1893
Mars↑
Le « Vélo », « Jean Richepin »,
Le Vélo, 7 mars 1893,
p. 1.
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Qui donc aurait dit, il y a trois ans, alors que la vélocipédie était en butte à toutes les railleries, qu’on verrait un de nos grands poètes consacrer par quelques-uns de ses beaux vers la gloire de coureurs vélocipédiques ? Les temps sont bien changés.
Est-il besoin de présenter à nos lecteurs notre invité d’aujourd’hui ? Qui ne connaît Jean Richepin, au moins par ses œuvres ? Pour ceux qui ne savent du poète que ce qu’en révèlent ses livres, donnons quelques notes biographiques sur celui qui peut passer pour l’un des successeurs les plus désignés de Victor Hugo.
Jean Richepin est né à Médéah (Algérie) en 1849. Fils d’un médecin militaire, il fit ses études à Paris puis entra à l’École Normale ; mais pendant la guerre de 1870 le professorat parut un peu plus calme à sa nature active et après avoir dirigé quelque temps un journal à Besançon, il s’engagea comme franc-tireur dans une des compagnies de l’armée de Bourbaki.
A partir de 1873, Richepin commence à se faire connaître en récitant ses poésies dans diverses réunions littéraires : puis paraît la Chanson des Gueux, et le nom du poète se répand dans le public.
Rappelons, pour la forme, que notre Invité d’aujourd’hui est l’auteur de ces merveilleux recueils de vers intitulés les Caresses, les Blasphèmes, la Mer ; qu’il a publié comme romancier : La Glu, Madame André, Césarine, Miarka et Braves Gens ; qu’il a donné au théâtre : Nana-Sahib un superbe drame joué à la Porte-Saint-Martin et dans lequel il a tenu lui-même le principal rôle à côté de Sarah Bernhardt : le Flibustier et Monsieur Scapin représentés à la Comédie-Française.
Jean Richepin, qui est doué d’une très grande vigueur physique, est ardemment épris de tous les exercices du corps. Il jongle avec des poids aussi facilement qu’avec les rimes, et cette force lui a permis d’acquérir une expérience de la vie que bien d’autres écrivains se contentent de puiser dans les livres.
Richepin a navigué comme matelot à bord d’un bateau marchand où, a-t-il raconté, on le traitait comme un mousse.
De cette rude vie maritime il a rapporté des impressions vivaces, un amour profond de la mer qu’il a exprimés en de merveilleux petits poèmes où semblent parfois retentir encore le bruit des vagues ou le gémissement de la brise.
Jean Richepin est, comme on voit, aussi merveilleusement doué au point de vue physique qu’au point de vue intellectuel. Nous avons dit déjà que l’auteur des Caresses est un fervent adepte de la vélocipédie. Il a fait, l’an passé, à bicyclette, avec son jeune fils, une grande tournée de trois mois sur les côtes de Bretagne. Avec un tel homme, on peut se douter de ce qu’a été un semblable voyage. Ni les chemins vicinaux qu’on venait de réempierrer, ni le sentiers sablonneux et rocheux, ni les venelles défoncées sous bois ou à travers champs n’ont effrayé le poète qui a, du reste, conservé le meilleur souvenir de cette tournée à bicyclette.
SONNET
Pour répondre à certains railleurs
Riez de nous, ô pols, gras à lard, hydropiques,
Culs de plomb ! Moquez-vous ! Riez bien ! Redoublez !
Les beaux Grecs, au cerveau d’artiste, aux reins râblés,
En raffolaient aussi des coureurs olympiques.
Ce qui n’empêchaient point leurs glaives et leurs piques,
Quand, sur eux, se ruaient cent peuples rassemblés,
D’entrer comme des faulx dans ces monstrueux blés
Et de besogner ferme à des moissons épiques.
Car en glorifiant les athlètes vainqueurs
Ils savaient que les corps vaillants font les grands cœurs,
Et donc ils en poussaient l’amour jusqu’au délire.
Sans honte, à ces humains ils dressaient des autels,
Pour Corre et pour Terrot, Pindare eût pris sa lyre,
Où chanteraient encore leurs deux noms immortels.
Jean RICHEPIN
Avril↑
Anonyme, « Un événement
littéraire – Jean Richepin, L’Aimé », Le Matin, 12 avril 1893, p. 3.
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Jean Richepin vient de publier un nouvel ouvrage chez les éditeurs Charpentier et Fasquelle : L'Aimé.
L'Aimé est un grand roman de psychologie et d'aventures contemporaines, exposant des théories toutes nouvelles sur le donjuanisme ; c'est une œuvre d'observation spontanée plutôt que d'observation voulue, dont la conception d'ensemble est exclusivement cérébrale, ce qui n'empêche pas certains passages d'avoir été pris en pleine réalité. Cette innovation littéraire de l'éminent écrivain aura certainement un retentissant succès.
Juin↑
Paul Vérola, « Jean Richepin et
le Parnasse », La
Plume, 15 juin 1893, p. 261-262.
Il y a sept ou huit semaines La Plume a honoré le Parnasse d’une oraison funèbre, fort remarquable, d’ailleurs. Mais, avec une exubérance de néophyte, l’auteur de cette oraison voit volontiers des Parnassiens dans tous les poètes qui n’ont plus son âge.
Croyez-m’en, Monsieur Jean Carrère, laissons Drumond briser les miroirs de crainte d’y apercevoir des juifs et sachons reconnaître l’art même dans les régions que nous n’habitons pas. Car, songez-y, si ceux qui nous ont précédés avaient senti comme nous sentons, avaient été ce que nous sommes, où serait notre raison d’être ? La splendeur de la chair peut exister auprès de la splendeur d’un marbre et si des muscles qui tressaillent ont leur beauté, une vierge qui sommeille n’est pas laide à voir. Je connais malheureusement trop peu votre œuvre pour savoir si vous êtes muscle ou marbre et je ne sais vraiment à quel terme neutre arrêter mon hypothèse quand vous enveloppez dans le même linceul l’impassible Leconte de Lisle et le volcanique Jean Richepin. Car ce que nous disons aujourd’hui du Parnasse, la génération de Richepin le disait il y a quelque vingt ans alors qu’elle opposait les « vivants » aux immobiles. Rimbaud et Ponchon parlaient déjà ainsi ; demandez à Verlaine. Et c’est le plus vivant de ces vivants, que nous traiterions de froid rhéteur ? C’est celui qui a hurlé d’immortels blasphèmes ; celui qui enseigne à ses enfants que l’académie est une cour sale où l’on ne peut pénétrer sans que, de quarante fenêtres, quarante vieillards crachent épaissement jaune sur vous ; celui qui suit l’inspiration de chaque minute, lâchant les plus effarants vocables sans souci du scandale, c’est lui, lui, l’enfant mal élevé qui fait peur aux bourgeois, c’est lui que nous verrouillerions dans le Parnasse, uniquement parce que sa palette est riche en couleurs et qu’il farde avec éclat de robustes pensées ? – Il en est tant aujourd’hui qui passent leur vie à maquiller des poupées faites pour les vitrines des coiffeurs ; il en est tant pour qui le maquillage est le but même de l’art !
Si Richepin met à contribution tout l’arsenal de la langue française, il n’oublie jamais, du moins, que le mot n’a de valeur que par le relief qu’il donne à une pensée. La recherche du mot pour le mot, de la sonorité pour la sonorité, ne serait compréhensible que si la musique n’existait pas. L’auteur de « La Glu » n’est donc ni un rhéteur ni un jongleur de mots. Toute son œuvre, au contraire, est faite d’emballements.
Peut-être pense-t-on que l’âge est venu calmer cette fougue puisque de nos jours, paraît-il, l’on est vieux à quarante ans ? Et quand cela serait ? L’œuvre qui est faite ne demeure-t-elle pas intacte ? De ce que Victor Hugo, dans sa tombe, ne sculpte plus de vers, ne rugit plus de drames, faut-il nier Ruy Blas ? Faut-il nier la légende des siècles ? La fleur serait-elle sage en cherchant querelle au fruit, Le fruit existe, tandis qu’une gelée tardive peut réduire à néant les promesses de la fleur. Impuissants aujourd’hui, les génies d’hier ont éternellement droit au respect.
Quant à Richepin, lui, il est resté plus jeune, plus audacieux, plus indépendant que beaucoup d’entre nous. Je n’en veux pour {262} preuve que son dernier roman, « L’Aimé ». Lisez-le sans parti-pris, comme il convient à des gens qui, ayant la steppe devant eux, n’ont pas besoin d’abattre quelques chênes épars pour se soûler d’horizons. Serions-nous à tel point petits que nous disparaissions si nous laissons quelqu’un debout à nos côtés ? Sans crainte, avec bonhomie, les anciens n’hésitent pas à se montrer au milieu des jeunes : les jeunes voudraient-ils avoir l’air de redouter les comparaisons que ces rapprochements peuvent faire naître ?
Jadis, certes, à l’époque bien peu lointaine où les cerveaux avaient quelque peine encore à admirer dans un même art deux tempéraments différents, j’ai dit, oui ! il fallait démolir avant de créer. Puisqu’il n’y avait de soleil et d’air que pour un art ; me direz-vous, était inéluctable. Mais à notre heure où les préjugés, en art, sont fourbus, sinon morts ; où les plus étranges élucubrations ne parviennent même plus à étonner le public, c’est priver son travail d’un temps bien précieux, c’est vouloir à tout prix, vraiment, en guise de nouveau, ressusciter l’époque d’Hernani et de l’Assommoir que de chercher à tomber nos aînés. En quoi nous gênent-ils, je vous le demande, si notre rêve est différent du leur ? Homère ne peut porter ombrage à Shakespeare et Molière peut vivre en fort bonne intelligence avec Corneille.
Richepin, précisément, n’obéit à aucune école, ne relève que de ses impulsions ; quelle école pourrait-il bien entraver ? Il faut lire « L’Aimé » pour se convaincre de son anarchie esthétique : ce livre devrait certainement se mouler à un plan longuement muri ; on sent la ligne tenace dans les premiers chapitres ; puis, graduellement le cerveau de l’auteur s’échauffe, gronde, et ce n’est plus, jusqu’à l’avant-dernier chapitre, qu’une série d’emballements fiévreux où l’intrigue disparaît, puis émerge pour sombrer et reparaître, comme un troupeau de dauphins dans un mer de tempête. Et malgré ce chaos, après la lecture, ces vagues écumeuses ont jeté dans la mémoire des types d’un dessin très ferme, tels que ceux du vieux pion Fourguisse, de la machiavélique Morgange et de la vieille bonne auvergnate. Franchement, Monsieur Carrère, je vous invite à lire « l’Aimé » après avoir relu les « Blasphèmes » et vous serez surpris de trouver tant de vagabondage d’imagination, tant de hardiesse dans certaines conceptions physiologiques, tant d’audace juvénile, enfin, chez un vieillard de quarante-quatre ans.
Paul Vérola
Août↑
Anonyme, « En vacances – Hommes
de Lettres et artistes à la campagne », Le Matin, 14 août 1893, p. 1.
Les poètes – Un éditeur encourageant – Des Ternes au Port-Blanc – Une lettre de M. Richepin – Une muse en sommeil – Farniente général.
Pour faire des vers, il faut avoir des rentes ou faire de la prose pour s'en procurer. Cet axiome de vérité vitale nous revenait, hier, en entendant un gros éditeur, flatteusement dénommé le père nourricier des nourrissons des Muses, nous exposer sa sollicitude à l'égard des poètes novices.
– Je reçois, en moyenne, quatre cents manuscrits, plus ou moins, en vers, par an, nous disait-il. Le printemps, qui grise les cervelles, est naturellement l'époque la plus féconde. Si le rapport de mon lecteur attitré est favorable, j'entre en pourparlers avec l'auteur et, suivant le format, le nombre de pages, les caractères, le papier qu'il désire, cela lui coûte de huit cents à mille francs l'édition de 500 volumes.
– Lui rapporte, vous voulez dire
– Pas du tout. Un recueil de poésies est un cadeau qu'on fait à ses amis et non une affaire commerciale. Il s'en vend vingt, dix, cinq ou pas du tout et, en cas de succès, de 20 à 60 francs de recettes brutes, soit 700 à 900 francs de perte. Les versificateurs que nous-pouvons éditer à nos frais sans trop de risques, et auxquels nous allouons un tant pour cent sur la vente, sont à peine une dizaine.
– Murger avait donc raison de plaindre ses camarades de bohème, lorsque les vers s'y mettaient.
– Oh oui.
Il est bien évident que ceux des chasseurs de rimes dont nos questions sont venues troubler les villégiatures rêveuses ne s'appellent ni Rodolphe, ni Schaunard mais, tout bourgeoisement, MM. Jean Richepin, José-Maria de Heredia, etc., solides routiers ou écrivains vendables.
Chez M. Richepin.
9, rue Galvani, aux Ternes, nous cherchons en vain, à travers les feuillages du jardin spacieux, aux fenêtres flanquées de volets verts de la maison blanche, les cheveux bruns bouclés, la barbe en pointe, la robe rouge ornée de boutons dorés, qui constituent le physique et le costume d'intérieur du maître du lieu.
– Monsieur est à la mer, avec madame, ses enfants et le chien, répond un brave jardinier aux oreilles agrémentées d'anneaux d’or.
Deux jours après, nous recevions la lettre suivante
Port-Blanc, à la Fourbûrie, en Saint-Lunaire (Ille-et- Vilaine)
Mon cher confrère,
Je suis, comme tous les ans, à la mer pour quatre mois. Je me lève à l'aube, me couche à neuf heures et demie, vis en plein air et au soleil, le plus que je peux. Marche, chasse, pêche, bicyclette En préparation un drame, une comédie. Mais, surtout, la dernière mise au point de Mes Paradis, volume de vers annoncé voilà tantôt dix ans, dont je suis en gésine depuis et qui paraîtra sûrement dans les premiers jours de 1891. Il fait suite et pendant aux Blasphèmes.
Jean Richepin.
Le sujet du drame en vers est emprunté à l'époque de la Jacquerie titre provisoire : les Jacques ; la comédie est moins avancée. Il est probable que, suivant l'habitude de l'auteur qui garde longtemps ses œuvres, comme il nous l'écrit, « en gésine », la fable et le titre définitifs n'en seront dévoilés que lors de l'enfantement parfait. Quant au Flibustier, de l'Opéra-Comique, que la lettre, en sa modeste brièveté, passe sous silence, on sait que c'est la pièce du Théâtre-Français, en alexandrins, telle quelle, allégée de deux cents vers environ, que le compositeur russe César Gui a transformée en comédie lyrique.
Rendons à César ce cui lui appartient, ajoutait, en un récent communiqué, le désintéressé librettiste.
Lyrisme et cyclisme.
– Comment, interrogera plus d'un, ces travaux se concilient-ils avec la marche, la chasse, la pêche, le cyclisme ?
La vie de Richepin va se charger de répondre :
Né en Algérie, au cours, d'un séjour passager de son père, chirurgien-major de l'armée, il a gagné, sous un rayon de soleil, non seulement l'amour des rythmes et des costumes flamboyants, mais cette passion des exercices du corps que célèbrent les chants de là-bas. Une fois, il s'en ira lutter avec un hercule de foire. Maintenant, les courses folles en bicyclette, qu'un chroniqueur féru d'à-propos qualifierait de Pégase d'acier, le transportent. Entre temps, il chante, il compose ; il a joué autrefois, à la Porte-Saint-Martin, le principal rôle d'une Nana-Sahib de son cru ; il fait parler, à l'occasion, des marionnettes pour amuser ses deux fillettes et son garçon. Il est vrai que, s'il travaille huit heures par jour pendant des semaines, il n'alignera pas un vers ou une phrase pendant des moitiés de mois.
– Quand je me sens, en train, racontait-il, quand la pièce, les romans longtemps mûris sont à la période d'éclosion, j'écrirais, sans efforts et sans ratures, aussi bien sur un coin de table d'hôtellerie villageoise que dans ma maisonnette des Ternes.
Voilà l'existence journalière de Richepin au Port-Blanc, augmentée de cette douceur qu'il ne s'occupe, en ce moment que de vers. Ce qui n'empêche pas, malgré son aversion pour le langage courant, que le romancier de Madame André et de l'Aimée ne soit l'un de nos premiers prosateurs.