Corpus de textes du Laslar

1895

Jean Vaudon, « Jean Richepin », La correspondance catholique, première année 1894-1895, Tome second, Paris, Bureaux de « la correspondance catholique », p. 140-207.

Article recensé par Yves Jacq.

Eh bien, oui, en vers comme en prose, le vent souffle à l’impudence, à l’impudeur, à l’obscène.

Si tu veux être rebuté,

Malade d’un spectacle infâme,

Et jusque dans le fond de l’âme,

Un jour, te sentir insulté ;

Si tu veux voir quelle guenille

Peut devenir l’esprit humain ;

Si tu veux faire un peu de chemin

Avec l’aspic et le gorille ;

Si tu veux voir l’affreuse mort

Créant à sa façon la vie,

Grouillante, infecte, inassouvie

Des fanges sans nom qu’elle mord,

Ouvre ces livres où s’étalent

Les pestes qui nous feront mourir :

Tu sauras quels parfums exhalent

Les peuples en train de pourrir11. Louis (…)

Ne criez pas à l’exagération : ceci est l’exacte vérité ; c’est de la photographie mise en vers par Juvénal.

Si je veux qualifier la poésie à l’heure présente, je ne trouve qu’un mot dans le vocabulaire : poésie charnelle, et même, pour certaines élucubrations, c’est bestiale qu’il faut dire.

Je me reprends, car, en vérité, à lire telle pièce de M. Richepin ou de M. Rollinat ou de tel autre, j’ai peur de calomnier les animaux.

Tout est lubrique, et le sujet et l’idée et l’image et la rime. Tout est lubrique, non pas seulement une strophe, une pièce, mais quelquefois tout l’ouvrage.

{141}

Que si d’aventure pourtant le poète ne célèbre pas sans relâche les ignominies de la chair, s’il ne hennit pas de luxure, pour emprunter à Bossuet le seul mot juste, c’est un tel agenouillement, une telle prostration aux pieds de la femme, que vous vous demandez laquelle est la pire espèce des gens, ou ces effeminés sans âme, sans cœur et sans exprit, ou ces satyres que l’on prendrait pour des bâtards de Pétrone et d’Apulée.

C’est à M. Richepin que nous consacrons cette première étude. A tout seigneur, tout honneur.

M. Richepin a publié cinq volumes de vers : la Chanson des Gueux, les Caresses, les Blasphèmes, la Mer, et enfin Mes paradis.

Encore bien que l’auteur n’ait fait de prison que pour le premier ouvrage, les autres n’en outragent pas moins les mœurs publiques. La muse de M. Richepin ne sort des halles que pour se rendre au lupanar. Nous ne dirons rien des Caresses, et nous abordons, sans plus d’exorde, la Chanson des Gueux.

I.

Considérée en elle-même, la Chanson des Gueux s’efforce de dégager la poésie des mendiants, des vagabonds, des déclassés, des artistes inconnus ou méconnus, des bohêmes, du voyou. « J’aime, nous déclare l’auteur dans la préface de l’édition définitive, j’aime les héros, mes pauvres gueux lamentables, et lamentables à tous les points de vue ; car ce n’est pas seulement leur costume, c’est aussi leur conscience qui est en loques. Je les aime, non à cause de cela, mais parce que j’ai compris cela, parce que j’ai arrêté mes regards sur leur misère, fourré mes doigts dans leurs plaies, essuyé leurs pleurs sur leurs barbes sales, mangé de leur pain amer, bu de leur vin qui soûle, et que j’ai, sinon excusé, du moins expliqué leur manière étrange de résoudre le problème du combat de la vie, leur existence de raccroc sur les marges de la société, et aussi leur besoin d’oubli, d’ivresse, de joie, et {142} ces oublis de tout, ces ivresses épouvantables, cette joie que nous trouvons grossière, crapuleuse, et qui est la joie pourtant, la belle joie (!) au rire épanoui, aux yeux trempés, au cœur ouvert, la joie jeune et humaine (!), comme le soleil est toujours le soleil, même sur les flaques de boue, même sur les caillots de sang… » C’est la poésie brutale de ces aventureux, de ces hardis, de ces enfants en révolte, « à qui la société presque toujours fut marâtre, et qui ne trouvant pas de lait à la mamelle de la mauvaise nourrice, mordent à même la chair pour calmer leur faim ». Ce sont leurs chansons d’ivrognes, leurs réflexions de gredins, leur vagabondage de fainéants, leurs allures débraillées, leurs « gaietés » immodes, que M. Richepin nous décrit ou plutôt qu’il nous chante.

Je dis bien « la poésie » ; car, au rebours des écrivains naturalistes, et encore que trop souvent il emploie leur vocabulaire, l’auteur ne se complaît pas à nous montrer les gueux dans leur fumier ; M. Richepin est un lyrique.

Écoutez la chanson du mendiant, une berceuse :

Dors mon fieux, dors,

Bercé, berçant.

Fait froid dehors,

Ça glace le sang.

Mais gna d’chez soi

Qu’pour ceux qu’a de quoi.

Les « petiots » commencent leur chanson d’une voix douce et grelottante :

Ouvrez la porte

Aux petiots qui ont bien froid.

Les petiots claquent des dentss.

Ohé ! ils vous écoutent !

S’il fait chaud là-dedans,

Bonnes gens,

Il fait froid sur la route.

Il paraît qu’on n’ouvre pas, car les « petiots » achèvent leur chanson de façon terrible :

Ouvrez la porte

Aux petiots qu’ont un briquet.

{143}

Les petiots grincent des dents.

Ohé ! les durs d’oreille !

Nous verrons là dedans,

Bonnes gens,

Si le feu vous réveille !

« A la place de M. de Marcère et même de M. Gambetta, écrivait Louis Veuillot au printemps de 1876, quand parut ce livre, nous prendrions garde à ces paysanneries qui pourraient devenir des Marseillaises plus efficaces que la vieille, laquelle af ait son temps… »

La vieille a-t-elle fait son temps ? Il est permis d’en douter. Quant à ces « paysanneries », elles sont d’une actualité effroyable.

Chose étonnante ! Ce lion qui rugit (M. Richepin), a dans le gosier le sifflet du merle, la flûte du loriot et les accords du rossignol, et des langueurs et des tendresses :

M’a dit la pluie : Écoute

Ce que chante ma goutte,

Ma goutte au chant perlé.

Et la goutte qui chante

M’a dit ce chant perlé :

Je ne suis pas méchante,

Je fais mûrir le blé.

Ecoutez encore :

Merle, merle, joyeux merle,

Ton bec jaune est une fleur,

Ton œil noir est une perle,

Merle, merle, oiseau siffleur.

Hier tu vins dans ce chêne,

Par ce qu’hier il a plu.

Reste, reste dans la plaine.

Pluie ou vent vaut mieux que glu.

Hier, vint dans le bocage

Le petit vaurien d’Éloi

Qui voudrait te mettre en cage.

Prends garde, prends garde à toi !

{144}

Mais tandis que je m’indigne,

O merle, merle goulu,

Tu mords à ses grains de vigne,

Ses grains de vigne à la glu.

Voici que ton aile est prise.

Voici le petit Éloi !

Siffle, siffle ta bêtise,

Dans ta prison siffle-toi !...

Le Merle à la glu n’est pas indigne des anthologies. La Flûte est charmante. La Plainte du bois fait ressouvenir de Ronsard : la Forêt de Gastine. André Chénier eût signé la Vieille Statue et aussi le Bouc aux enfants :

O Pan, je poserai mes lèvres arrondies

Sur ta flûte dorée aux douces mélodies,

Et je te chanterai ma plus belle chanson,

Et, comme à Jupiter le divin échanson

Verse le saint nectar qui parfume les lèvres,

Je verserai pour toi le lait pur de mes chèvres,

Et mon bouc t’offrira sous le couteau sacré,

De sa gorge velue un flot de sang pourpré,

Si tu veux bien emplir à la saison nouvelle

De mon troupeau bêlant la traînante mamelle…

Telle et telle strophe de la Gloire des insectes et de la pièce qui commence par ce vers :

Mon cœur porte plus d’une entaille…

Semblent dictées par Victor Hugo. J’aime encore, pour sa mélancolie vague et profonde, Tristesse des bêtes : c’est du Lucrèce. Le Chemin creux a droit à une place d’honneur dans le « Parnasse contemporain ».

Avez-vous entendu, aux premières caresses d’avril, le gueux de Paris chantant dans les rues ?

Fleurissez-vous, les beaux messieurs !

Mes bouquets sont couleur des cieux.

Mesdames, levez vos voilettes.

Fleurez-moi ça comme c’est doux !

Fleurez-moi ça, fleurissez-vous !

{145}

M. Richepin a ses coins de Paris, comme Villon dont il procède, et ses recoins de banlieue :

Le mouron vert est ramassé

Dans la haie et dans le fossé.

Au bout de sa tige qui bouge

La fleur bonne est blanche et non rouge.

Il sent la verdure et les eaux,

Il sent la verdure et les eaux,

Il sent les champs et l’azur libre

Où l’alouette vole et vibre.

Du mouron pour les p’tits oiseaux !

C’est ce matin avant le jour

Que la vieille a fait son grand tour ;

Elle a marché deux ou trois lieues

Hors du faubourg, dans les banlieues,

Jusqu’à Clamart et jusqu’à Sceaux.

Elle est bien lasse sous sa hotte !

Et l’on ne vend qu’un sou la botte

Du mouron pour les p’tits oiseaux !

Ces simples strophes où se révèle la main de l’artiste, valent toutes les brutalités d’expression, les crudités, les grossièretés, ce que M. Richepin appelle « la gueulée populacière des termes propres »… Tout cela, et autre chose, c’est du libertinage, du cynisme, de l’obscène.

Revenons aux gueux. Quelle variété, je ne dis pas quelle vérité, dans ce monde misérable, depuis « l’arsouille » jusqu’au poète chevelu, et quel pittoresque ! Je regrette de ne pouvoir multiplier les citations.

Signalons pourtant l’Odyssée du vagabond. Elle est navrante.

Né dans un fossé, un jour de décembre, il n’avait pas douze ans lorsque sa mère trop pauvre pour le nourrir, l’envoya mendier son pain.

On se retrouvera pour la saison suivante,

Quand on aura gagné quelque argent cet été.

En attendant chacun s’en va de son côté.

Les petits prennent leur baluchon sur l’épaule

Et mettent leurs sabots au bout garni de tôle,

Et, quand la mère, avec des sanglots dans la voix,

{146}

A baisé le dernier une dernière fois,

Ils partent, se tenant par la main d’un air grave,

L’aîné siffle un refrain pour paraître plus brave ;

Mais il sent de gros pleurs lui rouler dans les yeux.

Il ne pleurera pas ; car c’est lui le plus vieux,

Car le long des chemins voici qu’ils sont marche,

Et l’enfant de douze ans devient un patriarche

L’enfant vagabond a vieilli. Il a mené la vie des brutales amours. Le voici, pauvre gueux, errant au hasard de son existence farouche. Au coin d’un bois, il aperçoit dans le filet de chanvre tendu aux rameaux d’un chêne un enfant qui dort, tandis que la mère travaille. Le vieux caresse l’enfant :

Mais quel est le plaisir qui ne soit pas amer ?

Dans le cœur du vieillard soudain, comme une mer,

Montent mille regrets qui s’épanchent en larmes.

Du bonheur qu’il n’eut pas il sent trop tard les charmes,

Lui qui n’a jamais eu famille ni foyer,

Ni de femme à chérir ni d’enfants à choyer,

Lui qui depuis longtemps ne connut d’autre envie

Que d’errer sans rien faire au hasard de la vie,

Il se prend à songer, tout bas, avec douleur,

Que le travail est bon, alors qu’il a pour fleur

Un enfant dont on veut rendre le sort prospère.

C’est triste pour un vieux de n’être pas grand-père !

Que devient-il , le gueux des champs ? Tournez la page

La pauvre antique baraque,

Juchée en haut du coteau,

À toutes les bises craque

Et par tous les joints fait eau.

La porte sans gonds, ballante,

Gémit comme un chat-huant.

C’était la maison roulante

Où couchait le vieux truand.

Le vieux truand, à la brune,

Jetait des sorts aux troupeaux,

Et savait au clair de lune

Faire chanter les crapauds.

Une nuit de grand tonnerre,

Mystérieusement seul

Il est mort, le centenaire,

Sans prière et sans linceul.

Je ne dis pas qu’ils soient vrais, les gueux de M. Richepin, pas plus les gueux des champs que les gueux de Paris. Il y a trop de soleil dans leurs haillons et trop de lyrisme dans leurs attendrissements. C’est par là d’ailleurs que M. Richepin, en dépit des mots sales, en dépit de l’argot qui, s’il est une langue, est une langue infâme, est bien plus près du romantisme que du naturalisme, bien plus près de Hugo que de Zola. Aussi bien M. Zola qui n’a pu s’y méprendre, ne l’a-t-il point flatté dans son étude sur les poètes contemporains22. (…)  : « Il me semble, dit-il, que M. Richepin fait un effort trop visible pour s’encanailler. Quand on peint le peuple, il faut de la bonhomie… On sent que les détails canailles chez M. Richepin (la belle langue, Messieurs !), ne sont pas vécus, qu’il les a plaqués là pour faire de l’effet. Les peintres ont une expression qui exprime nettement la chose : c’est fait de chic. C’est une fantaisie qui joue la nature, mais qui n’a pas été copiée sur elle… » ll y a du vrai là-dedans, et nous croyons beaucoup plus à la rhétorique qu’à la sincérité de M. Richepin. Ce qui lui manque, c’est justement cela : une âme loyale, une âme sincère, ou, sans épithète, une âme. Elle est dans Musset, déchirée, saignante ; elle est même, çà et là, dans ce gueux d’autrefois, Villon. Elle n’est point dans Richepin. Pas un pleur authentique. N’est-ce pas Jules Lemaître qui a qualifié d’« élégie puante » les Larmes d’arsouille ? M. Richepin « déshonore » la mélancolie33. (…) . Pas un regard vers le ciel, pas un soupir, point d’espérance. Ni âme ni Dieu.

II

Dans l’étude que je citais tout à l’heure, M. Zola dit que, dans l’œuvre de M. Richepin, l’imitation de Baudelaire est très {148} visible. C’est vrai ; et elle n’est pas la seule. Pour un poète qui, avant tout, a la prétention d’être « génial », la chose est grave. M. Richepin imite. Il imite Musset et Lamartine. Mardoche, soit ; mais Lamartine ! Il imite Hérédia. La belle image des Conquérants est reproduite dans la dernière strophe du Conquistador. Il imite un inconnu du nom de Paul Marrot, l’auteur du Chemin du rire. Il imite Auguste Barbier et Victor Hugo. J’aurais beau jeu à montrer par des citations l’empreinte de Hugo dans les Blasphèmes. Outre les chevilles et l’étalage pédantesque d’une érudition baroque, telle qu’elle s’étale dans le Pape notamment et dans l’Ane, outre le galimatias solennel, il serait trop facile d’y noter l’hallucination incompréhensible. La preuve a été bien faite par plus d’un, et merveilleusement par M. Brunetière, c’est que l’impitoyable critique, à l’encontre de la plupart de ses confrères, n’a pas pris au sérieux l’auteur des Blasphèmes. Il s’est amusé à dégonfler, lentement, à petits coups d’épingle, cette colossale vessie, « outrée » de vanité, d’obscénité, de libertinage.

Qu’est-ce donc que ce livre : les Blasphèmes ?

Voltaire sifflait Dieu. Byron tâchait à se faire passer pour Satan. Il y a du sang et des larmes dans les imprécations de Musset. Il n’est pas jusqu’aux polissonneries démodées de Béranger dans lesquelles je ne découvre un grain de cette chose exquise : l’esprit français. Le blasphème de M. Richepin, c’est le vomissement d’un estomac gâté. Entre chaque paquet d’ipécacuana et de tartre stibié, je veux dire : dans l’intervalle de chaque expectoration, une sorte de verve immonde l’emporte, que parfois illumine le divin rayon de l’art. C’est alors que le vers est plein, retentissant, superbe. De beaux rythmes s’envolent, où tour à tour grondent les tonnerres et chantent les fauvettes. Mais, le plus souvent, la rhétorique déborde, brutale, bavarde, poissarde. Dans tout ce livre il n’y a qu’une idée : Moi, Richepin, j’ai dans les veines du sang de Hun et du sang de Bohême. Je suis aussi bon gymnaste que bon escrimant, que bon écuyer, et je pourfends Dieu… Et quand il a fini son hourvari affolé, quand il a bien juré, sacré, massacré {149} quand il nous a détaillé ses os fins, sa peau jaune, ses yeux de cuivre et son torse, il recommence, il relance contre ce pauvre bon Dieu conspué, piétiné, écrasé, la meute enragée de ses alexandrins farouches, jusqu’à ce que, sa frénésie le trahissant, il tombe et succombe, essoufflé, étouffé des matières qu’il n’a pu vomir.

(A suivre.)

Jean Vaudon.

{197}

Jean Richepin

(Fin.)

III.

Après avoir insulté, quatre cents pages durant, le Dieu dont il niait l’existence, M. Richepin en vient à chanter sa divinité à lui, la nature, et il commence son hymne d’adoration par la mer. Une autre fois, il adorera la terre. Étrange adorateur ! Il combine à doses égales l’amour et la haine, la prière et l’insulte, l’action de grâce et l’outrage, la bénédiction et le blasphème. Entendez-le, sur le rivage, chantant les Litanies de la mer.

Il s’est rappelé que, jadis, avant de s’endormir, à genoux devant la statue de la Vierge et les mains croisées, il alternait avec sa mère ces belles invocations : « Sainte Marie, mère de Dieu, Vase d’honneur, Rose mystique, Maison d’or, Tour d’ivoire, Étoile du matin… » et, sans pudeur et sans vergogne, – nouveau blasphème, – il les parodie et les applique à l’Océan.

O mer, j’ai retrouvé la foi, moi le sceptique,

J’ai retrouvé l’amour, moi le cœur mécréant,

Moi le tueur de dieux, pour chanter ton cantique…

Tournez la page. Il épuise, pour injurier sa déesse qu’il adorait tout à l’heure, le catéchisme des halles. Je suis obligé de me répéter : Cet homme a la bouche pleine d’ordures.

Le livre s’ouvre par dix sonnets en guise de préface. Le poète, en abordant la mer, est hanté, inquiété peut-être par le souvenir de Michelet.

D’aucuns m’ont demandé, d’un ton presque aigrelet

Et qui m’a sur l’instant rendu presque morose,

Pourquoi je risque en vers ce qu’en si belle prose

A marqué de son sceau le voyant Michelet.

{198}

Sans doute, Michelet a fait une œuvre, un chef d’œuvre, mais qu’est-ce que la prose, la plus belle prose.

Éclairs et coups de vent, bonds et langues de feux,

Près du « verbe » de la mer ? Pour faire tenir les vagues dans les mots, le vagues mouvantes et en quelque sorte vivantes, avec tous leurs secrets, et leurs violences et leurs douceurs, et aussi les marins, leurs joies, leurs tristesses, les vieux qui remmaillent les filets sur la grève, les mousses qu’on embarque,

Et les sombrages, quand la carène a craqué,

Et les femmes en deuil attendant sur le quai,

Et les morts dont s’éteint la mémoire abolie…

Il faut autre chose que ce que les Latins appelle oratio soluta, il faut ce que Michelet n’avait pas, sans doute,

Il entendit et vit ce que j’entends et vois,

Aspects de ta figure et notes de ta voix,

Sans doute, ô mer. Pourtant, a-t-il tout dit ? Non certes

Dirai-je tout ? Non plus. Mais plus que lui ? Qui sait ?

Car j’ai la chance, pour toucher ces orgues vertes,

D’avoir un pédalier qu’il n’avait pas  – Et c’est ?

C’est le vers, rythme et rime, le vers souple, hardi, ardent, ondulant, multiforme, divin.

La prose, même ailée, est un oiseau de terre,

Mais le vers nage et vole… – Allez mon goéland !

Et les Litanies commencent et se déroulent. Le défaut de cette longue pièce, – outre celui que nous avons déjà signalé : défaut de goût et de convenance, – c’est de n’être pas naturelle. Le croirait-on ? Cet habitué des halles fréquente aussi chez Rambouillet. C’est un normalien bel-esprit.

Sancta Maria ! Mers, mers saintes, mers bénies,

Mers qui faites la mer, c’est vers vous, c’est vers toi, Mer,

Que vont s’épanouir en riches litanies

Le jardin de mon âme, où le blasphème amer

Brûlait hier encor pétales et corolles…

Un jardin qui veut s’épanouir en litanies ! O Julie {199} d’Angennes, belle Julie, si vous viviez encore, vous convieriez M. Richepin à parcourir avec vous le royaume de Tendre !... Il est vrai que les jupons qui trop souvent rappellent le atelor, vous scandaliseraient ; et les sales images,

Les putréfactions et les pouacreries,

Vous obligeraient à une consommation prodigieuse d’éther et d’eaux de senteur.

Dans ces mêmes Litanies qui sont le gros morceau, j’ai noté une paraphrase en terme d‘école qui eût bien amusé Molière. C’est le commentaire du Rosa mystica,

Rose, rose au courant et rose à l’orient…

Voici :

Rose mystique, rose idéale et formelle,

Formelle, quand sur toi… et c…

…….

Formelle, quand alors…..

…….

Idéale, car sous l’aspect accidentel

Que te donnent ainsi ces lueurs passagères,

Nos périssables yeux perçoivent l’immortel !

Après les Litanies, les Marines. La première, sous couleur de nous expliquer scientifiquement la genèse du monde, étale une peinture grossière. Il paraît que M. Richepin a des prétentions à la science. Les lauriers de M. Sully-Prudhomme, l’auteur de la Justice, l’empêchent de dormir. C’est ainsi que, dans le spièces intitulées les Grandes Chansons, il étudiera le sel :

Ces cônes sont des tas de sel sur les ladures ;

Et ces riches tapis aux brillantes bordures

Ne sont que les cobiers, les fares, les œillets,

Où l’évaporement laisse de gros feuillets

Prenez un dictionnaire de la gabelle, si le cœur vous en dit, et continuez la lecture. Que de merveilles vous ignorez et que le poète va vous apprendre ! Pour mieux capter votre attention, l’ouvrier-gabelou a ouvragé les strophes savantes et {200} prodigué les images… embaumées. Lisez donc. Savez-vous ce qui arriverait si le sel en se volatilisant abandonnait la terre ?

Quelles langueurs universelles,

Quel dégoût de tout ce serait !

Nous qui ne sommes ni de l’École normale ni de Rambouillet, nous disons : Quel français !

La pourriture que tu cèles,

Sous ta saveur comme un secret

Fade, écoeurante, corrompue,

Avec son haleine qui p…

Vous trouverez bien la rime. Et coetera. Vous devinez le reste.

Le malheur ne serait pas moindre pour l’Océan.

Dans ses flots lourds d’algues croupies,

Les poissons fondraient en charpies…

Le globe lui-même tout entier,

Le globe, à travers ses murailles,

Laissant fuir ses ordes entrailles,

Ressemblerait aux funérailles

D’une charogne dans les cieux...

Il se peut que les lecteurs de Baudelaire qui, lui aussi, a chanté, en vers d’un réalisme aussi violent que superbe, la Charogne, – et les lecteurs de M. Zola admirent et… respirent. J’en suis encore aux vieilles habitudes : je détourne les yeux et me bouche le nez.

On ne me fera pas croire que M. Richepin soit enivré de lui-même au point de se croire un homme de goût. Trop souvent il confond la hardiesse et l’impudence, l’éloquence et la rhétorique, l’art et l’artifice, le rêve et le cauchemar, l’originalité et l’extravagance. Il est comparable à ces clowns qui se drapent pour accrocher les yeux des passants, dans des vêtements grotesques, crient, pour assembler la foule, à tue-tête, et tirent en l’air des coups de pistolet. C’est un hâbleur. Tartarin matelot et poète.

Serait-ce donc que rien ne vaut dans cet ouvrage ? Nous n’avons pas pour ordinaire, nous catholiques, de refuser la louange à qui la mérite, ami ou ennemi, croyant ou mécréant.

A côté du faux savant, du bel esprit, du naturaliste vaseux, du cabotin, il y a l’observateur attentif et vrai, sincère cette fois, ému, émouvant ; il y a le poète, et il est grand.

La mer est dans ce livre, – aspects, couleurs, harmonies – comme le firmament est dans la goutte d’eau et le bruit de l’océan au fond du coquillage. Mais pas une toile n’est sans tâche et pas un air de musique sans note fausse.

La mer est dans ce livre, et aussi les marins. M. Richepin a vécu la vie des gens de mer. Il a dormi dans le hamac ou dans le bocart. Il a fait sa partie dans le chant des haleurs : La oula ouli oula oula tchaler ! Il a composé plus d’une de ses pièces,

Le dos contre la barre et l’œil dans les étoiles.

On dit même qu’il s’est embauché à bord d’un caboteur qui allait de Nantes à Bordeaux et dont le nom est connu, la Louise.

De tanguer et rouler j’ai connu la secousse.

Sur un pont que les flots balayaient, j’ai blémi.

J’ai vu les ouvriers du large et les bohêmes.

J’ai chanté leurs refrains.

Il en fait aussi, des matelotes, comme il les appelle.

Celui qui fit cette chanson,

Novice au cabotage,

Toujours le premier au bidon

Autant comme à l’ouvrage,

Un bon garçon !

Il serait même un rare chansonnier, s’il n’était, le plus souvent, et de parti pris, obscène.

Tout près des chansons les grandes pages. Hélas ! ici encore et toujours, le mot trivial, l’imagination salissante, et l’abus du « parler mathurin », l’argot de mer. Quel dommage ! Pour être à la manière de Callot, ces pages n’en sont pas moins de petites épopées. Sans doute, j’aime mieux les Pauvres Gens, ce chef-d’œuvre si chrétien de la première Légende des siècles ; mais, n’est-il pas original, {202}

Ce bonhomme nommé le père Gilioury…,

Vêtu d’on ne sait quoi, mais propre sous ses hardes !

C’était le vieux luron dans toute sa candeur.

Un jour que les « gas » l’avaient régalé et qu’il énumérait, l’un après l’autre, complaisamment, tous les mets qu’il avait goûtés dans les deux hémisphères :

Eh ! bien, tout compte fait, qu’est-ce que tu préfères ?

Lui demande le camarade Richepin.

… Quel est le plat superfin

Dont tu voudrais avoir tous les jours à ta faim ?

– Tous les jours ? Le meilleur ? Hum ! Diable ? – Bouche bée,

Le regard en dedans et la lippe tombée,

Il s’était écarté de la table et songeait.

– voyons ! – Dame, dit-il, ça ne vient pas d’un jet.

Faut réfléchir un brin, prendre un point de repère,

Virer de bord, doubler la brise. Espère, espère ;

J’y rumine. – Il se tut de nouveau, plus songeur.

A son front en travail montait une rougeur.

Il y mettait vraiment toute sa conscience,

Et murmurait de temps à autre : – Patience ! –

Enfin il se leva, puis croisant ses bras courts,

Gravement, comme s’il allait faire un discours :

– Tu dis bien, n’est-ce pas, la meilleure pâture,

La meilleure, ou passée, ou présente, ou future ?

– Oui. – Ses yeux flamboyaient alors étrangement.

Le vieux drôle était beau, superbe, en ce moment

Son geste large ouvert s’envola comme une aile.

Et ce fut d’une voix émue et solennelle

Qu’il déclara : – Je l’ai, ce que j’aurais choisi.

Ce qu’y a de meilleur, c’est le pain du Croisi.

D’autres morceaux valent celui-là : les vieux, par exemple, qui raccommodent au soleil leurs filets, les jeunes « halant » sur les cordages, - le morutier, les sardinières, s’ils n’étaient ni si gros ni si gras, – les Trois matelots de Groix, commentaire plein de larmes d’une chanson de pêcheurs,

Ce vieil air de marin, ce chef-d’œuvre inconnu,

Où du peuple des flots une âme obscure s’exprime…

Le serment, à l’exception, bien entendu, de ses vocables et de ses comparaisons de mauvais lieu.

Encore une fois, pas une page qui n’ait une souillure. La muse de M. Richepin, c’est l’infâme Céléno de Virgile. Elle a des ailes d’oiseaux et des yeux de vierge. Vous regardez. Vous admirez. Vous êtes ravi. Au même instant,

… Foedissima ventris

Proluvies.

IV.

Du dernier ouvrage de M. Richepin : Mes Paradis, que dirai-je ? D’abord que nous sommes très loin de La Chanson des Gueux, de la Mer et même des Blasphèmes !

Sans doute, dans l’œuvre entière du poète, – nous l’avons suffisamment indiqué au courant de ces pages, – la rhétorique a toujours plus ou moins gonflé les phrases ; mais, parfois, une belle rhétorique. Sans doute, cela était du délayage, voire du bavardage ; mais ceci n’était-ce pas d’une réelle abondance ? Souventefois les images manquaient de cohérence, mais non pas d’éclat. Quel fracas dans ces strophes et quel tapage ! mais dans ces autres strophes, quelle harmonie et quelle sonorité !

Dans Mes Paradis, je ne vois que la rime qui n’ait rien perdu. Insolente toujours, toujours corsée et panachée. A moins de rimer en calembours, je me demande comment, pour plus richement rimer, Banville lui-même s’y serait pris.

Le recueil se divise en trois parties : Viatiques. – Dans les Remous. Les îles d’or.

A lire la première pièce, nous avons cru un moment que le poète avait des regrets de ses mauvais livres, des remords, et qu’il était à la veille peut-être d’une « conversion ». Hélas ! dit-il à son lecteur.

Hélas ! c’est come toi, front lourd et bras tordus,

Que je cherche à tâtons les paradis perdus

Et vainement m’épuise en étreintes funèbres

Sur des fantômes faits de vide et de ténèbres ;

{204}

Comme toi que je vais, d’un pas aussi perclus

Vers une foi, dans un siècle qui n’en a plus.

Il est sombre ; il a des sanglots dans la poitrine. On croit surprendre une larme dans ses yeux. Écoutons-le gémir :

À coup sûr, ce n’est plus l’hymne à l’extase folle

Qui vers les paradis religieux s’envole

En lançant à la terre un délectable adieu

Pour monter s’abîmer au sein même d’un Dieu.

À ces paradis-là peu d’âmes croient encore.

Âmes d’enfants, que leur naïveté décore

Et que j’ai pu blesser naguère en blasphémant,

Je leur demande ici pardon très humblement

Et peut-être en secret que je leur porte envie.

Plus loin, nous voyons lutter savamment, – trop savamment, – l’un contre l’autre le matérialiste et l’idéaliste, le cynique et le doux, l’impie, et, pour parler comme M. Jules Lemaître, « l’aspirant à la foi ».

Trop tôt on s’aperçoit que l’aspirant n’aspire guère. Les remords ne sont pas cuisants ; les regrets ne sont point profonds. Les larmes, si vraiment il y en a, coulent sur un visage moins triste que grimaçant. Trop tôt vous découvrez que les Paradis de M. Richepin n’ont rien de commun avec le Paradis du dogme catholique. Son rêve à lui, c’est de combiner Mahomet et Rabelais : luxure et goinfrerie. En d’autres termes, la négation de Dieu, la négation de l’âme et la glorification du ventre, voilà « la Paradis de l’athée ». C’était d’ailleurs le titre primitif de l’ouvrage.

Paradis lugubre et qui sent mauvais. Un jésuite (de la bigotaille, il est vrai, s’il en est au monde !), un poète, un grand, et dont le seul drame, intitulé la Revanche de Jeanne d’Arc, vaut toute l’œuvre de M. Richepin, le P. Delaporte, lequel est aussi un maître-critique, écrivait naguère des Paradis44. Les Etudes du 1 (…)  : « A travers les cent soixante-quatorze poèmes, pas une idée ne s’éveille, pas une étincelle de gaieté, pas un chant de joie généreuse et franche, pas un élan, pas un vrai rire, pas une larme ! »

{205}

Et de son ouvrage l’auteur nous dit :

… C’est tout mon cœur

Et c’est toute ma pensée ;

C’est dix ans d’âpre vigueur

Dépensée55. Il va, dans la (…)

C’est vrai, si réellement Richepin a cru mettre dans ses Paradis tout son cœur, toute sa pensée, dix ans d’âpre travail, Richepin est « cani » comme disent les marins, Richepin est moisi, Richepin est fini.

Il serait fini, même littérairement. C’est vieux, archi-vieux, déhanché, disloqué, asthmatique. On peut appliquer à ces vers l’ignoble ballade des « sales vieux » :

Ils n’ont plus de soleil aux yeux

Plus d’herbe sur la calebasse,

Plus de cambouis dans les essieux.

Leur asthme poussif qui trépasse

Empuantit le vent qui passe,

Et leur catharre a pour échos

Les soupirs de leur contrebasse.

Les sales vieux, aux asticots !

Dans ce livre je ne vois guère de sincères que des vers, clairsemés, de beaux vers sur la lecture des chers poètes, sur les veillées au coin du feu, sur les enfants, et plus encore sur les plaisirs de la table.


À table, les amis, à table ! Pas bien grande,

La table ! Et simple, oh ! oui, simple ! Et pour qu’on s’y rende

Pas de larbins, ouvreurs de cinq ou six salons

Où l’on défile, un couple ayant l’autre aux talons,

Et ces larbins en frac ne différant des hôtes

Que par la croix absente et leurs mines plus hautes !

On n’a qu’à traverser ici le corridor.

Et l’homme qui me sert, avec des anneaux d’or

Aux oreilles, servait déjà mes père et mère,

{206}

Et je vais caressant parfois cette chimère
Qu’il serve aussi mes fils comme leurs grands-parents.
C’est le bon serviteur tel que je le comprends,
Brave, de la famille, ainsi qu’au temps antique,
Et notre ami plutôt que notre domestique.
Donc, entendu ! Petite et simple table ; mais
On se rattrape sur la qualité des mets.
La cuisine est aussi faite à la mode antique.
Ce n’est pas du néant soufflé que l’on mastique.
Le rôti n’est pas mis dans un four, au charbon
De terre ; on sait ce qu’il lui faut pour être bon ;
Devant un feu de bois à la braise en fournaise
Dans une rôtissoire il se dore à son aise.
Le pot-au-feu bouillotte à tout petits frissons.
Les ragoûts mijotés, fils des lentes cuissons,
Sont épais, onctueux, roux et parfumés d’herbes.
Déjà, rien que l’odeur et la couleur, superbes
Disent à l’appétit des mots encourageants.
Nos légumes élus sont ceux des pauvres gens
Pommes de terre, pois cassés, lentilles, fèves,
Choux, haricots de tous les tons, toutes les sèves,
Haricots rouges, blancs, nains, boulots, de Soissons,
Dont un triste estomac peut craindre les chansons,
Mais dont le nôtre rit et point ne se ballonne.
Gloire à l’Égypte dont les temples à pylône
Faisaient de vous des dieux ayant pour compagnons
Ces autres Immortels, les sublimes oignons !
Ah ! ce n’est pas chez nous, fichtre ! qu’on les méprise !
Ni toi non plus, bel ail dont la nacre s’irise !
On ne t’épargne pas, ail, âme du gigot.
Quant au vin, que l’on boit à tire-larigot,
Ce n’est pas de Bercy qu’il me vient, ni de Cette.
Celui qui le fabrique a la bonne recette.

Assurément, il n’y a rien dans ces vers de bien délicat, sauf le passage sur le bon serviteur, rien non plus d’avilissant. C’est un chapitre facilement et habilement versifié de la Cuisinière bourgeoise. Tel qu’il est, je le préfère à ce volume des Caresses que M. Jules Lemaître appelait, il n’y a pas longtemps des « hennissements d’étalon66. Jules Lemaître, (…)  ». Je le préfère même aux dix mille vers où le blasphémateur outrageait Dieu, qui {207} cependant, d’après lui, n’existe pas. Que serait-ce donc s’il existait ? Je le préfère à tout l’argot de la Chanson des gueux et aux « mathurinades » de la Mer. Je le préfère à tant d’autres pièces, de plus haut vol, mais dures de son, violentes de couleur, heurtées, martelées, brutales, et d’une étrangeté de vocabulaire exaspérante. Si M. Richepin n’avait fait consister son Paradis que dans l’amour de l’ail et des haricots, fût-ce un amour passionné, l’inspiration n’eût pas été très haute, j’en conviens, déshonorante non plus, et crapuleuse moins encore.

Avouons-le donc, au risque de nous voir traiter de « bigotaille » : M. Richepin n’est pas un Titan. M. Richepin n’est pas un Satan. Un baladin, je ne dis pas. Oui, c’est un baladin, « fort en gueule », pour parler sa langue, et qui a du biceps. Son triomphe, c’est de soulever au son des cymbales et de la grosse caisse, de gros poids, des poids énormes, à moins qu’ils ne soient de carton ; ou mieux, et, pour parler sans figure, c’est un farceur qui se moque de son lecteur, de son critique et de lui-même.

Jean Vaudon.

Philippe Gille, « Jean Richepin », Les Mercredis d’un critique, 1894, Calmann Levy, éditeur, 1895, p. 122-126.


LES ILES D'OR


Le nouveau livre de M. Jean Richepin : Mes Paradis, se divise en trois parties : Viatiques, Dans les remous, Les Iles d'or. Les deux premières se composent de pièces dans lesquelles on retrouvera toute l'énergie, la liberté d'allure des Blasphèmes, bien que les tendances en soient diamétralement opposées ; c'est la tolérance qui cette fois est la note dominante du livre. Quant aux Iles d'or, il est nécessaire pour naviguer dans leur archipel d'être muni d'un pilote. Disons tout d'abord que la conclusion de l'œuvre est qu'il y a dans chaque individu des milliers de « moi », et qu'il est fou d'espérer pouvoir les réduire à un seul, absolu, unique ; il ne faut par conséquent pas chercher un paradis, mais des paradis sans nombre ; le poète {123} nous les montre dans les Iles d’or qui ne sont autre chose que les bonheurs épars qu'il est permis à chacun de conquérir ou de rêver.

Il y a les îles de la Jeunesse pleines de joie, les îles où l'on cueille l'amitié comme une fleur, les îles d'où l'on regarde les étoiles, là-bas les îles mystérieuses où fleurissent les baisers. Plus loin, avant que l'âge soit encore venu, on fait un retour sur les îles d'or de l'enfance, paradis jadis vécu ; on redevient le tout petit des premiers gestes, des premiers bégaiements et des grands yeux aux histoires contées. Puis ce sont les vingt ans batailleurs, puis une autre île d'or, les Lettres divines, où l'on oublie son âge ; enfin, après nous avoir montré bien d'autres îles encore, le poète conclut par trois pièces qui se résument à ceci : il faut pleinement et follement s'enivrer : « Du bonheur qui survit, île d'or d'un moment », pleinement et follement s'enivrer : « De tout ce qui survit au rapide moment », mais surtout être aimé, être aimé follement, c'est là le paradis possible à tout moment. Horace n'eût pas pensé autrement si les dieux lui avaient infligé de voir le xixe siècle.

Voici d'abord l'île volcanique des passions, où la jeunesse croyante en ses forces veut lutter contre toutes celles de la nature, avec la belle certitude de les vaincre :

Il en est qui sont des volcans
Au sol en fièvre, aux flancs craquants,

{124}

Aux cheveux de flamme et de cendre.
On se demande, revenu,
Où l'on prit l'orgueil ingénu
Et le désir fou d'y descendre
Et cependant j'y descendis.
C'était l'âge des vœux hardis,
De la vaillance, de la force,
Des nerfs d'acier, du sang qui bout,
Du corps toujours prêt et debout
A toute lutte offrant son torse.

En avant ! le monde est étroit.
On n'a peur de rien. On se croit,
Étant invaincu, l'invincible.
On a l'arc et l'on est l'archer
Dont tous les coups doivent toucher,
Prît-on le firmament pour cible.


Puis, c'est l'île que le soleil d'automne commence à dorer, où l'homme déjà mûr goûte par avance les fruits prochains de la vieillesse, c'est-à-dire le calme dans la lecture et la communion quotidienne avec les grands esprits du passé. Maintenant c'est l'île discrète des joies familiales que l'on goûte plus que l'on ne les exprime :


Et d'abord celle-ci, deux sœurs qui font la paire :
Être père, et songer que l'on sera grand-père ;
En ses petits revivre un peu ses premiers ans
Et tous les beaux passés qu'on retrouve présents,
Et plus tard, front chenu que la neige décore,
Aux petits des petits pouvoir revivre encore.
Ah ! sur ces bonheurs-là, j'en dirais, j'en dirais
Mais les foyers heureux veulent être discrets.

{125}

Il faut de vieux amis pour que tu les admettes
A savourer ce miel des intimes Hymettes.
Silence ! Et vous, à qui ce miel reste interdit,
Trois actes, sachez-le, sans savoir qui l'a dit,
Sont requis pour sentir tout ce que c'est que vivre :
Faire un enfant, planter un arbre, écrire un livre.


Enfin dans cette pièce, d'une rare délicatesse de sentiment, le poète nous montre l'île où il fait naître les grâces de l'enfance et les charmes de la maternité.

Qu'a donc le cher mignon à s'agiter ainsi ?
Chacun veut le calmer ; mais nul n'a réussi,
Ni le père orgueilleux de sa science vaine,
Ni grand'mère chantant le son, son, vine, vène.
Il crie, il pleure, il tord ses bras ; de ses pieds nus
Il gesticule ; il a des chagrins, inconnus
Même de la maman, l'interprète divine
Qui comprend tout, et tout explique, et tout devine.
Ce sont de grands chagrins, bien qu'ils n'aient pas de nom.
Inexprimables, certes Inconsolables ? Non.
La mère en souriant découvre sa poitrine.
Au bout du sein, bouton de rose purpurine,
Tremble, blanche rosée, une goutte de lait.
A la voix de l'enfant d'avance elle y perlait.
Lui, comme une églantine ouverte, tend sa bouche.
Et sitôt que la rose à l'églantine touche,
C'en est fini des cris, des pleurs, des grands chagrins.
La mère le couvant de ses regards sereins,
Lui verse avec son lait l'oubli. Son souffle calme
S'épand dans l'air ainsi qu'au rythme d'une palme
Et chasse, en l'éventant d'un mouvement léger,
Tous ces noirs papillons qu'il sentait voltiger
Confusément autour de lui d'une aile obscure.
Ah ! maintenant, ni d'eux, ni de rien il n'a cure.
Il est tout au bonheur qu'il boit béatement.

{126}

Ses yeux levés et doux sont en plein firmament
A contempler les yeux de sa mère. Il se presse
Contre elle. Ses doigts lents, à la vague caresse,
Vont, viennent, sur le sein élastique et neigeux,
Et semblent y frôler, pour les mystiques jeux
D'un ballet d'anges dans les célestes concordes,
Une harpe de rêve aux invisibles cordes.
Et rien, ni le profond délire de l'amant
Lorsque l'aimée et lui se fondent ardemment
Dans le baiser qui fait de deux êtres un être,
Ni la voluptueuse ivresse qui pénètre
Une vieille dévote attablée au saint lieu,
Sentant son corps s'unir au corps même de Dieu,
Ni le ravissement d'un saint dont les prunelles
Voient déjà resplendir les lampes éternelles
Et s'emplissent de leurs extatiques clartés,
Rien n'est heureux autant que ces doigts écartés,
Que cette bouche en fleur suçant la fleur de vie,
Et que ces yeux mouillés de tendresse assouvie
Comme si, cependant que l'enfant prend son lait,
Dans son cœur tout le cœur de sa mère coulait !

On retrouve dans ce volume écrit avec une prodigieuse facilité, toutes les brillantes qualités du grand producteur qu'est M. Richepin ; un critique lui souhaitait dernièrement plus de méditation, plus d'hésitation avant de lancer un ouvrage, pièce, roman ou poème ; moi je conseillerai à M. Richepin de prendre acte de ce conseil bienveillant mais de n'en point profiter. Il a l'abondance, il a le jet, c'est le don exceptionnel, important en art ; n'importe qui peut, avec du travail, avoir le reste ; s'il n'a point cela il restera n'importe qui.

Frantz Jourdain, « Jean Richepin », Les Décorés : Ceux qui ne le sont pas, H Simonis Empis, éditeur, 1895, p. 177-181.

Une des victimes de la magistrature que l’Afrique Centrale nous envie, car on doit posséder une dose colossale de naïveté dans ces contrées dépourvues de tramways et d’émissions panamiques.

Comme pas mal d’écrivains d’une certaine valeur — tels que Baudelaire, les de Goncourt, Flaubert, Bonnetain, Descaves et d’autres que j’oublie — Richepin a été traîné sur le banc de l'infamie, à côté d’escarpes et d’escrocs.

Afin d’éviter une fâcheuse confusion, je tiens {178} — en passant — à prévenir les étrangers désireux de visiter nos tribunaux et de se tenir au courant de nos mœurs, qu’il existe un moyen excellent de distinguer un homme de lettres d’un aigrefin : la plupart du temps, les premiers ont la boutonnière vierge de décoration, et les seconds sont officiers, commandeurs ou grand-croix de la Légion d’honneur.

Au dix-huitième siècle on comblait de faveurs « les beaux esprits » ; actuellement on préfère leur octroyer des casiers judiciaires. C’est plus économique.

Je reprends. Accusé, non sans fondements, d’avoir publié la Chanson des Gueux — un livre superbe de fougue et de crânerie, — le poète alla pourrir sur la paille humide des cachots.

Il aurait composé pour un café-concert une inepte obscénité qu’il se serait vu gratifié des palmes académiques, au jour de l’an. L’événement eût été désagréable, mais plus hygiénique, car l’air raréfié de la prison devait étioler ce {179} robuste garçon à la poitrine et aux bras de discobole, aux cheveux crêpus, aux yeux de braise, au teint cuivré, qui ressemble à un Indien égaré dans un complet européen.

Et cependant je ne sais si, à cause de son imprévu, cette villégiature forcée — intra muros — n’a pas amusé Richepin. Du sang bohémien, du sang tzigane coule dans les veines de ce « Touranien » qui se promena longtemps avec un bracelet d’or au bras, qui préfère la robe de chambre écarlate à l’habit noir, qui joua, à la Porte-Saint-Martin, le principal rôle dans son drame de Nana-Sahib, et dont les sautes brusques déroutent l’observateur le plus perspicace.

Pas facile, en effet, d’immatriculer cet irrégulier qui n’a retenu de chaise à l’année dans aucune église ; son talent à facettes multicolores brille et s’éteint sans qu’on sache pourquoi ni comment. Naturaliste dans la Glu, romantique dans Monsieur Scapin, romanesque dans Miarka, il culbute lourdement {180} dans le vieux mélo en compagnie du Chien de garde. Après avoir trouvé des accents admirables quand il écrit les Blasphèmes et la Mer, il commet un roman sensiblard comme les Braves gens où, dans le ronronnement d’une intrigue éculée, surgit — à propos de bottes — une pantomime qui vous étreint et vous passionne, une pantomime de rêve, folle, terrifiante, extraordinaire, angoissante, enthousiasmante. Est-ce donc le même homme qui, en 1873, passe en correctionnelle pour avoir lancé ce vaillant cri de pitié et de révolte appelé la Chanson des Gueux, et qui, en 1888, offre Le Flibustier à l’admiration des demoiselles bien sages ?

On pourrait affirmer qu’il existe un, deux, trois, quatre Richepin, que dis-je ? une compagnie de Richepin, Richepin and Co. — Je serais médiocrement étonné d’apprendre que l’auteur des Morts bizarres, socialiste hier, soit allé aujourd’hui s’enterrer à la Grande Chartreuse ; qu’il ait été faire sauter, à {181} coups de dynamite, la monarchie chinoise ou qu’il se soit placé à la tête d’une bande de partisans dans le but de reconquérir le saint sépulcre ; qu’il ait accepté une chaire de littérature dans un lycée de jeunes filles ou qu’il ait produit un chef-d’œuvre. Demain, sera-t-il Dieu, table ou cuvette ? Oublions Vers la joie, et demandons à sœur Anne si elle ne voit rien venir.

Mais ces à-coups n’ont jamais pour mobiles de bas calculs d’intérêt personnel ; car Richepin reste aussi sincère dans ses accalmies que dans ses tempêtes, dans ses reculades que dans ses emballements.

En résumé, un consciencieux, un probe, un fier, un véritable littérateur doublé d’un brave homme.

Adolphe Brisson, « M. Jean Richepin », La Comédie littéraire : notes et impressions de littérature, Paris, Armand Colin et Cie, 1895, p. 87-92.

Le poète Jean Richepin possède une collection de curieuses photographies qui le montrent à différents âges. La plus ancienne, qui date de 1876, le représente entouré de quelques amis : Maurice Bouchor, Raoul Ponchon, Paul Bourget… Sur cette image lointaine, Raoul Ponchon apparaît joyeux. Paul Bourget semble avoir du vague à l’âme. Maurice Bouchor porte dans ses yeux limpides une expression de sérénité… Quant à Jean Richepin, il est coiffé d’un chapeau tromblon à larges bords ; il a la prunelle ardente, la taille cambrée, le poil luxuriant et embroussaillé ; sa chevelure s’échappe en boucles rebelles ; sa barbe est tumultueuse et ses vêtements d’une coupe primitive. On dirait d’un jeune faune, lâché sur les boulevards et habillé par un tailleur-concierge de la rue Monsieur-le-Prince.

En ce temps-là, Jean Richepin jouissait, parmi les bourgeois, d’une fâcheuse réputation. On faisait {88} courir sur lui de surprenantes légendes. On affirmait qu’il avait été chassé de l’École normale pour cause de mauvaises mœurs ; qu’on l’avait surpris une fois dans la chapelle de l’École, devant l’autel éclairé a giorno, ayant près de lui trois femmes (le gourmand !) qu’il était en train de confesser. Jeté dehors, repoussé par sa famille, on racontait encore que Jean Richepin s’était engagé dans une troupe de saltimbanques, qu’il avait dompté des bêtes féroces, lutté à main plate avec Marseille, couru les océans en qualité de mousse sur un vaisseau négrier et que rentré au gîte, après tant d’aventures, crevant de faim et mis au ban de la société, il composait des vers obscènes en caressant des Gothons de carrefour.

Tout n’était pas irréel dans ces contes bleus. Jean Richepin n’avait jamais souillé par un sacrilège la maison de la rue d’Ulm. Il en sortit pour aller se battre contre les Prussiens. Il ne fut pas repoussé par sa famille, mais sa famille était pauvre. Et il dut s’ingénier pour se procurer le pain quotidien. Son imagination était d’ailleurs vagabonde ; il adorait les verroteries, les costumes bariolés. Et enfin il avait lu, comme tous ceux de sa génération, les livres d’Henry Murger ; il prenait au sérieux la vie de bohème et croyait sincèrement qu’un poète lyrique ne peut, sans déchoir, s’astreindre à une existence régulière et qu’il est tenu, par respect humain, de frayer avec la Cour des Miracles. {89} Richepin s’évertua à jouer les Schaunard ; ce fut un Schaunard asiatique, truculent et somptueux. Il oubliait de payer son terme, il déjeunait dans les crémeries ; mais il portait en épingle certain rubis qui avait appartenu, disait-il, au Grand Mogol et qui se cassa en tombant sur le marbre d’une cheminée. Il était beau et aimé des femmes. Il était heureux !…

Examinons maintenant la plus récente photographie. Le poète est assis à une table surchargée de paperasses, dans une pièce remplie de livres et d’objets d’art. Un feu clair flambe dans l’âtre et colore de ses reflets des landiers en fer forgé et des chandeliers de cuivre ; de vieux vitraux laissent passer une lumière adoucie, qui vient s’éteindre sur des tapis d’Orient. Ce milieu respire le confort, la paix domestique, un luxe de bon aloi. Le maître de céans est bien le même personnage que nous avons vu tout à l’heure ; il porte un manteau écarlate que ferme une agrafe d’or ; et son mollet se dessine ferme et musclé, sous la trame élastique du bas de soie… Cependant le front est dégarni, quelques fils blancs apparaissent dans la chevelure. Le temps a touché de son aile le chansonnier des gueux, et en l’effleurant, il l’a calmé, assagi. Jean Richepin peut dire, comme le charbonnier de la légende : Je suis ici chez moi.

Et, en effet, ce « home » lui appartient ; et non seulement le cabinet de travail, mais la maison, et {90} non seulement la maison, mais le jardin, et d’autres jardins, et une autre maisonnette. Le bohémien de jadis est devenu propriétaire foncier, ni plus ni moins qu’un parfait notaire. Il soigne ses rosiers, il s’amuse avec ses enfants, il se délasse des joies du travail par les joies de la famille. On inscrira sur sa tombe, s’il meurt demain : bon père, bon époux, citoyen intègre ; et l’on ajoutera à son épitaphe la devise des hommes de lettres économes et vaillants : liber libro… Mais Jean Richepin n’a pas envie de mourir et, sa plume aidant, le jardin de la rue Galvani finira par ressembler au parc de Versailles…

Je sais d’anciens camarades qui lui gardent rancune de cette prospérité. Pour ceux-là, ratés du Parnasse et vieux bohèmes croulants, tout poète qui ne finit pas à l’hôpital n’est pas un poète. Richepin a cessé d’avoir du talent dès l’instant où il a touché des droits d’auteur. Si jamais l’Académie lui ouvrait ses portes, il serait déshonoré. Et on l’accuse d’hypocrisie ! Et l’on met en doute sa sincérité…

J’estime au contraire que la vie de Jean Richepin est un chef-d’œuvre d’harmonie et de sagesse. Elle trahit un tempérament admirablement équilibré. Tout d’abord studieuse, puis agitée, mouvementée (à l’âge des fièvres amoureuses et des folles passions), puis tranquille, puis apaisée, cette existence est l’image d’un beau jour qui traverse successivement la fraîcheur de l’aube, l’ardeur du soleil et la {91} paix du crépuscule. Et l’œuvre de Richepin s’est modelée sur sa vie. Il a commencé par écrire des discours latins ; puis il a composé des chansons et enfin des tragédies en cinq actes pour la Comédie-Française.

Je ne veux pas regarder ce qui vaut le mieux de ses tragédies ou de ses chansons. Si j’avais un conseil à donner aux jeunes poètes, dans l’intérêt de leur bonheur, sinon de leur talent, je leur dirais : « Imitez cet homme, soyez comme il l’a été, tour à tour agité et raisonnable et toujours laborieux. Et les dieux vous béniront ! » Mais les artistes n’ont pas besoin de conseils, chacun suivant le penchant de sa nature. Peut-être vaut-il mieux qu’il en soit ainsi….

Or je crois remarquer que les générations nouvelles sont animées d’un singulier esprit d’ordre et de prudence. La pauvre bohème est morte avec Banville qui égrenait de temps à autre, sur la tombe de Mürger, une grappe de lilas. Les peintres, les poètes, voire les médecins, envisagent dès l’adolescence le problème de la lutte pour la vie. Ils travaillent pour amasser un capital et en tirer bon parti. Le peintre entrevoit dans ses rêves un petit hôtel, le poète un ruban rouge et l’Académie, le médecin une clientèle mondaine. Et ils cherchent autour d’eux le véhicule qui doit les conduire au but désiré : le mariage riche, l’héritière. On me citait le mot typique d’un de nos brillants confrères, {92} qu’une dame de ses amies voulait unir à une jeune fille de condition médiocre :

— Inutile d’insister, dit-il d’un ton sec. Je n’épouse pas, à moins d’un million !

Et ce jeune écrivain n’a encore publié que trois volumes ! Et il n’a pas le profil d’Antinoüs ! Jugez un peu s’il ressemblait seulement à M. Le Bargy, de la Comédie-Française ! Jérôme Paturot doit s’estimer satisfait. Ce revirement est son triomphe. Lui, qu’on a tant raillé, on le traite aujourd’hui avec égards, et l’on sollicite l’honneur de son alliance. Et je dois dire qu’il répond à demi aux avances qui lui sont faites ; il commence à considérer que les artistes peuvent être des gens sérieux, il ne leur refuse plus son estime et trouve assez agréable, ayant déjà la fortune, de prendre pour gendre un garçon de mérite qui lui apportera un parfum de gloire. Ainsi s’accomplit la fusion du talent et de la richesse. Nous avons toujours des poètes, mais ce sont des poètes bien nippés. Les cigales chantent encore, mais elles ne chantent plus à la belle étoile…

Bernard Lazare, « Jean Richepin », Figures Contemporaines : ceux d’aujourd’hui, ceux de demain, Perrin et Cie, Libraires-éditeurs, 1895, p. 9-13.

M. Richepin a perverti plusieurs générations de normaliens, il a troublé bien des rhétoriciens, chagriné bien des bonnes âmes. Ces temps sont passés, et désormais il ne pervertit, ne chagrine et ne trouble plus personne, mais il étonne toujours. Il représente pour nous des âges abolis et sa présence est précieuse.

Grâce à Jean Richepin, nous concevons les gilets rouges, les lycanthropes, ceux qui hurlaient à la lune, blasphémaient le ciel, insultaient à la terre, bravaient les hommes {10} et les éléments. Nous les concevons et, faut-il le dire, nous les chérissons. Sous leur défroque conventionnelle, malgré leur barbe hirsute et leurs cheveux désordonnés, nous devinons de bons garçons, de sages et égoïstes bourgeois.

Car ils furent tous des égotistes, nos aïeux de la première d’Hernani et c'est en cela que M. Richepin leur ressemble. Il n'a guère pitié que de lui dans son œuvre, de ses détresses, de ses déboires, de ses amours. Il a été le Touranien farouche perdu au milieu des aryas. Le fier bohémien qui hait les gens en place, le terrible nomade campé parmi les civilisés. Le bruit de sa querelle avec Dieu a rempli le monde, et comme il fut touchant en cette attitude d’Ajax attendant une foudre entêtée à ne pas venir. Il en a {11} gardé du prestige le voir si crâne, on a oublié qu'il niait ce qu'il insultait et qu'il appelait des carreaux auxquels il ne croyait guère.

N'importe, il était sincère en blasphémant, comme il est sincère aujourd'hui en vagabondant par les paradis. Son allure de matamore seyait à sa prestance, il revêtait le seul costume qu'il pût porter, et ce costume était bien à lui, rouge, ample les pans de sa grande cape claquaient ainsi que de fiers drapeaux : les drapeaux de Touran ; et Richepin traversait le monde au milieu des clameurs, des cris d'effroi et de stupeur.

Son exubérance séduisait et charmait en le voyant on disait : Ils étaient bien, nos pères, ils étaient vaillants et hardis, un peu {12} bruyants, vantards, tapageurs et capitans, mais c'étaient de bonnes âmes, âmes candides, aimant les gueux, les pauvres diables, les belles filles, les fleurs des champs, les petits oiseaux et les grandes batailles contre les moulins à vent. Ils frappaient d'estoc et de taille, et, s'ils ne se souciaient guère de savoir où portaient les coups, ils n'en frappaient pas moins fort. C'était une façon comme une autre de développer son moi, de l'exalter, de le parer en tous cas, de l'embellir par une fiction un peu enfantine, mais touchante et aimable.

On ne pratique plus aujourd'hui cette méthode, on en redoute l'excès, et c'est pour cela que Jean Richepin a des airs d'ancêtre, un ancêtre qu'on ne suit pas, {13} mais qu'on regarde avec complaisance, peut-être même avec admiration, ou du moins avec sympathie. Quand on parle de lui, on prend un ton d'oraison funèbre, mais le ton d'une oraison émue, dans laquelle on parle surtout des vertus qui furent solides et non des défauts qui furent trop nombreux.

Février

Ramon Larive, « Jean Richepin et l’amnistie » Le Soir, 19 février 1895, p. 1.

M. Clovis Hugues, on le sait, s’emploie, et de façon très active, à obtenir pour Jean Richepin le bénéfice des lois de clémence, de pardon et d’oubli votées par les Chambres à la fin du mois précédent. Mais l’auteur de la Chanson des Gueux, l’ouvrier de tant de beaux vers, refuse toute amnistie que n’accompagnerait, point l'autorisation officiellement donnée de rétablir dans une édition définitive les passages que les magistrats de 1876 jugèrent immoraux et pour lesquels on le condamna.

1876 ! Dix-neuf ans déjà depuis que Richepin perdit ses droits civiques ! Les faits ignorés peut-être de la génération nouvelle galeux d'être rappelés. Et nous n’avancerons rien qui ne nous ait été, hier, confirmé par le poète lui-même.

Toute sa vie, Richepin se souviendra des trois auges devant lesquels il comparut et du jeune substitut qui occupait le siège du ministère public. Celui-ci eut, dans ce qui lui servit de réquisitoire, des aperçus inénarrables. De même, le président était bien bizarre dans sa façon de diriger les débats : il traitait le prévenu comme un malfaiteur des plus dangereux, et à de certains moments son mépris était accablant. Pensez donc ! Richepin était prévenu d’outrages aux mœurs ! Quelle faute pour le digne homme obligé de l’interroger ! II eut, ce président, un mot bien remarquable :

« Il est bien entendu, dit-il, qu’il y a préméditation. En écrivant la Chanson des gueux, vous aviez l’intention arrêtée d’outrager la morale publique... »

Richepin qui, à l’époque, était jeune, violent, faillit sauter à la figure du juge :

« Tenez-vous donc tranquille, ne cessait de lui répéter Decaux, son éditeur, qui, assis à côté de lui, était poursuivi comme complice. Tenez-vous tranquille, vous n’aurez que six mois, tandis que si vous injuriez le tribunal...... »

Richepin fut condamné. On l’envoya à la Santé : il eut toutes les peines du monde à obtenir de faire sa peine à Sainte-Pélagie.

Dans sa bibliothèque, Richepin possède l’exemplaire de la Chanson des Gueux, qui servit pour instruire l’affaire ; ce volume a été dérobé au greffier, longtemps après l’audience, par un étudiant Il a passé de main en main, mais son authenticité est incontestable : au milieu, on voit le trou qu’a fait l’aiguille lorsqu’on a attaché les différentes pièces du dossier.

Le livre est annoté au crayon bleu, et, chose curieuse ! des vers sont incriminés pour lesquels le ministère public n’a pas demandé de condamnation. C’est que le juge, sa moisson d’horreurs une fois faite, il a pensé qu’elle était trop considérable..., il a élagué : cela a dû lui coûter beaucoup. Mais il a été contraint de s’y résoudre.

Trois vers dans lesquels le poète, après avoir comparé la terre à une mère, parle de « testons » et de « matrice », ont été soulignés par le vertueux juge. Mais où l’indignation du magistrat n’a plus connu de bornes, c’est devant ces deux vers : 

……………Le vent, dans les collets

Des messieurs boutonnés, souffle des cents d’épingles.

Deux coups de crayon ! Pourtant, ce passage à l'audience ne fut pas incriminé. Et je le comprends, car on eut eu bien de la peine à prouver qu’en les écrivant, l’auteur avait outragé la morale. N’importe, le juge d’instruction devait être un raffiné. Plus loin, Richepin nous a montré la grande tirade du prêtre qui a fait les frais du réquisitoire. En travers de la page, un non s’étale avec un point d’exclamation :

— Et ne vous y trompez pas, nous a dit Richepin, cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas lieu à poursuites. Bien au contraire, c’est le non indigné de l'homme qui se dit : « Inutile de lire davantage, on ne saurait aller plus loin dans l’obscénité. »

Le plus curieux, c’est que les passages incriminés mis à l'index par les juges, étaient moins « raides » que ceux qui furent ajoutés dans une nouvelle édition parue après le jugement.

De tout ceci il résulte qu’un tribunal ordinaire ne devrait jamais avoir à se prononcer sur des questions d’art ou de littérature. Si parfois des pénalités sont nécessaires, si l’on ne veut point, sous le prétexte de respecter les droits de l’écrivain, laisser le champ libre aux malheureux qui spéculent sur le goût de certaines gens pour certaines polissonneries, alors ce sont des hommes de lettres qui doivent être chargés du soin de faire la différence, à titre d’experts, tels, dans les crimes de faux les experts en écriture.

Et tenez pour certain que, quelles que soient les jalousies, les envies, les inimitiés, les rancunes qui existent dans notre profession, nous serions toujours mieux jugés, avec plus d’équité, plus d’impartialité, que par les magistrats ordinaires des tribunaux correctionnels.

Ramon Larive

Mars

Pierre Sandoz, « La Semaine artistique (Lettres et Beaux-Arts) », Le Monde Artiste, 3 mars 1895, p. 117.

A l'heure où le cabinet Ribot usait de clémence envers des libertaires politiques de toutes nuances, Jean Richepin demeurait privé de ses droits civils pour avoir écrit, jadis, la Chanson des Gueux, son véritable chef-d'œuvre. Nous déclarons, avec Clovis Hugues et tant d'autres, « qu'il ne faut pas qu'un tel homme soit sous le coup d'une telle injustice ».

Une mesure de bienveillance sera prise, paraît-il, à l'égard d'un des plus grands écrivains modernes, si le condamné d'il y a vingt ans, veut bien commencer par demander humblement sa grâce !

Quelle sottise et quelle triste ironie ! On n'est pas plus bête et plus méchant, car si le merveilleux poète, le seul qui sut se montrer vraiment personnel depuis Baudelaire, pouvait s'abaisser à mendier une grâce, c'est qu'il se reconnaîtrait avoir été coupable. Or, par sa carrière déjà si remplie, Jean Richepin a prouvé qu'il ne fut jamais un bas calculateur, non plus qu'un esprit amoureux de trivialités. Il ne s'agit donc pas d'un pardon, mais d'un acte de justice, et je veux croire qu'avant longtemps la généreuse initiative de Clovis Hugues sera sanctionnée par un décret.

Mais le plus curieux, en cette affaire, c'est que les journalistes qui provoquèrent l'ire des juges en aboyant aux chausses du poète, ceux-là même qui le poussèrent par les épaules sur les bancs de la correctionnelle, ont aujourd'hui des tendresses aussi profondes que tardives pour leur ancienne victime. Car, il n'y a pas à le nier : c'est la presse qui fit condamner Jean Richepin, la presse hypocrite et prétentieuse, abominablement servile et lâche aussi, trop souvent.

Parmi tous les hommes interviewés sur le nouveau cas d'amnistie, il n'en est qu'un seul, M. Brunetière, qui persiste à n'avoir « aucune opinion, sur n'importe quelle matière, vis-à-vis des journalistes ». Ce bilieux gaffeur pétri de suffisance, a classé sans nul doute au nombre des poètes méprisables, l'auteur des Blasphèmes. Vous m'en voyez ravi. Richepin réhabilité, redevenu citoyen de Lutèce, et n'ayant pour tout ennemi que M. Brunetière, ce sera drôle !

Pour en revenir aux critiques des grands quotidiens qui continuent, en bien des cas, à mener l'opinion publique, il me plaît, pour démontrer qu'ils causèrent un préjudice considérable à Jean Richepin, de narrer un souvenir.

C'était au moment de la publication de La Mer. J'habitais Genève et j'avais été le premier à répondre à un sot article du Journal des Débats visant cet ouvrage superbe, quand le hasard me fit rencontrer avec quelques-uns des plus acharnés puristes genevois. Au cours d'un entretien littéraire, je lus mon article paru la veille dans la Revue Moderne. On me conspua. Quoi ? j'osais défendre un cynique, un corrupteur d'âmes, un ignoble dépravé ? Oui, dépravé ! Comment pouvais-je prétendre le contraire, puisque « les gens les plus sensés de Paris l'avaient fait condamner pour de sales actions ! »

Je n'insistai pas, c'eût été inutile. Mais j'organisai plusieurs réunions et, après avoir fait appel aux jeunes, je fis connaître publiquement les pages les plus belles des Caresses, de la Chanson des Gueux, des Blasphèmes et de la Mer.

Quinze jours plus tard, les œuvres de Jean Richepin se vendaient couramment à Genève et les poètes du cru se lançaient dans l'imitation.

Cette veulerie de jugement personnel que j'ai constatée à l'étranger, d'autres l'ont pu voir ici, dans les milieux où l'hypocrisie tient lieu de morale. Il est grand temps que le critique de métier se mette à respecter l'indépendance intellectuelle. Richepin, de cerveau puissant et d'âme haute, en homme supérieur qu'il est, n'a pas trop souffert de la haine aveugle et, grâce à sa prodigieuse énergie, il a su engranger ses vouloirs et les imposer dans la poésie pure, sur le théâtre, dans le roman, au grand public qui n'admet point qu'on régente ses sensations. Mais d'avoir été vilipendés par des médiocres d'autant plus audacieux qu'ils ploient l'échine en face des puissants de la dernière heure, combien de libres esprits se sont éteints, déroutés par l'injustice et combien sont tombés torturés par le doute affreux qu'on leur avait glissé dans l'âme !

PIERRE SANDOZ.

Georges Bertal, « Pas de Grâce », Le Rappel, 8 mars 1895, p. 1.

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Parmi les questions à l'ordre du jour, il y en a une qui intéresse particulièrement le monde littéraire. Clovis Hugues l'a traitée hier dans une conférence très chaude, très vibrante, qui lui donne encore plus d'actualité.

On se demande si Jean Richepin qui a été condamné en 1873 à un mois de prison pour son premier livre de vers, la Chanson des gueux, ne va pas enfin recouvrer ses droits civils dont il est privé depuis cette condamnation.

Si le président de la République le veut, le poète frappé comme indigne pour la franchise de son lyrisme, ne sera plus bientôt hors la loi ; il redeviendra un citoyen au même titre que son épicier, son tailleur ou son valet de chambre, un homme de lettres pouvant être décoré aussi facilement que M. Chose ou M. Machin, pouvant même aller s'asseoir dans un fauteuil académique, « la plume au chapeau et l'épée au côté. »

En sera-t-il plus inspiré ? je ne crois pas ; mais M. Brunetière, par exemple, aura pour lui plus de considération ; son concierge aussi le saluera plus bas. Et c'est bien quelque chose, dans la vie d'un écrivain, que d'être estimé à la fois par le directeur de la Revue des Deux-Mondes et par un pipelet, deux extrêmes qui se touchent !

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Un de nos confrères alla demander au sénateur Bérenger ce qu'il pensait de la question. — il n'en pensait rien, il ne pouvait rien en penser ; peut-être connaissait-il le nom de Jean Richepin pour l'avoir lu dans le Temps ou les Débats, mais c'était tout.

– Cependant, insista notre confrère, le volume condamné, cette fameuse Chanson des gueux ?

– Hein ? quoi ? interrompit l'ineffable sénateur, qu'est-ce que c'est que ça, la Chanson des Gueux ?

Ça, monsieur Bérenger, n'en déplaise à votre pudeur bien connue, c'est un chef d'œuvre qui vivra plus longtemps que les lois élaborées dans vos commissions législatives et qui servira mieux notre gloire que tous les discours sénatoriaux ; ça, c'est un livre plein de jeunesse et d'ardeur, de vaillance et d'originalité, où les vagabonds, les affamés et les réfractaires nous apparaissent comme la personnification de la Misère éternelle l

Si cette Chanson des gueux a été jugée immorale, c'est qu'on ne s'est pas donné la peine de la lire avec attention, en s'élevant au-dessus des hypocrisies de notre époque, car sous une forme archiloquienne, parfois brutale, toujours violente, il est vrai, on eût découvert beaucoup de pitié, de tendresse et de compassion.

Mais immoral ou non, ce volume reste curieux dans ses outrances et superbe dans ses audaces. Quant au maître qui l'a conçu, on fera bien de le grâcier, s'il désire sa grâce ; seulement, il gagnerait peut-être à rester le « gueux » qu'on a rayé des listes électorales, qu'on repousserait à l'Académie française et qu'on dédaigne à la Légion d'honneur.

Il n'a pas besoin de la bienveillance du pouvoir ; il arriverait par elle, sans doute, aux dignités officielles, mais il a mieux que cela. Il a le respect de ceux qui savent encore apprécier la toute-puissance des beaux vers ; il a les bravos de la foule qui va voir jouer ses drames remplis de magnifiques envolées ; il a aussi, maintenant, la fortune que peut donner le travail, et la sérénité que donne l'indépendance. -

A quoi bon désirer davantage ? Et, d'ailleurs, que ferait-il de sa grâce ? Il doit tenir bien plus à sa condamnation qui fut son premier titre d'honneur et le commencement de sa gloire. De lui, simple gueux par vocation, elle a fait le roi des gueux, le porte-drapeau de tous les descendants de ces bohémiens, de ces stropiats, de ces béquillards, de ces misérables enfin qui ont été immortalisés par le pinceau de Murillo et de Callot, par les vers ou la prose de Villon, de Mathurin Régnier et de Victor Hugo !

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Que Jean Richepin reste donc privé de ses droits civils ; cela l'empêchera de voter pour des candidats législatifs ou municipaux, mais cela ne saurait l'empêcher d'écrire des romans comme la Glu, des drames comme Nana-Sahib, et des poèmes comme la Chanson du sang.

Jean Richepin ne peut pas devenir Monsieur Richepin, il ne peut pas imiter le Scapin qu'il a ridiculisé lui-même dans une étincelante comédie où il le montre débitant ce couplet à Dorine :

Le bon temps, c'est celui des digestions calmes.
J'ai su me faite un lit de lauriers et de palmes.
Dis-tu. Laisse-moi donc y dormir. C'est si bon
Je ne veux point finir, aventurier barbon,
A tendre mon vieux casque ainsi qu'un Bélisaire
Et puisque j'ai vaincu la faim et la misère,
Je n'ai plus qu'à vieillir, tranquille, gras et dont,
Comme Cincinnatus quand il plantait ses choux.

Non ! Richepin ne doit pas finir dans la peau d'un bourgeois ; il ne doit pas cacher sa crinière sous un bonnet de coton et renoncer à son titre de réfractaire. Si on lui offre sa grâce, le mieux qu'il ait à faire, c'est de la refuser. Du reste, en le condamnant, on a voulu frapper ses vers frénétiquement audacieux ; s'il acceptait aujourd'hui d'être gracié, il aurait l'air de renier ses colères, ses révoltes, ses passions, ses enthousiasmes, – toute sa jeunesse !

Valensol, « Le Poète des Gueux », Le Petit Parisien, 10 mars 1895, p. 2.

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Il y a dans Paris un homme de lettres, poète vibrant, romancier apprécié, dramaturge applaudi, dont tout le monde estime le caractère et qui cependant se trouve depuis vingt ans privé de ses droits civils et politiques. C'est Jean Richepin. A vrai dire, il ne paraît pas s'en soucier et ne souffre guère de l'ostracisme qui pèse sur lui.

Néanmoins, la situation morale de cet écrivain que nos Ministres vont acclamer au Théâtre-Français et qu'une ancienne condamnation pour délit de presse relègue dans les limbes de la société (c’est une manière de parler), présenta une anomalie qui fait injure à l'esprit de justice dont cette société se targue. L'écrivain, s'il voulait, aurait le droit de commenter avec quelque acrimonie les hommages qu'il reçoit et de se gausser des philistins qu'il voit associer aussi bizarrement « un tel excès d'honneur et tant d'indignité Mais M. Richepin s'abstient. Sans daigner remarquer la ronce que la magistrature a mêlée à ses lauriers, il poursuit brillamment sa carrière. Il va son chemin de poète et croirait s’humilier en demandant une grâce dont, personnellement, Il ne ressent pas le besoin. Un autre poète, M. Clovis Hugues, s'est ému de cette abnégation. Député, il s'est adressé aux pouvoirs publics afin qu'ils mettent un terme à une situation aussi cruelle qu'anormale. Il doit même faire ces jours-ci une conférence dans laquelle il exposera les premiers résultats de ses démarches.

On ne peut douter que M. Richepin ne soit, dans le plus bref délai, amnistié et relevé de l'étrange posture qu'un jugement du Tribunal correctionnel lui a assignée voici près de vingt ans. C'est la Chanson du Gueux qui lui valut cette condamnation pour outrage à la morale. Un critique ayant affirmé que ce livre était non seulement un mauvais livre, mais une mauvaise action », dame Thémis crut devoir requérir contre l'audacieux, et l'on vit se renouveler au Palais la scène bien connue où l'avocat impérial Pinard, se voilant la face, dénonçait jadis Flaubert à la vindicte publique et s'écriait. La couleur générale de l'auteur, permettez-moi de vous le dire, c'est la couleur lascive. » Richepin fut condamné à un mois de prison et à cinq cents francs d'amende. Deux pièces de vers furent supprimées dans le recueil et quelques vers retranchés de deux autres, moyennant quoi le livre, qui connut des éditions successives, se vendit avec plus de succès qu’auparavant.

Flaubert avait été acquitté en 1856. On s'étonne que Richepin ne l'ait pas été sous la République. Car, pas plus que l'auteur de Madame Bovary n'a fait dans ce roman l'apologie de l'adultère, dépouillé par lui de toute poésie, l'auteur de la Chanson des Gueux n'a idéalisé le vice et le vagabondage. En des vers d'une énergie brutale, il nous peint au contraire la misère des gueux dans toute son horreur. Il ne nous cache aucune de leurs plaies qu'il a sondées, et son seul souci est de nous donner un tableau vrai des barbares dessous où grouillent les rôdeurs qu'il a observés et avec lesquels il a même vécu. Dans les chansons des mendiants des champs, aux cris de pitié se joignent les menace »

Aux petiots qui ont bien faim.
Les petiots claquent des dents.
Ohé il faut qu’ils entrent.
vous mangez là dedans,
Bonnes gens,
Box n'ont rien dans le ventre.
Ouvrez la porte
Aux petiots qu'ont un briquet.
Les petiots grincent des dents.
Ohé les durs d'oreilles !
Nous verrons là-dedans,
Bonnes gens,
Si le feu vous réveille.

Le vieux « stropiat » qui, clopin-clopant, parcourt les villages, est aussi le jeteur de sorts :

Mes braves bons messieurs et dames.
La vache qui vêle ou la femme,
Si je le dis, son fruit mourra.
Paster noster Ave Maria I
Ayez pitié

C'est de la vie réelle, cela. Toute la gamme les sourdes colères s'y retrouve, à côté des cris de joie que provoquent les aubaines, car les pauvres gens ont leurs jours ensoleillés aussi. Ecoutez les trimazots et les trimouzettes (les vagabonds du grand trimard, en argot : la grande route), qui vont de porte en porte chanter le classique au gui l’an neuf :

Bonjour, bon an, les bonn’s gens.
Que l’bon Dieu vous console.
Bonjour, bon an, les bonn’s gens,
V’là les mangeux de fav’rolle
V’là les mendigots, les indigents.

Le Chant des glaneurs, la Ballade du bon gueux qui rôde en pillant les poulaillers et les caves, l’Odyssée du vagabond sont de vraies poésies où rayonnent les contentements intimes. Pourquoi les misérables maudiraient-ils leur destinée, s'ils tiennent à la vie qu'ils mènent ? « Nulle part, même aux deux, un me sont mieux que sur terre. Le poète eu a recueilli l'aveu.

Ses monologues des gueux de Paris, les voyous, les chevaliers de la loupe, les benoîts sont écrits en vers naturalistes semés d'expressions argotiques que vingt chansonniers ont depuis imités. On y trouve une originalité véritable. Ce ne sont pas des poèmes composés à coups de lexique : l’auteur a pris soin de nous le dire dans une préface : « Toutes mes chansons du pays de Largonji (argot) ont chanté dans ma tête comme des choses vécues, au cours ou au retour de mes visites à ce pays bizarre, et elles sont venues au monde telles quelles, costumées à la mode de leur pays, avec leur défroque originale, sans que j'eusse besoin de les rhabiller au décroche-moi-ça des dictionnaires. »

Ce pays de l'argot, Richepin l'a longuement exploré en effet et il a pu dire non sans raison dans le prologue de son livre, où il appelle autour de lui une cour de loqueteux et de vagabonds

Je suis du pays dont vous êtes.
Le poète est le Roi des Gueux.

Il les a aimés, ces gueux qu'il a côtoyés, il s'est épris de leur indépendance farouche, il s'est expliqué c leur manière étrange de résoudre le problème du combat de la vie, leur existence de raccroc sur les marges de la société et aussi leurs besoins d'oubli, d'ivresse, de joie ». Et il a décrit tout cela ; il a dit leurs chansons d'ivrognes et leurs réflexions de gredins.

Et on l'en a puni Devait-il donc déguiser l'allure de ces malheureux et rendre acceptable le triste rang qu'ils occupent C'est pour le coup qu'il eut commis, ce nous semble, une mauvaise actlo0.l

M. Clovis Hugues n'aura pas de peine défendre la cause du poète. Elle est déjà toute gagnée devant l'opinion.

Valensol

Jules Huret, « Petites Chroniques des Lettres », Le Figaro, 16 mars 1895, p. 2.

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[…]

M. Jean Richepin a entamé une œuvre de longue haleine qui sera divisée en plusieurs livres, chacun formant un roman complet L'ensemble aura pour titre général : Histoire d'un Aventurier Contemporain.

Dans le premier volume de cette série, qui paraîtra en avril, Flamboche, et qui touche au monde des affaires et de la presse, sont racontées les origines, l'adolescence et l'éducation de Jean-Louis-Jacques-Robert-William de Mérindal, dit Flamboche, et la catastrophe matérielle et morale qui en fait un aventurier.

M. Richepin avait le choix !

[…]

Juin

Anonyme, « M. Jean Richepin », Le Matin, 1er juin 1895, p. 1.

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Une démarche superflue - Amnistié depuis 1889 - La Chanson des Gueux

On se souvient qu'à propos de l'amnistie votée par les Chambres à la suite de l'élection de M. Félix Faure comme président de la République, M. Clovis Hugues fit une démarche auprès du chef de l'État en vue d'obtenir que plusieurs catégories de condamnés, et notamment M. Jean Richepin, fussent admis au bénéfice de ladite amnistie.

M. Félix Faure promit de demander au garde des sceaux d'examiner le cas du poète de la Chanson des Gueux.

Or, hier, M. Trarieux, avisant à la Chambre M. Clovis Hugues, a déclaré qu'après examen du dossier, il avait constaté que M. Jean Richepin était amnistié depuis 1889, la loi d'amnistie s'étant appliquée à des délits d'outrages aux mœurs commis par la voie de la presse ou du livre. Le ministre de la justice a ajouté que le casier judiciaire du poète était donc vierge et que, par suite, il jouissait de tous ses droits civils et politiques.

Et M. Richepin ne s'en doutait pas. Pourtant, on assure que le poète ne se considérera comme réellement amnistié que le jour où il pourra publier sa Chanson des Gueux dans son intégralité premières à cet égard, on peut soutenir, au point de vue juridique, que ce n'est pas l'œuvre qui a été condamnée, mais sa publication seule. Rien ne semble donc empêcher M. Richepin de publier de nouveau sa chanson intégrale. Toute la question est de savoir si le parquet jugerait devoir sévir comme jadis, et, de plus, en admettant une poursuite, si les juges d'aujourd'hui condamneraient comme leurs prédécesseurs.

Ch. Demailly, « A travers la presse – M. Richepin amnistié sans le savoir », Le Gaulois, 2 juin 1895, p. 3.

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Le Temps élucide le cas de M. Richepin, amnistié depuis 1880, sans le savoir

A propos de l'amnistie votée par les Chambres à la suite de l'élection de M. Félix Faure à la présidence de la république, M. Clovis Hugues fit, on s'en souvient, une démarche auprès du chef de l’État, afin d'obtenir que certaines catégories de condamnés pour outrage aux bonnes mœurs, notamment l'auteur de la Chanson des Gueux, M. Jean Richepin, fussent admises au bénéfice de cette amnistie.

M. Félix Faure tint la parole qu'il avait donnée de faire tout spécialement examiner le cas de M. Richepin par le ministre de la. justice, et, hier, dans les couloirs de la Chambre, M. Trarieux annonçait à. M. Clovis Hugues que M. Jean Richepin était amnistié depuis.1880.

En effet, un arrêt de la chambre civile de la Cour de cassation du 5 juin 1883 a décidé que le « condamné pour outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs par paroles proférées publiquement, en vertu des articles 1er et 8 de la loi du 17 mai 1819, sur la presse, a été compris dans la loi du Iljuillet 1880 qui a prononcé l'amnistie pour tous les délits de presse, et qu'en conséquence ce condamne a repris la jouissance de ses droits électoraux et doit être inscrit sur la liste électorale ».

Mais ce qui a créé une confusion, d'ailleurs fort naturelle, c'est que la même chambre civile, le 18 avril 1888, a décidé que la disposition de l'article 15, paragraphe 6 du décret du 3 février 1853, en vertu de laquelle les individus condamnés pour outrages aux bonnes mœurs ne doivent pas être inscrits sur les listes électorales, n'a été abrogée par aucune loi postérieure.

D'autre part, un arrêt delà chambre criminelle du 21 juin 1884 : portait que l'outrage aux bonnes mœurs « a été rejeté hors de la loi qui régit la presse et constitue un délit spécial prévu par la loi spéciale du 2 août 1883 ».

M.Richepin avait été poursuivi antérieurement à la loi de 1881 sur la presse et à la loi de 1882. L'arrêt de la chambre civile du 5 juin 1883, visant l'amnistie, lui est donc applicable.

Le Matin ajoute:

Et M. Richepin ne s'en doutait pas !

Pourtant on assure que le poète ne se considérera. comme réellement amnistie que le jour où il pourra. publier sa Chanson des Gueux dans son intégralité première. A cet égard, on peut soutenir, au point de vue juridique, que ce n'est pas l'œuvre qui a été condamnée, mais sa publication seule. Rien ne semble donc empêcher M. Richepin de publier de nouveau sa chanson intégrale.

Toute la question est de savoir si le parquet jugerait devoir sévir comme jadis, et, de plus, en admettant une poursuite, si les juges d'aujourd'hui condamneraient comme leurs prédécesseurs.

Nick, « Profils – M. Jean Richepin », La Dépêche (Toulouse), 3 juin 1895, p. 1.

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M. Jean Richepin nous a présenté son portrait dans son livre fameux les Blasphèmes où il est dit qu'il a « les yeux de cuivre, un torse d'écuyer et le mépris des lois ». Sur ce torse, M. Jean Richepin porte une tête massive que couronnent des cheveux abondants et bouclés et à laquelle une barbe à double pointe donne ce caractère touranien qui est celui par où se distingue ce maître du verbe, ce forgeron de rimes dont la forge est toujours flamboyante. Bien avant les Blasphèmes, M. Richepin avait écrit la Chanson des Gueux où l'on trouve des couplets si puissants et des couples si éperdument amoureux. L'amour de ces couples perdit le poète devant les magistrats. Traduit à leur barre, il fut condamné, et désormais l'édition de la Chanson des Gueux comporte une page de points avec ces deux alexandrins :

Ici deux gueux s'aimaient jusqu'à la pâmoison,
Et cela me valut trente jours de prison.

Cela valut encore à l'écrivain la perte de ses droits politiques. L'amnistie de 1889 semblait bien avoir eu pour conséquence un effacement général qui s'étendait aux poètes eux-mêmes. Mais on n'était pas d'accord sur ce point. M. Camille Pelletan consulta un jour le garde des sceaux qui répondit que pour lui la question ne faisait aucun doute. M. Jean Richepin était amnistié, Mais M. Travi eux, quelque temps après, soutint que l'amnistie n'effaçait pas le délit d'outrages aux mœurs. Absous pour l'un, le mâle poète restait condamné pour l'autre. Enfin, M. Clovis Hugues — on se doit de ces petits services entre poètes — voulut bien prendre en main la cause de son confrère, et M. Trarieux a enfin reconnu — cela date d'hier — que M. Richepin était amnistié. On pourra donc décorer celui qui a fait Mme André, les Caresses, Mes Paradis, qui est au répertoire du Théâtre-Français avec le Flibustier, Monsieur Scapin et Vers la Joie, celui enfin qui est un des plus brillants représentants de la littérature actuelle.

On pourra le décorer. Mais, entre nous, je crois qu'il se soucie fort peu de l'être. Le ruban ni l’académie ne l’empêchent de dormir. M. Jean Richepin reste Touranien, indépendant et fantasque. Un jour, on apprit qu'il s'était fait trappiste et, bien que la nouvelle fût fausse, elle ne surprit personne. Qui sait vers quels pays nouveaux sa fantaisie entraînera demain ce poète à la voix de cuivre ?

Nick.

Adolphe Brisson, « L’Amnistie de Richepin », La République Française, 3 juin 1895, p. 1.

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Le bon poète Jean Richepin ne veut pas être amnistié. Ou, du moins, il réclame une amnistie plus complète que celle qui lui est offerte. Vous vous rappelez sa mésaventure. Il venait de publier en 1876 sa Chanson des Gueux. On poursuivit cet ouvrage au nom de la morale publique. Le poète fut sévèrement frappé. Il subit une condamnation qui le rendait inéligible et indécorable ; il eut, en outre, la douleur de voir son pauvre livre déchiqueté et meurtri par les juges. La Chanson des Gueux fut amputée de plusieurs morceaux auxquels l’auteur tenait essentiellement et qui lui devinrent, à dater de ce jour, encore plus chers. Vingt ans se sont passés sur ces choses. M. Trarieux, garde des sceaux, a déclaré, l’autre semaine, que M. Jean Richepin était rétabli dans ses droits politiques et civils, ce qui veut dire, en termes très clairs, que le gouvernement compte bientôt lui témoigner son estime en fleurissant de rouge sa boutonnière. Mais Jean Richepin est plus exigeant : il demande l’autorisation de rétablir dans sa Chanson des Gueux les passages qui y furent supprimés. Et son raisonnement est fort spécieux : 

Puis-je me considérer comme amnistié, écrit-il, tant que mon livre ne l'est pas ? Avouez que non, que j'ai le devoir de protester toujours et quand même ; que si j’ai l’air d’y mettre de l’entêtement, ce n’est vraiment pas ma faute, mais bien celle de la loi, et que cette loi enfin (sauf le respect que je lui dois) est absurde.

Nous voyons bien ce qui chagrine Jean Richepin. Il ne l’avoue pas expressément, mais nous pouvons le deviner. Il regarde autour de lui ce qui se public dans les livres, dans les journaux, ce qui se crie dans la rue, ce qui s’affiche chez les libraires ; il compare ces productions aux vers qui excitèrent en 1876 tant d’indignation, et il s’aperçoit que ces vers, malgré leur extrême crudité, sont loin d’égaler le libertinage des chroniques et des contes qui s’étalent impunément aujourd’hui à la première page des grands journaux de Paris. Il a le sentiment d’une grosse injustice commise à ses dépens. « Comment, dit-il, mes amis X... et Z... (ne les nommons pas !) publient tous les matins des histoires à faire rougir des singes et qui n’ont pas même l’excuse d’être écrites en bon français, et l’administration ferme les yeux sur ces vilenies ! Et elle voudrait m’empêcher de rétablir le texte intégral de mes Gueux ! C’est trop fort ! » Et les yeux de Jean Richepin lancent des éclairs ! Et de terribles imprécations grondent sous sa voix sonore ! Que Jean Richepin soit, ou non, autorisé à rééditer sans coupures sa Chanson des Gueux, cela n’a plus beaucoup d’importance, au point où nous en sommes arrivés. Il est certain que les chenapans mis en scène par le poète avec une verve si pittoresque sont plus francs du collier et peut-être moins malsains que les jeunes princesses et que les notairesses de tels et tels chroniqueurs. Depuis quelques années, nous avons roulé, avec une effrayante rapidité, sur la pente de la polissonnerie. Nous n’en avons guère conscience, nous autres Parisiens qui sommes entraînés dans le tourbillon des événements et qui n’avons pas le temps de comparer ni de réfléchir. Il faut, pour nous ouvrir les yeux, qu’un incident com me celui de Richepin mette brusquement en opposition le présent et le passé. Les braves gens qui habitent la province ne sont pas, comme nous, blasés sur la déliquescence de notre littérature, et nous recevons d'eux quelquefois des leçons qui nous donnent à penser.

Juillet

Henry Maret, « L’Art et l’Etat », Le Radical, 22 juillet 1895, p. 1.

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S'il est vrai que Richepin ait envoyé promener ceux qui lui offraient la croix, et ait répondu qu'il préférait que les imbéciles qui ont condamné son livre, et qui, eux, sont probablement décorés, permissent d'y rétablir les passages supprimés, je l'en félicite de tout mon cœur.

D'abord parce qu'il a absolument raison de ne pas reconnaître l'autorité de ces professeurs de vertu, qui s'imaginent avoir reçu la mission de protéger une morale, dont ils se moquent pas mal dans le privé, et ensuite parce qu'il donne à ses confrères une leçon de dignité personnelle.

Je n'ai jamais compris, pour ma part, qu'un homme de lettres de quelque valeur attachât une importance quelconque à un petit bout d'étoffe, qui n'ajoute rien ni à son mérite ni à sa considération. Je m'explique parfaitement qu'un notaire de province, qui traduit Horace, ou qu'un de ces publicistes bizarres, qui n'ont jamais rien publié, et dont personne n'a jamais entendu parler, soit très fier d'être distingué par un ministre, qui d'ailleurs ne l'a jamais lu, et se promène dans sa ville natale, en se proclamant poète de par la grâce d'un chef de bureau. Mais qu'est-ce que cela peut bien faire aux hommes de talent, et je me demande quel intérêt peuvent avoir des Dumas, des Sardou, et tant d'autres, à devenir les égaux de Potin et d'un petit employé au cabinet ?

Pensez-vous que la gloire d’Homère fût beaucoup plus considérable si nous apprenions aujourd'hui qu'un magistrat de Smyrne ou de Phocée, tombé depuis longtemps dans l'oubli, lui avait-fait cadeau d'un morceau de drap pour le récompenser ? Je ne vois pas bien le Dante rencontrant Virgile aux enfers, et s'informant de son grade dans je ne sais quelle bureaucratie du temps. « Comment, monsieur, vous n'en aviez point ? Vous ne valez donc pas Priscus, ou Aurélius, qui en avaient. »

Ces croix de chevalier, d'officier, de commandeur, constituent chez nous la hiérarchie la plus étrange. C'est presque la réalisation de l'idée napoléonienne, le rêve de transformer les écrivains en fonctionnaires. Un tel serait chef, un autre sous-chef ; Victor Hugo n'aurait peut-être été que commis principal. Il faudrait laisser ces amusettes aux enfants. Les hommes qui se mêlent d'être supérieurs aux autres, soit dans les lettres, soit dans les arts, soit dans la politique, s'ils sont vraiment supérieurs, sont supérieurs à tout cela. Les académies sont déjà une bêtise, à plus forte raison les décorations.

Un homme n'est rien, il est tout. Mais dès qu'il se mêle d'être quelque chose, il entre dans le rang et doit accepter les supériorités comme les infériorités.

Quand Mendès est chevalier, le voilà moindre que Tartempion, qui est officier. Est-ce qu'il peut y avoir un classement des talents ? Seule, la postérité peut le faire, et encore !

Si je cite Mendès, c'est parce que je sais pertinemment que Mendès n'y tenait pas du tout. S'il y avait tenu, il y a beau temps que ce serait fait. Mais il en est qui y tiennent, qui recherchent, qui quémandent, qui postulent ; et c'est pour ceux-là que j'écris, car ce sont ceux-là qui m'étonnent.

Ceci dit, je ne demande pas mieux que de féliciter, non les nouveaux promus, car je ne félicite jamais personne pour ces vétilles, mais M. Poincaré, dont les choix sont intelligents. Ce jeune ministre sait non-seulement bien écrire et compter, comme il appartient, mais c'est un homme de goût ; et, s'il avait un meilleur directeur des beaux-arts, ou qu'il pût s'occuper en personne de cette branche de son administration, il y ferait, je crois, d'assez bonne besogne. Un Mécène n'est certainement pas à dédaigner ; seulement, nous sommes arrivés à une époque où les arts n'ont guère besoin de Mécène. Ils n'ont qu'une chose à demander à l’Etat, la liberté.

C'est pourquoi j'estime que Richepin a tenu le fier langage qu'il faut tenir, quand il a dit :

« Vos distinctions honorifiques me touchent peu. Je ne réclame qu'une chose du gouvernement, c'est qu'il me laisse exprimer ma pensée comme je l'entends, et à mes risques et périls. Si j'ai mal fait, le public saura me le dire, et je ne reconnais pas d'autre juge. »

Il n'en est pas d'autre, en effet, pour quiconque a l'honneur de tenir une plume. C'est au livre qu'on regarde l'écrivain, et non à la boutonnière.

Septembre

Anonyme, « Notes et informations », Le Monde Artiste, 15 septembre1895, p. 1.

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M. Jean Richepin vient de demander lecture au Comité pour un drame en vers, intitulé le Chemineau, et qui, paraît-il, est pour la terre, ce que le Flibustier, du même poète, est pour la mer, une œuvre d'un naturaliste sincère et vrai.

Novembre

Paul Ginisty, « La Vie Littéraire : Flamboche », Gil Blas, 12 novembre 1895, p. 2.

M. Jean Richepin a le sens de l’époque.

Ses romans modernes, eux-mêmes, sont épiques. Avec lui, tout s'exaspère, tout devient formidable ou truculent. Le poète qu'il est, jouant familièrement avec le grandiose, n'est pas, ne peut être l'homme des demi-teintes, des patientes subtilités d'analyse. Non pas qu'il n'observe, qu'il ne pénètre, mais toutes ses observations cuisent, brûlent, ardent dans le creuset de sa puissante imagination, et, par l'espèce de fatalité de son original tempérament, il est amené à créer des types encore plus qu'à les étudier. Il est tout fougue et toute couleur. Et voyez, pour ne parler que de ses récents livres.

Une vieille fille, trônant au fond d'un antique cabinet de lecture, bonne et pitoyable, se vouant à la tâche d'adoucir les derniers jours d'un mourant, se transforme en une créature sublime, presque farouchement sublime, dans le décor, d'ailleurs superbe, des deux sièges de Paris (Césarine). Un mauvais bougre, fils de paysans, détraqué par son éducation de citadin, qui n'a fait de lui qu'un raté, jalouse son frère, un fermier à son aise, lui garde rancune même des services qu'il reçoit de lui, retrouve en sa vilaine âme, le vieil instinct de la possession de la terre et, dans la hâte de l'héritage attendu, finit par supprimer son aîné. Il est l'incarnation de l'envie, de la haine ; c'est un beau monstre (Le Cadet). Un jeune homme, fils d'une courtisane et d'un prêtre défroqué, doué d'une irrésistible force de séduction, l'employant pour le mal, se bornant, cependant, à chercher la conquête de la fortune, se change en sorte de dieu, instrument du destin (l’Aimé).

Œuvres bizarres, troublantes, séduisantes, d'un incomparable artiste. Mais les personnages sont toujours des monstres, dépassant les proportions de l'humanité, dans le bien ou dans le crime. Ils forment quelque chose comme une galerie, magnifique, au reste, de tératologie.

Et des monstres, en voilà encore dans Flamboche, un livre guère moins touffu et complexe que les précédents. Une histoire de perfide captation d'héritage se métamorphose en un combattue se livrent des géants. On n'accusera pas M. Richepin de voir la vie moderne plate et mesquine. Tout ce qu'il peint est énorme, il met de l'Amérique partout.

Flamboche, c'est le surnom donné à un jeune garçon, Louis-Jacques-Robert de Mériendel, fils d'un étrange aventurier et d'une ivrognesse anglaise, ramassée un jour par celui-ci. Mériendel, le père, fit tous les métiers, brûla sa vie par les deux bouts, ruina les siens, eut la réputation du plus déterminé garnement qui fût, et, un beau jour, par une revanche de la destinée, dont il n'eut pas beaucoup le temps de s'étonner, finit dans la peau d'un quasi-millionnaire, ayant, au cours de son existence chimérique, découvert une mine d'or. Après quoi, il mourut dans un asile d'aliénés, où il avait été insidieusement enfermé, à la suite de quelqu'une de ces excentricités qui lui étaient coutumière. Au fond, un exalté, un emporté, un violent; mais un vaillant, un généreux, valant mieux, en dépit de ses. irrégularités, que bien des raisonnables. Flamboche, à quinze ans, se trouve n'avoir plus pour famille que son tuteur, le grave M. Ferdinand-Hugues de Mériendel, son oncle. S'il est « grave », en effet, celui-là ! Ancien magistrat, ancien consul, député, directeur de l'austère journal la Conscience, président de la « Ligue pour le relèvement moral des arts !»

Seulement, sa gravité, sa respectabilité, l'extrême considération dont il jouit, la surface considérable qu'il présente, n'empêchent pas que ce ne soit une canaille. Mais, vous l'entendez, une canaille comme il ne s'en peut trouver que sous la plume de M. Richepin.

Le premier « monstre », le voici.

M. de Meriendel a une faculté de haine tout à fait prodigieuse. Il a haï son frère parce qu'il fut naguère l'enfant préféré, parce que des folies le dépouillèrent de la fortune patrimoniale, dont il ne lui resta rien, enfin parce qu'il faillit, par sa réputation scandaleuse, nuire à la rectitude de sa carrière, à lui. Et l'ironie, l'ironie qu'il ne pardonne pas, n'est-ce pas que ce cerveau brûlé, que ce gâcheur, que cet outrancier, ait laissé un énorme héritage qui lui passe sous le nez ? Comment n'exécrerait-il pas ce petit Flamboche, en qui semblent revivre l'insouciance, la franchise, la générosité, les ardeurs paternelles ? Oui, oui, il est l'Ennemi.

C'est bien en ennemi qu'il le traitera, mais doucement, hypocritement, avec d'infernales traîtrises. Et, pour poursuivre cette œuvre de lente vengeance, qui doit être en même temps une œuvre de réparation à son profit, il a une associée admirable en une vieille gouine, Gisette, ex-prostituée, ex-verseuse de brasserie, et, ajoute M. Richepin, « ex-patronne d'un Fleurs et Plumes à un entresol de la rue de la Lune », dont il a fait sa maîtresse et, mieux encore, son âme damnée, sa ténébreuse confidente.

Second monstre, on n'est pas plus « monstre » que Gisette, encore que, en ses heures de rêverie, elle ait un regret, celui de n'avoir pas été tout à fait « rupine », comme lui disait naguère son souteneur dont elle était la marmite et qui lui proposait un beau crime, franchement « travaillé ». C'est sa seule mélancolie. Mais la vie en a décidé autrement, et a fait, d'elle la compagne respectée d'un homme infiniment respectable. Que voulez-vous, on manque parfois sa vocation !

Mais il y a des crimes qui, sans scandale, se « travaillent » aussi assez joliment. Tel celui que préparent les deux complices contre Flamboche. Ce petit-là, ils l'ont condamné à mort, autant parce qu'il est le fils de son père que parce qu'il est très riche et qu'il faut trouver le moyen d'hériter de lui. Mais comment s'y prendre ? M. de Meriendel est un artiste en son genre. Il veut ce raffinement d'être aimé par sa victime. En perdant Flamboche, il veut être plaint, il trouve piquant d'être le bourreau qu'on console.

Vous imaginez que ces deux inclytes bandits, aux dehors vénérables, vont faire, en collaboration, de « la belle ouvrage », Gisette, conseillère sûre, comme toujours, fait adopter ce plan : Flamboche, avec les égards qui sont dus à un jeune millionnaire, sera placé dans une institution très « chic », l'institution Chugnard. Gisette répond de ce Chugnard, un ancien ami à elle, « une intelligence d'élite », un de ces hommes avec qui on s'entend discrètement, à demi-mot. Au reste, elle le tient par certains fâcheux secrets. Chugnard obéira, on peut s'en fier à lui. Rien de plus simple d'ailleurs que ce qu'on exige de lui (mais le baron de Meriendel n'est pas si sot que de s'être dévoilé !) Chugnard, dans sa fantaisiste pension, donnera à son élève une de ces éducations libres qui mènent en peu de temps un adolescent au tombeau ! Que si, par hasard, il résiste, il sera si délicieusement pourri que M. de Meriendel goûtera d'infinis délices de vengeance tirées de longueur, a assister à ses chutes futures. Chugnard (troisième monstre), crapuleusement joueur, toujours à bout de ressources, que n'ont jamais retenu les scrupules, capable de tout, semble envoyé par l'enter même pour être le mentor à rebours désiré par le baron et Gisette.) Cet ancien professeur (M. Richepin a un faible pour ces figures de bohèmes de l'Université) comprend parfaitement, sous les onctueux artifices de M. de Meriendel, ce qu'on attend de lui. Il se méprise si fort lui-même que rien ne l'étonne plus : l' « affaire » lui va. Et voici Flamboche introduit à l'institution, parmi les quelques élèves dont les prédécesseurs furent jadis les plus assidus clients de Gisette, au temps où elle était établie rue de la Lune.

Seulement, ce monstre-là, personnage furieusement complexe (et peut-être, par la, plus près de la vérité), n'est pas, lui, un monstre complet. Il l’éprouve en subissant, à son insu, la séduction de loyauté, de bravoure jeune qui se dégage de Flamboche, et, au lieu qu'il prenne sur lui une influence perverse, c'est Flamboche qui prend sur Chugnard un singulier ascendant. Le vieux chenapan se retrouve, non sans surprise, quelque chose comme une conscience. Il se met noblement, purement — sentiments assez nouveaux pour lui — à chérir ce gamin, avec sa belle droiture, sa robuste sincérité et — c'est un mot qu'affectionne M. Richepin — son dédain du « muflisme ». C'est Flamboche qui a fait la conquête de Chugnard, et Chugnard, trahissant avec entrain le baron et Gisette, bien qu'avec des précautions subtiles, se donne la joie, tout comme s'il n'était pas un vieux drôle, de cultiver avec passion la fleur de chevalerie, la noblesse d'âme native de cet enfant. Que de ruse, par exemple, dans le double jeu qu'il joue pour abuser ceux qui le payent pour faire le mal !

Cette fois, pourtant, il aurait la tentation de révéler à Flamboche les pièges qui lui sont tendus par son oncle et par sa tante, car, entre temps, le baron a épousé Gisette, qui l'a soigné avec un merveilleux dévouement dans une maladie horrible, complaisamment décrite, avec le luxe d'un traité des affections de la peau à l'usage des internes de l'hôpital Saint-Louis. Mais quoi ! il se sent aimé par Flamboche, et, cette affection que lui porte le jeune homme, c'est sa réhabilitation, à ses yeux. Faut-il lui avouer que, d'abord, il trempa dans le hideux complot ?

Le dessous de ce Chugnard est, vous le supposez bien, de la part de M. Richepin, des plus curieux et des plus pittoresques. C'est, en ce déchu, la montée d'une bonté naturelle qu'il découvre en lui, qui n'avait été que voilée par les épreuves de sa vie hasardeuse, d'un, respect pour les choses propres qui le gagne, lui qui n'en a guère fait que de malpropres. Comment, en quelques années, c'est ce petit Flamboche qui a opéré ce miracle ? Chugnard a pour lui un dévouement de chien, une tendresse quasi-maternelle. Quelle jouissance pour lui à le voir si crâne, si solidement trempé pour la vie, son Flamboche !

Ah ! le bon tour qu'il a joué au baron et à sa gueuse !... Mais c'est trop beau ; ce rêve d'être un bravo homme, ayant à lui, oui, vraiment à lui, un fils tendrement élevé.

Un autre raté, pion dans la pension, demeuré parfaitement abject, celui-là, le répugnant Laffouace, pas bête, pourtant, s'est enquis, s'est renseigné, a formé un plan machiavélique, et, avec la prudence qui convient, il dénonce au baron la conduite de Chugnard, conduite diamétralement contraire à ses instructions secrètes. C'est, au reste, proprement lui livrer Chugnard, car celui-ci peut être responsable, devant les tribunaux, d'une certaine histoire de prêt fait à Flamboche par un usurier, encore que Chugnard n'en soit pas coupable. C'était une idée de la bonne et imprudente mère Chugnard, une brave créature, tout cœur et toute naïveté, s'adressant à Flamboche, en une inspiration désespérée, pour qu'il sauvât la pension menacée par les créanciers.

Chugard n'aura pas impunément bravé le baron. Celui-ci prendra son temps, seulement. Pour le moment, il dispose autrement ses batteries, toujours en feignant pour Flamboche la plus chaude affection. Ce nouveau plan consiste à faire émanciper Flamboche, afin qu'il ait la disposition de sa fortune et que de savantes manœuvres l'en dépouillent, puis à trouver un prétexte de rupture. Eh bien, Gisette n'est-elle pas là ? Avec un art de vieille courtisane, elle appellera ce jouvenceau, lui inspirera une passion ingénue… Puis un flagrant délit, une séparation violente. C'est le pauvre Flamboche qui semblera avoir tous les torts.

Et c'est tout ce qui arrive, en effet. La tardive confession de Chugnard lui ouvre les yeux, mais de Chugnard lui-même il peut douter à présent. Un immense dégoût lui emplit le cœur, une lassitude immense s'empare de lui. A qui se fier ? La flèche du Parthe du baron, est-ce que cela n'a pas été de lui laisser croire, par un faisceau de « preuves » savamment ourdies, que Chugnard, le dévoué, le purifié Chugnard le trompait aussi ? Quel apprentissage de la vie pour Flamboche ! il est ruiné, il se retrouve isolé, n'ayant été entouré que de gens abominables… et ceux-là mêmes qui ne l'étaient pas foncièrement le furent un moment. Mais un conseil, alors un peu mystérieux, qu'il a retenu de son père, chante à ses oreilles :

« - Poitrine, petit, toujours et quand même, poitrine avec ton âme ! » Eh bien, il poitrinera ! » Et son dernier mot, alors qu'il s'embarque pour le Cap, fuyant Paris avec délices, c'est : « Je suis content tout de même, parce que je ne suis pas un mufle ! »

Tout ceci remuant, grouillant, fourmillant d'épisodes savoureux, avec une faculté de grossissement qui est, comme on voudra, défaut ou qualité, qui donne en tout cas, une gaillarde originalité à ce roman tumultueux et bizarre, avec une richesse de verbe éclatante, une impétueuse abondance d'images. Mais, s'il ne cédait un peu volontiers à ce goût du démesuré, M. Richepin ne serait plus lui — et, franchement, ce serait bien fâcheux.

PAUL GINISTY

1.

Louis Veuillot, Œuvres poétiques. Les jeunes. Paris, 1878.

4.

Les Etudes du 15 mai 1894, p. 59.

5.

Il va, dans la même pièce, jsuqu’à parodier les divines paroles de la Consécration : Voici mon sang et ma chair, / bois et mange. / Soit ! mais hâtons-nous de lui répondre avec le Severo Torelli de François Coppée : Ah ! ton sang me dégoûte et ta chair me fait honte !

6.

Jules Lemaître, « La semaine dramatique », Journal des débats politiques et littéraires, 21 octobre 1894, p. 1-2.