Corpus de textes du Laslar

1901

Mars

Serni, « Censure ; surnom d’Anastasie », L’Echo du public, 16 mars 1901, p. 1301-1302.

Article recensé par Yves Jacq.

La question de la censure, soulevée par les modifications exigées dans la pièce de M. de Croisset, va être chaudement discutée aujourd’hui à la réunion du Comité de la Société des auteurs dramatiques. On affirme que MM. Victorien Sardou et Jean Richepin, notamment, vont prendre carrément position.

A ce propos le spirituel Gandillot, que nous avons rencontré hier, a bien voulu nous donner son opinion sur l’affaire de la censure et l’interdiction de la pièce de l’Athénée.

Mon opinion, mon cher ami, est bien simple.

Je suis, vous le savez, un parisien irréductible de la liberté. Que le spectateur chimérique dont la pudeur aura vraiment été surprise malgré elle au théâtre porte plainte aux Tribunaux s’il lui convient, mais il est pharamineux que, cent ans après la prise de la Bastille, on empêche sous quelque prétexte que ce soit, le public d’aller où cela lui plaît. Le droit commun voilà ce que nous réclamons nous autres gens de théâtre soucieux de notre dignité professionnelle (nous sommes d’ailleurs peu nombreux), et non ce régime de tolérance qui nous est imposée avec les obligations dégradantes de la carte et de la visite. Pour un peu, Dieu me pardonne, on nous ferait passer par le service anthropométrique quand nous donnons une pièce.

Un petit drame administratif s’est déroulé dans cette affaire. C’est avec une cruelle surprise que nous avons appris qu’un des plus distingués fonctionnaires des Beaux-Arts, M. Gauné avait été sacrifié par mesure de {1302} rigueur à la vindicte du scandalisé perpétuel, l’honorable M. Bérenger.

La note de l’Agence Havas explique mal la faute professionnelle dont serait censé s’être rendu coupabl M. Gauné. Il n’y a pas un auteur dramatique, qui ne soit trouvé en rapport avec lui, qui ne puisse se féliciter du tact parfait avec lequel M. Gauné a toujours su remplir ses fonctions.

Pour ma part, il me faisait presque aimer cette institution de la Censure qu’en farouche librettiste je voudrais cependant, sans vouloir supprimer, car lorsque j’avais la bonne fortune d’avoir affaire à lui, je n’ai jamais rencontré qu’un conseiller aussi avisé que discret et je faisais toujours mon profit de ces très fines observations.

Et voilà pourquoi, cher ami, je suis très étonné.

PS. – A remarquer, à propos de tout ceci, que par décret du 30 septembre 1870, le gouvernement de la Défense nationale a supprimé la Commission d’examen des ouvrages dramatiques, et qu’elle subsiste depuis illégalement.

Serni.

Avril

Strapontin, « A l’Olympia : L’Impératrice », Gil Blas, 8 avril 1901, p. 4.

Ce document est extrait du site RetroNews.

Jamais on n'a vu plus brillante réunion d'élégances parisiennes qu'à l'Olympia, où l'œuvre d'un poète et d'un musicien prestigieux était applaudie par une chambrée véritablement unique. Le scénario de Jean Richepin, sur lequel Paul Vidal a écrit une musique exquise, où les trouvailles de rythme abondent à chaque page, justifie d'ailleurs tous les enthousiasmes.

C'est une fable byzantine d'une invention à la fois magnifique et primitive, d'un décor somptueux et raffiné, une légende d'Orient où le merveilleux asiatique s'allie à la fantaisie naïve du moyen-âge, un conte de Milet qui serait transposé par l'imagination d'un trouvère.

Prestiges de sorcellerie, langueurs et passions d'impératrice, rêves de volupté païenne, toutes les richesses et toutes les grâces de la poésie sont accumulées en ces trois tableaux qui se déroulent devant nous avec une magnificence inouïe de décor et de figuration.

Impossible d'imaginer sujet plus poétique et plus intéressant que celui de ce merveilleux ballet : Psellias et Myrrha sont tombés dans une profonde misère ; tous deux sont désespérés, ils sont accablés par l'adversité persistante, quand ils sont abordés par une vieille sorcière à laquelle ils racontent leur misère et qui s'intéresse à leur triste sort. Au même moment, des trompettes retentissent ; des soldats paraissent ; ils escortent un coffre plein d'or que l'impératrice fait promettre à celui qui parviendrait à la guérir de son incurable ennui. Cette richesse excite bien des convoitises ; c'est à qui s'efforcera de la gagner. La sorcière en donne les moyens mystérieux à Psellias, qui, malgré l'opposition de Myrrha va tenter la conquête de ce trésor.

Au deuxième tableau, nous sommes dans le parloir de l'Impératrice. Elle est toujours rongée par une affreuse mélancolie ; tous ses gens sont désespérés de cette tristesse. Psellias parait, en bizarre équipage, monté sur une autruche. Il se fait fort, dit-il, d'égayer l'impératrice. Et cela grâce à une herbe magique dont lui a fait don la sorcière. Il en montre les effets comiques sur le chef des gardes, qui, après l'avoir respirée, se livre aux contorsions les plus burlesques, sur le chef des eunuques, auquel des désirs viennent aussitôt et qui se jette sur une des suivantes de l'Impératrice. Celle-ci, pour la première fois, rit aux éclats. Pselias lui fait à son tour respirer l'herbe magique. C'est soudain une femme nouvelle : ardente amoureuse, elle s'éprend de Psellias et le suit jusque dans la ville.

Et le troisième tableau nous la montre parmi les gens du port. Ivre de l'herbe magique, éprise de celui qui l'a guérie de sa tristesse, elle boit, danse et chante. Mais Myrrha, l'amante délaissée, survient. Elle devine la rivale dans cette femme superbe et somptueusement paré, qui ne quitte plus Psellias.

Elle se venge cruellement en la frappant d'un coup d'épée arrachée aux mains d'un garde.

Et le ciel se teinte de rouge, une aube sanglante apparait en même temps que le sang ruisselle des blessures faites à l'impératrice.

Telle est, narrée avec trop de sécheresse, cette fable exquise conçue par le génie d'un grand poète. Mais ce qu'il faudrait pouvoir indiquer, ce sont tous les détails charmants, les trouvailles gracieuses qui abondent dans ces trois tableaux qui ont soulevé d'enthousiasme le public d'élite accouru pour assister à ce spectacle sensationnel.

L'interprétation est de premier ordre. M. Paul Franck devient l'un des mimes les plus remarquables de ce temps ; sa lutte imaginaire avec le sanglier dans la mort d'Adonis est ce qu'on peut rêver de plus impressionnant ; et l'entrée d'Otero, chapée d'or et d'argent, mîtrée de gemmes précieuses, avec sa démarche lente et hautaine, ton visage d'une immobilité hiératique. Et sa mort, à l'aube sanglante, dans la gloire du matin, alors que la pourpre de ses mains blessées et de sa chair immolée parle poignard d'une rivale, saigne glorieusement, en même temps que saigne dans le ciel la triomphante aurore ! C'est un poème inoubliable.

STRAPONTIN.

Mai

Georges Bans, « L’Impératrice », La Critique, 5 mai 1901 p.72.

C’est un bien drôle de temps que celui où les directeurs de théâtres nous conduisent. Voilà qu’ils affichent les noms des interprètes en lettres doubles du titre de la pièce. Les traditions s’en vont avec la venue des nouvelles étoiles. À l’Olympia, le nom d’Otéro s’étale immense, scandaleusement prometteur, sous le titre de la pantomime de Jean Richepin, L’Impératrice.

Merveilleusement montée, avec un luxe digne de l’époque, avec des costumes et des décors magnifiques, cette pantomime où l’on chante et où l’on est obligé de promener des pancartes explicatives, contient de belles choses et semble plutôt un scénario d’opéra abandonné.

Il y a un épisode charmant, celui où le bon jeune homme qui a entrepris de distraire l’impératrice de Bysance, arrive au palais monté sur une autruche de carton qui ressemble terriblement à madame l’oie de Jean Véber. Grâce à la menthe magique, il sèmera l’amour sur son passage et déchainera les passions violentes. L’impératrice (Mlle Otéro) payera de sa vie une minute de folie érotique dansée superbement près du corps de son amant (M. Paul Franck).

La partition n’est malheureusement pas à la hauteur des passions représentées. Il n’y a guère à retenir qu’une valse et l’entrée de trompettes du premier acte. Au troisième tableau, dans le port de Bysance, il y a une réminiscence des clochettes et des lointains de Napoli de Charpentier, inconcevable chez Paul Vidal.

Georges Bans.

Juillet

Anonyme, « Un procès nécessaire », Le Monde artiste, 28 juillet 1901, p. 477-478.

Ce document est extrait du site RetroNews.

Un procès est engagé par M. Jean Richepin contre l’auteur-directeur américain bien connu M. David Belasco. Voici quelques renseignements sur cette curieuse affaire.

M. Belasco, de passage à Paris l'année dernière, avait chargé M. Richepin d'écrire pour lui une pièce sur la vie de la Du Barry. D'après le contrat, l'œuvre devait être produite avant le 1er janvier 1901.

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M. Richepin s'exécuta et expédia l'œuvre commandée dans les délais voulus. La pièce déplut à M. Belasco, qui, aussitôt après l'avoir lue, la renvoyait à M. Richepin en lui donnant par lettre les raisons de son refus. Mais M. Belasco avait promis une Du Barry quelconque à l'actrice américaine Mlle Leslie Carter, et il se mit à écrire la pièce lui-même, qui est maintenant terminée et prête à entrer en répétitions.

A cette nouvelle, M. Richepin a chargé son attorney (avoué) de New-York, de notifier à M. Belasco que, s'il ne lui fait pas tenir immédiatement cinq cents dollars, comme compensation pour non-exécution de contrat, il le citera devant les tribunaux, et qu'en outre il lui fera faire défense de produire aucune pièce sur la vie de Mme Du Barry.

L'affaire en est là. M. Belasco a fait annoncer dans les journaux que rien ne pourra arrêter la première représentation de son œuvre, fixée aux premiers jours d'octobre. Le sans-gène américain est vraiment extraordinaire.

Il serait trop facile, après avoir lu une pièce, d'en écrire une autre sur le même sujet et d'en supputer les bénéfices !

Septembre

Un indiscret, « Griffes et sourires, le cas de M. Rostand », Le Figaro, 26 septembre 1901, p. 1.

Ce document est extrait du site RetroNews

N trouvez-vous pas qu’on est bien sévère pour M. Edmond Rostand ? Sous prétexte qu’il n’a pas réussi un poème de bienvenue à S. M. l’Impératrice et à son auguste époux, on oublie les Romanesques, la Princesse lointaine, la Samaritaine, Cyrano et l’Aiglon.

A un dîner où je me trouvais, j’entendis un monsieur fort grave déclarer :

– Il est « fini ». C’est « l’œuvre » d’un homme fini !

M. Edouard Drumont, avec sa verve paradoxale de Grand Inquisiteur parisien, estimant que M. Rostand a manqué à nos hôtes impériaux, réclame contre lui des poursuites judiciaires.

Du haut en bas de la Presse quotidienne s’élève un tollé contre le jeune académicien. Dans les salons réputés littéraires – pourquoi, mon Dieu ? – les dames qu’on voyait naguère se pâmer aux Cadets de Gascogne s’indignent contre l’auteur de « Oh ! Oh ! c’est une Impératrice. »

J’avoue que ce « Oh ! oh ! c’est une Impératrice ! » ressemble un peu à : « Ce n’est pas dans une musette ! » ou ! « Ce n’est pas de la petite bière ! » ou : « Ben ! mon colon ! » ou encore aux exclamations que poussent les interprètes de Courteline quand entre le duc de Guise.

Mais quoi ! M. Emile Berr, qui reprochait ici même ces quelques vers au brillant auteur, concluait uniquement à ceci : que le poème officiel n’est pas du ressort de M. Rostand – et là est la note juste.

Que M. Rostand ne soit pas un auteur de « cantates », eh bien !... tant mieux pour lui ! C’est une spécialité qui n’est point digne qu’on la recherche, et ces vers, faits sur mesure, sont mieux la besogne d’un rimeur que le travail d’un poète.

Comme Paris est injuste ! Il élève sur les mille boucliers de la gloire un jeune poète, fait cortège à ses succès, l’acclame, l’encense. Et, tout à coup, pour une vétille – car c’en est une – il abaisse ses bras tendus, le héros tombe à terre, et les cris d’admiration se changent en injure

De ce fait, que d'exemples ne constatons-nous pas ? Pour n'en citer qu'un seul parmi les plus illustres, Jean Richepin, qui fut à juste titre une manière de roi de Paris se, vit, du jour au lendemain, pour un insuccès qui ne prouvait rien contre sa gloire, jeté à bas de son trône par ceux-là mêmes qui le lui avaient bâti. Pourquoi ? Ne demeure-t-il pas l'auteur, de la Chanson des Gueux, des Caresses, des Blasphèmes et de ce roman — un pur chef-d'œuvre — j'ai cité Madame André ? Qu'importe au créateur du Flibustier, de la Glu, du Chemineau, la déception passagère d'un échec ?

Imaginez que M. Pierre Louys, après le triomphe d’Aphrodite où M. Maurice Barrès après le Jardin de Bérénice eussent écrit un mauvais livre. Quels cris on aurait poussés ! « Il est vidé !... Il a fait une belle chose, mais il ne la fera pas deux fois. Ce fut un accident. Il n’a aucun talent ». Et allez donc !

Le Mariage de Figaro est un des plus précieux joyaux de notre couronne littéraire. La Mère coupable est « en toc ». Cela prouve-t-il quoi que ce soit contre Beaumarchais ? Voltaire a bien écrit Zaïre !

On ne pardonne guère à ceux qui ont gravi le périlleux chemin de la gloire d’avoir, trop jeunes, des lauriers au front. On veut qu’aux fleurs qu’ils ont cueillies se mêlent quelques épines. Voudrait-on faire payer au célèbre dramaturge l’insolence de son bonheur ?

Je veux croire que là n’est point la raison qui fait travailler dans les boudoirs tant de jolies perruches et qui dans les fumoirs fait débiter aux messieurs sérieux tant de sérieuses bêtises.

La raison – je l’espère – est plus digne à la fois du public et de M. Rostand. La raison est qu’on a fait du triomphateur de Cyrano un dieu, et que les dieux ne peuvent pas avoir d’humaines défaillances.

On ne châtie bien que ceux qu’on aime. M. Rostand ne doit peut-être voir dans les reproches excessifs qu’on lui adresse qu’une preuve… cruelle d’amour.

Et le cas du jeune et célèbre auteur se synthétise, je pense, dans ce mot que me disait, hier soir, une spirituelle mondaine :

– On a le droit d’être injuste pour Rostand. Il a tant de talent.

En somme, c’est presque logique.

Un indiscret.