1908
Raoul Davray et Henry Rigal,
« Jean Richepin », Anthologie des poètes du midi, Paul
Ollendorf, 1908, p. 375-.↑
Né à Médéa, le 4 février 1849, petit-fils de paysans, fils d'un médecin militaire, Jean Richepin fit de brillantes études au lycée Napoléon, au lycée de Douai et au lycée Charlemagne (1859-1868), entra en 1868 à l'École normale supérieure, prit le grade de licencié ès lettres (1870), et s'engagea bientôt après dans un corps de francs-tireurs attaché à l'armée de Bourbaki. De 1871 à 1875, il mena une vie errante. Il fut tour à tour professeur libre, matelot, portefaix et débardeur à Naples et à Bordeaux. Il fit, en compagnie d'une tribu de Romanitchels, le tour de France. Lorsqu'il vint s'installer à Paris, dans le quartier des Écoles, il y conserva des allures singulières auxquelles il dut une prompte célébrité. Sur lui coururent mille légendes. de temps à autre, il était pris d'une frénésie de vagabondage. Il a fait de fréquents séjours à Londres, deux voyages en Italie, quatre aux îles Baléares, et il a visité tour à tour la Belgique, la Hollande, le Danemark, la Suède, l'Allemagne, la Suisse, l'Espagne, l'Algérie et le Maroc où il a vécu quinze jours sous la tente. Après avoir écrit, en 1871, dans la Vérité et le Corsaire, il débutait en 1873 au théâtre de la Tour-d'Auvergne, à la fois comme acteur et comme auteur dramatique, avec l'Étoile, pièce écrite en collaboration avec André Gill. II reparut sur les planches en 1883 : en remplacement de l'acteur Marais, il interpréta son drame Nana-Sahib, aux côtés de Mme Sarah-Bernhardt.
En 1876, il conquit du premier coup le grand public par {376} sa Chanson des Gueux, où, donnant libre carrière à sa verve truculente et populaire, il exalta « la poésie brutale de ces aventureux, de ces hardis, de ces enfants en révolte à qui la société presque toujours fut marâtre, et qui, ne trouvant pas de lait à la mamelle de la mauvaise nourrice, mordent à même la chair pour calmer leur faim... » Il apportait dans ses tableaux une audace de pensée et d'expression qui lui valut l'ardente sympathie de la jeunesse. Il éprouva la sévérité des lois : sur la dénonciation du Charivari, le poème fut saisi et son auteur, condamné à un mois de prison pour outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs, purgea sa peine à Sainte-Pélagie. Cet incident, analogue à celui qui marqua l'apparition des Fleurs du Mal, valut une vogue énorme à la Chanson des Gueux. sa Chanson des Gueux, où, donnant libre carrière à sa verve truculente et populaire, il exalta « la poésie brutale de ces aventureux, de ces hardis, de ces enfants en révolte à qui la société presque toujours fut marâtre, et qui, ne trouvant pas de lait à la mamelle de la mauvaise nourrice, mordent à même la chair pour calmer leur faim... » Il apportait dans ses tableaux une audace de pensée et d'expression qui lui valut l'ardente sympathie de la jeunesse. Il éprouva la sévérité des lois : sur la dénonciation du Charivari, le poème fut saisi et son auteur, condamné à un mois de prison pour outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs, purgea sa peine à Sainte-Pélagie. Cet incident, analogue à celui qui marqua l'apparition des Fleurs du Mal, valut une vogue énorme à la Chanson des Gueux.
Puis, Richepin a écrit les Caresses, poèmes de sensualité toute nue, sans hypocrisie, mais aussi sans perversité, puis les Blasphèmes, livre dans lequel M. Jules Lemaître voit avec raison, bien plutôt que la manifestation d'une pensée, l'éruption d'un tempérament et l'explosion d'une rhétorique. « Ce n'est pas, ajoute le critique des Contemporains, la méditation d'un philosophe, oh ! non, mais l'ivresse de Salmonée qui, pour défier Jupiter, pousse ses chevaux et son char sur un pont d'airain retentissant et s'enchante de son propre tintamarre. »
Dans la Mer, Richepin s'avérait puissant virtuose du vers et remarquable coloriste. Au théâtre, Richepin s'est mis d'emblée au premier rang des écrivains de drames en vers : son chef-d’œuvre, en ce genre, est le Chemineau, magnifique exaltation de la vie errante, mais il serait injuste d'oublier Nana-Sahib, qui incarne la lutte du patriotisme contre l'usurpation de la conquête ; la Glu, revanche de l'instinct contre la corruption raffinée ; le Flibustier, idylle touchante et pittoresque; les Truands, écrits en vers libres et dans une forme opulente; enfin Don Quichotte, qui développe avec des ressources nouvelles de lyrisme l'idée-mère, le leit-motiv de l'œuvre dramatique du poète : l'exaltation de la vie libre, en marge des lois sociales, l'apologie du rêve généreux et de la noble chimère, la louange de l'Illusion folle qui sera un jour la sagesse.
M. Jules Lemaître apprécie ainsi l'œuvre de M. Richepin : « Plus il avance dans son œuvre, plus M. Jean Richepin nous apparaît comme une nature merveilleusement simple, {377} robuste et saine, et en même temps comme un exemplaire accompli de culture latine, comme un poète essentiellement « classique » et comme un traditionnaliste irréprochable : ce qui le rend presque unique dans la littérature de nos jours. » M. Jean Richepin a été élu, le 5 mars 1908, membre de l'Académie française, en remplacement d'André Theuriet.
R. D.
BIBLIOGRAPHIE
LES ŒUVRES. — Poésie : La Chanson des Gueux (1876) ; — Les Caresses (1877) ; — Les Blasphèmes (1884) ; — La Mer (1886) ; — Mes Paradis (1894) ; — La Bombarde (1899). — Théâtre : La Glu, drame en 5 actes, représenté sur la scène du théâtre de l'Ambigu (1883) ; — Nana-Sahib, drame en 5 actes, en vers, représenté sur la scène du théâtre de la Porte-Saint-Martin (1883); — Macbeth, drame de Shakespeare en 9 tableaux et en prose (1884) ; — Monsieur Scapin, drame en 3 actes, en vers, représenté sur la scène du Théâtre-Français (1886); — Le Flibustier, drame en 3 actes, en vers, représenté sur la scène du Théâtre-Français (1888) ; — Le Chien de garde, drame en 5 actes, représenté sur la scène du théâtre de l'Odéon (1889); — Le Mage, opéra en 5 actes et 6 tableaux, musique de Massenet (1891) ; — Par le Glaive, drame en vers, en 5 actes et 8 tableaux, représenté sur la scène du Théâtre-Français (1892) ; — Vers la joie, conte en 3 actes, en vers, représenté sur la scène du Théâtre-Français (1894) ;— Théâtre chimérique, 27 actes en prose el en vers (1896) ; — Le Chemineau, drame en vers, en 5 actes représenté sur la scène du théâtre de l'Odéon (1897) ; — La Martyre, drame en 5 actes, en vers, représenté sur la scène du Théâtre-Français (1898) ; — Les Truands, drame en 5 actes, en vers, représenté sur la scène du théâtre de l'Odéon (1899); — Miarka, opéra en 5 actes, représenté sur la scène de l'Opéra-Comique (1905) ; — Don Quichotte, pièce représentée sur la scène du Théâtre-Français (1905). — La Belle au bois dormant, féerie lyrique en 14 tableaux, en collaboration avec MM. Henri Cain et Francis Thomé, théâtre Sarah-Bernhardt (1907). —
Prose : Les Étapes d’un réfractaire (1872) ; — Madame André, roman (1877); — Les Morts bizarres (1877); — La Glu, roman (1881); — Quatre Petits Romans (1882); — Le Pavé (1883); — Miarka, la fille à l'Ourse (1883); — Sophie Monnier (1884); — Braves Gens (1886) ; — Césarine (1888) ; — Le Cadet, roman (1890) ; — Truandailles (1890) ; — Cauchemars (1892) ; — La Miseloque, choses et gens de théâtre (1893) ; — L'Aimé, roman (1893) ; — Flamboche, roman (1895 ) ; — Les Grandes Amoureuses (1896) ; — Contes de la décadence romaine (1898) ; — Lagibasse, roman magique (1900) ; - Contes espagnols (1901).
Les œuvres de M. Jean Richepin se trouvent chez Fasquelle.
EN PRÉPARATION. — La Route d'Emeraude, pièce en vers tirée du roman de M. Eugène Demolder.— Laïs, drame.— Les Glas, poèmes.
A CONSULTER. — Jules Lemaître : Les Contemporains (3° série), Paris, Lecène el Oudin, 1889.— Ernest La Jeunesse : Les Nuits, les Ennuis et les âmes de nos plus notoires contemporains, Paris, Perrin. — Catulle Mendès : Rapport sur le mouvement poétique français de 1867 à 1900, Paris, Fasquelle, 1903. — Nozière : Au campement de Miarka, Le Temps, 7 mars 1903. — Saint-Georges de Bouhélier : L'Aurore, 8 mars 1908.— Maurice Guillemot : Le Siècle, 6 mars 1908.— Gustave Kahn : Gil Blas, 6 mars 1908. — Georges Grappe : L'Opinion, 8 mars 1908.
Victor Méric, « Jean Richepin »,
Les hommes du jour
n°30, 1908↑
En cette période d'abusive chaleur, de fusillades, d'arrestations et de lumières qui s'éteignent brusquement, il est vraiment rafraîchissant de parler un peu de poésie et de littérature. C'est comme si, après la traversée d'un désert, à dos de chameaux (je ne parle pas de nos hommes politiques), nous abordions dans une oasis de verdure et de calme. depuis Ah ! ne plus songer à Clemenceau, à ses noirs desseins, à ses piètres calembours ne plus parler de Briand, de Viviani et d'autres renégats de moindre importance : ne plus s’occuper du gendarme Mauajan, ne plus patauger dans toutes ces hontes et toutes ces ignominies et se plonger délicieusement dans la lecture des Blasphèmes, de la Mer, de la Chanson des gueux, relire et réapprendre ces poèmes fougueux, aux vers sonores, aux alexandrins échevelés où vibre et chante éperdument l’âme de ce gueux, de ce révolté impénitent que fut Jean Richepin avant, bien avant l’Académie… Ah ! piquer une tête dans cet océan de lyrisme, fendre d’un bras vigoureux ces flots de poésie tumultueuse… Quelle joie et quel réconfort !... Et peu à peu se sentir devenir poète, voir des ailes vous pousser, s’élancer vers les nuages, à travers les ouragans,
Plonger dans les éclairs sa tête révoltée
Pour y voler le feu.
Et chercher dispute à Dieu, créer de nouveaux paradis, imaginer des mondes fantastiques et impossibles et ne redescendre sur la fange de notre globe que pour essuyer, sur le visage d’un gueux, la sueur qui dégouline et la crasse qui s’émiette… Hein ! Cela ne vaut-il pas infiniment mieux que de s’occuper des petites querelles et des absurdes conflits qui sévissent entre les hommes ?
***
Ce qui fait la supériorité de Jean Richepin, c’est que presque seul de tous les écrivains contemporains, il s’est garé de la politique comme de la peste. Alors que les neuf-dixièmes des hommes de lettres d’aujourd’hui croient devoir dire leur mot sur les problèmes de notre temps et se mêler aux luttes du Forum (style noble), lui a su demeurer opiniâtrement à l’écart. Il ne s’est jamais embarqué dans la galère. Il avait d’autres soucis et d’autres désirs. Il voyait plus haut et plus loin. Que lui importait, à ce poète grandiloquent qui sait, à l’occasion, devenir sublime, nos mesquines batailles ! S’il consent à déserter les hauteurs et à redescendre sur la terre, c’est pour se mêler aux gueux, aux misérables, aux parias, à tous ceux dont l’amour de l’indépendance fait batte le cœur, à tous ceux dont il s’est proclamé le Roi.
Venez à moi, claquepatins,
Loqueteux, joueurs de musettes,
Clampins, loupeurs, voyous, catins,
Et marmousets, et marmousettes,
Tas de traîne-cul-les-housettes,
Race d’indépendants fougueux !
Je suis du pays dont vous êtes :
Le poète est le Roi des Gueux.
Et ce roi nous a présenté sa cour, une véritable cour des miracles où les voyous les plus noirs, les arsouilles les plus ténébreux, les filles de joie, les dos, les marmites, les chemineaux des villes et des champs prennent des allures de gentilhommes et de princes.
Ah ! Ce ne fut pas sans quelques difficultés. On n’était pas habitué à voir apparaître de tels personnages ; leur langue choquait ; leurs manières faisaient peur. Bien loin de vouloir atténuer l’effet singulier qu'ils produisaient, le poète, au contraire, pour les rendre plus saisissants, outrait leurs attitudes. Comme il l'a expliqué, lui-même, il présentait ses héros « à la bonne franquette d'un style en manches de chemise ». Et tous ses gueux, tous ses voyous, toute cette basse crapule qui provoquait autrefois des nausées est entrée à l'Académie Française. Elle a conquis droit de. Elle est reçue dans le monde. Le Roi des Gueux a su mener loin ses sujets. S'ils ne sont pas sensibles à l'honneur qui leur est fait, c'est qu'ils sont difficiles.
***
La Chanson des gueux a valu un mois de prison au poète et lui a apporté la gloire. Quelques critiques poussèrent, lors de son apparition, des cris d’effroi. Qu’était-ce donc que cette littérature ? Richepin s’est chargé de nous l’expliquer, dans sa préface à la chanson des gueux :
« C’est une brave […] maternités futures. »
Il n’y avait, en effet, dans le premier volume du poète, ni obscénité, ni outrages aux bonnes mœurs, pour parler le langage de nos moralistes. Il y avait la vie débordante, avec ses joies, ses douleurs, ses saletés ; il y avait l’immense peuple des miséreux et des souffrteux, des révoltés et des résignés, les « hurlubiers », les gouges au front plein de frisettes », les « momignards nus sans chemisettes », les « vieux à l’œil cave, au nez rugueux, au menton en casse-noisettes ». Et tout ce troupeau, tout ce monde auquel Richepin disait :
« Tu vivras, monde qui végètes »,
Il le faisait vivre et parler et se plaindre ; il lui faisait dire ses soucis, crier ses rages, clamer ses espoirs, avec une telle intensité, une telle crudité, une telle violence et, aussi, de loin en loin, avec une amertume décevante ; c’était, en un mot, une telle œuvre de vérité, un tel poème vécu et souffert qu’unanimement on salua le grand poète qui venait de naître.
***
Ces gueux qu’il nous a présentés comme des demi-dieux, Richepin les a aimés réellement. Il a vécu parmi eux. Ce bohème traînant ses souliers éculés dans les brasseries du quartier, ou sur les routes poussiéreuses, à travers les campagnes ; ce vagabond sans asile, aujourd’hui professeur, demain marin et débardeur, qui n’aimait rien tant que dormir tête nue sous les étoiles ; ce nomade qui songeait, en fumant sa pipe, à ses ancêtres touraniens et écoutait chanter le sang de ses artères ; ce bohémien athée qui crachait à la face du ciel ; cet athlète qui pratiquait la poésie comme un sport et taquinait la muse à coups de trique, nous a donné, avec la Chanson des gueux, son âme entière. Il nous a dépeint les sans-le-sou, les sans-gîte, tels qu’il les a vus, lui, sans se soucier de savoir comment les autres les voyaient. Et avec quelle pitié, il s’est penché sur eux ; avec quelle tendresse, il sait leur causer et les faire causer ; avec quelle angoisse, il les suit dans leur vie misérable, à travers les déboires, excusant leurs vices, leur soufflant la révolte, les donnant en exemple aux autres hommes, les exaltant. Rappelez-vous le « Oiseaux de passage ». Le poète n’a pas assez de haine pour le philistin qu’il invective et voyez comme il parle de ces oiseaux que sont les gueux, oiseaux assoiffés d’air pur, d’idéal et de clarté :
Regardez les passer ! Eux ce sont les sauvages.
Ils vont où leur désir le veut, par-dessus monts,
Et bois, et mers, et vents, et loin des esclavages,
L’air qu’ils boivent ferait éclater vos poumons.
Ah ! oui, il les aimait, les gueux, autrefois… Avant le succès de l’Académie… Il y a quelques années, un chemineau lui déroba quelques poules. On a raconté que le chantre des truands et des mendigots porta plainte. Sa sollicitude pour les miséreux lui fit découvrir le véritable moyen de fournir gratis pro déo un abri au chemineau, un abri pour reposer sa tête, une gamelle pour apaiser sa faim.
***
Et les Blasphèmes. Les hommes de ma génération sont nombreux qui les ont lus et relus ; pour moi, ce petit volume de vers était comme une sorte de bréviaire.
Les « Sonnets amers », « le Juif errant », la « Prière de l’Athée », l’» Apologie du Diable », la « Mort des Dieux » et la « Chanson du sang », où passe un souffle de furieuse indépendance et où s’affirme le nihilisme du poète, nous y avons appris la haine des Dieux, le mépris des lois et des préjugés. Le volume était dédié à Maurice Bouchor, et Richepin qui disait lui-même :
J’ai les os gins, la peau jaune, les yeux de cuivre,
Un torse d’écuyer et le mépris des lois
Y montrait tout son dédain des philosophes et des philosophies, rejetant le positivisme, cette science des ramasseurs de bouts de cigares et le matérialisme des chercheurs de lois pour aboutir franchement et carrément :
« A la négation sereine et radicale. »
A la vérité, on sent un peu trop dans cette série de poèmes à prétention philosophique, l’influence de Lucrèce. Exceptions faites pour les « Sonnets amers » et pour la « Chanson du sang », nulle originalité. Mais qu’est-ce que le bon Dieu prend pour son rhume ; quelles ruées à travers l’idéal ; quelle hécatombe de dieux, d’entités, de symboles. Le ciel s’effondrait ; le paradis s’évanouissait ; même la déesse Raison, la déesse Nature, le dieu Progrès, le Soleil, la Lune, les Etoiles, la Nuit, le Jour, la Vie, la Mort, rien ne résistait aux coups de poète féroce qui se répandait en invectives et en injures et engueulait ses personnages comme un charretier :
« J’ai rêvé que la Nuit n’était que la putain
« D’un vieux soudard, paillard, qui la paie en butin.
………………………………………………….
« O flots de l’éternelle houle,
« La Vie est une putain saôule.
« Qui dans l’infini hurle et roule
« Sans savoir ni comment ni pourquoi…
…………………………………………….
Tout serait à citer. Après ça, Richepin nous promettait le Paradis de l’Athée, qui devint plus modestement : Mes Paradis. Et il disait à Maurice Bouchor, doux poète, versé dans l’humanisme : « C’est ton sang bleu d’Arya qui t’a remonté au cerveau. » Et il s’esclaffait, il ricanait, il jetait de larges crachats sur la face sempiternelle de Dieu :
Pour l’éternité perdue
Dussé-je être torturé,
Qu’il réponde et qu’il me tue,
Ou c’est moi qui le tuerai.
Hélas ! le blasphémateur, l’impie, le mécréant s’est amadoué. Il n’a pas tué Dieu. Dieu ne l’a pas tué, non plus, mais il l’a rendu bien malade, puisque Jean Richepin, avant d’entrer à l’Académie, était déjà entré, dévotement, à l’église.
***
Jean-Auguste-Ernest-Jules Richepin, nous vient d’Algérie. Il est né, le 4 février 1849, à Médéah. En réalité, ce n’est pas un homme du Midi ; il est originaire de l’Aisne, petit-fils de paysans de la Thiérache, fils d’un médecin militaire qui tint garnison en Algérie. Quant à sa mère, c’était une beauceronne.
On le plaça, tour à tour, au lycée Napoléon, au lycée de Douai, au lycée Charlemagne, à l’Ecole normale supérieure. Chose étonnante. Le futur poète, le Touranien, le Nomade qui devait épater sa génération et triompher dans les brasseries littéraires, par sa violence, ses emportements, sa soif de liberté, fut un écolier modèle, un fort en thèmes. Il récoltait les premières places et les premiers prix. Au lycée de Douai, où il préparait sa philosophie, son nom s’étalait au palmarès. Il avait, comme professeur, Ollé-Laprune, qui lui faisait obtenir cinq premiers prix, dont celui d’instruction religieuse. Richepin était aussi classé au cahier d’honneur om l’on trouve onze de ses devoirs, chiffre sans précédents, dont huit dissertations philosophiques, un discours latin, une version traduite en vers, une composition d’histoire sur l’œuvre de Pierre-le-Grand et Catherine II.
Venu à Paris, vers la fin de l’Empire, il s’imposa rapidement dans les cénacles. Dès le début, en guise de protestation contre les parnassiens, il avait fondé avec Bouchor, Paul Bourget, Ponchon et Goudeau, le groupe des Vivants. Il venait quelquefois au Procope, une succursale du Chat-Noir où ont défilé tous les poètes contemporains. A cette époque, Richepin était sans le sou ; il buvait ferme ; se saoûlait de temps en temps. Emile Goudeau nous a raconté nombre d’anecdotes amusantes, datant de cette période.
On le rencontrait surtout sur le Boul’Mich’ en compagnie de Ponchon, grand buveur d’absinthe.
Salut ! Ponchon ! Salut trogne, crinière, ventre !
Qui depuis, le malheureux, s’est mis au picon ! et de Bouchor, l’homme riche de la bande. C’étaient les trois inséparables.
Vint la guerre de 1870. Richepin se battit à l’armée de l’Est et fut de retour pendant la Commune. Il commença à collaborer à de jeunes revues et à donner ses premiers vers. Il écrivit avec André Gill une pièce en vers : le Fou.
Après ça, il lui arrive mille aventures ; il part le bâton à la main, sur la grand’ route ; il suit les bohémiens ; il se fait matelot. Le voilà de retour à Paris, et sur le pavé de la capitale, il demeure le nomade qu’il a toujours été et qu’il a magnifiquement chanté.
Tout à coup, c’est la gloire. Il publie la Chanson des gueux. Le tapage fut effroyable. Les critiques partirent en guerre contre lui. L’un d’eux même alla jusqu’à écrire que ce livre était une mauvaise action. Résultat : poursuites, un mois de prison, 500 francs d’amende et quelques pièces de vers plus particulièrement hardies, supprimées.
Et Richepin continue. Il publie des romans dont Madame André., des nouvelles, les Morts bizarres, un autre roman, la Glu, son chef d’œuvre. Mais voici la liste à peu près complète de ses œuvres.
En vers : la Chanson des gueux (1876), les Caresses (1877), les Blasphèmes 1884), la Mer (1886), Mes Paradis (1894), la Bombarde (1899).
En prose : les Étapes d’un réfractaire (1872), les Morts bizarres (1876), Madame André (1878), la Glu (1881), le Pavé (1883), le Pavé (1883), Miarka la fille à l’Ourse (1883), Sophie Meunier (1884), les Braves Gens (1884), Césarine (1888), le Cadet (1890), Truandailles (1890), Cauchemar (1891) Miseloque (1892), l’Aîné (1893), Flamboche (1895), les Grandes amoureuses (1896), Contes de la décadence latine (1898), Lagibasse (1899), Paysages et coins de rue (1900), Contes espagnols (1901).
Au théâtre : l’Etoile (avec A. Gill, 1873), la Glu (1883), Nana Sahib (1883), Monsieur Scapin (1886), le Flibustier (1888), le Chien de garde (1889), le Mage, opéra (1891), Par le Glaive (1894) Vers la joie (1894), le Chemineau (1897), la Martyre (1899) les Truands (1899), la Gitane (1900), l’Impératrice (1901), Don Quichotte (1905), Miarka, joué à l’Opéra-Comique.
On le voit. Jean Richepin est un travailleur. En une seule année, il trouve le moyen de donner un roman et deux pièces de théâtre. Ajoutons qu’il a toujours collaboré à un ou plusieurs quotidiens et qu’actuellement encore, il est chargé de la chronique théâtrale à Comœdia
***
Il est indispensable, puisque nous parlons ici d’un maître écrivain, de donner les appréciations de quelques critiques. On sait, d’ailleurs, que les critiques sont experts dans l’art de découvrir dans une œuvre tout ce qui ne s’y trouve pas. C’est ainsi que Jules Lemaître a découvert dans les poèmes de Richepin l’influence de Pline l’Ancien, de Juvénal, de Musset, de Hugo, de Virgile, de l’abbé Delille, de Villon, de Marot, de Régnier, de Lamartine, de Lucrèce, etc., etc. Est-il possible que tant d’auteurs aient contribué à la formation intellectuelle de Richepin et quelle est la part de Richepin lui-même dans son œuvre ?
Sûrement, avec un peu plus d’attention, notre délicieux critique n’eut pas manqué d’y trouver aussi la trace d’Esope, d’Ibsen, de Voltaire, de l’auteur de Ramanaya et quelques autres.
Verlaine n’aimait pas Richepin. Le poète de Sagesse ne lui pardonnait pas ses Blasphèmes dont il dit que la « grosse trivialité ne le cède qu’au banal de la forme ».
Emile Faguet est d’un autre avis. Il voit dans Richepin une des figures les plus curieuses de la littérature poétique contemporaine. « Il a écrit, dit-il, des poèmes qui ressemblent à des toiles soit de Callot, soit de Goya, dans la Chanson des gueux ; il a écrit des poèmes franchement sensuels et souvent d’une belle ardeur païenne dans les Caresses ; il a naturellement le vers sonore, la période poétique vaste et nombreuse et une riche et forte couleur. »
Catulle Mendès déclare qu’il a été « un des plus purs, un des plus parfaits parmi les ouvriers augustes du vers ».
Rappelons que Hugo a salué dans Richepin le poète de l’avenir et que Zola, difficile pourtant, l’a désigné comme le poète se rapprochant le mieux de la formule naturaliste.
Laissons messieurs les critiques et, pour terminer, donnons simplement notre opinion sur le poète des gueux.
Pour nous, Jean Richepin, avec tous ses défauts et toutes ses imperfections est incontestablement un des plus grands poètes du siècle. Sa fougue, son imagination débordante, la sonorité et la brutalité de son vers le classent parmi les meilleurs d’entre les romantiques ; c’est un romantique venu après Baudelaire, un romantique qui s’exprime à rebours et demande son inspiration aux plus basses réalités, affectionnant la trivialité des expressions, la crudité des mots. On a mis souvent en doute sa sincérité. Certes, elle n’est pas égale partout, au cours de son œuvre. Le rhéteur montre souvent le bout de l’oreille.
Mais il y a aussi, chez Richepin, des moments d’absolue sincérité, où il exprime bien simplement et avec une émotion qu’il sait communiquer au lecteur, les choses vues et vécues. Son amour des gueux, des petits, des misérables, il l’a répandu tout au long de son œuvre ; sa pitié fraternelle, il l’a étendue jusqu’aux choses elles-mêmes :
Je suis de ces rêveurs qui dans leur amitié
Donnent aussi leur part à l’inerte matière
Et partagent leur cœur à la nature entière.
Ce qui restera surtout de lui, ce sont ses petits poèmes courts, argotiques, brutaux, où l’on entend parler librement les mendigots, les truands, les marins, sans souci des convenances et des préjugés ; ce sont ses petits tableaux, ses coins de rue, ses paysages vigoureusement brossés ; ce sont aussi ses chansons populaires, grossières, cyniques, ordurières souvent, mais où Richepin sait être lui-même, et ne doit rien à personne.
***
Pour le reste, il a complètement échoué. Mauvais auteur dramatique, et romancier de second ordre, il a constamment cherché sa voie parmi les aryas maudits et ce touranien égaré, ce nomade qui ne sait se reposer et trouver le port demeure au milieu de nous comme un étranger. Il lui manque quelque chose. Il lui manque justement ce sang bleu de l’Arya dont il parle avec mépris. Il lui était réservé de pousser de beaux cris de colère, de proférer d’inoubliables blasphèmes, de magnifiques injures, mais non de créer l’œuvre définitive, harmonieuse, complète. Chacun de ses livres représente un effort, un essai ; ce n’est jamais le chef-d’œuvre total.
Maintenant le poète a vieilli, le vagabond fatigué s’endort dans le lit de dame Académie et endosse l’habit vert. Les succès mondains et la fortune l’ont assagi. Bah ! ne lui cherchons point sottement querelle. Songeons que Jean Richepin est demeuré, malgré tout, un artiste honnête et conscient qu’il a été bien près, bien près du génie.
Et saluons le plus magnifique poète de la Révolte et de la Misère qu’il nous a été donné d’entendre ; saluons le chantre brutal des truands, des vagabonds et des bohêmes ; celui qui à force de talent et de travail a su consolider sur son front la couronne qu’il avait choisie et demeura pour toujours le Roi des Gueux.
Janvier↑
H. C., « Une conférence de M.
Richepin », Comœdia,
9 janvier 1909, p. 5.
Ce documen est extrait du
site RetroNews.
(Par télégramme de notre correspondant). Une conférence de Jean Richepin ! L'Alcazar regorgeait de monde, cet après-midi, pour entendre le grand poète. De sa voix chaude et colorée, tantôt fougueusement énergique et tantôt exquisement douce, toujours profondément prenante, il a parlé de La Légende de la Mer, et ce fut un régal de poésie et d'art. Jean Richepin aime la mer avec passion ; l'un de ses meilleurs livres de vers lui est entièrement consacré, et il a dit, il a chanté plutôt — car sa voix a le charme d'un chant — tout son enthousiasme pour elle. Il a évoqué et fait revivre toutes ses sensations, et beaucoup aimeront davantage la mer après avoir entendu Jean Richepin.
Après sa conférence, le poète a récité lui-même plusieurs de ses poèmes. La fête littéraire fut ainsi complète. Une ovation superbe en a souligné tout l'éclat et a pris le caractère d'un, hommage d'admiration et de sympathie.
Quatre mélodies ont été chantées ensuite avec un sentiment élevé par M. Fournets, la basse chantante de l'Opéra. Le comte Stiénon du Pré a accompagné une de ses œuvres intitulée : C'est en Zélande et les principaux artistes de l'Alcazar ont dit enfin, à leur tour, des verseur la mer et ses mystérieuses attirances.
La matinée s'est terminée par le troisième acte du Flibustier, qui a été chaleureusement applaudi. —
H. C.
Anonyme, « Th.
Sarah-Bernhardt », Comœdia, 16 janvier 1908, p.4.
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C’est à une des dernières répétitions de La Belle au bois dormant. Francis Thomé, l’auteur de la musique de scène de la belle œuvre de Jean Richepin, ; était au pupitre et dirigeait l’orchestre. La grande artiste était en scène et disait les vers du poète, accompagnée de la musique. Pas un bruit dans la salle où, entouré de quelques amis, Jean Richepin écoutait religieusement… Le compositeur, tout à sa musique, n’arrivait pas à suivre la grande artiste… Il en était navré… et nerveux, ne cachait pas son mécontentement quand, n’y tenant plus….
– Madame, dit-il, voudriez-vous reprendre la scène…
– Ah ! non, s’écria Jean Richepin… Madame est fatiguée… Je vous en prie, mon cher Thomé, n’insistez pas.
Mais le compositeur insista si bien que Jean Richepin quitta la salle.
Malgré l’insistance, toujours, de Francis Thomé, Sarah Bernhardt ne reprit pas la scène, et tout rentra dans l’ordre.
Mais le lendemain le même incident… mais à rebours… se produisit. Ce fut Sarah Bernhardt qui demanda au compositeur de reprendre la musique, qu’à son tour elle n’avait pas bien suivie.
– Madame, répondit Francis Thomé, ce que vous demandez est tout à fait impossible ; mes musiciens sont trop fatigués et je ne puis me permettre de leur donner un surcroît de travail.
– Alors, ne put s’empêcher de dire Mme Sarah Bernhardt, vous prenez soin de la fatigue de vos musiciens et quand je vous parle de ma fatigue à moi, vous semblez indifférent !
La réponse s’imposait.
Emile Bergerat, « Lettre à Jean
Richepin », Le
Figaro, 18 janvier 1908, p. 3.
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La Nuit bergamasque, qu'Antoine vient de mettre au répertoire classique du Second Théâtre-Fraçaais, a eu trois éditions recherchées des bibliophiles. La première, chez Lemerre, 1887 ; la deuxième, chez Charpentier, 1891, dans le « Théâtre en vers » de l'auteur ; la troisième, chez Ollendorf, en 1900, dans le tome III du « Théâtre d'Emile Bergerat », en six volumes. Les deux premières éditions étaient précédées d'une étude-préface très curieuse, dédiée à Jean Richepin, sur le vers comique de théâtre, que beaucoup de lettrés regrettent de ne pas avoir retrouvée dans celle de 1900, et qu'on lira sans doute avec plaisir.
Mars↑
Jules Lemaître, Emile Faguet,
Catulle Mendès, Alfred Pouthier, « Jean Richepin » Les Annales politiques et
littéraires, 1er
mars 1908, p. 197.
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Dans quelques jours, auront lieu les élections académiques. Plusieurs écrivains, lus et admirés du public des Annales, se disputent les fauteuils d'André Theuriet et de Sully Prudhomme, — celui de Berthelot étant réservé à M. Francis Charmes. Nous avons déjà publié des études sur Edmond Haraucourt, Jean Aicard, Jean Lahor, Henri de Régnier, Emile Bergerat, à propos de leur candidature académique. Complétons cette série en donnant, aujourd'hui, quelques notes sur les titres littéraires de notre cher et brillant collaborateur Jean Richepin. M. Auguste Dorchain, dont on avait prononcé le nom, se réserve pour une occasion prochaine.
C'est un rhétoricien révolté contre les lois et la morale et contre la modestie du goût classique, mais classique lui-même, et jusqu'aux moelles, dans son insurrection. Ce Touranien possède tous les bons auteurs aryas. C'est le sein de l'Alma Mater qu'il a tété, ce prince des « merligodgiers », et il est tout gonflé de son lait. Il n'y a guère d'écrivain, dans ce siècle, chez qui abondent à ce point les réminiscences ou même les imitations de la littérature classique, grecque, latine et française. Vous trouverez, dans la Chanson des Gueux, parmi les tableaux crapuleux, au milieu des couplets d'infâme argot où les rimes sonnent comme des hoquets d'ivrognes, de petites pièces qui fleurent l'anthologie grecque, Un mot du divin Platon, cité en grec, revient dans le refrain d'une chanson philosophique qui explique que « nous sommes des animaux » et que la suprême sagesse est de vivre comme un porc. Sept épigraphes grecques précèdent les alexandrins où le poète célèbre la Vieillesse honorée d'un Nestor Casqué de soie. Dans les Blasphèmes, vous rencontrerez des souvenirs directs de Lucrèce, de Pline l'Ancien et de Juvénal (je ne parle pas des réminiscences de Musset et de Hugo), et, dans la Mer, des morceaux de poésie didactique et descriptive qui vous feront songer, selon votre humeur, soit au Virgile des Géorgiques, soit à l'abbé Delille. Décidément, il reste sensible que Hohaul, fils de Braguli et petitfils de Rivno, a passé par l'Ecole normale. Surtout, M. Jean Richepin reste tout imprégné de Villon, de Marot, de Rabelais, de Régnier. Il reprend beaucoup de leurs vocables oubliés. Il y ajoute des mots populaires ou des mots spéciaux empruntés à la langue des divers métiers. Il se compose ainsi un immense vocabulaire.
Il a (surtout dans ses vers, fort supérieurs à sa prose) la sonorité, la plénitude, la couleur franche, le dessin précis, une langue excellente, vraiment classique par la qualité ; et il est le dernier de nos poètes qui ait, quand il le veut, le souffle, l'ampleur, le grand flot lyrique. Il est le seul qui, depuis Lamartine et Hugo, ait composé des odes dignes de ce nom et qui n'ait pas perdu haleine avant la fin ; et, en même temps, ce rhétoricien a su écrire de merveilleuses chansons assonancées et qui ressemblent, à force d'art, à des chansons populaires. Grand poète, en somme : dans ses meilleurs moments, un Villon de moins d'entrailles et de plus de puissance, qui aurait passé par le romantisme ; ailleurs, un superbe insurgé en vers latins.
JULES LEMAITRE,
de l'Académie française.
***
M. Jean Richepin est une des figures les plus curieuses de la littérature poétique contemporaine. Il est franchement, hardiment et insolemment romantique. Son tempérament poétique étant tel, il n'a cherché ni à l'amender ni à le dissimuler ; il l'a plutôt accusé et exagéré avec complaisance. Il a écrit des poèmes qui ressemblent à des toiles soit de Callot, soit de Goya, dans la Chanson des Gueux ; il a écrit des poèmes franchement sensuels, et souvent d'une belle ardeur païenne, dans les Caresses ; il a écrit des drames en vers qui n'avaient rien de la tragédie et qui semblaient bien avoir été conçus et composés en 1830 : Par le Glaive, Vers la Joie, le Flibustier, Nana-Sahib ; il a naturellement le vers sonore, la période poétique vaste et nombreuse et une riche et forte couleur. Il compose du reste très bien, comme la plupart des romantiques, quoi qu'on en ait dit.
EMILE FAGUET,
de l'Académie française.
***
Brutal d'abord, — avec une parfaite modération technique, — ardent, emporté, amoureux du rare et de l'énorme, il a été bientôt, sans aucun renoncement à son lyrisme initial, un des plus nets, un des plus sûrs, un des plus parfaits parmi les ouvriers augustes du vers. Oui, il est l'un des meilleurs parmi les romantiques classiques. Victor Hugo, qui n'a pu lire toutes les œuvres de Jean Richepin, saluait déjà en lui le pur poète, capable de réagir contre tous les vains systèmes des débraillements rythmiques.
CATULLE MENDÈS.
Il fut un temps béni où, suivant une expression chère à Théodore de Banville, les poètes lyriques « vivaient de leur état ». A présent, c'est fini de rire ! Apollon doit très souvent garder les troupeaux chez Admète, et ainsi seulement s'explique, avec quelque vraisemblance, que M. Jean Richepin, poète né, ait tant écrit en prose. Mais poète il est et poète il demeure ; « il est déguisé quand il est autrement ». Mal déguisé, même, puisque, derrière son masque de prosateur par nécessité, apparaît sa figure de poète. Oui, certes, la vraie personnalité de M. Richepin est sa personnalité de poète, et c'estau poète que, d'instinct, nous allons d'abord. Aussi bien, entre tant de facettes d'un talent protéiforme, n'est-ce pas la plus miroitante qui nous séduit le plus : victorieusement et tout de suite ?
La Chanson des Gueux date de 1876. Ce livre fut, du jour au lendemain, célèbre, et il se trouva qu'ainsi le poète avait franchi sa première étape sur ce chemin pierreux de la Gloire, où à s'engageait en indépendant à l'écart des Ecoles à la mode. Dans une langue sûre et souple, avec une sympathie profonde pour « les plantes, les choses et les bêtes », il chante, tour à tour, les gueux des champs et les gueux des villes, les mendiants qui tendent leur main en sébile sous les porches, les bohèmes, ivres de leurs rêves, noctambulant par les rues de Paris, — toute une plèbe pittoresque qui a retrouvé son Villon.
Suivent, à un an d'intervalle, les Caresses, livre d'amour où la beauté sculpturale du vers sauve, partout où il serait besoin, ce qu'une ardeur juvénile sans frein pourrait paraître avoir, ici et là, de trop violemment passionné.
Sept ans plus tard paraissent les Blasphèmes. Œuvre forte, longtemps méditée et mûrie, poèmes philosophiques dont, de l'aveu même de Richepin, il est douteux que « beaucoup de gens aient le courage de suivre, anneau par anneau, la chaîne logique, pour arriver aux implacables conclusions qui en sont la fin nécessaire ». Ensuite, c'est la Mer (1886). La mer ! quel sujet à tenter un poète, même après Michelet, même après Hugo, — que l'on rencontre toujours devant soi dans tous les domaines de la poésie, — même après Tristan Corbière ! Ce sujet, Richepin ne l'a pas traité, — non plus que cet énigmatique Corbière, — en simple « terrien de la terre », en « marin d'eau douce », mais comme il est seulement donné de le faire à un puissant artiste, qui
A connu naviguer, son doux et son amer,
La caresse et les coups des brises dans les toiles
Et les grands quarts de nuit tout seul sous les étoiles.
Mes Paradis, publiés en 1894, sortent de la même veine philosophique que les Blasphèmes. S'il y a, entre les deux œuvres, contradiction, elle n'est qu'apparente et tient à ceci que « les Blasphèmes furent {198} écrits de vingt à trente ans et Mes Paradis de trente à quarante ». Ce que la verve du poète y a d'âpreté atténuée, elle le regagne en sérénité, en plénitude ; l'essentiel, c'est que la sincérité de l'inspiration reste entière.
La Bombarde (1899) est dédiée au meilleur ami du poète : c'est dire en quelle dilection Richepin tient l'œuvre. On n'analyse pas un recueil de « contes à chanter » ; mais nous pouvons marquer que l'accent de ce livre est poignant ; il y a, ici, plus que l'expression d'une imagination capricante qui se traduit en rythmes savants : amère, farouche, riant aux larmes, en ces poèmes s'épanouit, en effet, l'âme même de la chanson populaire. Cette âme-là n'est jamais tout à fait absente des livres de Jean Richepin et, se survivant d'âge en âge, elle défend aussi de périr l'œuvre en qui elle a passé.
Richepin a écrit de nombreuses pièces en vers : l'Etoile (1873), en collaboration avec André Gill ; Nana-Sahib (1883), Monsieur Scapin (1886), le Flibustier (1888), Par le Glaive (1892), Vers la Joie (1894), le Chemineau (1897), la Martyre (1898), les Truands (1899), Don Quichotte (1905) ; enfin, en collaboration avec M. Henri Cain, la Belle au Bois Dormant (1906).
Un musicien russe, César Cui, a mis en musique le Flibustier ; M. Massenet a écrit la musique du Mage, et MM. Alexandre Georges et Xavier Leroux n'ont pas été moins bien inspirés par Miarka, la Fille à l'Ourse et par le Chemineau, dont M. Richepin a également écrit les livrets.
Dramaturge, M. Richepin reste un poète éclatant et sonore, aux belles images évocatrices. Les préoccupations du lettré l'ont gardé de ces concessions auxquelles, seuls, ne condescendent pas les purs artistes, même quand ils affrontent le public mêlé du théâtre. Cette probité intransigeante obtint sa récompense, plus notamment dans le gros et légitime succès du Flibustier et de Par le Glaive, au Théâtre-Français, du Chemineau, à l'Odéon, et, récemment, de cette Belle au Bois Dormant, qui nous a ravis, au Théâtre-Sarah-Bernhardt.
Nous avons dit par quelle fatalité bien moderne M. Jean Richepin a derrière lui une œuvre en prose considérable. Ici encore, il faut nous borner à des titres, Car les romans, les contes, les études, les « portraits à l'encre » d'hommes du jour, les chroniques d'actualité, les articles de critique bibliographique ou dramatique, se succèdent presque sans interruption depuis bien des années. Comme Théophile Gautier, Richepin aura été un « martyr de la copie » (1).
Le Pavé (1886) est la chronique du Paris inconnu, découvert et raconté par un témoin qui aime la rue, à qui rien de Ce qui s'y passe d'imprévu ne reste étranger. Dans les Grandes Amoureuses (1896), nous est narrée la vie de courtisanes célèbres, d'héroïnes historiques ou légendaires, Laïs, Phryné, Baudvilde, Sophie Monnier, d'autres encore.
Nous ne devons pas oublier le théâtre en prose : Macbeth, traduit de Shakespeare ; le Chien de Garde, où Taillade Créa un inoubliable « grognard » ; la Glu, pièce tirée du roman ; la Gitane, et, enfin, ce Théâtre Chimérique, vingt-sept actes en prose et en vers, — qui détient le record du « spectacle coupé » !
Mais revenons au romancier. M. Charles Le Goffic range M. Jean Richepin au nombre des « romanciers romantiques », à côté de Villiers de l'Isle-Adam, Barbey d'Aurevilly, M. Elémir Bourges et Mme Judith Gautier. Le critique a si bien caractérisé l'œuvre de Richepin qu'à défaut d'une analyse, que le peu de place dont nous disposons nous interdit, nous ne résistons pas au plaisir de le citer, tout au moins partiellement.
« Dans le roman, écrit M. Le Goffic, M. Richepin a des pages de description minutieuse et pointilleuse qui rappellent Dickens ; telles de ses tirades à panache sont d'un Alexandre Dumas supérieur ; la sobriété et l'horreur muette de certains dialogues font penser à Mérimée ; par le heurté et le vif de quelques analyses, il dépasse Vallès... Il peut tout, il est capable de tout. Il n'est pas jusqu'à la simplicité qu'il n'ait atteinte quand il a voulu... Rhéteur donc, si vous voulez, mais, assurément, un maître rhéteur... »
Prose ou vers, journalisme ou théâtre, l'œuvre de M. Jean Richepin, qui, au jugement d'un critique sagace, rappelle ou même surpasse la qualité maîtresse d'écrivains réputés, — cette œuvre est infiniment diverse. Avec Richepin, nous n'avons point à déplorer ces redites indignes d'un véritable artiste. Dès les années où d'autres font leur apprentissage et cherchent leur voie en tâtonnant, en pleine conscience de sa force, il a pu se développer librement, selon sa norme, empruntant aux milieux qu'il traversait, sans y laisser de son originalité propre, seulement de quoi nourrir ses ouvrages et en rehausser l'intérêt.
On peut les relire l'un après l'autre : pas un qui n'ouvre à la rêverie des Horizons nouveaux, et leur bloc laisse l'impression d'une des œuvres les plus variées de ce temps. La hardiesse du fond, la vigueur et la certitude de la forme en sont les caractéristiques. On y rencontre aussi de ces exubérances communes aux écrivains franchement de notre race. Donc, M. Richepin n'écrit pas toujours
pour les petites filles
Dont l'on coupe le pain en tartines...
Et, cependant, à ne recueillir, dans son œuvre de poète et de prosateur, que les pages de la plus pure inspiration, on composerait encore un précieux bouquet, capable de durer aussi longtemps que la langue française. C'est que M. Richepin est, actuellement, l'un des très rares qui l'aiment, des plus rares encore qui, pour n'en rien ignorer, l'ont étudiée à ses sources et en gardent sévèrement le culte.
Jean Richepin, poète lyrique ou conteur imagé, est dans la tradition et de la lignée de nos écrivains classiques, quelque chose de plus haut encore qu'un parfait homme de lettres vivant, — en attendant qu'il ait sa place au milieu des Immortels.
ALFRED POUTHIER.
G. de Pawlowki, « Jean Richepin
à l’Académie », Comœdia, 6 mars 1908, p. 1.
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Notre éminent collaborateur Jean Richepin est élu par 18 Voix sur 33 Votants, membre de l'Académie française. La carrière d'un grand poète.
Il n'est point besoin de dire longuement aux lecteurs de Comœdia toute la joie que nous donne l'élection à l'Académie Française de notre collaborateur le plus cher, du très grand poète qu'est Jean Richepin. C'est là, pour tous les lettrés, un succès collectif, une juste réparation que l'on attendait impatiemment depuis de longues années déjà, et qui honore l'Académie tout entière.
Ce n'est point que j'entende prétendre, comme on le fait souvent, Que l'Académie Française ne doit comprendre dans son sein que des littérateurs célèbres, que des hommes de lettres aimés et connus du public.
L'Académie Française n'a point été créée pour cela, et c'est méconnaître son véritable but que de lui reprocher les préférences qu'elle a parfois pour de grands Français qui ne furent point, à proprement parler, de grands littérateurs, mais plus simplement des hommes utiles à la pensée française, de quelque façon que ce soit.
Et même, à vrai dire, c'est tout en même temps pour cela que l'élection de Jean Richepin s'imposait d'une façon toute particulière.
Jean Richepin représente, en effet, un très grand nom de la littérature française, c'est entendu, mais il personnifie aussi, comme l'Académie elle-même, quelque chose de mieux et de plus complet, c'est-à-dire l'esprit d'ensemble de notre pays tout entier.
Il se montre en toute circonstance un homme complet qui, de toute façon, a su honorer son pays par son inlassable activité dans toutes les branches de la pensée humaine, un homme à qui rien de ce qui est humain n'est étranger.
Jean Richepin, en littérature, a toujours été un peu ce que Sarah Bernhardt fut dans l'art dramatique, c'est-à-dire une force vive, agissante, populaire, répandant la bonne parole et l'idée artistique dans tous les milieux, aussi bien en France qu'à l'étranger.
Jean Richepin n'a jamais perdu de vue les intérêts de l'humanité qui l'entoure et si, comme le Prométhée de la Fable, il s'est avisé de ravir le feu du Ciel, cela n'a pas été pour le garder jalousement par devers lui, mais bien pour le distribuer largement à tous les déshérités de l'esprit.
Poète, dramaturge, conférencier, critique, Jean Richepin a su atteindre et séduire la foule de mille manières, et des générations de jeunes lui doivent, sans aucun doute, l'éclosion de leur talent.
On a dit de lui qu'il avait fait tous les métiers, qu'il avait été marin, portefaix, chemineau, tout comme il avait été normalien et soldat. Il aura eu le rare bonheur, dans sa vie, d'atteindre tous les extrêmes, de se voir offrir une statue dans sa province natale, et d'être condamné par les tribunaux de son pays. Il aura celui d'avoir fait dire de lui, dans les notices que lui consacrent les dictionnaires, que c'est par son mépris des conventions sociales qu'il attira l'attention sur lui et d'être tout en même temps, en couronnement de carrière, reçu à l’Académie Française.
Et c'est une joie et une consolation très douce pour tous les Chemineaux de l'esprit que de savoir désormais, en dépit des fatigues et des déceptions quotidiennes, qu'ils ont dans leur sac une épée d'Académicien.
G. DE PAWLOWSKI.
A.G, « La Journée au palais
Mazarin », Comœdia, 6
mars 1908, p. 2.
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Peu d'élections académiques suscitèrent si vive curiosité que celle d'hier : il est vrai qu'elle était triple : les Quarante, qui n'étaient plus que trente-sept depuis quelques mois, avaient décidé de pourvoir d'un seul coup à la vacance des trois fauteuils vides.
Aussi, les candidats étaient-ils nombreux qui briguaient les successions de Marcellin Berthelot, André Theuriet et Sully-Prudhomme et les intrigues se multiplièrent ferme en ces dernières semaines.
Hier, dès midi et demi, la grande cour de l'Institut présentait une animation exceptionnelle : M. Gabriel Hanotaux arrive le première une heure avant l'ouverture de la séance ; il est bientôt suivi de MM. Emile Gebhart et Pauli Hervieu.
M. Henri Lavedan monte l'escalier de l’Institut
— En vérité, nous ne savons pas ce qui va se passer, dit le spirituel académicien à Me René Bazin, qu'il rejoint sur un palier. Un taximètre automobile s'arrête devant la porte de l'Institut : M. François Coppée en descend : à peine rétabli de la maladie qui le tint alité depuis des mois, le poète a tenu à venir voter pour un candidat qui lui est particulièrement cher — Jean Richepin, qu'on va acclamer tout à l'heure — et il arrive à l'Académie en compagnie de son médecin qui le soutient, l'installe dans l'ascenseur et le conduit jusqu’à la salle des séances.
Après M. Pierre Loti, qui descend d'une modeste urbaine, les académiciens se succèdent de minute en minute : M. Maurice Donnay arrive en compagnie de M. Frédéric Masson ; puis — car les académiciens aiment allée deux par deux — voici venir MM. Maurice Barrès et Paul Bourget, puis M. Barboux, le cardinal Mathieu, bras dessus bras dessous.
Pour un peu, tout le monde serait là : il ne manque, en effet, que quatre immortels : MM. Emile Ollivier, Edmond Rostand, Ludovic Halévy et Anatole France.
Au total, il y a trente-trois votants qui s'appliquent, aussitôt réunis, à remplacer Marcellin Berthelot, chose facile parce qu'il n'y a qu'un seul candidat, M. Francis Charmes, qui est élu au premier tour, par 27 voix contre 6 bulletins blancs.
Il faudra deux tours pour remplacer Sully Prudhomme, et M. Henri Poincaré sera élu Du' 17 voix contre 10 à M. de Pomairol, 4 à M Jean Aicard, et 2 à Emile Bergerat. M. Auguste Dorchain avait retiré sa candidature.
Entre-temps, on avait procédé à la plus sensationnelle des trois élections : il s'agissait de remplacer M. André Theuriet.
Dès le premier tour ; Jean Richepin arrive en tête avec 12 voix ; derrière lui, Henri de Régnier et Edmond Haraucourt se tiennent côte à côte avec chacun 8 voix : il y a un bulletin blanc.
A partir du second tour, Richepin va gagner deux voix chaque fois, jusqu'au triomphe final
Au deuxième tour donc, les voix se répartie sent ainsi : Jean Richepin, 14 Henri de Régnier, Il; Edmond Haraucourt, 7 ; bulletin blanc, 1.
Le troisième tour n'apporte pas encore de résultat définitif : une des voix d'Henri de Régnier se détache et va à Richepin, pour lequel vote également l'immortel à bulletin blanc des deux premiers tours. Ce troisième tour donne donc Jean Richepin, 16 ; Henri de Régnier 10 ; Edmond Haraucourt, 7.
Au quatrième tour, Henri de Régnier perd encore deux voix, qui vont assurer le triomphe définitif de Richepin, dont voici le bulletin de victoire.
Quatrième tour
Jean Richepin 18 voix. ELU
Henri de Régnier : 11
Edmond Haraucourt : 7
Bulletin blanc : 1
Le jeune fils du poète, le compositeur Tiarko Richepin, qui est dans la galerie des bustes avec les amis des candidats, ne fait qu'un bond : il descend l’escalier, traverse les deux cours de l'Institut, et pénètre chez M. Armand d'Artois, le bibliothécaire de la Mazarine : l'élu est là avec Mme Richepin et son fils aîné, Jacques Richepin.
– Élu ! crie triomphalement Tiarko Richepin
C'est ainsi que le nouvel immortel apprend l'heureuse nouvelle. En compagnie des siens, il quitte bientôt l’Académie – pour y revenir lors de la réception qui, selon toute vraisemblance, n’aura guère lieu avant l’automne prochain. Encore une solennité académique qui sera courrue…
R.O « La Carrière de Jean
Richepin », Comœdia,
6 mars 1908, p. 2.
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Jean Richepin est né le 4 février 1849 à Médéa (Algérie), où son père, médecin militaire, se trouvait alors en garnison. Les hasards de la vie militaire le firent commencer ses études à Douai et les terminer à Paris. Les lettres l'attiraient ; il se présenta à l'examen de l'Ecole normale supérieure et fut reçu, en 1868, avec Victor Brochard, Maxime Collignon, Gustave Bloch, etc.
Il fit alors la guerre. Jean Richepin s'engagea dans un bataillon de francs-tireurs et fit plus que son devoir dans l'armée de l'Est que commandait Bourbaki.
Il revint à Paris après la guerre et mena une vie toute de liberté. Puis il voyagea et, ainsi que l'écrivit un de ses biographes, « il fut tour à tour professeur libre, matelot, portefaix, débardeur à Naples et à Bordeaux ». Il collabora ensuite au Corsaire et à La Vérité, et fit paraître Les Etapes d'un réfractaire. C'est en 1873 qu'il écrivit, avec André Gill, L'Etoile, dont il incarna un personnage au théâtre de La Tour-d'Auvergne. Ce fut son premier succès dans la carrière d'auteur dramatique. Combien en a-t-il connu depuis ?
En 1877, il donna La Chanson des Gueux, qui attira sur lui, de façon formelle, l'attention des lettrés. Il fut alors poursuivi pour « attentat aux bonnes mœurs et condamné pour un passage de son livre. Dans l'édition expurgée (!!) de La Chanson des Gueux, le poète écrivit sous des lignes de pointa, à la place des vers incriminés :
Ici deux gueux s'aimaient jusqu’à la pamoison
- Et cela m'a valu trente jours de prison.
L'élection d'hier venge suffisamment Richepin de ce verdict pour qu'il soit nécessaire de récriminer davantage contre l'injuste condamnation.
Il entra ensuite à La Revue des Deux Mondes, où, en. 1877, il publia l'histoire d'une religieuse, La Sœur Doctrouvé.
Il donna ensuite : Les Caresses, La Glu (1881), Ma vie de garçon (1882), Les Morts bizarres, Le Pavé, Miarka, La Fille à l'ourse (1883), et Nana-Sahib, qu'il joua en compagnie le Sarah Bernhardt, au théâtre de la Porte-Saint-Martin. Mais, en 1886, ce furent : Les Braves gens, Miseloque en 1892, et Flamboche en 1895.
Le théâtre de Jean Richepin, véritable chef de l'école néo-romantique, restera, car il écrivit les choses vraies et ses héros s'expriment normalement. Il nous donne successivement : Mac beth (1884), Sapho et Sophie Monnier (1884), Le Flibustier (1888), Par le Glaive (1892), Vers la Joie (1893), Le Chemineau (1899) et La Belle au bois dormant, avec Henri Cain (1907).
Rappelons aussi que Jean Richepin fat, dès le premier numéro de notre journal, un de nos plus fidèles collaborateurs. Comme critique dramatique, le nouvel académicien a su prouver qu'une longue expérience personnelle de la vie et du théâtre pouvait seule donner l'autorité nécessaire pour juger sainement les œuvres et les hommes.
Gustave Kahn, « Jean
Richepin », Gil Blas,
6 mars 1908, p. 2.
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Gil Blas se souvient avec joie d'avoir le premier soutenu la candidature académique de Jean Richepin. Le bruit commençait à peine à s'en répandre. Jean Richepin n'était même peut-être pas encore tout à fait décidé à monter les étages des immortels vivants.
L'article est du 2 février 1907 et je suis tout à fait heureux qu'il soit de moi.
Encore que parmi ses compétiteurs se soient trouvés de vrais poètes, on ne saurait trop applaudir à une élection qui revernit la gloire poétique de l'Académie.
Nous disions de lui, que l'Académie pourrait dire le jour de son élection : Rien ne manque à sa gloire, il manquait à la nôtre.
Nous ajoutions :
« Il a la gloire, il a aussi une légende !
Comment n'aurait-il pas conquis le vert laurier, et ce demi tutoiement familier et doux, jovial et ému des liseurs de vers, vis-à-vis des poètes aimés, pour avoir été tendre, fort, et aussi singulier, pour avoir fait voltiger toutes les capes, sifflé dans tous les fifres, embouché tous les clairons d'épopées. »
Richepin n'est pas seulement un poète de premier ordre ; il est, intellectuellement, très particulier.
Il offre ce singulier contraste d'être le plus indépendant des esprits, le plus irrégulier des intuitifs et d'être armé pour réaliser ses visions de toutes les habiletés utiles de la rhétorique. Il est inspiré et savant, Il est érudit et il est aussi un poète de plein air. Il a traduit les rafales de la mer, les âmes orageuses des chemineaux, les idylles violentes ou souriantes du pavé avec un égal latent. Il est au courant des mauvais carrefours de Paris, mais personne ne connaît comme lui les coins obscurs et tes aspects triomphants de la Rome antique. Cet évocateur de paganisme a publié, alors qu'on n'y pensait guère, une synthèse profonde de l'amour de la terre, dans son Cadet. Son Héliogabale fera face dans ses œuvres à sa Miarka. C'est dire que Richepin a la qualité la moins fréquente à l'Académie : la diversité. C'est à cause même de cette diversité ardente qu'il est populaire, et parce qu'il est populaire, tout le monde dira que l'Académie a bien fait.
Puisque nous avons eu raison en un pronostic, risquons-en un autre. L'Académie se rehausserait en allant chercher Léon Dierx, et en faisant violence à son outrageuse modestie.
Gustave Kahn
Maurice Guillemot, « Les
Académiciens d’hier – Jean Richepin », Le Siècle, 6 mars 1908, p. 1.
Il sera bien difficile de dire du al de l’Académie, qui maintenant cherche à s’infuser un sang nouveau ; après le chatnoiriste Maurice Donnay, le touranien Jean Richepin ; le tailleur des habits verts est obligé à des mesures inhabituelles ; il vêt des hommes jeunes, aux muscles solides, aux biceps saillants, et les étapes de la vie de l’élu d’hier (il fut pion, matelot, portefaix, débardeur) ne semblaient pas devoir le conduire sous la coupole, au bout du pont des Arts, s’il n’y avait eu de longue date dans ses yeux la flamme, sous son crâne la fièvre de la véritable poésie, à cause de certaine pièce de la Chanson des Gueux :
… jusqu’à la pâmoison ;
Et cela me valut trente jours de prison
à cause aussi d’un très beau livre, les Blasphèmes, on avait craint que sa candidature demeurât impossible ; le Verbe a triomphé de tous les obstacles, et au costume de Nana-Sahib en succède un autre, moins décoratif, moins rutilant, moins oriental, mais plus solennel ; comment le tricorne à plumes noires tiendra-t-il sur la crinière du lion romantique ?
L’œuvre est très nombreuse qu’il a continuée parmi toutes les aventures diverses de son existence fantaisiste, et entre Madame André, ce roman remarquable et intense, et La Belle au bois dormant, que Sarah jouait encore la semaine dernière, il y a des volumes et des volumes, poésies, nouvelles, chroniques, contes, drames, livrets, dont il est inutile de citer les titres qui sont dans la mémoire des hommes.
Pourquoi l’Académie n’aurait-elle pas été séduite par ce séducteur qui, en notre temps de réalisme et de psychologies noires, s’amuse encore à jongler avec des rimes ensoleillées, croit aux contes de fées et les raconte, chante les chansons de Miarka, et trouve moyen, même dans la besogne aride et absorbante de la critique dramatique, de faire flamboyer des mots, rugir des enthousiasmes, grimper sa prose presque quotidienne jusqu’aux étoiles, selon la formule banvillesque.
Qu’il continue Privat d’Anglemont en visitant Paris pour ses Chroniques du Pavé, du reportage délicieusement pittoresque promu aux dessins de Raffaëlli, qu’il soit réfractaire après Vallès, qu’il tenaille le public avec la Glu, dont la chanson du cœur, dite par Thérésa, était un joyau d’émotion et d’angoisse, qu’il soit passionnément amoureux dans les Caresses,
Tout fleuri de rubans, tout rubanné de fleurs,
qu’il soit l’aède indulgent et renseigné des bohèmes et des truands, qu’il aborde la tragédie moderne avec Le Flibustier, antique avec Les Martyrs, qu’il redise la biographie de Sapho et de Sophie Monnier, il est toujours le parfait et puissant écrivain, qui apporte dans notre grise atmosphère la rutilance hugolienne. C’est pourquoi à tous il fut et il est sympathique, ce beau gars étrange qui, normalien, franc-tireur, licencié ès-lettres, n’a rien oublié de sa bonne culture universitaire et va d’une ballade à Ponchon à une ode latine à la façon d’Horace.
Au jour de sa réception, le discours sera aisé à faire pour celui chargé de l’accueillir ; la matière est énorme, les documents multiples, on devra même laisser de côté quelques citations :
Et les Batignollais verrons pousser des vignes…
A propos de lui, on pourra évoquer de grandes figures disparues ; n’a-t-il pas en certaines piécettes de la Chanson des Gueux égalé les petits poèmes en prose de Baudelaire ; n’a-t-il pas, en telles tirades de ses drames, approché le Dieu d’Hernani et Ruy Blas ?
Mais pour faire l’éloge de son prédécesseur, Richepin sera obligé à contenir un peu sa fougue, pour résurrectionner le doux André Theuriet, qui cueillait dans les combes plutôt les mignonnes fleurs bleues que les rouges coquelicots ; le maire de Bourg-la-Reine, pays célèbre par ses satyres pourtant, était un tendre, un délicat, suivant les chemins des bois et non les grandes routes de la Thiérache ; néanmoins c’était un confrère en poésie, et, dans la boutique du passage Choiseul, il est de lui de légers recueils tout à fait charmants.
Et du mort évoqué, du vivant acclamé, il résultera une belle séance pour laquelle il sera prudent de donner des places numérotées, comme nous l’avons demandé récemment ici même, car si tous les admirateurs de Jean Richepin veulent venir le fêter, si tous ses amis d’hier et d’aujourd’hui se donnent rendez-vous, la salle apparaîtra bien petite ; il y a vingt ans, dans une rue avoisinant l’avenue de Villiers, un garçonnet à longues boucles traînait un chariot d’enfant plein jusqu’au bord de volumes à couverture jaune, c’était Tiarko, actuellement compositeur de talent, qui portait chez un confrère de son papa les œuvres alors parues ; l’encre des dédicaces a jauni, mais les livres sont là sur le rayon préféré de la bibliothèque, souvent lus et relus, ces livres où maintenant au-dessous du nom de l’auteur on peut écrire : de l’Académie française.
Maurice Guillemot
Nozière. « Au campement de
Miarka ». Le Temps, 7
mars 1908.
Depuis l'aube la tribu marchait. Elle avait suivi la route poussiéreuse et passé devant un grand nombre de petites bornes que les pluies ont usées. Elle était indifférente aux maigres peupliers comme aux poteaux qui supportent les fils du télégraphe. Elle avait traversé des villages et les habitants s'enfermaient avec leurs enfants dans les maisons. Le soleil déclinait ; déjà le fin croissant de la lune apparaissait dans le ciel pâle. Et Miarka dit :
– Allons jusqu'au bourg que nous apercevons
là-bas, au pied du coteau dont les arbres
sont verts.
Aussitôt les hommes eurent des forces
nouvelles les chevaux et les ânes tirèrent plus
joyeusement
les charrettes. Car la voix de Miarka était douce comme la brise
et parfumée comme les premières fleurs du printemps. Quand il vit
le ruisseau et l'étroit pont de vieille pierre, l'Ancien
s'arrêta :
– Faisons halte. Nous passerons agréablement la nuit dans ces prairies.
Déjà les jeunes gens dételaient les bêtes qui soufflaient. Mais Miarka, dont les cheveux roux flottaient au vent, ne s'était pas arrêtée, et comme les vieilles femmes criaient :
– Où vas-tu, Miarka, ou vas-tu ?
elle ne daigna pas répondre mais dans une langue étrange, aux consonnes rauques, aux voyelles âpres, elle improvisa une complainte qu'elle chantait tout en poursuivant sa route.
» Où va Miarka, la fille de la bête sauvage ? Nul ne le sait. Ses frères, aux sourcils inquiets, pensent qu'elle court vers un amoureux qui n'est pas de sa race, et ils serrent dans leurs rudes mains les poignards affilés pour la vengeance. Mais ce n'est point vers les baisers que va Miarka, plus légère que la biche.
» Où va Miarka ? Les épouses peureuses, qui
sont attentives à la Santé des petits, espèrent qu'elle se dirige
vers la demeure du maire et des gendarmes pour qu'ils laissent en
paix les pauvres bohémiens. Mais les autorités ne recevront pas la
visite de Miarka, plus libre que l'hirondelle.
» Où va Miarka
? Les gars qui ont soif et qui ont faim se demandent si elle ne
s'emparera pas de grasses volailles et d'antiques bouteilles. Mais
les chapons et le vin devenu rose ne tentent pas Miarka, plus
sobre que la gazelle.
» Où va Miarka ? Les réprouvés qui n'oublient pas tous les maux dont ils furent accablés pensent que tout à l'heure de hautes flammes monteront vers le ciel étoilé et que les cris des enfants égorgés charmeront leurs oreilles. Mais l'incendie et le meurtre ne charment pas, ce soir, Miarka, plus douce qu'une alouette.
» Où va Miarka ? »
Elle cessa de chanter, parce qu'elle croisa une fillette et elle lui demanda :
– Où est le téléphone ?
Longtemps, longtemps, Miarka resta devant la porte de la cabine, et tous ceux qui entraient dans le bureau de poste l'observaient en tremblant. Enfin elle entendit la sonnerie attendue et elle fut enfermée devant l'appareil qui transporte au loin la voix. Quelques minutes plus tard, elle reparut, et son visage était joyeux. Elle s'élança dans la rue et elle revint en courant vers le campement. Le feu était allumé et on préparait une maigre soupe :
– Que nous rapportes-tu, Miarka ?
– Une bonne nouvelle !
– Parle ! parle !
– Si l'eau qui court pouvait parler, elle
dirait de belles histoires. Mais j'en sais une qui est plus
merveilleuse encore : notre grand frère Jean est élu membre de
l'Académie française. Personne ne songea plus à souper. La
prophétesse au visage redoutable, à la chevelure grise
déclarait :
– J'avais lu dans sa main qu'il siégerait parmi
les Immortels mais je m'étais bien gardé de le lui annoncer pour
ne pas attrister son adolescence.
Le grand chef poussait des cris de joie. Les femmes murmuraient
– Il était si beau Il était si fort !
Et celles qui allaitaient des bébés souriaient en pensant qu'un jour, peut-être, ils chanteraient comme Jean Richepin et recevraient ces honneurs qui sont réservés aux poètes, et aussi aux journalistes et aux savants, sans parler des auteurs dramatiques, des historiens, des avocats, des ingénieurs, des cardinaux et des gentilshommes. Une d'elles imagina cette naïve berceuse :
« Dors, mon enfant, et fais des rêves d'or. Tu n'as pour te défendre que le poignard de ton père, mais tu auras plus tard une épée à poignée de nacre. Tu n'as pour vêtement que des haillons ; mais tu auras un frac solennel ; les herbes, sur lesquelles tu sommeilles souvent, en broderont le col et les basques. » Mais un homme sanglotait. C'était le Grand Frisé. Le chef lui dit :
– La saison de tes larmes n'est point venue pourtant ; c'est quand le blé est en meule que tu te rappelles la funèbre soirée et que tu es déchiré par les remords.
Le Frisé soupira :
– Je pleure de joie parce que mon ami Jean sera présenté officiellement à M. Fallières et qu'il pourra l'encourager à prendre toujours en pitié les assassins. Quand j'ai tué l'infidèle Margot, il a deviné ma douleur. Il a compris que ce n'est ni par plaisir ni par vice que nous donnons la mort. Les crimes et les délits que les pauvres gens commettent méritent toujours quelque indulgence. Notre Richepin éleva la voix en faveur des gueux, et si nous excitons parfois la sympathie, si nous ne sommes plus jugés avec une sévérité cruelle, c'est peut-être parce qu'il a chanté. D'autres ont imité ses vers. Un barde au cache-nez rouge tira de son poème des complaintes qui furent vite populaires ; un homme maigre imagina que le Christ traînait dans Paris sa misère. De jeunes romanciers se sont attendris sur le sort de Bubu, qui est l'orgueil du quartier Montparnasse ; ils ont célébré les âmes délicates des femmes qui se promènent sur le trottoir du boulevard de Sébastopol. Mais c'est Jean qui les initia aux mystères de nos sentiments contradictoires.
Cependant un vieillard à la barbe vénérable était venu en clopinant :
En vérité, dit-il, – et sa voix était très
faible, tu parles bien, et je ne pensais pas qu'un agriculteur
s'intéressât si vivement aux questions littéraires. Mais ta très
légitime admiration pour Jean ne doit pas nous faire oublier
Victor. Tu sais que les bandits pittoresques furent toujours chers
à Hugo. Il y a, parmi nous, les compagnons d'Hernani.
N'aperçois-tu pas Saltabadil à la longue épée qui boit avec
sa
sœur, et don César de Bazan au pourpoint de soie qui médite
un sonnet ? Ne me reconnais-tu
pas ? Ne suis-je plus celui qui
règne sur la cour des Miracles, le roi des Truands ? Parmi mes
sujets voici l'écolier Jehan Frollo, le poète Gringoire et la
Esmeralda qui est la sœur, de Miarka. Ce forçat mélancolique et
vertueux qui' s'efforce en vain de racheter une faute légère ; par
une existence héroïque, c'est Jean Valjean. Autour de lui ne
distingues-tu pas le brutal Thénardier, le petit Gavroche, le beau
Mont-parnasse qui respire une rose, et la maigreur voluptueuse
d'Eponine ?
– Et nous ? s'écrièrent d'autres bohémiens.
Ignorez-vous les noms que nous portons ? Vous avez devant vous
Robert Vallée, Jacques Cardon, René de Montigny, Jehan Raguyer,
Colin Laurens, Girard Gossoyn, Jehan Marceau. Mais la liste en est
trop longue. Parmi nos amies, vous pouvez remarquer la grosse
Margot et la belle Heaulmière. Et voici notre maître, qui est
François Villon.
Des hommes aux yeux clairs disaient :
– Notre Jean n'a pas seulement chanté les
gueux qui vont sur les routes poudreuses, mais ceux qui cheminent
sur la mer. Il a aimé plus, que le sol les vagues qui caressent et
qui tuent. Il est venu dans nos bateaux, il a fait avec nous la
pêche, il a dormi parmi les odeurs du poisson et il nous a appris
de belles complaintes ; Jamais nous ne pourrons oublier ses
Matelotes il les lançait d'une voix si joyeuse et si chaude ! Nous
sommes exilés sur la terre parce qu'un soir, dans un cabaret, nous
avons bu et que nous avons saisi nos couteaux. Mais quand nous
nous sentons trop tristes, nous répétons les couplets qu'il nous
enseigna, et jusqu'à nos narines vient la bonne senteur de sel et
de goudron.
Et Miarka leur répondait :
– Il adora tout ce qui vit dans les flots :
les coquillages aux nuances délicates, les crustacés monstrueux,
les algues qui semblent les chevelures des sirènes et la divinité
de l'amour.
Aphrodite ! Aphrodite ! il te vit sortir des
abîmes de turquoise et il se prosterna devant ta puissance. Tu
reçus l'offrande audacieuse de ses caresses.
Graves, les femmes songeaient à ce poète de l'amour :
– Il n'était pas tremblant et subtil comme Gringoire auprès de la Esmeralda. Il était capable, comme le capitaine Phébus, d'emporter sur son cheval la femme désirée. Il était hardi et joyeux. Il se réjouissait de sa jeunesse et de sa santé.
– Et il était bon pour les faibles,
murmuraient les braves gens qui n'ont pas connu le succès. Il a
raconté pieusement les souffrances de l'acteur que la maladie
frappe au moment précis où il doit triompher. Il s'est penché sur
les efforts obscurs, sur les talents ignorés. Il sut adoucir des
amertumes.
Il a aimé nos visages farouches, déclaraient
les révoltés. Il a glorifié les martyrs chrétiens et Nana Sahib.
Il a hautement préféré à la race d'Abel la race de Caïn.
– Il a chéri les petits princes des innocentes féeries et la Belle au Bois dormant, murmuraient les enfants. Son fils Jacques a chanté Cadet-Roussel et la Marjolaine.
– Il est sensible comme son ami Maurice
Bouchor, à qui nous devons de si jolis mystères et truculent comme
son ami Raoul Ponchon, déclara un critique littéraire. En entrant
à l'Académie française, M. Maurice Donnay a rendu hommage à
Alphonse Allais. L'auteur de Monsieur Scapin ne manquera pas de
s'incliner devant Raoul Ponchon.
Et brusquement, les femmes dansèrent.
Accompagnées par une musique violente et rythmée, qu'avait sans
doute écrite M. Tiarko Richepin, elles balançaient leurs voiles,
tournaient, tourbillonnaient. Les violons frémissaient et les
notes des flûtes semblaient des cris d'oiseaux. Ainsi fut
célébrée, au campement de Miarka, dans la nuit du 5 mars 1908,
l'élection de Jean Richepin à l'Académie
française.
NOZIÈRE.
Saint-Georges de Bouhélier,
« Histoires d’Académiciens », L’Aurore, 8 mars 1908, p. 1.
Ces temps derniers, l’Académie a fait beaucoup parler d’elle. En bien ou en mal, et un peu partout. D’abord, au Théâtre-Français.
Sur cette scène, on allait nous donner le Foyer. C’eût été, par hasard, une œuvre ardente et grande. Acceptée l’an passé, non sans difficultés, puis rendue à MM. Mirbeau et Natanson, confiée aussitôt par eux à Guitry, corrigée, refondue, adoucie d’une touche sûre, cette pièce avait été reportée au Français. M. Jules Claretie l’y avait reprise. Mise en répétition, elle allait donc passer. Dès lors, tout de suite, nous était né un grand espoir.
Car songez à quelle platitude nous avons chu ! En art, nous stagnons dans du croupissement. La routine envahit tout. Nos théâtres où jadis, triomphaient les audaces, se vouent à d’ignobles imitations. Personne n’entreprend rien, nul n’affronte le troupeau et voilà l’Europe, naguère pleine de noms et acharnée à des copies de nos Ecoles littéraires qui, de plus en plus, maintenant, s’en éloigne et refuse d’échanger son propre génie pour nos lâches recommencements.
Aussi est-ce toujours une chose remarquable qu’une représentation, sur une scène nationale, d’une nouvelle production d’un talent âpre et fort comme M. Octave Mirbeau.
Sur ce point, n’est-ce pas, nous sommes tous d’accord. Avec M. Octave Mirbeau, on aime jusqu’aux convulsions. Et puis d’ailleurs, on sait ce qu’il arrive souvent des plus scandaleuses violences littéraires. C’est avant surtout que l’on s’en inquiète. Et le lendemain de la première on n’en parle plus.
Mais M. Jules Claretie n’est pas de cet avis. Il s’est montré soudain extrêmement effaré devant quelques truculences. Il a demandé des changements. Les auteurs se sont mis d’accord pour les refuser. Et là-dessus les répétitions sont suspendues.
Eh bien, c’est là un procédé qui, pour ma part, me paraît sans excuse. Vis-à-vis d’un homme comme M. Octave Mirbeau il y a des convenances morales à observer. M. Octave Mirbeau honore grandement notre art Le Théâtre-Français s’ouvre à des auteurs dont la plupart sont loin d’avoir fait des chefs-d’œuvre et les Affaires sont les Affaires constituent la seule grande comédie satirique écrite depuis ces dernières années. Un directeur quelconque peut fermer son théâtre à M. Octave Mirbeau. Mais pas M. Jules Claretie. J’ai pour M. Jules Claretie une extrême déférence, pourtant qu’il me permette de le lui déclarer, en cette circonstance il me semble avoir grand tort. Car enfin pourquoi tracasse-t-on M. Mirbeau ? Parce qu’il a mis en scène un académicien et que cet académicien est une fripouille. Mais le fait de porter l’habit à palmes vertes implique-t-il toutes les vertus ? Et sans déshonorer tout un corps estimable, ne peut-on bafouer un seul de ses membres ? Il y a là une prétention assez naïve.
***
N’allez pas croire que je méprise l’Académie.
Les écrivains qui la composent ne sont pas tous incolores. Quelques-uns y ont été reçus pour leur talent et l’on n’y trouve pas que des non valeurs ?
Toutefois, c’est un malheur pour la docte assemblée que M. France se soit dégouté d’y paraître. Car des hommes aussi singuliers n’y abondent pas. Et quand elle s’adjoint M. Francis Charmes, elle ne s’ajoute vraiment, pour ainsi dire, personne. Mais enfin, parmi les quarante, il est des têtes remarquables. Ainsi l’éminent M. Poincaré. Ainsi, M. Jean Richepin.
L’élection du poète des Gueux m’a fait plaisir. J’avoue que j’y comptais peu. Mais l’Académie a fait preuve de goût. Et tout le monde à cette occasion est de grand cœur avec elle. Nul poète, peut-être, en dépit d’une vie étrange e d’abord quelque peu débraillée et nomade n’a su mériter si bien l’estime générale.
En marge, d’apparence, et d’âme indocile, d’allure libre, avec de beaux gestes rédempteurs vers les plèbes, épris principalement de bohèmes vagabonds et de hargneries beuglant aux carrefours, il aura été le poète des réfractaires, indomptablement sincère. Notez que bien avant tout le monde, il a d’une profonde ferveur frénétique, célébré les haillonneux fous, et les farouches migrateurs. Lui-même d’ailleurs, troquant pour le hasard des routes la sécurité sédentaire de son état, il avait, tour à tour comédien, portefaix, athlète dans les foires, matelot dans les ports, expérimenté les misères, plus tard chantées. Et pour nous qui, cherchons dans l’art une expression de la nature et de la vraie vie ardemment tragique, M. Jean Richepin devait être un précurseur.
Ce que j'aime le moins de son œuvre, c'est,
çà et là, certaines parties de son théâtre. Mais ses poèmes,
forgés d'argot et de lyrisme, empreints de mille nuances,
bouillonnants de l'azur, ses odes rudes, coruscantes de parfums et
de sels, ses sonnets, tous ses chants enfin sont admirables. Et
puis Miarka, la fille à
l'Ourse a probablement devancé nos vers libristes. De sorte
que ce parfait lettré, cet Inspiré âpre, éloquent, retentissant,
aura pu troubler deux régénérations. Mais sur ces
points là il
faudrait nous expliquer. Et je ne dispose que de quelques
lignes.
Je ne puis que rappeler, en quelques traits sommaires,
cette très émouvante
figure de poète.
A l'Académie, Jean Richepin est à sa place !
Son fils, le poète de Cadet Roussel, après un noble chant en
l'honneur de son père écrivait hier, pour conclure. très justement
: « Et puis il pourra
travailler au dictionnaire ! » J'ajoute qu'il est
apte à mettre un peu d'air, de flamme, dans cette compagnie. Je
suis sûr que M. Claretie ne trouverait pas auprès de M. Jean
Richepin un appui contre un écrivain comme M. Octave Mirbeau. Ce
n'est pas le poète du Chemineau et des Gueux qui s'effraiera d'aucune audace
intellectuelle !
Il n'en est pas de même de M. Maurice Barrès.
***
M. Maurice Barrès répugne à tout
écart et sa théorie des « pas dans les pas » tend à envaser
l'homme dans la cendre des morts, D'ailleurs ce n'est là qu'un
mot. Car, bien entendu, tous les morts ne font pas à M. Barrès de
beaux modèles. Et parmi ceux qui sont couchés aux grandes ténèbres
souterraines, quelques-uns continuent de lui paraître ennemis. Tel
Zola qu'il vient
d'attaquer encore une fois, ces jours-ci.
A l'égard du maître épique du roman, M. Maurice Barrès professe, celte opinion qu'il était un étranger, qu'il écrivait en un style lourd et sur des matières triviales
Je regrette pour M. Barrés cette conception
bien mesquine. Je ne pense pas froisser un esprit si spécial, et
si orgueilleux de son étroitesse en lui montrant combien il se
montre étriqué en jugeant ainsi un grand prosateur qui dépasse
trop ses limites. M. Maurice Barrès ne comprend pas Zola et c'est
moins par ruse politique que par impuissance, en présence des
choses
énormes. On peut être un grand écrivain et manquer à
certains égards de clairvoyance. M. Maurice Barrès aspire trop à
s'étendre, à devenir représentatif et collectif pour ne pas sentir
à quel point il est au fond de soi, fermé. Il possède une nature
délicate et mystique, J'explique ainsi son aversion
pour l'art
géant de Zola.
Je préfère la légitimer de cette façon à la
justifier par un bas désir de
flatter sa clientèle. M. Maurice
Barrès est un très rare esprit et d'ailleurs, c'est toujours ma
profonde conviction que nos petites vilenies ne sont guère
qu'apparentes, qu'elles servent des intérêts involontairement purs
et quelles en sont des expressions superficielles.
Quoi qu'il en soit, M. Barrès aurait mieux
fait de se taire. Il n'a rien à gagner à se montrer ainsi. Mais
son sentiment sur ce point diffère du mien. Ne se dispose-t-il,
pas à parler à la Chambre et, à propos de la translation de Zola,
n'a-t-il pas le dessein de soulever un débat, d'où il sortira
forcément vaincu M. Maurice Barrès est étrangement têtu. Je le
comparerai à M.
Claretie....
Saint-Georges de Bouhélier.
Le Bonhomme Chrysale [Adolphe
Brisson], « Notes de la semaine – à l’Académie », Les Annales politiques et
littéraires, 15 mars 1908, p. 241-242.
Ce document est extrait du
site RetroNews.
Nous sommes très Heureux, et très fiers aussi, de l'élévation de Jean Richepin. Notre maison est la sienne... C'est une fête quand il conférencie à l'Université des Annales. Sa parole chaleureuse, enthousiaste, ardente à exalter toutes les formes de la beauté et de l'art, y est passionnément applaudie. Lundi dernier, nos jeunes élèves avaient apporté des fleurs ; n'osant pas les lui jeter, car c'eût été le traiter comme un ténor et lui manquer de respect, elles les ont discrètement déposées sur sa table. Et je suis sûr que cet hommage lui est allé au cœur.
Il y a quelque enseignement à tirer d'un événement si considérable. C'est toujours un gros événement qu'une élection académique. Jean Richepin à l'Académie ! Chimène, qui l'eût dit ! Rodrigue, qui l'eût cru ! Jamais poète ne fut moins académisable, surtout pendant la première moitié de sa vie. Longtemps, Richepin passa pour une sorte de bohème, pour un insurgé. La publication de l'admirable Chanson des Gueux lui valut une condamnation en police correctionnelle et, par suite, le priva du ruban rouge. Richepin n'est pas décoré. Et puis, il mena une existence un peu hasardeuse, rebelle à toute discipline. Que n'a-t-on pas raconté sur lui ? Qu'il luttait, dans les foires, avec les hercules de profession... Qu'il vagabondait en roulotte, à travers champs, en compagnie des romanitchels... On le jugeait d'après son roman de Miarka, la Fille à l'Ourse.
Eh ! mon Dieu, ces légendes exagérées, enflées par la badauderie et la médisance, contenaient une part de vérité... Richepin aimait le pittoresque, l'imprévu; il se sentait le frère des miséreux, des pauvres diables qu'il avait si bien chantés, du chemineau, du saltimbanque, de la petite ouvrière des faubourgs, du pêcheur, du pilote, des travailleurs de la mer ; il exécrait les côtés terre à terre de l'existence bourgeoise ; son imagination l'entraînait vers les pays extravagants, les pays de rêve, vers l'Orient, vers l'Inde héroïquement sacrée de Nana-Sahib, ou bien, dans le passé, vers la Rome impériale et Byzance. Lui-même, avec sa mâle et noble prestance, n'appartenait pas à notre humanité rabougrie ; il semblait fait pour porter l'armure et manier la lance des chevaliers. Tout cela lui constituait une physionomie fort originale, mais, avouons-le, un peu bien tumultueuse.
Cependant, par une étrange anomalie, cet homme impétueux, ce néo-romantique avait l'instinct de l'ordre, de la clarté ; son allure échevelée dissimulait un remarquable équilibre d'esprit. C'était un excellent écolier. Vous lirez plus loin ses notes de classe, qui ont été retrouvées. Son fils Jacques nous expliquait hier, dans un article gentiment enthousiaste, quels liens le rattachent au vieux sol de France :
Mon arrière-grand-père, mes grands-oncles, étaient des paysans, de vrais paysans : l'un d'eux ensemençait tous ses champs lui-même, disant que lui seul savait ce que chaque sillon pouvait rendre; un autre était fermier des terres de l'abbaye de Reims et comptait, dans ses étables, deux cents bœufs et six cents moutons; enfin, ma grand'mère, la mère du Touranien que fut en rêve Jean Richepin, portait un nom essentiellement rustique, noblement plébéien : ma grand'mère était une demoiselle Bêchepois.
C'est à cette hérédité tenant si directement à notre sol, c'est à ce sang campagnard si fidèlement resté dans ses veines, c'est à toutes ces racines secrètes qui l'attachent à la terre picarde, que Jean Richepin doit d'être le poète populaire, le poète français, le poète classique qu'il est.
Et, de ces aïeux paysans, Jean Richepin tenait aussi une vertu qui est la véritable source de sa fortune et de sa gloire : un amour persévérant et tenace du travail. Parmi les orages de la jeunesse, dans l'apaisement de l'âge mûr, toujours, comme eux, il a creusé son sillon, semé son grain. L'estime, et le respect vont au labeur opiniâtre. Ceux de ses futurs confrères qu'eussent effrayés certaines pages des Truandailles et des Blasphèmes ont élu le bon travailleur qu'est Jean Richepin. Bien mieux : ils lui ont su gré d'avoir suivi sa libre inspiration, sans concessions ni ménagements hypocrites. L'Académie s'est donnée à lui parce qu'il ne l'avait pas courtisée. Il a donc le droit d'être orgueilleux d'un choix où n'entre aucune faveur. Et voilà, ce me semble, la double leçon qui se dégage du succès de notre ami.
Je la livre aux réflexions de ses cadets. Je leur dirai :
— Méditez cet exemple... Soyez vous-mêmes ; obéissez à votre tempérament d'artistes ; tâchez d'avoir du talent, et, par-dessus tout, travaillez avec énergie, avec allégresse ; cultivez votre jardin. {242}
Tôt ou tard, votre effort trouvera sa récompense.
Le titre d'Immortel en est une, la plus considérable qui puisse couronner la carrière d'un homme de lettres. C'est une assurance contre la solitude, cette suprême amertume de la vieillesse. Jean Richepin va s'asseoir, sous la Coupole, à côté de son camarade François Coppée. Celui-ci lui a donné une poignante marque de sympathie fraternelle, quittant le lit où une grave maladie le retenait, pour assurer sa victoire. Un tel dévouement a dû l'émouvoir jusqu'au fond de l'âme. Il s'en montrera digne en devenant un parfait académicien.
L'Académie exerce une action puissante sur les écrivains, qu'elle groupe, selon la classique métaphore, « dans son sein ». Elle les façonne, les transforme, éveille en eux des scrupules d'un ordre particulier. Ils sont jaloux du prestige de l'illustre institution et ne souffrent pas qu'il lui soit porté atteinte. Le bruit soulevé actuellement autour du Foyer est, à cet égard, significatif.
Vous connaissez l'incident, dont tout Paris s'entretient. MM. Octave Mirbeau et Natanson font recevoir une pièce à la Comédie-Française. Elle met en scène un membre de la Compagnie et le montre souillé de tous les vices, voleur, débauché, mari complaisant, dénué de sens moral. Dès les premières répétitions (la scène imprime aux choses un relief terrible), M. Jules Claretie recula, épouvanté. L'idée que l'habit vert serait déshonoré dans la maison qu'il gouverne lui fut odieuse. Il imposa aux auteurs des modifications radicales, et, sur leur refus, il leur rendit l'ouvrage. Mieux eût valu qu'il ne le reçût pas d'abord. Mais on ne saurait le blâmer de prévenir un scandale qui n'eût réjoui que les ratés de lettres et les méchants.
Ce pays eut des rois qui sont morts et ne paraissent pas prêts à revivre. Il lui reste une reine : l'Académie.
Ne touchez pas à la reine !...
LE BONHOMME CHRYSALE.
Sergines, « Les échos de Paris
– Jean Richepin au lycée », Les Annales politiques et littéraires,
15 mars 1908, p. 245-246.
Ce document est extrait du
site RetroNews.
[…]
Voici quelques renseignements assez peu connus sur la jeunesse scolaire de Jean Richepin. Nous les empruntons à notre confrère, M. Camille Vergniol, qui les a contés jadis et les a vérifiés lui-même au lycée de Douai.
Jean Richepin vécut dans cette ville les deux années 1866 et 1867. Il y fit, en qualité d'interne, son année de philosophie, et se préparant à l'Ecole normale, redoubla, l'année suivante, sa rhétorique, cette fois comme externe. Il avait alors, paraît-il, le travail facile, mais capricieux. Aux jours de composition, il errait de banc en banc (ses professeurs lui laissant à ce sujet quelque liberté), rêvassant par-ci par-là, puis, un quart d'heure avant la fin de la séance, regagnait sa place, bâclait sa copie... et était classé régulièrement le premier !
Aussi son nom s'étale-t-il alors au palmarès comme au « cahier d'honneur ». En philosophie, où il avait comme professeur Ollé-Laprune, il obtient te premier prix de dissertation française au concours académique, le prix de l'Association des anciens élèves et cinq premiers prix, dont celui d'instruction religieuse.
La deuxième année, en rhétorique, il a six premiers prix, est huit fois couronné et une fois nommé.
Quant au cahier d'honneur du lycée de Douai, notre confrère l'a feuilleté et il y a trouvé onze devoirs de Richepin (chiffre énorme, presque unique dans les annales {246} universitaires) ; il a huit dissertations philosophiques, un discours latin, une version traduite en vers et une composition d'histoire, le tout formant quarante-cinq pages in-folio. Le futur auteur de la Chanson des Gueux y montre, paraît-il, un goût tout particulier pour la philosophie, sans doute sous l'influence de Ollé-Laprune, qui aimait le faire venir chez lui et discuter avec lui.
Ces devoirs ne révèlent, assurément, qu'une faible originalité d'esprit et de style. Ce sont des œuvres d'excellent écolier, de fort en thèmes, mais sans couleurs, sans panache. Une composition — celle d'histoire — ne manque pas de piquant. Le sujet proposé était le suivant :
« L'œuvre de civilisation tentée en Russie par Pierre le Grand et Catherine II a-t-elle été accomplie ? Est-elle possible ? »
Jean Richepin noircit cinq pages de papier grand format pour le démontrer négativement.
« Œuvre impossible, s'écrie-t-il ; la civilisation européenne a donc été tentée vainement, et vainement elle le sera toujours. Napoléon disait qu'avant cinquante ans l'Europe serait républicaine ou cosaque. Elle n'est ni l'une ni l'autre, et, à coup sûr, elle ne sera jamais cosaque. Entre les deux sociétés, il y a trop de différence pour que l'une puisse absorber l'autre et se l'immiscer... »
Tout cela écrit d'une grande écriture nette, anguleuse et ferme, — et signé d'un paraphe compliqué au milieu duquel s'inscrit le nom de Richepin, Auguste-Jean-Ernest-Jules.
C'était la petite gloire, déjà, l'aube de la grande, qui n'allait pas tarder à se lever pour l'ancien potache du lycée de Douai...
[…]
Sergines
Pierre Courtois, « Jean
Richepin », Revue
française politique et littéraire, 15 mars 1908,
p. 274.
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En élisant Jean Richepin, l’Académie Française a fait honneur à son goût et accordé aux poètes une satisfaction qu'ils réclamaient depuis longtemps. Il n’est pas de meilleur ouvrier en vers, de plus accompli virtuose, le poète, d’railleur, double le virtuose et si la poésie consiste à dégager des choses, des êtres, de la nature toute entière, l’aspect pittoresque < t l’émotion champêtre, Jean Richepin a réalisé avec éclat dans son o ouvre, spis est considérable, cette conception. Celle-ci est soutenue par un artiste qui a à sa disposition un très riche vocabulaire et une facilité d’invention verbale vraiment extraordinaire. Jean Richepin s'adapte à tous les sujets avec une souplesse toute naturelle. Il a laissé, dans le genre réaliste, des esquisses définitives d'un art franc, d’un relief de lignes très accusé. Il peint les gueux et les humbles avec une vérité d’observation hardie et nette. Il n’a jamais abandonné son goût de la poésie idéale, mouvement de cœur, ascension de l’âme vers les étoiles. On se rappelle cette pièce admirable, descriptive et émue, un chef-d'œuvre de rêverie passionnée et inquiète : La Requête le aux étoiles :
Etoiles, qui clignez si doucement les yeux...
Je n'ai pas la place ici d’énumérer les œuvres poétiques de Jean Richepin. Je rappelle seulement : Les Caresses, La Mer, La Bombarde...
La vie ardente, celle que le désir de l’amour ravage de ses flammes, la vie en rêves tumultueux, en gaieté chantante, la vie avec ses aspects divers et ses paysages, au milieu desquels s’agite une humanité qui pleure, qui rit et qui chante, la vie romanesque, féerique et héroïque, apparais, en un éclat d'images et de rythmes éblouissant. dans l'œuvre lyrique et dramatique de Jean Richepin.
Nul ne l'égale dans la chanson. Il est, avec François Coppée, qui a tenu à faire l’effort héroïque de venir, malgré son état de santé, voter pour Richepin, le poète qui, à la scène, après les drames romantiques a connu les plus grands succès. Par le Glaive triompha au Théâtre-Français pendant plus de cent représentations ; Le Flibustier, inspiré au poète par la mer, a été acclamé et reste au répertoire de la Comédie, et l’on sait le succès qu’a remporté La Belle au Bois dormant, où l’imagination du poète a animé de pittoresque, de grâce, d’émotion un délicieux conte de fées. On se rappelle aussi Le Chemineau, qui a parcouru, à l’Odéon, une si longue carrière.
Ces notes hâtives ne me permettent pas d’étudier, comme il conviendrait, le poète et l’écrivain. Attaché à la technique traditionnelle, rieur impeccable, dompteur de mots, imagier au coloris abondant, vigoureux et charmant, réaliste, comme Villon et Saint-Arnaud, fantaisiste comme Banville, mais toujours « personnel», sincère et d’une originalité bien vivante, Jean Richepin, que soutiennent une éducation classique très étendue et l’universalité du savoir, laisse, avec l'exemple d’un labeur qui ne se ralentit pas, le monument d'une œuvre diverse comme la vie, riche, toute en couleurs et en élans.
Jules Lemaître l'a jugé avec une juste précision quand il a écrit « Il a dans ses vers la sonorité, la plénitude, la couleur franche, le dessin précis, une langue excellente, vraiment classique par la qualité ; et il est le dernier de nos poètes qui ait, quand il le veut, le souffle, l’ampleur, le grand flot lyrique ». Depuis longtemps, Richepin avait sa place marquée à l’Académie française. Celle-ci ratifie le jugement que porta M. Jules Lemaître sur ce grand poète. Les poètes s’en réjouissent.
Pierre COURTOIS.
Mai↑
Louis Lumet, « Jean Richepin »,
La Culture physique,
1er mai 1908, p.
1042-1043.
Et là haut dans le libre espace,
Sur ton corps glorieux et beau,
Si tu vois qu'il reste une trace
De la bataille ou du tréteau,
Sur ton front si tu vois encore
De la boue et du sang vermeil,
Débarbouille-toi dans l'aurore
Et sèche-toi dans le soleil.
Rien que d'écrire ce nom de poète, on
entend chanter et gronder les strophes qui célèbrent l'homme libre
et fort, on a la vision d'une vie tumultueuse, ardente et libre.
Dans la grise monotonie des faiseurs de livres, Jean Richepin
marque, avec sa haute stature, ses larges épaules, son verbe
éclatant, et quand il prendra possession de son fauteuil à
l'Académie, il sera là comme un imperator parmi de pâles
sénateurs. Nous devons en parler ici, parce que son mérite
littéraire se lie, pour une part, à son culte de la force, à son
indépendance morale. N'a-t-il pas dit, dans la Chanson du Sang :
J'ai les os fins, la peau jaune, des
yeux de cuivre,
Un torse d'écuyer et le mépris des lois.
Jean Richepin nous vint de l'Afrique,
né en 1849, à Médéa, d'un père médecin et d'une mère d'origine
beauceronne. Dès son arrivée à Paris, vers les dernières années de
l'Empire, il s'imposa dans les cénacles de jeunes littérateurs,
autant par la hardiesse de sa pensée, la nouveauté de son
esthétique, que par la résistance de ses muscles, son allure de
conquérant. Pour protester contre de vagues théories, il fonda le
groupe des Vivants,
en compagnie de Maurice Bouchor, de Paul Bourget, de Ponchon, de
Goudeau. Ce n'était plus dans le passé que l'écrivain devait
chercher son inspiration, mais dans le présent,
et Richepin voulait exprimer toute la vie qui l'entourait, la vie
des êtres qui, par leur individualité, sortaient de la norme, qui
se dressaient au-dessus de la société, ou qui marchaient en marge
de ses règles, hautains et dédaigneux.
A cette époque de sa jeunesse, Jean Richepin
surprenait ses camarades par son goût passionné des exercices
physiques, son amour des sports qu'il pratiquait excellemment. Au
lieu de s'éterniser dans de vaines discussions, il maniait la
fonte, il s'assouplissait aux agrès, il luttait, il boxait, il se
perfectionnait dans la science des armes. C'était un bel athlète,
semblable à celui qu'il devait chanter :
Le Grec au corps parfait, fils d'Orphée et
d'Homère
ivre de fougue, d'énergie et de vaillance. La guerre de 1870 dispersa les cénacles. Richepin se battit à l'armée de l'Est, et après la défaite, il fut de retour à Paris, pendant la Commune.
Le pays avait été bouleversé par l'invasion étrangère, par la lutte des partis, mais la vie reprenait lentement, l'activité nationale reconstruisait une nouvelle France, et les littérateurs qui avaient accompli leur devoir comme tous les citoyens, la paix revenue, recommençaient leurs travaux. Jean Richepin collaborait alors à des revues de jeunes, à des journaux qui lui payaient sa copie — le rêve pour un écrivain débutant. Emile Goudeau, qui était son ami, nous raconte sur cette période de bien jolies anecdotes.
Le journaliste Jean Richepin fréquentait sans plaisir les salles de rédaction. Il n'aimait pas qu'on le tint à l'attache, et sa copie donnée et payée, il disparaissait pendant des semaines entières, juste le temps de dépenser l'argent qu'il avait gagné. Le plus souvent, il allait en Angleterre, à Londres, où l'on admirait, bien avant nous, les exercices physiques, les sports violents. Il se plaisait dans la société des boxeurs, des athlètes et des marins ; il recherchait les bons bougres à la peau dure, qui n'ont pas peur d'un coup de poing.
Quand il avait en poche quelque monnaie, il louait les services de solides Irlandais, sur la mâchoire desquels il vérifiait la vigueur de ses muscles — à six pences la détente ! Il ne revenait à Paris qu'à la dernière {1043} extrémité, sans le moindre centime, et il en repartait aussitôt que, grâce à sa copie succulente, qu'on commençait à goûter, il avait de nouveau le moyen de s'enfuir, au gré de sa fantaisie.
Jean Richepin eut une existence aventureuse. Il aimait la mer, les vastes horizons, les ports où l'on aborde parmi des peuples violents et puissamment colorés.
Sur la rade où s'éteignent les feux
Balance-loi, vaisseau de.mes voeux!
Demain soufflera dans mes cheveux
Le vent mystérieux des voyages.
Vienne le dernier quart de la nuit,
La flotte aventureuse s'enfuit;
Et la boussole nous conduit,
C'est l'espoir des vierges mouillages.
Mais comme il ne possédait pas toujours
l'argent du passage, il se faisait matelot, débardeur, pour
contenter sa passion de la mer, de la mer caressante ou cruelle
que rien ne peut asservir. Il y trouvait son image. Richepin fut
le nomade, l'errant, et si le mot n'avait pas quelque pudeur, je
di- rais qu'il inventa le tourisme. Oh ! non pas ce tourisme
bourgeois qui réclame en voyage toutes ses aises, mais le tourisme
qui veut des jambes musclées pour la marche, une poitrine large
pour l'ascension, de l'endurance, de l'énergie, de bons yeux, et
un estomac à toute épreuve. Jean Richepin pratiqua ce tourisme-là,
sans se lasser jamais, avec une incomparable vigueur. Il suivait
les bohémiens sur les routes, les bateleurs, les humbles gymnastes
de places publiques, lés manieurs de poids, tous ceux qu'ine
craignent ni le froid, ni le chaud, ni le vent, ni la pluie, qui
s'en vont à l'aventure pour leur plaisir ou leur gagne-pain.
Le nomade ! Oui ce nom, tout mon sang le répète.
Ses globules, dans un tumulte plus ardent,
Ainsi qu'à des appels furieux de trompette
Redoublent à ce nom leur flot cavalcadant.
Le nomade ! C'est lui dont les fauves
passages
Ont laissé dans mon moidepuis ces jours anciens
Leur marque indélébile à travers tous les âges,
Mes rêves d'aujourd'hui, ce sont toujours les siens.
Puis ce fut la gloire. On admirait la
fougue de Jean Richepin, sa phrase véhémente et sonore, ses héros
vaillants, qu'il créait à sa ressemblance. Mais il ne se laissait
pas enliser dans, le succès, il ne consentait pas à se revêtir de
l'uniforme livrée mondaine, il restait l'homme libre, amoureux
avant tout de sa
liberté.
Hugues Leroux nous a donné, le
récit d'une visite qu'il lui fit, lorsqu'il était déjà dans sa
pleine renommée. Il nous montre Jean Richepin retiré dans sa
maison de la rue Laugier, tout en haut, dans son atelier aux
rimes. Il est là, vêtu d'écarlate, avec une prestance d'empereur
romain, la tête forte, les cheveux en broussaille, avec des yeux
qui ont les flammes des brasiers qu'allument les nomades, la nuit
au coin des bois.
Est-il enfin las des longues randonnées, des exercices physiques ? Non pas, car sur une question de Hugues Leroux, il indique du doigt sa valise bouclée, prête pour le voyage immédiat. Elle contient ses derniers manuscrits, du papier blanc, et demain, ce soir, à l'instant, il peut partir, s'il est soudain appelé par le grand vent du large, le vertige de la montagne, ou la séduction de la route. Comme aux temps de sa jeunesse, il est le nomade que rien ne retient, ni un foyer, ni ses intérêts, ni les plaisirs compliqués de la ville.
Jean Richepin fut, ainsi que Maupassant, un fervent ami des sports, un infatigable voyageur, mais avec plus de tumulte encore, plus d'enthousiasme et plus d'énergie. Il aime les beaux corps aux saillies harmonieuses, les bras qui savent lever des fardeaux, les reins qui ne craignent pas la lutte, il aime tout ce qui est fort et tout ce qui est libre. Aucun sport ne lui est inconnu, et ne dirait-on pas qu'il a prévu le dernier en date, celui qui sera peut-être le plus merveilleux : l'aviation.
Encore un peu de temps et vous aurez des
ailes,
Et l'on verra voguer vos flotilles dans l'air,
Traînant pour pavillon derrière leurs nacelles,
Le serpent d'un éclair.
Lui, le poète aux rythmes fougueux, aux
images neuves et audacieuses, s'est opposé aux écrivains qui ne
conçoivent pas l'intelligence et l'art, sans uni dos courbé, des
membres grêles, comme si l'on devait retrancher la tête du corps,
et c'est encore le souhait d'athlète que celui qu'il forme pour le
dernier :
Hâleur
de l'infini, je hâle jusqu'au bout,
Et quand viendra mon tour de tomber sur la berge,
Je veux mourir dans Un dernier effort, debout.
Louis LUMET.
Anonyme, « Chez Jean
Richepin », La
Patrie, 25 Mai 1908, p. 1.
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La douleur de Jean Richepin est grande. Sa figure énergique est bouleversée par la triste nouvelle et lorsqu'il parle de Coppée, on sent que des sanglots étreignent sa gorge, et qu’il lui faut une véritable force de caractère pour ne pas se livrer devant nous à tout son chagrin.
— Ah ! voyez-vous, nous dit-il, avec lui, c’est toute ma jeunesse qui s’en va ! Certes, je devais m’attendre tous les jours à apprendre la fatale nouvelle ; je savais que les médecins l’avaient irrémédiablement condamné et que la mort de sa bien-aimée sœur Annette avait dû lui porter le coup suprême. Mais, malgré tout, je ne croyais pas à un dénouement si brusque ! Pauvre, pauvre ami !
J’avais continué, jusqu’à ces derniers temps, à lui rendre visite, presque quotidiennement, mais je ne pouvais le voir que rarement, car, pour soulager ses horribles souffrances, Coppée était toujours sous l’influence de la morphine.
Ah ! que cette fin est cruelle ! Si vous saviez, continue le maître, d’une voix qui s’étrangle au fur et à mesure qu’il parle, quel noble cœur c’était. Oh ! le bon, le brave homme ! Et, avec cela, cachant sous une brusquerie affectée de vrai gamin de Paris, les élans et les générosités de son âme.
Si vous saviez surtout tout ce que le lui dois ! N’est-ce pas, enfin, pour moi, qu’il fit, il y a quelques mois à peine, sa dernière sortie, tenant à assurer par une démanche décisive, l’élection, à l’Académie Française, d’un ami à qui il était attaché par les liens d’une fidélité touchante.
A ce souvenir, M. Jean Richepin ne peut plus maîtriser sa douleur ; et sur sa joue roule lentement une larme, hommage suprême du poète des gueux au poète des humbles.
Juin↑
Henri de Régnier, « La Semaine
dramatique », Journal des
débats politiques et littéraires, 1er juin 1908, p. 1.
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Théâtre de l'Odéon : La Voix grêle, pièce eu un acte de MM. Augustin Thierry et Eug. Berteaux. Le Nirvana, poème dramatique en quatre actes, de M. Paul Vérola, musique de M. Tiarko Richepin. Velléda, tragédie eu quatre actes de M. Maurice Magre. L'Autre,-comédie, en un acte et en vers de MM. André Dumas.
Avant de suivre M. Paul Vérola dans les forêts de l'Inde légendaire où nous conduit son Nirvana que l'Odéon vient de représenter – et avant d'accompagner M. Maurice Magre sous les chênes druidiques de la vieille Gaule où sa Velléda coupe de sa faucille d'or le gui sacré, je dois signaler deux reprises qui eurent lieu, l'autre semaine, et dont je n'ai pas eu le temps de parler dans mon précédent feuilleton. L'une des d'eux pièces que l'on a redonnées au public est d’un jeune écrivain de talent : M. André Picard ; l'autre est d'un auteur illustre, M. Jean Richepin. La comédie du premier, Jeunesse, que le théâtre du Gymnase a remontée avec beaucoup de soin et qui est fort bien jouée par MM. Tarride et Burguet, entre autres, et par Mme Marthe Régnier, est une très agréable comédie ; le drame du second : le Chemineau, dont les rôles. principaux sont bien tenus par Mme Renée Parny et par M. Jean Dulac, au théâtre Sarah-Bernhardt, est un fort beau drame et dont un succès, long et réitéré, prouve la portée réelle par l'émotion toujours vive qu'il suscite.
D’ailleurs, le Chemineau de M. Jean Richepin est trop connu pour qu’il soit besoin d’insister sur sa valeur. Plusieurs séries de représentations ont familiarisé le public avec cet ouvrage généreux et éloquent que la musique a également contribué à rendre populaire. Il l’est assez, du reste, pour qu’il me soit permis d’en dire, sans risquer de lui nuire, qu’il n’est peut-être pas celui, de tout le théâtre de Jean Richepin, qui me touche le plus vivement. Sans parler des drames vigoureux et lyriques de M. Jean Richepin, qui s’appellent : Par le glaive, la Martyre, Vers la joie ou Nana-Sahib, on lui peut, il me semble, préférer l’ingénieux et plaisant Monsieur Scapin, ou ce Flibustier, qui me paraît bien être, du riche bagage dramatique du poète de la Mer, l’ouvrage le plus solide et le plus durable.
[…]
Anonyme, « Echos », Comœdia, 18 juin 1908,
p. 1.
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Rien ne manque à sa gloire…
Si les débuts de notre éminent collaborateur Jean Richepin furent un peu troublés, de flatteuses compensations lui vinrent avec la maturité.
L'onguent académique suffirait à panser, si Jean Richepin en avait conservé des cicatrices un peu vivaces, les cicatrices que lui causèrent jadis les ruades de la morale bourgeoise cabrée devant ses premiers ouvrages.
Mais de tous les honneurs qui lui furent décernés au cours d'une glorieuse carrière, un surtout lui est cher et de celui-là seulement il aime à tirer vanité.
Il s'agit de son brevet officiel de maître-nageur.
Car il obtint ce brevet de la plus brillante façon, aux bains Deligny, devant une assistance enthousiaste.
Après avoir affirmé, en divers exercices classiques, sa parfaite maîtrise, il accomplit un exploit digne de demeurer dans la mémoire des hommes.
Du haut de la « girafe » — une manière d'escabeau haut de plus de deux mètres – il s'élança d'un bond agile et exécuta dans le vide un double saut périlleux avant de plonger dans l'onde humide, aux acclamations de l'assistance.
Mais cela se passait dans des temps très lointains.
Le Diable Boiteux, « L’épée
d’honneur de Richepin », Gil Blas, 29 juin 1908, p. 3.
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Jean Richepin, en tant qu'académicien, a droit à une épée, avec une rigole au milieu pour l'écoulement du sang. Et cette élégante épée remplacera avantageusement au poing du bon poète, le sauvageon noueux du chemineau.
Ses amis, ses admirateurs, et les nombreuses jouvencelles de l'Université des Annales, où l'auteur des Gueux a prononcé les plus verveuses et savantes conférences, ont décidé de lui offrir une épée d'honneur. Le ciseleur Falize y travaille. L'épée symbolisera et commémorera l'œuvre entière de Richepin. Des algues finement ouvragées figureront la Mer ; un masque, à la figure convulsée évoquera les Blasphèmes.
Cette épée d'honneur, soyons sûrs que Jean Richepin ne la brandira que contre les ennemis de la « gaie science ».
Juillet↑
Anonyme, « Curieuses
révélations », Comœdia,
1er juillet 1908,
p. 3.
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Saviez-vous que La Reine de Tyr, Cadet Roussel et Falstaff fussent l'œuvre de notre éminent collaborateur Jean Richepin, et non celle de M. Jacques Richepin, comme on se l'imagine généralement ?
Saviez-vous que Joseph Balsamo, attribué jusqu'ici à Alexandre Dumas père, est en réalité l'œuvre d'Alexandre Dumas fils ?
Saviez-vous que Sourires pincés sont dûs non pas à notre Jules Renard actuel, comme cela est admis par la plupart des gens mais à un autre Jules Renard, mort en 1877, et qui, entre autres ouvrages, écrivit également : La Clarinette postale, une Histoire de l'Algérie, et L'Hôtel des Haricots ?
Saviez-vous qu'en 1903 M. Edmond Rostand, pour se distraire probablement, par une œuvre badine, des soucis commençants de Chantecler, eût publié : Les Conséquences économiques des mesures légales contre les congrégations ?
Saviez-vous enfin qu'on trouvât, au tome troisième des Portraits contemporains de Sainte-Beuve, sous la date de 1846, une étude sur l'auteur de Velléda, jouée récemment à l'Odéon : M. Maurice Magre, lequel ne devait naître qu'en 1877 ?
Si vous ignoriez ces choses, vous pourrez en prendre confirmation dans le Guide bibliographique de la Littérature française, de 1800 à 1906, minutieusement rédigé par M. Hugo P. Thième, professeur adjoint de français à l'Université de Michigan. Vous y ferez sans doute d'autres découvertes encore, non moins intéressantes et août aussi imprévue
Le masque de verre, « Leurs
projets », Comœdia, 2
juillet 1908, p. 1.
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Avant eu la bonne fortune de rencontrer M. Jean Richepin, nous avons demandé à notre éminent collaborateur quelles œuvres il comptait nous donner l'hiver prochain.
Laïs, drame antique en cinq actes, en vers, est destiné à la Comédie-Française. La pièce est entièrement achevée.
Un autre ouvrage, également en vers, dont le titre n'est pas définitif, est promis à Mme Sarah Bernhardt, qui en jouera le rôle principal. Ce rôle, d'un genre tout particulier, ne rappellera aucune des créations, pourtant innombrables, de notre grande tragédienne.
Et puis… et puis M. Richepin, qui avait commencé une phrase, nous a déclaré brusquement qu'il n'avait plus rien d'intéressant à nous dire.
M. Jean Richepin nous cache certainement quelque chose. Nous ne voulons pas forcer ses confidences, mais Comœdia se promet de se renseigner d'autre part.
Le masque de verre, « Ses
débuts », Comœdia, 12
juillet 1908, p. 1.
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Avant-hier, pour la première fois, notre éminent collaborateur Jean Richepin siégea dans le jury de comédie.
Toute la journée, il écouta attentif et muet.
Durant la délibération qui suivit le concours, il demeura très circonspect, approuvant l'avis général.
Mais il ne disait rien.
Quand les décisions furent prises et le palmarès arrêté, Jean Richepin, timidement et un peu au hasard, mit un nom en avant.
Aussitôt on s'empressa pour fêter les débuts, comme membre du jury, du poète de La Mer, de décerner à l'élève indiqué par lui une récompense de tragédie.
Et voilà comment Mlle Roselle obtint, hier, un second accessit.
F. H. « Les Félibres à
Sceaux », Le Journal,
13 juillet 1908, p. 3.
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MM. Jean Richepin et Paul Mariéton célèbrent le Midi dans leurs discours.
Selon une aimable tradition, les Félibres de Paris se sont rendus hier dans la jolie ville de Sceaux, où ils ont couronné, comme de coutume, les bustes de Florian, de Théodore Aubanel, de Paul Arène et de Félix Gras.
A ces quatre bustes, ils en ont joint un nouveau, celui de Sextius Michel, leur ancien président, ancien maire du quinzième arrondissement de Paris.
L'an prochain, ils en joindront un cinquième, celui de Clovis Hugues, transformant ainsi le jardin de l'église de Sceaux en une sorte de Panthéon du Félibrige.
Les Félibres ont été reçus à Sceaux par le commandant Pilate, maire de la ville, et le cortège s'est aussitôt formé, traversant les rues pavoisées ; en tête, marchaient MM. Jean Richepin, Maurice Faure, Eugène Lintilhac, Guérin, Georges Leygues, Albert Tournier, le contrôleur général Enjalbert, les statuaires Injalbert, Granié, J.-B. Gras, MM. Paul Mounet, Marc Varenne, Paul Mariéton et les trois reines du Félibrige, Mlles Duc, Joussein et Serre.
M. Paul Mariéton a prononcé un discours applaudi, où il a rappelé les débuts et le développement du félibrige ; il a affirmé « que si la grande France est la mère, la Provence reste la jeune aïeule ; qu'il est d'un plus profond patriotisme de posséder deux langues françaises qu'une seule, et qu'enfin l'idiome natif est l'intime miroir de la race, la réserve des souvenirs ».
En terminant, M. Paul Mariéton a remercié le maire de Sceaux de sa cordiale hospitalité et a rendu un éloquent hommage au président d'honneur Jean Richepin, le plus qualifié « pour tresser au front de sainte Estelle les roses de l'Ile-de-France avec les cytises mistraliens ».
M. Jean Richepin a pris ensuite la parole, et dans une improvisation émue, a dit son amour de la poésie et évoqué le souvenir de Paul Arène et d'Alphonse Daudet.
Après cela, on Inaugura le buste de Sextius Michel, œuvre du sculpteur J.-B. Gras ; on inaugura un petit musée félibréen, composé de peintures et de sculptures relatives au Midi et aux Méridionaux.
La Cour d'Amour fut ensuite organisée dans le parc et les poètes y déclamèrent des poèmes en langue d'oc et en langue française.
La fête fut clôturée par un banquet et par un bal suivi de farandole.
F. H.
Août↑
Anonyme, « Le Chemineau à
Royan », Comœdia, 12
août 1908, p. 3.
La première du Chemineau au Casino de Foncillon, sous la direction du maître Xavier Leroux lui-même, a été un triomphe pour l'auteur ainsi que pour les interprètes Le Chemineau, c'est M. Dufranne, dont l'éloge dans ce rôle n'est plus à faire et qui s'est montré supérieur encore à qu'il fut à Paris cet hiver.
Mlle Demellier fut une magnifique Toinette, à la voix souple et généreuse.
Maître Pierre, c'est M. Vieuille, qui comme M. Dufranne, créa ce rôle à l'Opéra-Comique ; c'est du reste un habitué de notre scène, où il fut toujours très applaudi. M. Cormetty a joué sobrement le rôle de Toinet. M. Figarella fut parfait dans le rôle de François ; jusqu'ici nous n'avions vu cet artiste que dans des rôles un peu secondaires ; il se révéla hier soir un parfait comédien et mima la scène angoissante du deuxième acte d'une façon tout à fait supérieure. Son succès personnel fut très vif.
Mme Daffetye a chanté d'une voix jolie le charmant rôle d'Aline. Mlle Lagard (Catherine) a complété un ensemble féminin parfait.
MM. Montel et Théry furent très réussis dans les rôles des compères Martin et Thomas. La valeur de l'œuvre suffisait pour en assurer la réussite, mais l'art avec lequel elle a été montée par M. Speck et l'interprétation admirable qui lui a été donnée ont aidé à son triomphe, il faut le reconnaître.
M. Xavier Leroux a été l'objet d'une chaleureuse ovation dès son arrivée au pupitre ; au troisième acte, toute la salle est debout qui demande l'auteur, et son arrivée sur la scène est saluée d'enthousiastes bravos.
A la fin, on acclame l'auteur, on rappelle tous les artistes ; ce fut un succès sans précédent dans les annales de notre théâtre, et nous sommes heureux de le constater ici.
G. Moulié, « Mme Moreno et Jean
Richepin », Comœdia,
18 août 1908, p. 3.
Une conférence de Mme E. Moreno sur Jean Richepin. — En 1906, lors de la tournée en Amérique de Mmes Suzanne Desprées, Cora Laparcerie, M. Jacques Richepin dans une des conférences, données à l'Odéon sur « La Chanson moderne », s'écartant quelque peu de son sujet, avait eu l'occasion de parler de son père et avait lu quelques extraits de son œuvre « Mon petit Toutou », et la chanson qui termine « La Glu ». Malgré cela Jean Richepin n'était encore que très superficiellement connu du public argentin, on ne peut plus en dire autant aujourd'hui après l'intéressante conférence de Mme Moreno. Continuant la série de ses conférences sur les grands poètes français, elle avait pris pour thème de celle du 18 juillet le merveilleux poète de « La Chanson des Gueux » et du « Chemineau », nul mieux qu'elle n'était apte à le faire connaître et à le faire aimer. « A la cour des poètes français dont Victor Hugo est le roi, il est des princes nombreux, au premier rang desquels il convient de placer Jean Richepin ». Se limitant dans l'œuvre poétique de Jean Richepin, elle ne pouvait donner une meilleure idée de la mission du poète telle qu'il la comprit qu'en citant textuellement « Arbre de Noël, du théâtre chimérique, ce qu'elle fit avec le charme tout particulier qui la caractérise. Etalant ensuite devant son auditoire émerveillé les trésors poétiques de « ce grand distributeur de bonté et de joie », elle dit « Un vieux lapin », puis très dramatiquement la chanson de jadis que le vieux mathurin chanta à Gillioury « Y avait un' fois un pauv' gas. » Elle parla de « ces légendes qui grâce à lui vivront pour émouvoir des milliers d'êtres, et dont les charmes se seraient perdus. Pour faciliter ensuite la comparaison des deux œuvres, elle dit coup Sur coup de longs extraits du « Flibustier » et du « Chemineau », et grâce à elle, dans les applaudissements nombreux qui acclamèrent l'interprète et la conférencière, beaucoup s'adressèrent aussi au poète Qu'elle venait de faire mieux connaître et davantage aimer.
Décembre↑
Albert Gorey, « Le théâtre à
l’Académie », Comœdia, 18 décembre 1908, p. 2.
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Enfin, nous voici fixés sur une date qui sera mémorable : c'est le jeudi 18 février que M. Jean Richepin prendra séance sous la Coupole, où il sera académiquement reçu par M. Maurice Barrès.
Notez qu'élu le second du trio d'académiciens non encore reçus, M. Jean Richepin aurait dû prononcer son discours de réception en seconde ligne, c'est-à-dire aussitôt après M. Francis Charmes, qui sera reçu, lui, le jeudi 7 janvier. Mais l'auteur du Chemineau a peine à se faire aux contraintes de l'éloquence académique, fIai ubi vult…; son discours n'est point encore parachevé ; aussi, pour lui laisser plus de temps, l'Académie française a-t-elle décidé de ne le recevoir qu'en dernier lieu, après la réception de M. Henri Poincaré, qui aura lieu le jeudi 28 janvier. Trois réceptions coup sur coup ! Que M. Robert Régnier, l'aimable successeur de Pingard, va avoir à subir d'assauts…
A peine déclaré vacant, le fauteuil de Victorien Sardou est déjà brigué par six compétiteurs : dans la seule séance d'hier, l'Académie a, en effet, enregistré les candidatures de MM. G. Lenôtre, Emile Boutroux, Léon Séché, Edouard Drumont, Paul Vibert et Auguste Chirac – qu'il ne faut point confondre avec le ci-devant directeur du Théâtre réaliste, mort en scène au cours d'une représentation dans une ville du Centre.
Enfin, mais ceci sort du domaine théâtral – oh ! combien ! – Mgr de Cabrières, évêque de Montpellier, brigue les palmes vertes laissées vacantes, si j'ose dire, par le cardinal Mathieu, immortel défunt.
ABERT GOREY.