tenace des choses passées l’étreint encore, il termine le livre par cette strophe, en se comparant aux buveurs encore ivres de la veille :
Ils ont beau marcher en plein air,
Boire les brises parfumées,
Leurs yeux sont remplis de fumées
Où flambe encore le vin d’hier.
Tel est ce livre original et intense.
Je n’ai cité aucune longue pièce en entier ; c’est qu’il n’y a pas ici de grand morceau qu’on puisse détacher comme dans une tragédie classique. Bien que M. Richepin ait mis dans cette œuvre ses qualités d'écrivain qui sont la pureté et la fermeté de la langue aussi bien que l’éclat du style, les Caresses sont plutôt une confession lyrique qu’une œuvre d’art. On ne peut vanter une pièce au détriment des autres, car toutes sont également sincères ; tout dans ce livre a été vécu, et le poète a, sans ambition littéraire, écrit sous la dictée de la plus impérieuse des inspirations : la vie réelle.
MAURICE BOUCHOR.