Corpus de textes du Laslar

1882

Baron de Vaux, « Jean Richepin », Les Hommes d’épée, Paris, Édouard Rouveyre, 1882, p. 91-92.

Chapitre recensé par Yves Jacq.

L'auteur de la Chanson des Gueux n'est pas un nouveau venu dans le monde de l'escrime. Depuis longtemps Jean Richepin, qui est de première force à tous les exercices du corps, fait des armes ; seulement les intimes seuls connaissent son jeu. C'est dans une toute petite salle de l'avenue de Villiers, chez Sode, l'ancien premier maître d'armes des voltigeurs de la garde, que Richepin va plastronner chaque matin.

Fils d'un ancien médecin militaire, il a commencé l’escrime au régiment. Après l'avoir négligée un peu à sa sortie de l'École normale, il la reprit chez Mérignac père. Il a gardé, de ces débuts sérieux, une grande correction. Son jeu est nerveux, vigoureux ; il a des jambes excellentes, des doigts de fer, beaucoup de jugement et d'allonge. Il attaque volontiers par des coups simples ; il riposte avec beaucoup de rapidité et de précision. Son côté vulnérable, c'est la ligne haute, et cela provient de l'impétuosité qu'il apporte dans l'assaut. Ce défaut disparaîtra, car Richepin se perfectionne chaque jour.

Il arrivera à occuper une bonne place comme escrimeur, car personne ne plastronne avec plus de courage que lui.

Georges Courteline, « Comment je connus Jean Richepin », Paris Moderne, Premier volume 1881-1882, Léon Vanier, éditeur, 1882, p. 106-108.

Article recensé par Yves Jacq.

L'apparition de « La Glu » chez Dreyfous m'a remis en mémoire la manière assez pittoresque dont je fis la connaissance de Jean Richepin, il y a de cela environ trois ou quatre ans.

Richepin venait de publier coup sur coup les Gueux, les Caresses, les Morts Bizarres, Madame André, et nous, les jeunes gens, les naïfs et les enthousiastes, sortis du lycée depuis trois mois et la tête encore bourrée des Alexandrins du Théâtre Classique nous nous étions jetés, avec une voracité d'affamés, sur ces choses si nouvelles pour nous. Le modernisme élégant des Caresses, l'étrange saveur de ces Gueux dont les extrêmes brutalités se mariaient à de délicieuses délicatesses, cette poésie vibrante, robuste, éblouissante de sève, de verre, de jeunesse tout cela nous avait parfaitement grisés. Puis, des racontars de toutes les couleurs, histoires des mille et une nuits, créés par l'imagination de quelques fanatiques surexcités, étaient venus jusqu'à nous. Les cancans de toutes sortes sur la bohème échevelée de la bande lyrique dont il était le chef ; ses soi-disant exploits dans les fêtes publiques où maintes fois il se serait mesuré à la lutte avec les plus formidables athlètes ; l'anneau d'or dont on prétendait qu'il se cerclait le bras comme les patriciennes antiques ; tous ces contes à dormir debout et que nous écoutions bouche béante avec notre candeur d'écoliers qui ne sont point décrassés encore, tous ces contes, je le répète, nous avaient en quelque sorte tourné la tête. On jugera donc sans peine de l'effet que cela nous fit quand un soir d'hiver, brusquement, nous nous trouvâmes nez à nez avec lui dans un café des parages de l'Odéon.

Venus pour y achever joyeusement la soirée, nous y avions fait une de ces entrées à sensation qui consistent à marcher gravement, sans mot dire, à la queue leu-leu sur une file de huit ou dix en serpentant autour des tables. Mais l'un de nous qui connaissait Richepin pour l'avoir rencontré une fois chez l'actrice Céline Montaland le reconnut et nous le signala, et aussitôt, comme par enchantement, redevenus sérieux et graves, nous nous installâmes à une table assez rapprochée de la sienne, vexés au fond d'avoir été surpris par lui en flagrant délit de polissonnerie. Richepin, d'ailleurs, n'en semblait point autrement offusqué, et tranquillement, accoudé sur le marbre de la table, continuait de causer à mi-voix. Ils étaient un petit groupe de cinq ou six, parmi lesquels une grande jeune femme nommée, je crois, Pauline Sauzée, et un garçon d'une trentaine d'années qu'à sa tête rébarbative surmontée d'un chapeau de paille burlesque nous supposâmes être Raoul Ponchon, {107} supposition toute gratuite, du reste. Aussi bien n'avions-nous de regards que pour Richepin dont la haute taille et les épaules d'Hercule nous remplissaient d'étonnement. Et notre admiration pour l'artiste se doublait de notre admiration pour l'antique beauté de ce garçon superbe dont les regards prenaient un éclat si étrange sous la masse touffue des cheveux qui lui cachaient entièrement le front. Et si la tête nous travaillait, on le pense ! A l'heure qu'il est, je pourrais décrire jusque dans les moindres détails le vêtement qu'il portait ce soir là, depuis le chapeau rond aux bords plats jusqu'au grand ulster gris qui pendait derrière lui et dans lequel il s'emmitoufla avant de sortir. Même, l'un de nous prétendit reconnaître sous l'étoffe de la jaquette le relief de son bracelet d'or. Et, brusquement, l'enthousiasme s'y mettant, l'on décida de lui écrire.

Et tout de suite nous voilà partis, ravis de notre idée et grisés de notre audace, voulant participer à la rédaction de la lettre, tandis que moi, la plume en main, ne sachant plus auquel entendre, j'hésitais,

Ajoutant lentement un mot à l'autre, m'efforçant de tout concilier et de résumer pour le mieux cette trop fertile collaboration.

D'autre part, dans le clan Richepin l'on commençait à s'émouvoir, flairant quelque complot secret, quelque machination sous roche, tendant le dos à un événement. A la fin, le billet achevé tant bien que mal, fut porté au destinataire.

Pendant dix grandes minutes qui nous parurent autant de siècles, nous passâmes par toutes les transes imaginables, bien que notre indifférence fictive les dissimulât assez habilement. Pas un geste, pas un signe, de ce qui se passait à la table voisine n'échappait à la sournoiserie de nos coups d'oeil. Le billet passait de mains en mains, semblait exciter une vive curiosité. L'homme au chapeau de paille, surtout, gesticulait, parlait longuement et à mi-voix.

Pauline Sauzée se contentait de nous examiner avec une persistance gênante.

La chose, du reste, avait tout l'air de tourner mal. Richepinrenversé à demi dans le dossier de la banquette, tournait la carte entre ses doigts, négligemment, en fumant une cigarette. Tout à coup il se décida, et prit une plume ; et moins d'une minute après nous déployions, et avec quelle hâte, cette réponse aussi laconique qu'imprévue.

« Moi aussi, Monsieur, j'admire beaucoup le talent de M. Jean Richepin, malheureusement je n'ai pas l'honneur de l'être ; je le regrette aujourd'hui plus que jamais.

» VINCENT BELENI

Tissemant, 11, Grande-Rue

On ne jugerait que mal de notre désappointement.

_

Non que nous fussions le moins du monde victimes de la mystification dirigée contre nous, mais notre colère venait surtout de nous voir traités en gamins. Et ce fut pendant un instant un concert de {108} chuchotements et d'imprécations étouffées. Nous ne pouvions garder ce camouflet sur le cœur ! C'était l'homme au chapeau burlesque qui avait soufflé à Richepin cette mauvaise plaisanterie ! et caetera, et caetera. L'ami Palette qui, à cette époque, collectionnait des autographes et qui d'avance s'était pourléché à la pensée de cette bonne aubaine ne parlait pas moins que d'aller chercher une querelle au chapeau de paille. Mais à la fin tout s'apaisa, et un second courrier rédigé séance tenante apprit au poète des Gueux que

« M. Georges Courteline, convaincu que la très frappante ressemblance de M. Vincent Béléni avec M. Jean Richepin, indiquait entre ces deux personnes une parenté extrêmement rapprochée, priait le premier de vouloir bien faire parvenir au second, comme un bien maigre témoignage d'admiration et de sympathie, le sonnet suivant qui lui était offert :

SONNET

A JEAN RICHEPIN

Les modernes Pomme-de-pin

Refusent à ma pénurie

Pour y traîner ma rêverie,

Leurs longues tables de sapin.

Et bien souvent, à court de pain,

Comme Tragal de Vacquerie,

Je berce, hélas, ma faim qui crie

Avec tes vers, oh ! Richepin.

Que veux-tu, dans le grand partage

J'ai reçu, moi, pour tout potage

Le ciel nuageux de Paris,

Les espoirs fous dont je me leurre,

Les mélodrames où je pleure

Et la misère dont je ris.

Richepin lut ce sonnet et le serra en nous remerciant d'un signe de tête. Cinq minutes après, ils sortirent. Et nous mêmes presque émus, ma foi, de ce qui était pour nous un si gros événement nous rentrâmes chacun chez nous, par les rues étroites et désertes du quartier dont la douce clarté de la lune semblait augmenter la tranquillité et le silence, et toute la nuit je fis des rêves impossibles d'archanges barbus et coiffés sur le front et de chérubins que couvraient de ridicules chapeaux de paille.

Georges Courteline*

Janvier

Louis d’Hurcourt, « À l’Armée », Le Drapeau, 19 janvier 1882, p. 2.

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La semaine dernière paraissait, dans le Gil Blas, un article signé Jean Richepin, et prétendant tracer un tableau exact de ce que serait l’armée française au xxe siècle, c’est-à-dire avant vingt ans.

Nous regrettons de ne pouvoir citer l’article entier ; le manque d’espace nous force à nous borner aux passages suivants, qui en résument bien l'esprit. Après avoir établi que l’armée est ou sera avant peu une bande de soudards payés par l’aristocratie bourgeoise (?) pour balayer la plèbe, l’auteur écrit ceci :

Ces soudards changés en exécuteurs, ces généraux qui faisaient manouvrier une armée comme une guillotine, tous ces mercenaires coûtaient gros. On devait les nourrir grassement, les choyer, les amuser même, en temps de paix. On les couvrait d'or en temps de guerre. Ils ne marchaient plus au son du clairon, mais au tintement des écus. Et, si l’on hésitait à les satisfaire, ils menaçaient. Ils parlaient alors de lever la crosse en l’air, de passer à l’insurrection. Sur les tables des cabarets, montaient des orateurs improvisés, au verbe furibond et gouailleur, qui haranguaient les mécontents.
Et la foule, à moitié ivre, répondait par des vociférations, frappait le sol avec les crosses des fusils, faisait sonner le fourreau des sabres, riait et hurlait. Les uns montraient leurs blessures, demandant pourquoi on ne leur payait pas leur chair perdue au poids des billets de banque. Les moins anciens reprochaient à ces vétérans leur longue faiblesse. D'aucuns parlaient d'aller atteler les canons et de partir aussitôt pour enlever le Sénat et l'Assemblée. Les cris de colère, les quolibets, les menaces, les commandements, les déclamations, se croisaient dans l'air, qui sentait la poudre. Et les bourgeois affolés ne savaient ce qu’ils devaient craindre le plus, des grondements de la rue ou des rugissements de la caserne.
Des soldats saouls, avec de larges taches brunes et raides sur leurs tuniques, arrivaient bras dessus bras dessous, la mine effroyable et crapuleuse. Ils gueulaient, riaient., faisaient des gestes vagues d’assassins en rabote, disaient des paroles féroces. Quelques-uns, qui n’avaient pas bu, et par cela même plus terribles puisqu'ils avaient conscience, lâchaient en passant des plaisanteries à double sens, pleins de menaces. D’autres proclamaient ouvertement qu'il fallait profiter de l'occasion pour devenir patriciens. Des vétérans, allongeant leur bras chevronné, montraient le poing aux gens bien mis. De vieux sergents trébuchaient en comptant de la monnaie tachée de sang, tiraient leur moustache grise humide de boisson, et s'en venaient, l’haleine empestée d'absinthe et de tabac, regarder sous le nez les filles et les femmes de la bourgeoisie. On n’osait leur rien dire. Ils montraient leur or et vous suivaient en chantant des chansons obscènes.

Ces lignes inouïes sont précédées de l'avis suivant : 

Voici, sans commentaires, une étrange fantaisie que j’ai reçue par la poste. Elle n'est suivie d’aucune signature, et porte ce singulier titre : Chapitre inédit d’une Histoire de France au vingtième siècle. Je la donne telle quelle. Elle peut, je crois, faire réfléchir. —J. R.

Oui, il faut réfléchir en présence de tant d’insanité ou plutôt de tant de mauvaise foi. M. Richepin n’est pas un fou. C’est un écrivain de talent, et même de très grand talent. Il est impossible qu’il ait pris la responsabilité des lignes précitées, sans savoir à quel point elles sont fausses d’un bout à l’autre. Qu’il ait ou non servi son pays, il est une chose que personne aujourd’hui ne peut ignorer, c’est que dans tous les régiments français on ne trouverait pas mille vétérans chevronnés, qu’on ne trouverait pas, hélas ! cinq cents vieux sergents. Les plus vieux soldats, grâce à la nouvelle loi militaire, ont au plus trois ans de service. M. Richepin le sait sans doute aussi bien que qui que ce soit, il y a maintenant, entre l’armée et la nation, un va et vient incessant, un flux et un reflux continuel de conscrits, délibérés et de réservistes. Ou plutôt il n’y a plus dans l’État une armée et une nation formant deux êtres distincts, il y a la nation armée. Il n’est pas une des suppositions de cette diatribe qui ne soit mensongère à plaisir. Où sont ces mercenaires nourris grassement, choyés et amusés ! en temps de paix ? Est-ce bien de notre pauvre armée, une des plus mal payées et des plus mal nourries du monde, qu’il peut être parlé en ces termes ? A quel crétin, s'il a servi, fût-ce vingt-huit jours seulement, fera-t-on croire que l’armée française marche au son des écus et non à celui du clairon ?

Nous savons bien que l’auteur ne parle de l’armée qu’au futur. Mais quels sont les signes précurseurs d’une telle abomination ? Où sont les indices qui permettent d'avancer de bonne foi de telles accusations ? Pour que dans vingt ans l’armée soif devenue un ramassis d’assassins gagés et de pillards éhontés, il faut admettre que les germes de cette épouvantable corruption existent dès maintenant, existent depuis longtemps même dans ses rangs ; sans cela, si rien ne fait prévoir un état de choses semblable, l'article n’a pas de raison d’être.

Quoi qu’il en soit, de toutes les insultes de ce pamphlet sans nom, il n’en est pas une qui ne frappe au visage et au cœur chacun des deux millions de Français qui, à l’heure actuelle, ont ou ont eu l’honneur de porter l’uniforme, la sainte livrée de la patrie. Il n’est pas un de ceux-là qui ne serait heureux et fier de châtier, comme il le mérite, le calomniateur.

Louis D’HURCOURT.

Léojeanne, « Un doigt de causerie – Par ci, par là », Beaumarchais, 22 janvier 1882, p. 3

Article recensé par Yves Jacq.

[…]

***

Un journal littéraire du matin, qui s'occupe plus spécialement de pornographie, et qui s'entend si bien à retrousser coram populo jupes et cotillons que la correctionnelle a dû lui montrer sa face camarde, compte, parmi ses rédacteurs les plus distingués, M. Jean Richepin. Tout le monde aujourd'hui connaît M. Richepin et sa Chanson des Gueux. L'un et l'autre sont présentement célèbres, grâce au procès ridicule intenté par le Parquet, qui s'imagina de voir dans cette folle sanctification de l'argot quelque chose d'attentatoire aux bonnes mœurs.

M. Richepin-s'en souvient-on ? se défendit comme un beau diable ; et s'il fut vaincu devant la justice, il

triompha devant l'opinion. Le public, qui adore les persécutés, lui fit un succès très gros. Cela lui tourna

un peu la tête ; à dater de ce jour, tout à coup il devint coq, et, montant sur ses ergots, il s'essaya tous

les matins à jeter aux échos d'alentour un large et retentissant « cocorico »! Politique, moeurs, socialisme, philosophie, histoire, il cocoricola tant et si bien, barbotant au milieu de ces choses graves et les éclaboussant de potins ineptes, d'incroyables cancans, qu'il l finit par « se croire », comme on dit dans le Midi et qu'il imagina que ses plumes ont le don d'émouvoir le public.

C'est à propos d'un horrible petit journal borgne que M. Richepin vient de faire un appel à la presse. Prenant sous sa protection la guerre que cette feuille déclare aux juifs, Jean-le-Triste s'écrierait volontiers :

« Puisque je fais au monde entier l'honneur de m'occuper de cette question, il serait impertinent à tous de ne pas répondre quand je bats la grosse caisse. Parlez. J'attends. » Et avec cet air d'importance suffisante qui lui est propre, il écrit longuement pour s'étonner que les Juifs ne soient point encore proscrits en masse de la France ; pour un peu, il serait disposé à s'étonner aussi qu'on ait oublié de les massacrer.

M. Richepin ne se doute point assurément du triste rôle qu'il joue. La campagne est détestable. Il attend

« les fusillades et les charges à la baïonnettes de la discussion ». Qu'il prenne garde ! Un juif pourrait se

tourner vers lui et lui dire : « Monsieur, je suis Français, je jouis de tous mes droits civils, mon casier judiciaire porte néant. Eh bien ! j'ai le droit de chercher ma fortune où je veux, et l'ayant acquise de la dépenser comme je l'entends. Cela ne vous plaît pas ? Dites-le ! » Et il aurait raison.

La loi est égale pour tous. Fort heureusement. Ce ne sont point les grossièretés de l'Anti-Juif, ce ne sont pas les « buccinations » de M. Richepin qui feront déchirer à la France une des plus belles pages de la Déclaration des Droits de l'homme.

LÉOJEANNE

Mars

Anonyme, « Nos échos », Le Gaulois, 12 mars 1882, p. 2.

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C'est aujourd'hui que parait la nouvelle et définitive édition des Caresses, par notre collaborateur Jean Richepin. Nous ne parlerons pas de la valeur même du livre, qui a été consacrée par le succès. Nous signalons seulement aux amateurs cette charmante édition de luxe, que M. Maurice Dreyfous a tirée à un nombre restreint d'exemplaires et qui ne manquera pas d'être vite épuisée, comme l'a été, l’an dernier, l'édition semblable de la Chanson des Gueux.

Anonyme, « Bibliographie », Le Sémaphore de Marseille, 25 mars 1882, p. 2.

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Avis aux amateurs de beaux vers, et en même temps aux bibliophiles. « Les Caresses », par Jean Richepin, viennent de paraître chez l’éditeur Maurice Dreyfous, dans le même format de luxe que la « Chanson des Gueux ». Toutes les œuvres de Jean Richepin seront successivement publiées ainsi, et tirées à un petit nombre d’exemplaires. Or, la « Chanson des Gueux », parue dans cette édition il y a six mois à peine, est épuisée depuis longtemps, et ne se rencontre plus que chez les libraires à raretés, déjà cotée à des prix extrêmes. Il faut donc se hâter, si l’on veut être parmi les privilégiés qui possèderont la collection complète de ces volumes si délicieusement imprimés.

Avril

Dahirelle, « Les Livres – Les Caresses, par M. Jean Richepin », Le Voltaire, 5 avril 1882, p. 3.

Ce document est extrait du site RetroNews. Article recensé par Yves Jacq.

M. Jean Richepin vient de publier l’édition définitive de son recueil de vers intitulé les Caresses. C’est un livre à lire. Il ne s’y trouve ni crème fouettée, ni mousse de savon à la rose, ni cold-cream.

M. Jean Richepin n’est point de ceux qui riment volontiers des sonnets au clair de lune avec une plume idéale au béret, ou qui vont rêver au coucher du soleil dans les anfractuosités des promontoires.

C’est un poète jeune et vivace. Son vers a la souplesse et le brillant de l’acier. Il tranche aussi, comme l’acier.

M. Richepin ne me parait se rattacher à aucune école, c’est un irrégulier parmi les poètes, un franc-tireur, si l’on veut, mais qui soigne la forme, et tout autrement que Bridoison.

Il ne se fourvoie point volontiers dans les philosophies fuligineuses où l’esprit du lecteur a tant de peine à suivre parfois certains de nos lyriques nébuleux. Il n’est pas non plus un utilitaire et ne parait avoir cure d’enfermer des « enseignements » dans ses petits poèmes habilement ouvrés.

Il rime au gré de son humeur changeante, — merlans les Somnambules, printanier dans la Chanson des Chansons, fantasque dans la pièce qui commence par ces vers :

Sous son joug, las de ployer, De gros pleurs sous la paupière. Je dis : — Je vais me noyer. Elle dit : — Prends une pierre. Chez M. Jean Richepin, l’étrangeté ne paraît pas être le fruit d’un laborieux effort. C’est la manifestation d’un esprit vraiment original.

Edouard Sylvin, « Chronique – Plus fort que l’ « événement parisien » », Beaumarchais, 23 avril 1882, p. 1.

[…]

Je sais bien ce qu’on dit de divers côtés. Le projet laisse à désirer ; des magistrats malveillants ou sots – ces deux variétés se rencontrent – en pourront tirer parti contre des œuvres d’art nouvelles, peut-être contre des œuvres d’art consacrées. M. Jean Richepin a même adressé un appel éloquent à ses confrères pour organiser une croisade contre la loi anti-pornographique. Avec sa verve pittoresque, avec son abondance tumultueuse, il a roulé pêle-mêle, dans une récente chronique, des flots d’arguments et de paradoxes. J’ai applaudi pour ma part comme à un brillant exercice d’équilibriste ; mais M. Richepin ne m’a pas convaincu, je le regrette beaucoup ; c’est contre ceux qui feront croisade avec lui que je me suis mis en campagne.

[…]

E.B, « Quatre petits romans », Le Gaulois, 25 avril 1882, p. 2-3.

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M. Jean Richepin vient de réunir en volume quatre nouvelles qu'il a publiées dans des journaux, à différentes époques. Les livres ainsi composés ont toujours chance d'être intéressants ; des états de pensée successifs ont laissé leur empreinte diverse à chacun des divers récits, et la physionomie de l'écrivain, si mobile, si ondoyante, se voit mieux à travers les masques variés qu'il prend, qu'au cas où elle ne reflète qu'une idée et une œuvre uniques.

Justement le recueil de M. Richepin, comme lui-même nous en avertit dans une préface humoristique, est le plus varié d'accents qu'on puisse trouver. Ses récits sont aux quatre points cardinaux du Royaume de la Fiction. Un roman chrétien, un roman psychologique, un roman d'aventures, un roman Historique voilà, je pense, de quoi satisfaire les goûts le plus à l'opposé.

Le roman chrétien jusqu'ici, n'avait guère pour prototype, que Corbin et d’Aubecourt de M. Veuillot, un des livres les mieux écrits de ce temps. Il a plu à M. Richepin de lui donner un compagnon en publiant Sœur Doctrouvé. Le sujet du conte est fort simple. Marguerite, une fille noble, de maison à demi ruinée, entre au couvent pour permettre à son frère de faire encore quelque figure dans le monde. Un jour, elle reçoit de Pierre, une lettre sèche, sans aucune explication, contenant seulement l'annonce de ce fait épouvantable, de cette nouvelle monstrueuse « le marquis allait épouser la fille deux fois millionnaire d'un banquier juif », et elle en meurt.

Les romanciers font bien de se hâter de peindre les dernières créatures de cette sorte ; au contact de la société moderne, elles disparaissent de jour en jour. Nos idées et nos mœurs sont ligués contre ces personnages du Cabinet des Antiques, ainsi que Balzac les avait nommés. Il est déjà si difficile de ne rien mêler de moderne à l'image que l'on se fait de ces âmes d'un autre siècle, que les plus habiles y sont pris. Les derniers mots qu'en expirant prononce la sœur Doctrouvé « Les sacrifices inutiles sont peut-être les plus beaux » sont une sentence de philosophe bien plutôt qu'une parole de chrétien.

Je ne reconnais pas ici l'accent de la foi catholique, mais l'écho du dilettantisme raffiné de M. Renan. La critique est légère sans doute, et d'ailleurs M. Richepin, au cours de sa préface optimiste, s'est adressé d'une façon si gaillarde et si amusante tous les compliments qu'il mérite, qu'en fait d'éloges il n'y a plus rien de neuf à dire sur son livre.

Monsieur Destrémeaux, si je me souviens bien, s'appelait autrefois Le Clown. Ce dernier titre a-t-il paru un peu vif à M. Richepin ? Le ton de sa nouvelle, en effet, est le plus simple et le plus uni du monde, et certes il fallait qu'il en fût ainsi, puisque le récit est mis dans la bouche d'une vieille grand'mère bourgeoise. M. Richepin, on le sait, écrit en prose aussi sobrement que ses vers sont éclatants et sonores. Le poète aux rytmes compliqués, aux images violentes, semble, pour ses nouvelles, se donner le ton, par la lecture quotidienne du Code, ainsi qu'en usait Stendhal. Il y a là, si je ne me trompe, une coquetterie de virtuosité encore plus raffinée que celle qui fait se jouer M. Richepin aux rimes redoublées, aux césures hardies, et à tous les casse-cous de la poésie.

Une Histoire de l’autre monde faisait partie naguère des Morts bizarres, d'où M. Richepin l'a détachée pour la placer dans son recueil de nouvelles. On relira avec plaisir ce conte étonnamment {3} invraisemblable, ainsi qu'il sied à tout roman d'aventures. Ce ne sont qu'évasions, Surprises et tours de force exécutés par Jean Pioux dit l'Homme-Taureau et Marius Magnetard, surnommé la Sauterelle. Les descriptions, bannies des récits précédents, abondent an contraire dans celui-ci. On ne saurait jurer de leur exactitude, – car le drame se passe à la Nouvelle-Calédonie, mais tout au moins sont-elles colorées et poétiques. Je citerai entre autres la Grotte merveilleuse, pour laquelle M. Richepin s'est évidemment souvenu de la grotte des Travailleurs de la Mer.

« Cette grotte a environ mille mètres de diamètre et vingt-cinq ou trente de haut. Elle est bordée par une muraille a qui monte d'abord tout droit pendant près de dix mètres et qui alors se courbe en calotte de sphère.

Mais ce qui rend cette muraille étrange et splendide à voir, c'est qu'elle s’est faite de corail.

La partie droite, formée sans doute des assises de l'édifice madréporique, se tasse en masse épaisse. Le plafond, au contraire, est tout découpé, tout déchiqueté, hérissé de branches toutes tordues en tout sens, poussées en avant, revenant sur elles-mêmes, tournant brusquement de côté ou d'autre, stalactites en forme d'éclairs, inextricable fouillis de zigzags sanglants bizarrement entremêlés. Chaque brin était couvert des mille petits trous a noirs qu'y fait le sable en s'y déposant. Cela dessinait sur le fond rouge comme une broderie en festons à points imperceptibles. »

Les Débuts de César Borgia, la nouvelle qui clôt le volume, mettent en scène le récit connu de Burchard sur la mort de Jean de Gandia, fils du pape Alexandre, assassiné par son frère César. Comme tous les écrivains de ce temps, M. Richepin a été forcé de sortir du monde moderne, quand il a voulu se donner le spectacle d’une vie superbe et effrénée. Notre société, en effet, est plus curieuse à analyser, que pompeuse et magnifique à peindre. Les artistes épris de splendeur ont donc pour unique ressource de se réfugier dans les temps barbares ou dans les époques de décadence. C'est ce qu'ont fait Flaubert avec Salammbô ; T. Gautier, avec le Roman de la momie Edmond et Jules de Goncourt, avec leurs études si passionnées sur le dix-huitième siècle. C'est aussi ce qu'a fait M. Richepin, et nul sujet ne pouvait mieux convenir que les débuts de César Borgia à son esprit violent, coloré, un peu brutal même, et qui trouve un plaisir singulier au spectacle agité de la mêlée du monde et de la bataille de la vie.

E. B.

Fabrice W., « Livres », La République Française, 28 avril 1882, p. 2.

Ce document est extrait du site RetroNews. Article recensé par Yves Jacq.

[…]

Quatre petits romans, par Jean Richepin, (1 v. Maurice Dreyfus)

Petits romans, nouvelles, comme on voudra les qualifier, ces quatre récits n’avaient pas besoin, pour se faire lire, ou plutôt relire, de la singulière Préface au ton de bravache romantique, dont M. Richepin a eu la fantaisie de les faire précéder. Là où se montrent l’énergie et l’originalité de l’auteur des Caresses, nous savons fort bien les voir, et quand, dans une courte histoire comme celle de sœur Doctrouvé, qu’il sous-intitule roman chrétien, nous regrettons qu’il n’ait pas mis plus de violence, plus de modernité pour nous peindre les souffrances, les remords d’une carmélite sans vocation, victime tour à tour des orgueils, des hypocrisies et des cupidités d’une certaine classe ; ce ne sont pas les allures de Ma Préface qui nous feront changer d’avis. Dans les Débuts de César Borgia, à la bonne heure ! Coloris, mouvement, drame, ont toute la puissance demandée. Il est vrai que le sujet prêtait considérablement. N’importe ; il fallait, comme on dit, de la poigne pour peindre les intimités de famille du pape Alexandre VI. Aucun excès d’expression ne peut ici être incriminée, l’histoire ayant signé toutes ces horreurs.

Bien équilibrées de style et d’intérêt sont les deux autres nouvelles : Monsieur Destrémeaux et Une Histoire de l’autre monde, extraites de volumes précédemment parus.

[…]

Anonyme, « Bibliographie – Varia », Beaumarchais, 30 avril 1882, p. 7.

Article recensé par Yves Jacq.

Vient de paraître, chez Maurice Dreyfous, un livre curieux et mouvementé Titre : Quatre petits Romans : Un roman chrétien ; un roman psychologique; un roman d'aventures; un roman historique, c'est-à-dire les quatre grandes formes employées jusqu'à ce jour par les romanciers.

Une unité d'esprit plane sur l'ensemble du livre, et toutes les variétés, toutes les ressources de l'art d'écrire sont mises en œuvre par l'auteur ; poète, il a voulu plaire et émouvoir; artiste, il a voulu montrer aux gens curieux des choses de l'art, que les systèmes et les parti pris ne sont jamais que des preuves d'impuissance, que les soi-disant inventeurs modernes n'ont rien inventé du tout, et que tous les moyens sont bons pour intéresser et pour passionner.

L'œuvre capitale du livre est une savante et curieuse reconstitution de la cour des Borgia. C'est avec des documents précis que sont racontés, cette fois, les monstrueux incestes de cette famille papale.

Nous n'osons recommander aux jeunes filles la lecture de cette œuvre vraie, mais violente, de M. Jean Richepin – I Vol. : 3 fr. 50.

Juin

Anonyme, « Revue de la presse », Le Constitutionnel, 3 juin 1882, p. 3.

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[…]

– A propos de l'échauffourée des étudiants, M. Paul Bourget, le jeune et brillant chroniqueur du Parlement, jette un coup d'œil curieux sur le Quartier latin d'aujourd'hui : Quantum mutaius ab illo !

Il constate le désaffectionnement marqué de la jeunesse d'aujourd'hui pour les choses de la politique, qui ont cédé la place aux préoccupations littéraires dans le goût de la jeunesse des Ecoles.

Sous l'influence de diverses réunions littéraires, où les étudiants se réunissent autour d'un malheureux piano dans quelque café transformé pour la circonstance en une manière de club, le Quartier latin est redevenu un centre littéraire, de second ordre, il est vrai.

Des poètes y grandissent qui s'y font une gloire. Des romanciers y prennent des notes. Des journalistes en sortent qui passent hardiment les ponts et forcent la porte des gazettes en vogue. Il semble que les idées esthétiques de tous ces jeunes gens soient très voisines du « naturalisme » pour employer un mot qui demain aura perdu tout à fait sa primitive signification. A lire leurs vers, — car ils les publient, — et leurs romans, — car ils les impriment, — le critique reconnaît un mélange très singulier de disciplines diverses. Baudelaire a inspiré la plupart des vers, mais il y a dans Baudelaire une tendresse triste et pure dont les nouveaux venus ne font pas grand cas. Ils ont pris au poète des Fleurs du Mal l'énergie, parfois brutale, de sa langue et son goût de l'horrible. Baudelaire a dit :

Les charmes de l'horreur n'enivrent que les forts !

et la passion, j'allais écrire la manie de la force, ce paradoxe singulier de notre siècle fatigué, se reconnaît dans toutes les compositions qui, de ci de là, dans les journaux, révèlent au curieux de la petite anecdote littéraire les noms des écrivains encore inédits. En même temps le livre si neuf de Jean Richepin, la Chanson des Gueux, paraît avoir exercé une fascination sur tous ces chercheurs de leur propre originalité, qui volontiers emploient des termes d’argot et peignent des tableaux d'une couleur sombre. Mais si, en poésie, les maîtres sont peut-être différents, en prose il n'en va pas ainsi, et l'auteur de l'Assommoir semble dominer sans partage les imaginations de cette partie de la génération nouvelle. Son procédé de description leur est familier. Ils ont aussi le goût passionné du document. De, là cette abondance de romans à clefs dont je parlais plus haut. De là, dans leurs articles sur leurs amis ou sur leurs aînés, une profusion de détails biographiques... Mais n'est-ce pas là comme un raccourci de la littérature nouvelle, avec son absence d'idées générales, le positivisme acharné de son exactitude et ses préoccupations d'une forme raffinée jusqu'à la subtilité ? La doctrine qui se cause dans les cercles du quartier Latin résume les tendances momentanées qui entraînent toute la jeune génération.

A.Z. « Livres Nouveaux », Le Siècle, 6 juin 1882, p. 2.

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Quatre petits romans, par Jean Richepin. (Maurice Dreyfous, éditeur.) Les quatre petits romans contenus dans cet amusant volume ont pour titre : Sœur Dorothée, Monsieur Destrémeaux, Une histoire de l’autre monde, les Débuts de César Borgia. Ils sont précédés d'une préface où l'auteur explique à « Monsieur du lecteur », sous une forme très plaisante, ce qu'il a voulu faire avec ces quatre nouvelles. Cette préface n'est pas le morceau le moins agréable à lire du volume. « J'aurais pu sans doute, dit M. Richepin au lecteur bénévole dont il vient d'ouvrir l'œil sur son merveilleux ta lent, j'aurais pu sans doute m'appesantir davantage sur leurs beautés (des quatre petits romans) et surtout mettre largement à profit l'occasion que m'offrait cette préface pour vilipender tous mes confrères et faire de leurs réputations démolies un piédestal à ma gloire. Mais je suis bon prince et ne veux pas abuser plus qu'il ne faut de mon incontestable supériorité. Il me suffit de savoir que ce sont tous des pleutres, et j'estime que cela ressortira de soi-même, par la comparaison que tu ne manqueras pas de faire entre leurs ouvrages et les miens. » L'ami lecteur est d'ailleurs prévenu que ces quatre petits romans ne sont pas écrits pour les jeunes personnes. La même librairie vient de publier l'édition définitive des Caresses, du même auteur.

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Septembre

Henri Taupin, « Carnet d’un flâneur », Le Constitutionnel, 23 septembre 1882, p. 3.

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Une autre classe de noctambules — bizarre entre toutes — nous ramène à notre point de départ la boutade de Roqueplan.

Où vont les chiens noctambules ?

Tous les promeneurs nocturnes ont rencontré des caniches indépendants qui leur ont manifesté de la sympathie et qui se sont attachés à eux comme à des maîtres envoyés par le hasard.

Jean Richepin — le poète exquis et profond des gueux parisiens — les a étudiés à fond, Sans aller, comme Paul Bert, jusqu'à la vivisection, et a chanté ces chevaliers errants.

Il les croit absolument désintéressés sans bornes, et attribue leurs attachements aux seules affinités électives, plus connues du vulgaire sous le nom d'atomes crochus.

Les gens qu'ils suivent peuvent selon Richepin, se flatter d'être aimés pour eux-mêmes, car ces braves toutous considéreraient, d'après lui, comme une grossière offense la moindre offrande en belle soupe appétissante ou même en petites sucreries, qui ne tirent point à conséquence. Que demandent-ils donc ? Simplement un abri près du maître qu'ils se sont volontairement donné, plus volontairement que bien des épousées, — et quelques égards. - Quant au reste, nourriture, blanchissage et menus plaisirs, — n'en ayez cure, ils s'en chargent ! Si vous rencontrez jamais quelqu'un de ces animaux, dignes du bon la Fontaine, retenez-le précieusement ; — cela ne vous coûtera pas cher et son désintéressement sera d'un bon exemple pour les gens de votre entourage... ainsi que pour vous-même !