Corpus de textes du Laslar

1910

Jean Ernest-Charles, « Jean Richepin », Le théâtre des poètes, 1850-1910, P. Ollendorff, 1910 p. 191-206.

JEAN RICHEPIN

Poète lyrique, romancier, auteur dramatique, orateur, Jean Richepin profile sa forte silhouette dans notre littérature contemporaine. Il est robuste, il est allègre. Il regarde la vie en face. Il a le corps et l’esprit trop bien portants pour ne pas être optimiste. En vain dit-il : 

J’ai beau vivre
En France ; je ne suis ni Latin, ni Gaulois.
J’ai les os fins, la peau jaune, des yeux de cuivre.
Un torse d’écuyer et le mépris des lois.

Négligeons, s’il vous plaît, la peau et les os, les yeux et le torse. Mais Richepin n’a pas, autant qu’il le pense, le mépris des lois et des habitudes. — Nul ne sera plus que lui fidèle à la tradition française ; et ce Rabelais ennemi des dieux, ce Villon rugissant et bien habillé deviendra académicien comme tout le monde. Surtout, Richepin sera, dans son œuvre, Latin et Gaulois, essentiellement Latin et Gaulois, l’écrivain le plus franchement latin et gaulois tout en même temps qui {192} se soit rencontré dans la littérature française depuis beaucoup d’années... Richepin, quand il écrit ces mots, s’ignore, se dénature ou se méconnaît. Plus tard, nous le verrons s’étudier mieux, se mieux discerner, et touranien repenti, se proclamer le champion effréné de la tradition française. C’est plus tard qu’il aura raison. Richepin est un poète lyrique qui ne cesse pas d’être poète lyrique dans ses romans les plus naturalistes, dans ses discours les plus documentés et dans ses drames les plus étayés d’action. Il est tellement poète lyrique qu’un de ses drames en prose le premier, suffit à nous indiquer tous les caractères de ses drames en vers. Richepin, décidément, est poète lyrique, quoiqu’il fasse.

Mélodrame, la Glu ! Chaque héros de ce mélodrame est net et s’oppose brutalement aux autres. Impossible de les confondre. La simplicité de tous et de chacun est si éclatante ! Elle étincelle, elle rayonne, elle éblouit. Et on est assuré d’avance qu’aucune complication psychologique ne viendra jamais rien obscurcir en eux. Dites qu’ils sont conventionnels ? Ils le sont, en effet, parce que le poète, les ayant voulu simples, les a faits plus simples encore. Convention en art est souvent simplification. Ils ne sont plus guère des êtres particuliers, vivant, malgré leurs agitations dramatiques, une vie vraiment personnelle, ils sont des êtres généraux, des types d’humanité — un peu en dehors de l’humanité. La Glu, c’est la femme fatale, perverse, qui porte le malheur partout où elle passe, irresponsable même de sa pernicieuse séduction, force inconsciente de la nature. Marie-Pierre, qui se laisse prendre à la glu, c’est le jeune paysan amoureux, hésitant entre le vice et la vertu comme un Hercule qu’il est. Et n’est-ce pas pour {193} cela que la courtisane l’attire et le retient ? En Marie-Pierre se rassemblent, se concentrent toutes les folies inévitables de la passion... Et face à la femme mauvaise, voici la petite fiancée traditionnelle et toujours vraisemblable, et toujours vraie en sa douceur pâle. Et voici la mère affectueuse, dévouée, jusqu’à l’héroïsme, jusqu’au crime. Et voici le mari de la courtisane, mari par erreur et que son infortune spécialement cruelle a grandi jusqu’au stoïcisme et jusqu’au sacrifice le plus noble. Il berce son chagrin en faisant du bien autour de lui. Il a souffert de la méchanceté du destin ; et néanmoins il veut être bon pour enseigner la bonté aux hommes, l'optimisme dans la bonté. Êtres simples que ceux-ci, simples essentiellement ! Jean Richepin a pour eux une prédilection si forte qu’il les créera toujours tels, quels que soient les milieux où il aille chercher ses héros ! Milieux de réalité, milieux de fantaisie, milieux d’histoire ou de légende, milieux de fiction poétique : tous les héros qui sortent de tous ces milieux sont simples essentiellement, je l’ai dit, ils sont simples impudemment, et, parfois, ils sont simples magnifiquement.

Le Flibustier est un drame réaliste, autant que la poésie de Richepin peut se complaire et s’attarder dans le réalisme. Le père Legoez appartient à ce petit monde breton dont nous connaissons bien les caractères et les mœurs. L’idylle et la brutalité se mêlent dans l’existence attendrie et violente de ces marins aventureux, qui vivent avec puissance entre le ciel et l’eau, {194} songeant à la fiancée jolie laissée là-bas au village. Le père Legoez symbolise leur vie. Il est vieux. Il ne va plus à la mer, mais tous ses enfants y furent tour à tour et la mer les lui a pris presque tous. Un seul est resté, un seul, son petit-fils embarqué mousse à onze ans sur un bateau corsaire et que, depuis une dizaine d’années, il s’obstine à attendre. Il vieillit près de sa bru, Marie-Anne, et de sa petite fille, Janie ; et il attend toujours son petit-fils. Le petit-fils reviendra, et nous aurons un drame. Mais dans l’âme élémentaire du vieux Legoez se heurteront les deux sentiments profonds de toute la race : l’amour de la famille et l’amour de la mer. L’amour de la famille est robuste, l’amour de la mer est plus vigoureux encore. Le père Legoez, quand son petit-fils devient terrien, s’étonne et ne comprend pas, et son cœur se referme. Tous les Bretons ne doivent-ils pas toujours, comme ils le font depuis des siècles, vivre de la mer et mourir par elle ! Et le père Legoez est vrai dans la mesure où il exprime la race, et il est d’autant plus vrai qu’il l’exprime avec plus de simplicité. Poète, Richepin ne pourrait nous représenter la réalité toute nue : il veut qu’elle s’épanouisse dans la fantaisie. La fantaisie est son domaine qu’il n’abandonne que pour toucher par instants la terre. D’autre fois, il s’y confine et s’amuse à faire surgir d’un monde imprécis, irréel, fictif, poétique des personnages de chimères. Il écrit Vers la Joie : ce poète fait la loi aux hommes et leur donne de petites et d’aimables leçons. Il imagine un prince plus ou moins charmant qui épouse gentiment, mais un peu lentement, la bergère et qui épouserait toutes les bergères pour nous apprendre que la simplicité de l’esprit, du cœur, de la vie est la condition stricte {195} du bonheur. Et ils sont simples ces petits personnages de féerie ou de conte, ah ! qu’ils sont simples ! Et comme ils nous font aimer la simplicité ! Jean Richepin, cependant, a peur qu’ils ne nous la prêchent pas d’exemple suffisamment. Alors, par sympathie bienveillante pour l’humanité, il se déguise lui-même en berger, Jean Richepin n’est plus Jean Richepin, il est le berger Bibus. Regardez cet homme heureux qui vit dans la nature. Imitez- le. Ecoutez-le aussi. Entendez ses doctrines qu’il développe généreusement en tirades complaisantes jusqu’à l’excès. Ecoutez, entendez et vous serez heureux, vous aussi, car vous serez simples. Vous ne le serez pas plus que ces héros de légende ou d’histoire que Jean Richepin a revêtus, pour nous plaire, de couleurs si vives. Conrad le Loup, qui Par le Glaive règne sur Ravenne opprimée, ses condottieri forcenés et Strada, et Galéas et Guido, et Rinaldi et Bianca : tous et toutes sont la proie d’une passion exclusive qui les possède, amour de la patrie, ou de la liberté, ou des femmes belles et fières ; et c’est pourquoi leur vie est d’une merveilleuse intensité. Mais les guerriers sont toujours simples, simples, simples ! Les artistes, dont les chefs-d’œuvre perpétuent le goût et la science de la pure beauté, ne le sont pas moins. Ils vivent tels qu’ils sont dans la Route d’Émeraude. De quelque nom qu’ils s’appellent, ils ne sont pas inégaux à Rembrandt et ils sont dominés totalement par leur passion pour leur art, pour l’Art, à moins que l’amour ne les en éloigne un instant, parce que la femme seule peut disputer un peintre à sa peinture, un homme de génie à ses chefs-d’œuvre. La femme, l’amour, oui, l’amour est un des rares sentiments assez forts pour maîtriser les hommes et les conduire à sa guise, l’amour qui entraîne {196} le prince Charmant, nonobstant les embûches que prodigue l’ingéniosité fertile de la fée Carabosse, jusqu’au château des rêves, jusqu’au château de la Belle au Bois dormant. L’amour, ou l’idéal, l’idéal que Don Quichotte incarne ou dont il est, mieux que personne, le chevalier servant. Jean Richepin, écrivant un Don Quichotte, ne complique point cet excellent hidalgo. Il le ramène à être, parmi la vulgarité matérielle des hommes, le champion de l’idéal, un idéaliste grandiose et simple, l’idéaliste... L’idéaliste ! L’idéal ! Jean Richepin ne se contente pas de chercher l’idéal dans la légende, il le trouve aussi dans la réalité qu’il déforme, qu’il transforme, qu’il embellit, qu’il magnifie et c’est le Chemineau. Il y a des chemineaux. Il y a beaucoup de chemineaux. Mais il n’y en a guère qui ressemblent au chemineau de Richepin. On peut même légitimement prétendre que les chemineaux de la grand’route auraient peine à reconnaître un frère dans ce chemineau imaginé par Richepin. Cependant c’est la réalité, la réalité seule qui a fourni à Richepin cet être idéal et ce chemineau idéal. Tous les personnages que le poète créa se rapprochent du chemineau et le chemineau les résume tous en lui, prodigieusement vivant et outrageusement lyrique. Ce chemineau est un très brave homme et un très grand poète de chemineau. Parce qu’il est poète, il a même des aptitudes que n’ont pas les autres hommes, ni les autres chemineaux. Il est plus laborieux qu’eux quand il a l’étrange fantaisie d’être laborieux ; il a la joie qui réjouit le commun des mortels, la joie bonne pour celui qu’elle anime, bienfaisante à tous ceux qui en sont les témoins. Puis, ayant beaucoup vu, il a beaucoup retenu et il donne aux humbles pour rien, pour le plaisir {197} de faire le bien, les mille et une ruses honnêtes que son expérience lui enseigna : il est le passant favorable qu’envoient les dieux inconnus. Hélas ! on n’a point coutume de juger ainsi les chemineaux qui terrorisent les villages ni les paysans qui les subissent parce qu’ils ne peuvent point les supprimer. Le chemineau de Richepin est bon comme tous les paysans de Richepin sont bons. Ils sont des êtres à peine, ils sont des personnifications diverses de la bonté. Mais le chemineau est la bonté meilleure encore, parce qu’il est la bonté poétique, parce qu’il est la poésie. O délicieuse sincérité ! O simplicité ! Cette poétique bonté si puissante en lui et si spontanée : voilà ce qui communique au chemineau de Richepin une force supérieure. Aussi bien n’a-t-il qu’à paraître pour que le plomb vil se change en or pur et pour que toutes choses s’arrangent. Il est le magicien à cjui rien ne résiste. Il est le poète.

Prétendra-t-on que Richepin s’est inspiré de modèles ? Évidemment, le chemineau et les paysans qui l’entourent rappellent les paysans de George Sand. George Sand écrivant la Mare au Diable, la Petite Fadette, François le Champi, dépeignait des paysans qui n’étaient pas âpre au gain, qui se moquaient du gain et n’avaient aucune âpreté et qui faisaient honneur à l’homme des champs, des paysans qui rêvaient et qui étaient sensibles à la beauté des paysages, des paysans enfin qui manifestaient un grand détachement des vulgaires intérêts d’ici-bas. D’autre part, il nous plaît aujourd’hui d’attribuer au paysan, au citoyen des campagnes mille qualités recommandables qui font les braves paysans et les braves citoyens. Toutes ces qualités, le chemineau les possède et il les exhibe, si l’on peut dire, avec une aisance et un {198} sans-façon d’autant plus séduisants qu’il a moins l’air d’en tirer vanité. Il se laisse aller dans la vie, il se laisse vivre et la bonté émane de tous ses gestes et de toute sa vie et de toute sa personne. Mais il n’est pas vrai que Richepin se soit préoccupé d’unir le passé au présent, d’imiter George Sand et de flatter les goûts populaires d’une démocratie. I1 s’est abandonné à sa nature, en un jour d’inspiration et de verve, et tous ses personnages se sont groupés pour former un héros, le héros de Richepin, le héros simple et magnifique, qui agit et qui chante, dont la chanson est joyeuse et dont l’action est bienfaisante. Et maintenant, observez, scrutez et comparez ! Aucun personnage du théâtre de Richepin n’offre les complications décevantes de la plupart des hommes de notre époque. Ils sont tous frères parce qu’ils traduisent tous, sous leurs apparences variées, la philosophie du poète. Cette philosophie est que la bonté est un remède à tous les maux et que l’optimisme est la seule raison de vivre. Cette philosophie est simple aussi. On l’aperçoit telle quelle dès le vibrant et pittoresque et coloré mélodrame de la Glu.’ La bonté et l’optimisme : Jean Richepin dans tout son théâtre propose à tous les bourgeois cette vérité, cette règle de vie. Dans son œuvre tout entière qui prépare et qui illustre son œuvre dramatique a-t-il fait autre chose que révéler l’âme bourgeoise simple, et parfois grossière et souvent candide et si intensément poétique ! Tous les sujets qu’il chante sont d’abord tous ceux par quoi l’esprit et le cœur du bourgeois sont émus davantage. C’est Dieu dont le mystère les opprime : et Jean Richepin lance contre Dieu une foule de blasphèmes violents. Or, les bourgeois resserrés en leur étroit milieu sont bouleversés dans leur Ame par le spectacle de la mer et de sa majesté furieuse ou calme ; et au fond de leurs boutiques, ils ou elles rêvent éperdument au gain qui leur permettra d’aller vers ime plage d’où l’on a vue sur l’infini. Cette im- pression profonde et confuse que la mer leur communique est élémentaire et vaste. Richepin la déploie magnifiquement dans ses vers : échos dix mille fois répétés de rêves qui hantent les braves gens dans leur pacifique sommeil î Mais en leur vie réglée, qui donc leur inspire le plus d’admiration terrifiée si ce n’est ces hommes qui vivent hors les lois, courent libres parmi l’air pur dans l’incommensurable étendue des campagnes ou se cachent, indépendants, à travers les bas-fonds des villes ? Gueux qu’ils redoutent, gueux qui les enthou- siasment, si difïerenls d’eux dans les romans et dans les mélodrames ; gueux dont Hichepin observe passionnément, à l’instar des bourgeois, les généreuses violences, les infamies énormes ou les attendrissantes sentimentalités et qu’il chante, qu’il chante encore, bourgeois incessamment lyrique ! Certes ils sont chastes, les bourgeois et de paroles décentes ! Mais l’amour sexuel et ses gestes ne sont-ils pas un sujet inépuisable de plaisanteries entre les joueurs de manille ! Et tous les bourgeois contemporains jouent à la manille. Que dis-je ? l’aptitude génératrice est celle dont — mâles vaniteux — se glorifient le plus naïvement les bourgeois entre eux, même lorsqu’ils ne sont pas ivres. Richepin répand tout entière cette vanité simpliste dans les Caresses. Et ne vous étonnez pas que l’auteur des Blasphèmes et des Caresses ait écrit le Chemineau. Cette diversité, presque contradictoire en apparence, élargit singulièrement son œuvre, {200} lui assure sa signification, et, en quelque manière sa portée morale ou sociale. Jean Richepin exprime, sous leurs deux aspects opposés, les sentiments universels de l’humanité moyenne. Il exprime les deux tendances extrêmes du commun des hommes : tous leurs instincts d’abord, toutes leurs aspirations ensuite, et le contraste entre ces instincts et ces aspirations l’émerveille ! Sans doute, il subit également presque à son insu l’influence des doctrines littéraires : et en premier Heu, il n’est que plus ardent à céder à son tempérament et à exprimer, avec le naturalisme le plus cru, les instincts* débridés des hommes ordinaires, et en second lieu, il chante d’autant plus vivement leurs aspirations poétiques : des extrémités du matérialisme, voilà qu’il est allé, qu’il a sauté jusqu’aux extrémités de l’idéalisme. Sans doute, dans la vie quotidienne tant de matérialisme et tant d’idéalisme sont impossibles. In medio stat Veritas. La réalité est entre les deux. C’est parce que l’œuvre de Richepin montre à tous les hommes enchaînés par l’existence de quelles façons ils peuvent s’épanouir, c’est pour cela que son œuvre est humaine. Et n’allez pas prétendre que la philosophie de cette œuvre est superficielle. Jean Richepin n’aperçoit pas par quelles incertitudes est troublée l’humanité d’aujourd’hui : il n’est pas homme à apporter sa solution au problème social du commencement du vingtième siècle. Mais il voit pour quelles causes l’humanité est perpétuellement bouleversée et que ses maux proviennent du désaccord entre ses instincts et ses aspirations... Guérira-t-il ces maux ? En tout cas il ne cherchera pas le remède dans les hypothèses compliquées des hommes de bonne volonté, mais de grande {201} présomption qui se flattent de préparer l’avenir. Il le cherche dans la vie même des siècles passés. Il se persuade que l’âge d’or est derrière nous, au temps où tous les hommes vivaient à travers le monde, comme les chemineaux, goûtaient le bienfait immense du ciel, de la lumière, du soleil, des étoiles, des fleurs, des arbres, de la nature entière, étaient optimistes, étaient bons, s’exaltaient dans la joie de vivre. Voilà comment, poète et dramaturge, Jean Richepin est sociologue et moraliste.

Assurément cette sociologie et cette morale paraîtraient un peu vaines et même un peu pauvres, si le dramaturge ne venait les soutenir de ses ingénieuses combinaisons, si le poète ne les enrichissait à son tour de son lyrisme loyal.

Le dramaturge qu’est Richepin sait être, quand il y songe, très habile et vivant. Les péripéties de ses drames pourront être mélodramatiques. Qu’importe ! Elles se déroulent dans une chaude atmosphère. Et un pittoresque énorme retient l’attention de ceux que les événements sont impuissants à émouvoir. Ce pittoresque est extérieur. Jean Richepin est trop sensible à la vie universelle des choses pour ne pas associer toutes les couleurs de la nature aux mouvements de l’action et de l’âme. Et il saura plus que personne autre multiplier les peintures de mœurs, dont le décor accentuera encore la chaleureuse vivacité. Mais le pittoresque est aussi dans les héros eux-mêmes, qui vivent souvent d’une vie trop forte et trop vibrante pour ne pas nous mener où ils veulent...

{202}

***

Le pittoresque est surtout dans le lyrisme des vers. Banville voulait que le drame fût éperdument lyrique. Richepin a obéi à la volonté de Banville. Mais il est un des rares poètes dramatiques de notre époque qui ne soient pas lyriques selon les principes de Banville et par imitation de Banville. Richepin a toujours une ampleur et une force particulières et son lyrisme se compare à celui de Hugo.

Dans le drame, le lyrisme se répand en tirades, el s’épanche en couplets. Richepin est toujours disposé à chanter un couplet, à lancer une tirade. Son œuvre dramatique contient la plus belle collection de discours éloquents qui se puisse imaginer. On les pourrait tous réunir en un livre et les poètes, à l’imagination anémiée, y viendraient quérir leur réconfortante pâture Le livre serait d’ailleurs d’une énorme variété. Tous les sujets développés sur tous les tons ! Oui, une ardente verve lyrique anime ces développements. Mais Richepin n’est pas seulement un poête véhément et abondant : il est souvent un poète original. Ses vers savent être matériels, concrets quand il le faut, sans cesser d’être poétiques. Si dans le Chemineau Richepin célèbre les beautés idéales — et bien connues — de la vie des champs, il en décrit aussi les aires réalités. Et ces descriptions, pour être vraies, sont cependant savoureuses. Et ce lyrisme, pour être naturaliste, ne reste pas cependant terre à terre. L’élan du poète nous entraîne el il n’est rien que sa poésie ne transforme. C’est en quoi Richepin est un poète original.

Original, il l’est encore par son infatigable {203} virtuosité. Les sujets les plus disparates l’ont inspiré tour à tour. Il a puisé ses inspirations et ses rêves à toutes les sources de la vie. Il s’est trouvé que ce virtuose de l’inspiration poétique était par surcroît un virtuose de la rime et, ce qui vaut mieux encore, du rythme. Sa dextérité est un prodige. Son ingéniosité est une merveille. Il est étonnamment souple en son exubérante fantaisie. Il accomplit incessamment des prouesses. Malheureusement nous avons le loisir de nous apercevoir quelquefois qu’il ne les accomplit pas à son insu, et que ce jongleur émérite essaie, en se jouant et pour se jouer lui-même, des exercices stupéfiants et dangereux. Il ne compte pas seulement sur ses aptitudes naturelles d’acrobate littéraire, mais sur son expérience immense !

Quels tours n’a-t-il pas faits déjà qu’il recommencera en les exagérant !... Néanmoins, cette indépendance, qui paraît extravagante et comme folle, ne l’empêche pas de se plier à toutes les disciplines des vers. Il est plus libre et plus fort, obéissant à des règles tutélaires. Protégé par elles, il s’élance plus hardiment et malgré sa fougue tumultueuse il ne brise jamais l’harmonie. Et cette harmonie s’enrichit souvent de sonorités imprévues parce que Richepin est un virtuose du mot. Il connaît les réserves inépuisables de la langue française. Et il lui plaît de décorer la langue moderne de tous les ornements de la langue ancienne... Là s’affirme le traditionalisme instinctif, spontané de Richepin... On a vu Richepin discourant parmi les académiciens, esquisser la théorie de son traditionalisme littéraire. Il l’a esquissée avec de beaux gestes et de grands éclats de voix. Et, pour ce faire, il a combattu sans y prendre garde « les représentants mêmes de la littérature académique, les tristes sages dont la pénurie verbale a fait croire que le {204} français était pauvre, les esprits étroits, confits en prétendu, bon goût sous prétexte de modération, sobres jusqu’à la sécheresse, maigres jusqu’au décharnement, et dont la distinction, a pour idéal d’être parfaitement insipide, incolore et neutre... » Et il a exposé sa doctrine, en prêtant le plus poliment du monde aux académiciens des sentiments qui n’ont point coutume d’être leurs sentiments. Il attesta vaillamment le traditionalisme de sa Muse : « Voilà, dit-il, j’en suis certain, l’humble mérite qui m’a valu votre faveur et qui vous a permis de ne point prendre garde à la rudesse souvent débraillée de cette Muse et surtout à la témérité inattendue de sa démarche le jour où, soudain, elle osa venir frapper à votre porte, ’après avoir si longtemps et si cavalièrement battu l’estrade par des chemins étranges et quelquefois mal famés. Les gens à courte vue qui ne vont pas au fond des choses en montrèrent quelque étonnement et taxèrent la pauvre Muse d’irrévérence. Mais vous, Messieurs, vous ne manquâtes point de lire tout de suite dans ses yeux son respect pour votre histoire, et son admiration absolue pour les grands noms qui font de cette Coupole un ciel resplendissant de nos plus merveilleuses étoiles. Vous n’avez pas mis en doute une seconde, rien que sur la chaleur de son accent, la filiale tendresse qu’elle a toujours témoignée à ces héros de notre race et à la langue divine dont ils sont les Égrégores. Vous avez surtout pris en considération son amour passionné, presque frénétique, de cette langue qu’elle estime la plus claire, la plus souple, la plus riche, la plus belle dont les hommes aient fait usage depuis les Grecs. Vous n’ignorez point que jsa dilection pour cette langue avait comme un air de religion, et ne craignait pas d’aller comme celle qu’on a pour Paris, {205} avec Montaigne, jusqu’aux verrues, avec Mme de Staël jusqu’au ruisseau. « Verrues » et « ruisseau » c’était ici des termes de patois et des vocables argotiques. N’importe ! cet excès même d’amour dont la fureur devenait de la candeur ne laissa pas de vous toucher sans doute, voyant la bonne foi fervente de la pauvre Muse, puisque vous avez consenti à ne pas lui tenir rigueur de son verbe souvent populacier, puisque vous avez sinon absous, du moins toléré son audace à prétendre que le soleil ne cesse pas d’être le soleil quand il se mire dans l’or gras des purins et dans la glu noire des fanges, et puisque finalement vous avez acquiescé sans haut le cœur à ce que je vous la présentasse cette Muse comme une de ces gaillardes ayant pour parangon la Dorine qualifiée par Molière d’un peu trop forte en gueule, mais tout à la fois comme une fille saine dont le vocabulaire fleure bon le terroir, comme une dévote aux gloires et aux traditions dont vous avez et entretenez le culte et surtout comme une prêtresse (bacchante, soit, mais prêtresse) vouant toutes ses forces et tout son cœur à l’adoration exclusive de notre langue, si bien que le plus grand crime de cette naïve coupable consiste peut-être en ce qu’elle a voulu, la folle, savoir trop de français parmi de soi-disant sages qui n’en savent plus assez. » Il n’est pas interdit de croire à l’aveu des écrivains même lorsqu’ils se confessent avec cette impétuosité. Et toutes les déclarations de principes de Richepin sont sincères. Retenons cependant que si sa culture classique affermissait en lui son traditionalisme, ce traditionalisme était conforme à sa nature. Il était, il restait intellectuel et sentimental. Parfois, il a l’air d’un rhétoricien bruyant et exaspéré ; s’il ne se paie pas de mots, les mots le grisent... Et son ivresse qui est toujours d’un {206} poète n’est jamais feint.. Mais s’il jette pêle-mêle en ses improvisations savantes les mots de tous les siècles, c’est parce qu’il sent en lui l’âme diverse de tous les écrivains qui les apportèrent au trésor de notre langue. Quoi qu’il dise et quand même il écrit des drames d’où l’auteur dramatique doit être absent, Jean Richepin se confond avec ses héros, il se regarde vivre en eux, il vil en eux... et ce sont ses propres sentiments qu’il exprime sans lassitude. Son œuvre c’est, avec l’étalage complaisant d’une culture peu ordinaire, la frénésie multiple d’un « tempérament » extraordinaire... Voilà pourquoi il serait funeste d’imiter l’œuvre de Richepin. Voilà pourquoi on ne peut imiter même l’œuvre dramatique de Richepin parce qu’il n’en est pas absent, parce qu’elle serait sans doute un peu vide et boursouflée, s’il ne l’emplis- sait pas. Voilà pourquoi Jean Richepin glorieux demeure isolé. Mais on l’aime parce qu’il a trouvé les manières les plus sympathiques de célébrer dans tous ses ouvrages le culte du moi.

Richepin est le plus retentissant, le plus cordial des égotistes.

Janvier

Louis Nazzi, « Jean Richepin », Comœdia, 1er janvier 1910 p. 2.

Ce document est extrait du site RetroNews.

Jean Richepin fut le poète des gueux, des ventres-creux et des claque-patins. Membre de l'Académie-Française. Jean Richepin est promu chevalier de la Légion d'honneur.

Une nature débordante, généreuse, entraînante. Une faculté excessive d'assembler des images, de jongler avec les vocables et d'accoupler des rimes. Un irrésistible besoin d’émerveiller, d'éblouir et de violenter l'attention du lecteur.

Un tempérament chaleureux d'orateur, une culture littéraire très vaste et très sûre et, avec cela, une sensualité insatiable. Un grand et puissant rhétoricien, épris de romanesque, adorant les grands sentiments et soulevant à bout de bras les pesantes périodes. Un des plus farouches admirateurs de Hugo le Père et un disciple, naguère, de Jules Vallès, le chantre des insurgés. L'un des derniers romantiques, possédant leur frénésie verbale, leur imagination exubérante et leur irrémédiable emphase.

Il faut renoncer à parler de l'œuvre de Jean Richepin, énorme et lourde. Il débuta par une biographie de Jules Vallès ; puis ce fut cette Chanson des Gueux, d'une si forte truculence, qui souleva des tempêtes. Il donna les Caresses, les Blasphèmes, La Glu, Miarka la fille à l'Ourse, tant de romans plantureux et de recueils de contes fabuleux, d'un dramatique exacerbé, sur la Rome de la décadence, sur l'Italie de la Renaissance ou sur l'Espagne passionnée de nos jours. On aimerait à trouver, plus souvent, dans ces œuvres éclatantes et sonores, plus de sensibilité ingénue et d'humanité véritable.

L. N.

J.R, « Quelques croix parisiennes », Gil Blas, 1er janvier 1910, p. 1.

Ce document est extrait du site RetroNews.

[…]

Chevaliers

Jean Richepin.

Voici, dans cette promotion, une croix dont l'attribution sera saluée de l'approbation et même des vivats populaires.

C'est un grand poète qui reçoit enfin la glorification depuis si longtemps due à son talent et à son œuvre. On sait quelles pudeurs juridiques firent hésiter la Chancellerie ; il faut répéter, pour que l'on n'insinue pas sur ces causes, que Jean Richepin fut condamné jadis pour deux vers jugés licencieux, dans un poème de la Chanson des Gueux. Délit de pensée, délit de littérature.

On jugeait excessive la pruderie de ces mesures de la Légion d'honneur. D'ailleurs, l'Académie française, le 19 février dernier, en accueillant le poète sous la coupole, lui décerna un brevet de gloire qui effaçait publiquement la sotte ligne du casier judiciaire. Jean Richepin a droit à l'honneur comme à tous les honneurs.

Ce n'est point l'heure de faire de la critique littéraire sur son œuvre, qui est abondante et célèbre. Notons seulement les titres de ses principaux livres : La Chanson des Gueux, Nana-Sahib la Glu, la Mer, Braves gens, Vers la Joie, le Chemineau, les Truands, Miarka, la Belle au Bois dormant la Route d'émeraude, etc.

Jean Richepin a soixante ans. Il est membre de l'Académie française et vice-président de la Société des Gens de Lettres.

Février

M.D, « Leconte de Lisle », Le Petit Temps, 22 février 1910, p. 4.

M. Jean Richepin est aujourd'hui le conférencier vers qui vont les sympathies. C’est un fait. La raison de ce fait, il serait outrecuidant de la rechercher et tout ce qu’on peut dire, en ne jugeant les choses que de l’extérieur, c’est qu’il parle et ne lit point ; que ses auditeurs sentent que c’est bien à eux qu’il s’adresse et non à quelque public impersonnel et imprécis, et qu’il exerce sur eux la triple action de la conviction, d’une éloquence naturelle et de la claire et harmonieuse ordonnance de ses pensées.

Il y a plus : c’est que poète, il parle volontiers des poètes et qu’il en parle en poète, sans s’attarder à des détails biographiques dans lesquels se complaît souvent la malignité des conférenciers, ne voulant voir que leur œuvre, qu’il tient d’abord à faire connaître, ensuite à faire aimer.

Donc, cet après-midi, la salle de la Société des conférences s’était emplie d’un public empressé ; public et conférencier n’ont point tardé à se comprendre.

La littérature de l’époque du second Empire est marquée, observe M. Jean Richepin en débutant, par la rivalité de deux écoles : celle qui suivit Musset en exagérant ses défauts, et celle qui voulant endiguer ce torrent fangeux de fautes de français, comme ses détracteurs caractérisaient injustement l’œuvre de l’auteur des Nuits, disciplina le vers et la langue.

Cette dernière école, ce fut le Parnasse. Dans le Parnasse, deux tendances se manifestent : le pessimisme et l’optimisme. L’une est représentée par Leconte de Lisle ; l’autre par Théodore de Banville. M. Jean Richepin n’a parlé cet après-midi que du premier, réservant le second pour une conférence ultérieure.

Ce n’est point par genre ni par maladie de l’esprit que Leconte de Lisle fut pessimiste ; les causes qui le rendirent tel sont multiples, profondes, et tiennent à ses origines, à sa nature, tout autant qu’à ses habitudes d’esprit. Il était créole, semi-hindou ; la flamme accablante du ciel de l’île Bourbon sous lequel il naquit devait lui inspirer cette sorte de tristesse écrasée et grandiose dont on rencontre la parfaite expression dans la célèbre pièce Midi. La vie particulièrement dure que mena le poète à ses débuts, existence rendue plus dure encore par le sacrifice qu’il fit de sa fortune à ses idées, travaillant à une émancipation des nègres qui le ruinait, accentua ce pessimisme natif que d’autres tendances vinrent plus tard renforcer. La plus forte fut l’anomalie qui existait entre les divers « moi » qui vivaient en lui. M. Jean Richepin en discerne quatre, très marqués chez lui ; le créole, le Breton, le Normand et le Grec.

Par ses origines paternelle et maternelle, il était Breton et Normand, c’est-à-dire un rêveur en qualité de Breton, et au contraire un batailleur, un actif, toujours prêt à aller de l’avant en qualité de Normand. Et l’on devine la lutte intime soulevée dans le cœur du poète entre le créole qui voulait s’abandonner au fatalisme, le Breton qui voulait rêver, le Normand qui voulait agir, et enfin le Grec qui s’était développé en lui par la traduction et l’étude des auteurs classiques, et qui se révéla si impérieusement en lui qu’il prétendait que depuis Sophocle il n’y avait ou que des barbares, Shakespeare en particulier, le plus abominable de tous à ses yeux.

Mais le Grec n’est point pessimiste, et lorsqu’il le fut, Leconte de Lisle cessa d’être un citoyen d’Athènes pour redevenir le créole imprégné dès sa jeunesse, de l’influence maladive de la Màyà, dont il avait trouvé la doctrine dans les poèmes de l’Inde, de cette doctrine pour laquelle rien n’existe. Le monde n’a point de substance ; tout n’est qu’illusion. Brahma, qu’on ne définit point, est non pas un être infini, absolu, mais un indéfini neutre, dont les rêves seuls existent. Ce que nous prenons pour le monde, c’est la succession des rêves, de ce rêve qu’est Brahma. Ce pessimisme avait donc des racines profondes chez le poète, dont le visage sévère, massif, avec un front largo et haut, s’harmonisait avec l’austérité de sa doctrine. De ses yeux l’an était morne, l’autre embusquait son regard derrière un monocle, et ce monocle lançait des éclairs. Il avait vraiment l’air ou d’un inquisiteur, ou mieux encore d’un de ces dieux terribles de l’Inde auxquels il avait voué un culte.

A l'appui de sa thèse, M Jean Richepin a lu alors comme il sait lire ces deux pièces : A un poète mort et le Dies ire qui se termine par cette strophe : 

Et toi divine mort, où tout rentre et s’efface
Accueille tes enfants dans ton sein étoilé ;
Affranchis-nous du temps, du nombre et de l’espace
Et rends-nous le repos que la vie a troublé !

Ce dernier vers est un vers en qui se caractérise presque tout Leconte de Lisle. M. Richepin — étrange découverte — s'est aperçu qu’on le retrouve dans l’introduction que M. de Pongerville écrivit pour Millevoye. Plagiat, dira-t-on ; non : même réminiscence chez les deux hommes d'un vers de Lucrèce.

La haine du présent amena Leconte de Lisle à concevoir un amour extrêmement violent du passé, et pour le fuir — et non pour imiter Hugo il incarna successivement les différentes âmes de ce passé. N’était-ce pas satisfaire son mépris de l’homme moderne que de se refaire tour à tour Hindou, Hébreu, Persan, Arabe, voire Malais, et aussi Scandinave et surtout Grec et Latin ?

Cette satisfaction laissa toutefois son pessimisme inassouvi ; alors voulant mépriser ou feignant d’ignorer les hommes et leur psychologie, il se rejeta avec prédilection sur la psychologie des animaux et sur « la psychologie des paysages ». Voilà pourquoi on trouve en lui un paysagiste et un animalier comme il serait difficile d’en rencontrer beaucoup.

Et M. Richepin lit Midi, les Deux Taureaux, les Lions.

Cependant, sous l’impassibilité de Leconte de Lisle, il y avait une vraie souffrance ; par moments il laissait parler le cri étouffé de sa douleur. Il y a des pièces sur son enfance, sur son adolescence qui sont de purs bijoux de sentiment et de délicatesse.

Mais c’est par son pessimisme, par sa haine des contemporains que Leconte de Lisle peut être classé au rang des plus grands poètes de toutes les époques. Grâce à son horreur du temps présent, il a fait revivre toutes les formes de l’idéal humain ; enfin, grâce à la sincérité et à l'accent de son pessimisme, il a donné quelques-unes de ses expressions définitives à cette noire doctrine qui prêche l’amour de la mort. Tel de ses poèmes sur le néant, le Vent froid de la nuit, par exemple, rejoint dans le sublime les pages les plus sublimes de Bossuet, les plus profondes méditations de Pascal, et dans le tragique amour du trépas, tous ces grands esprits, les croyants comme les incrédules, se rejoignent dans la même sublime foi en l’inanité démontre limon. —

M. D.

Mars

Anonyme, « La Conquête de Paris », Gil Blas, 7 mars 1910, p. 1.

Derrière les vastes épaules de Jean Richepin, romanichel de la conférence, chemineau du verbe — ainsi aime à s'intituler maintenant le chantre de Miarka — Sem Benelli, le jeune auteur de La Beffa, avec son visage maigre et émacié de primitif florentin, entreprend la conquête de Paris ; à travers les banquets, les salons littéraires ou les antichambres officielles, il va, nostalgique traîne-besace, chercher la consécration tant désirée.

Et son visage ardent, inquiet, ne laisse rien percer, cependant, de ses impressions si variées, si diverses ; il est, dans la suite de ce pèlerin de Florence venu à Athènes, un Français, un ancien Parisien, conquis définitivement par le ciel d'Italie et le rizotto milanais, celui qui traduisit La Beffa, qui se montre stupéfait de ne plus reconnaître son Paris d'antan.

— C'est un enfer ! nous dit-il. Benelli et moi, nous sommes fourbus, exténués. Et puis quelles divinités difficiles à apaiser que vos critiques ! Ah ! qui me rendra, pour tous les Paris du monde, ma douce cité lombarde, si aimable, si prévenante, ma patrie d'adoption !

Mais Jean Richepin, infatigable, au milieu du tumulte indifférent, guide la caravane et fraye la voie encombrée à Sem Benelli, glorieux jeune poète qui s'avance, impavide, avec ses héros et ses héroïnes.

— C'est un succès latin ! proclame le poète de La Mer.

Dans un pays encombré d'un panache excessif et de virtuosité, Sem Benelli a su revenir à la source, il est allé au Dante, au vers pur de Florence, alliant la force, dans l'élégance, à la profondeur, dans la grâce. Aussi Jean Richepin est heureux d'avoir fait passer dans notre langue si souple le vers de Sem Benelli ; il l'a fait, déclare-t-il, avec joie, sinon avec le gros succès espéré.

On sait qu'au cours d'une cérémonie au Collège de France, en l'honneur de Carducci, l'éminent académicien s'était plu à proclamer qu'un grand poète italien doit toujours être pour nous, Français, un poète national ; car ne sommes-nous point de la même famille ? Nos poètes ne parlent-ils pas, en effet, les uns et les autres, une langue commune : la langue méditerranéenne ?

C'est pourquoi Jean Richepin a voulu faire de la Beffa, cette grande chose italienne, une petite chose française.

A.S., « M. J. Richepin et Théodore de Banville », Le Soleil, 9 mars 1910, p. 3.

Ce document est extrait du site RetroNews.

Le poète des Gueux a parlé lundi d’un des plus parfaits lyriques de la poésie française, Théodore de Banville. La tâche du conférencier était aisée car l’œuvre de Théodore de Banville est un jardin immense, toujours en fleurs et où il n’y a qu'à cueillir. L'auteur des Exilés et des Odes funambulesques s’est expliqué sur lui-même suffisamment dans son Petit Traité de Poésie qui est une des plus jolies lectures de jeunesse dont puisse se souvenir un poète, quand bien même il se voue rait au vers libre, à l’assonance et aux pires excès des pires écoles. M. Jean Richepin est de ceux qui ne craignent pas de puiser chez autrui, sachant qu'ils rajeuniront toute pensée d’une forme inattendue. Ceci est l’art même et l’on sait que le verbe de Jean Richepin n’appartient qu’à lui. Pourtant, pour parler d’un maître aussi tendre que Théodore de Banville, le père du Chemineau sut modérer sa truculence. « Banville, malgré son lyrisme, ne fut jamais un lyrique ennuyeux. Il employait en effet, des mots bien français et il s’appliquait à rester toujours très pur, en même temps que très simple. « Son génie consistait à donner aux idées banales une forme définitive. C'est ainsi qu’il chantait l’odeur du pêcher rose et des pommiers fleuris » et qu'il nous rendait avec une certaine mélancolie la vieille chanson : « Nous n’irons plus au bois, les lauriers sont coupés ». « C’était aussi un homme de cœur rempli de tendresse, et on se souvient qu’il avait gardé l’habitude, tous les ans, de faire un compliment en vers à sa mère décédée, celle qui, comme il le disait, ne devait jamais être absente de lui. » M. Jean Richepin insiste sur la bonté de l’homme. Il eût été facile de multiplier les anecdotes, mais les traits excellents abondent tant chez Banville que l’éloge eût dé passé les limites de la conférence. C’est ainsi que Théodore de Banville mit dans ses meubles, rue Campagne-Première, le poète Arthur Rimbaud, âgé de seize ans, venu à pied de Charleville, et qui devait infuser à notre poésie un sang nouveau. Arthur Rimbaud se hâta de vendre les meubles de Banville au brocanteur du coin et d’aller boire le produit de la vente avec Paul Verlaine. Le conférencier juge excellemment le maître disparu, mais inoubliable, quand il dit que ce poète fut un mélange d'Aristophane et de Pindare. Banville ressemblait peu au buste d'empereur romain que nous voyons de lui au Luxembourg. Si l’on veut le bien connaître, on devra faire le voyage de Moulins, sa ville natale, où se dresse le monument élevé d’après le dessin du son beau-fils, Rochegrosse. — C’est à Moulins qu'il faut aller, dit le conférencier, si l’on veut revoir son visage de Pierrot parisien. Souhaitons que M. Jean Richepin nous fasse une seconde « leçon » sur la société frivole et charmante qui inspirait à Théo dore de Banville les Odes funambulesques.

A. S.

Avril

R. de J., « Les Contes à Chanter par M. Jean Richepin », Comœdia, 22 avril1910, p. 2.

Ce document est extrait du site RetroNews.

Il serait intéressant de faire le compte des conférences que M. Jean Richepin donne en une saison, tant à Paris que dans toute l'Europe où il va dans les pays éloignés, portant la bonne parole française, faire œuvre de patriote éclairé.

Inlassable, il trouve moyen de conférencier à Paris entre une conférence à Lisbonne et une autre à Francfort.

Mais si partout il est aimé et applaudi, il n'est pas de public qui ne lui fasse meilleur accueil que celui des Annales. Il donnait mercredi, en cette salle, sa dernière conférence de la saison, et celle-ci fut particulièrement belle, car le poète dit lui-même plusieurs poésies dont il est l'auteur.

Tout le monde n'a pas le don de savoir dire les vers, encore plus rare est celui de les écrire ; mais quand un poète, un vrai, possédant comme Jean Richepin un haut talent de déclamateur, exprime la phrase poétique avec l'accent et la chaleur désirables, accent et chaleur provoqués par l'inspiration de l’auteur, alors les poésies revêtent une beauté sublime et s'auréolent d'une lumière éblouissante.

Nombreuses furent les poésies dites par Jean Richepin. Ce furent Grain de Blé, La Lanterne du Fou, Les Larmes, Le dernier Réveillon, Le Rocher, Regard des Pauvres, L'Homme aux Grillons, Jean-Jeannot-la-Jeannottière, Le Sauveur, L'Espéreux et L'Allant.

Chacune valut au poète de longs applaudissements et sa conférence terminée, il fut maintes fois rappelé par un auditoire enthousiasmé.

R. de J.

Mai

Léon Plee, « Les Salons de 1910 », Les Annales politiques et littéraires, 1er mai 1910, p.438.

Ce document est extrait du site RetroNews.

[…]

Avec son portrait de Jean Richepin en simarre rouge, Marcel Baschet ouvre magistralement la série, toujours si intéressante, si belle à ce second Salon, des portraits. Il a surpris le poète de la Chanson des Gueux au bon moment, lorsque, à sa table de travail, il rime ou prépare la conférence prochaine, et que, sous la poussée des idées, ses traits, déjà si animés, prennent plus de caractère encore. Et sans doute qu'il en a tracé une image définitive.

[…]

Juillet

Anonyme, « La Fête de l’Université des Annales », La Vie Heureuse, 15 juillet 1910, p. 175.

L’Université des « Annales » a terminé l'année par une fête charmante, donnée à Meudon, dans l’orangerie du Dauphin, à deux pas de l’Observatoire, sur ce coteau délicieux qui domine la Seine tournoyante et les bois étalés jusqu’à Versailles. Là, par un temps radieux, sous des tentes de coutil rose, un déjeuner très gai a réuni les élèves de l’Université des Annales et quelques-unes des personnalités les plus notoires des lettres et des arts.

Après le déjeuner, M. Jean Richepin, qui est un des conférenciers les plus connus et les plus aimés des Annales, a fait sur un théâtre de verdure une conférence charmante sur les hôtes illustres de Meudon, depuis son immortel pasteur jusqu’à Mme Molière, veuve du grand écrivain, et jusqu’à Richard Wagner pauvre et méconnu.

Septembre

Anonyme, « Le prochain programme de l’Université des Annales », Les Annales politiques et littéraires, 25 septembre 1910, p. 314.

Toutes les Universitaires sont dans l'attente du prochain programme de l'Université, et nous recevons quantité de lettres impatientes nous demandant à quel moment elles seront fixées sur leur sort. Dans quelques jours, nous leur livrerons l'admirable liste des quatre-vingt-dix conférences qu'elles auront la joie d'entendre, et, devant les noms célèbres et aimés des conférenciers qui la composent, elles ne pourront manquer d'être éblouies.

Il y a là certains « cinq à six » du jeudi : les Contemporains, qui leur permettront d'écouter les auteurs les plus illustres des temps modernes commenter ou lire les œuvres qu'ils ont écrites. Je ne veux rien dévoiler encore de cette série, mais je crois qu'elle fera quelque bruit dans le monde de la jeunesse et plus encore dans le monde des lettres.

Cependant, je m'en voudrais d'attendre plus longtemps le plaisir de leur annoncer une nouvelle à laquelle, je le sais, elles ne seront pas insensibles : Jean Richepin, leur grand ami, a consenti à traiter en dix conférences, en dix leçons admirablement évocatrices, les chefs-d'œuvre du Théâtre grec.

Qui pouvait, mieux que ce magnifique poète, ce chantre de l'Hellade, cet amoureux de l'art grec, ressusciter le génie des Eschyle, Sophocle, Euripide, Aristophane ? Tout notre théâtre est imprégné des beautés qui ont marqué ces œuvres antiques. Le doux Racine a puisé à cette source ses meilleurs, ses plus touchants sujets de théâtre — et ce serait mal connaître notre littérature française que de ne point rechercher les racines profondes d'où elle est née et qui l'ont faite si belle. Jean Richepin — que nos Universitaires, dans leur enthousiasme, ont surnommé le « roi des conférenciers » — a reçu du ciel ce don de la parole et cette éloquence émouvante qui illuminent la moindre de ses improvisations et les rendent inoubliables. Il a pris la peine, cet été, — en manière de passe-temps de vacances, — de traduire lui-même les scènes ; principales qu'il veut faire connaître à ses auditrices, et, comme il lit comme un dieu, et qu'il joue, et qu'il mime, et qu'il fait vivre, frissonner les textes les plus ardus, je laisse à penser ce que seront, commentés par sa voix, les immortels chefs-d'œuvre du Théâtre grec.

A ces dix leçons, nous avons joint cinq conférences qui les complètent en quelque sorte, en ce sens qu'elles montrent, transportés sur notre théâtre, les héros antiques, que les auteurs grecs nous ont rendus familiers. Ces

Quinze Conférences sur les Chefs-d'Œuvre du Théâtre Grec

dédiées, comme toujours, aux jeunes filles, sont expurgées de tout ce qui pourrait blesser leurs chastes oreilles ou leur foi religieuse ; mais elles sont aussi bien de nature à passionner les femmes et tous les amoureux de l'art grec, quelque âge qu'ils aient. D'ailleurs, ces séances s'annoncent comme un si gros succès, — les Universitaires de l'an dernier ayant, en partie, déjà retenu leur fauteuil pour l'année scolaire 1910-1911 (1), — que nous sommes dans l'obligation de répéter chaque conférence deux fois. La séance du Lundi, à cinq heures, sera répétée, avec le même programme, le Mercredi, à deux heures.

Voici, d'ailleurs, l'ordre dans lequel ces conférences se dérouleront.

Dix Leçons par M. Jean RICHEPIN,

de l'Académie française.

21 nov. — LE THÉÂTRE EN GRÈCE.

Histoire. — Architecture. — Organisation. — Mœurs. — Anecdotes.

28 nov. — ESCHYLE : L'Orestie.

Le Shakespeare hellène et l'horreur poussée à son comble. M. Jean Richepin lira les scènes suivantes :

L'ombre de Klytaimnestra crie justice. — De bouleversement du monde. — L'Aréopage.

12 déc. — ESCHYLE : Les Perses ; Prométhée.

Le patriotisme hellène sauveur de la civilisation méditerranéenne. — Eschyle l'Initié. M. Jean Richepin lira les scènes suivantes :

Les Perses : Le dénombrement de l'armée de Xerxès. — L'ombre de Darios parle.

Prométhée : Prométhée bienfaiteur des hommes. — Zeus déchu.

9 janv. — SOPHOCLE : Les Trachiniennes ; Philoctète.

Les légendes d'Héraklès. — Les maladies sacrées. M. Jean Richepin lira les scènes suivantes

Les Trachiniennes : Héraklès et Omptiale,

— La tunique de Nessos. — La démence d'Héraklès.

Philoctète : Les sourrrances de Philoctète.

— Héraklès messager de Zeus.

16 janv. — SOPHOCLE : Les Œdipes.

La fatalité. — La mélodrame. — L'éloge d'Athènes. M. Jean Richepin lira les scènes suivantes :

Œdipe-Roi : Œdipe et sa mère, devenue sa femme. — L'interrogatoire.

Œdipe à Colone : Œdipe et Antigone, — La douleur de vivre. — La mort d'Œdipe.

30 janv. — EURIPIDE : Les Iphigénies.

Le Racine hellène. — La pitié. — Le public athénien. M. Jean Richepin lira les scènes suivantes :

Iphigénie en Aulide : L'orgueil d'Agamemnon. — Les supplications d'Iphigénie.

Iphigénie en Tauride : Oreste et Pylade. Le récit du berger

6 fév. — EURIPIDE : Alceste, Phèdre,

L'amour conjugal. - La passion. La misogynie. M. Jean Richepin lira les scènes suivantes :

Alceste : La mort et Apollon. — La résignation d'Alceste. — Les leçons d'Héraklès.

Hippolyte : Phèdre et sa nourrice. - Hippolyte f misogyne.

8 mars. — LE DRAME SATYRIQUE. La parodie hellène. — Eschyle en belle humeur

M. Jean Richepin lira lès scènes suivantes :

Le Cyclope : Les ruses d'Odysseus. - La Cyclopa et Silène. — Odysseus. chez le Cyclope.

20 mars. — LA COMÉDIE ATHÉNIENNE.

Prédécesseurs, contemporains et successeurs d'Aristophane. — La comédie ancienne, la moyenne, la nouvelle. — Lecture de fragments. — Les scholiastes.

27 mars. — ARISTOPHAHE.

Un réactionnaire. — La politique par le théâtre. — Le bouffon lyrique. M. Jean Richepin lira les scènes suivantes :

Les Nuées : La parodie de Socrate.

Les Grenouilles : Héraklès bafoué.

Les Guêpes : Le juge ridicule.

Les Oiseaux : La Parabase.

Les autres Œuvres : Fragments.

A ces dix leçons, sur l'intérêt desquelles il n'est pas utile d'insister, viendront s'intercaler les cinq conférences suivantes, qui nous reportent chez nous, au cœur de notre littérature et de nos classiques français :

5 décembre. — Les Erinnyes, le drame de Leconte de Lisle. Conférence de M. Edmond Haraucourt.

23 janvier. — La jeune fille grecque dans la tragédie française. Antigone, Iphigénie, etc.

Conférence de M. feston Deschamps.

13 février. — Les grandes héroïnes grecques dans le théâtre de Racine: Hermione, Phèdre,

Andromaque.

Conférence de M. Auguste Dorchain.

20 février. — Les héroïnes grecques dans? Gluck. Alceste, Iphigénie, etc.

Conférence de M. Augé de Lassus.

13 mars. — Les géants, les titans dans la tragédie française. Le Cyclope de Poizat. Polyphème de Samain, etc.

Conférence de M. Gaston Rageot.

Ces cinq conférences seront accompagnées 'd'auditions magnifiques, où des artistes tels que la divine Bartet, Albert Lambert, Roch, Suzanne Desprès, etc., feront vivre sur la scène les héros antiques. Pour ressusciter l'Alceste de Gluck, nous aurons une interprète géniale. Je ne veux pas imprimer encore son nom aujourd'hui ; mais, par ce seul « qualificatif », nos Universitaires l'ont déjà reconnue,

La place, hélas ! me manque pour donner le détail des quinze conférences de Littérature Française qui seront une manière de revue animée de L'Histoire de la Poésie française de la Chanson de Roland à nos Jours

Les conférenciers, c'est-à-dire tous nos poètes, notre cher et grand Jean Richepin en tête, Auguste Dorchain, Edmond Haraucourt, Fernand Gregh, Jules Truffier, Gabriel Nigond, Adolphe Brisson, Jules Bois, Pierre Wolff, Georges Gain, Gaston Rageot, etc. raconteront à nos Universitaires l'histoire charmante ou triomphante des Rondels et Rondeaux — de la Ballade — de l'Epopée — de l'Elégie — de l'Idylle — de l'Epître — de l'Ode — du Sonnet — de la Fable — des Hymnes, etc., et ils feront entendre, par les premiers artistes du monde, les poésie qui sont restées les modèles du genre Ce sera donc, en même temps qu'un « Art Poétique » vivant et intéressant, une Anthologie unique, que nos Universitaires emmagasineront dans leur mémoire, et qu'elles retrouveront, ensuite, dans leur Journal de l'Université. Cette série poétique sera donnée le Mercredi, à cinq heures, et sera répétée (cala première salle est déjà à moitié prise avant que le programme n'ait para) le Vendredi, à deux heures.

Dirons-nous encore le sujet des autres séries ?

Novembre

Anonyme, « Le Poète Jean Richepin a subi un commencement d’asphyxie », Le Petit Journal, 12 novembre 1910, p. 1.

M. Jean Richepin, l’éminent poète, membre de l’Académie Française, a été victime, dans son cocquet hôtel, 8, villa Guibert, XVIe arrondissement, d’un grave accident dont les suites auraient pu lui être funestes.

L’auteur du Chemineau était revenu avec sa famille dans la matinée de lundi de son château des Trois-Fontaines, à Dammartin-en-Serve (Seine-et-Oise), où il avait passé tout le mois d’octobre. Les domestiques allumèrent alors le calorifère afin d’assainir l’habitation.

Tout l’après-midi, M. Jean Richepin resta enfermé dans son cabinet de travail ; le soir il dîna de fort bon appétit et alla se coucher. Au milieu de la nuit, M. Richepin se réveilla, en proie à de violentes douleurs à la tête et à des vomissements.

Le docteur Leroux, appelé aussitôt, vint donner ses soins au malade qui avait subi un commencement d’asphyxie dû à des émanations d’oxyde de carbone.

M. Richepin demeura assez souffrant pendant quelques jours, et, hier matin, complètement rétabli, il put partir pour Bordeaux.

Romain de Jaive, « Eschylle, “L’Orestie” », Comœdia, 29 novembre 1910, p. 3.

Ce document est extrait du site RetroNews.

Jean Richepin vient, une fois de plus, de remporter un triomphal succès aux Annales. Sa conférence sur l’Orestie fut faite avec un tel lyrisme que le public l'acclama triomphalement. Je dois à la vérité de dire que Jean Richepin se surpassa lui-même et qu'il présenta son sujet avec une puissante maîtrise.

Voici, en quelques mots, ce qu'il dit d'Eschyle : « Ce poète n'a été connu que très tard. Ses contemporains eux-mêmes eurent du mal à s'assimiler son art ; Sophocle ne disait-il pas qu'Eschyle faisait admirablement des choses dont il ne se rendait pas compte ? On le représentait comme un lyrique éperdu.

« On ne commença à le comprendre qu'au siècle dernier, à l'épanouissement du romantisme. On l'appela Shakespeare l'Ancien, quoique les horreurs de Macbeth paraissent cales à côté de celles de l’Orestie.

« Eschyle est obscur. Dans sa langue les idées se heurtent ; elles sont amalgamées en quelques mots. Aussi est-il fort difficile de le traduire ; les meilleures traductions, telles que celle de Leconte de Lisle, ne peuvent rendre l'élan, le vol lyrique de cet extraordinaire dramaturge.

L'œuvre d'Eschyle se composait d'au moins quatre-vingt-dix pièces ; l’Orestie est-elle son chef-d'œuvre ? Il est bien difficile de l'affirmer, car de toutes les pièces écrites par Eschyle, sept seulement sont arrivées jusqu'à nous. »

Jean Richepin lut plusieurs passages de l'Orestie : le meurtre d'Agamemnon par Clytemnestre, la mort de Cassandre, le retour d'Oreste, le meurtre de Clytemnestre par Oreste, etc.

J'ai déjà dit maintes fois que Jean Richepin est un remarquable, tragédien. Hier, encore, il joua plutôt qu'il ne lût l'œuvre d'Eschyle ; et il la joua avec un extraordinaire talent, qui souleva l'enthousiasme de la salle, littéralement transportée par les beautés du poème et l'art de celui qui se donna tout entier pour mieux le lui faire comprendre

Décembre

Romain de Jaive, « Les Perses, Prométhée enchaîné, par Jean Richepin », Comœdia, 13 décembre 1910, p. 3.

Ce document est extrait du site RetroNews.

Jean Richepin continue sa brillante série de conférences sur le théâtre grec. Après avoir analysé l’Orestie, nous avons dit avec quelle merveilleuse connaissance de l'art théâtral grec Jean Richepin a traité ce sujet, il vient d'analyser deux autres tragédies d'Eschyle, Les Perses et Prométhée.

Représentée huit ans après la bataille de Salamine, c'est-à-dire en l'an 472 avant J.-C., la première de ces tragédies dépeignait la détresse des Perses après leur défaite, que le poète attribue à la volonté qu'avaient les dieux de punir Xerxès de son orgueil. L'ombre de Darius joue un grand rôle dans la tragédie, qui se termine par un long concert de lamentations ; mais dans leur peine les Perses ne peuvent S'empêcher d'admirer les Athéniens leurs vainqueurs. Le jour de la première représentation des Perses, les Athéniens se répandirent dans leur cité, animés d'un grand sentiment de patriotisme que les scènes d'Eschyle avaient fait naître en eux.

Ils tapaient leurs boucliers à grands coups de glaive, aux cris de Patrie ! Patrie !

Jean Richepin s'anime à ce récit, il y met tant de chaleur communicative, que ses auditeurs l'acclament longuement.

Cinq ans après Les Perses, Eschyle fit représenter son Prométhée enchaîné. Poursuivi par la colère de Zeus pour avoir dérobé le feu sacré et en avoir livré le secret aux hommes, Prométhée est enchaînée à un rocher du Caucase par Héphaïstos, aidé de la Force et de la Violence.

Abandonné sur son rocher Prométhée se lamente sur l'injustice de Zeus. Il reçoit les consolations des Océainides, d'Okeanos et de Io, changée en vache et harcelée par un taon. Mais le géant refuse leurs consolations qui tendent à le faire s'incliner devant la volonté de Zeus ; il prophétise que ce dieu sera un jour détrôné par un autre dieu et que celui-ci le sera enfin par le vrai dieu : l'Homme. Hermès cherche à lui faire dévoiler son secret, mais le titan résiste et pour le punir davantage Zeus fait éclater un terrible orage qui s'abat sur le rocher où Prométhée est enchaîné. Rien n'y fera ; Prométhée le divin représentant de l'Humanité, résistera à toutes les violences, à toutes les souffrances.

Cette légende merveilleuse de l'Humanité, représentée par Prométhée, que l'on appellerait aujourd'hui Sur-homme, résistant à la colère divine est d'une grandeur sublime.

Jean Richepin, qui excelle à traduire et à commenter les œuvres des poètes grecs, a su faire ressortir toute la beauté du poème d'Eschyle. Il l'amplifia même par le superbe élan lyrique dans lequel il fit sa conférence.

Anonyme, « M. Jean Richepin », Le Petit Marseillais, 15 décembre 1910, p. 1.

Ce document est extrait du site RetroNews.

M. Jean Richepin de l’Académie Française, qui fera, samedi prochain, à 4h15, au théâtre des variétés-casino, à Marseille, une conférence sur La Mer.

Ceux qui ne connaissent pas Jean Richepin ont entendu parler du talent de conférencier et de diseur de cet exquis poète. Il faut entendre et voir Richepin dire de sa voix claire et chaude les beaux vers qu’il a faits sur « La Grande Bleue » et tout ce qui touche à cette mer qu’il appelle la grande patrie, son affection pour les marins et les pêcheurs, ces pauvres gens dont le métier, dit-il, est d’être un héros tous les Jours : La conférence de Jean Richepin sera suivie de l’interprétation du Flibustier, pièce en 3 actes, en vers, de Jean Richepin. Tous les admirateurs du grand poète seront réunis, samedi, pour l’applaudir. La location est ouverte au théâtre des Variétés.

Anonyme, « M. Jean Richepin et l’Alliance française » Gil Blas, 16 décembre 1910, p. 1.

Ce document est extrait du site RetroNews.

M. Jean Richepin présidait, hier, dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, une charmante fête littéraire organisée par l'Alliance française en l'honneur des poètes étrangers rimant en notre langue.

Aux côtés de l'auteur de la Chanson des Gueux, on remarquait MM. le baron Guillaume, ministre de Belgique à Paris ; Louis Herbette, conseiller d'Etat, représentant l'Alliance française, et un grand nombre de personnes appartenant au monde universitaire.

Après une brillante allocution de M. Jean Richepin, la musique du 103e de ligne exécuta la Dessalienne, chant national d'Haïti ; puis, M. Georges Sylvain, ministre plénipotentiaire d'Haïti à Paris, célébra les poètes haïtiens.

L'éloge des poètes belges fut ensuite prononcé par M. Iwan Gilkin, l'un d'entre eux, et bibliothécaire au ministère des arts et des sciences de Belgique, et celui des poètes suisses par M. Samuel Cornut, qui lut une très intéressante étude sur la poésie romande contemporaine.

Et ce fut le tour des poètes français du Canada que célébra magistralement le fin poète et l'orateur Qu'est M. Paul Peysonnié.

Chacune de ces allocutions était précédée de l'exécution des hymnes belge, suisse et canadien, et suivie de chants et de poèmes récités par des artistes des grands théâtres parisiens.

Ce fut, dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, une nouvelle fête pour la poésie française, oui, au delà des frontières, chante aux lèvres et dans les âmes de tous les amis de la beauté pour qui notre pays reste toujours une seconde patrie.

Anonyme, « A propos d’un bluff », Le XIXe siècle, 27 décembre 1910, p. 3.

Ce document est extrait du site RetroNews.

« Ayons la fierté de proclamer, aujourd'hui et toujours, que la langue française est la véritable langue universelle et que la France est toujours le flambeau de la civilisation », a dit hier « l'immortel » Jean Richepin, à la Sorbonne, sous une tempête de bravos.

Ces nobles et éloquentes paroles nous ont remémoré un incident qui a eu récemment pour théâtre l'Hôtel des Invalides. Vers le milieu de novembre dernier, le sévère monument de Mansart se trouva subitement en émoi. Etaient-ce les cendres du duo de Reichstadt qui arrivaient ? Non. L'événement était autrement important. En présence des représentants du gouverneur militaire de Paris et du ministre de l'Instruction publique, une école d'un genre tout spécial (les classes spéciales sont à l'ordre du jour) était inaugurée. 600 soldats illettrés étaient confiés à une gracieuse et élégante personne chargée officiellement de leur apprendre à lire et à écrire.

Quelque temps auparavant, une charmante Russe (conséquence des bienfaits de l'Alliance) était allée trouver M. Sarraut, alors sous-secrétaire d'Etat à la Guerre, et lui avait tenu ce langage :

« En Russie nous n'avons pas de soldats illettrés ; en France, vous en avez énormément ; cela tient à la mauvaise qualité de votre pédagogie. Vos instituteurs n'ont pas le feu sacré. Vous ne devez pas avoir oublié ce qu'a dit d'eux un membre éminent de l'Académie. Confiez-moi toutes vos culottes rouges qui ne savent rien de rien, et dans deux mois je vous les rendrai capables de lire le Mémorial de Ste-Hélène.

— Madame, répondit le sous-secrétaire de l'Etat, madame, vous avez raison. Autour de moi on dit, en effet, que dans les pays étrangers l'école primaire donne des résultats supérieurs à ceux que l'on obtient chez nous et que c'est là qu'il faut aller s'inspirer. Ce que vous dites est très juste ; notre enseignement est tout à fait défectueux. Assurément, vous ferez mieux que nos instituteurs.

Et voilà comment Mme Lagardelle fut Chargée d'apprendre l'alphabet à 600 soldats illettrés, pendant que les instituteurs enrôlés sous les plis du drapeau devaient éplucher les pommes de terre et nettoyer les cours des casernes.

Dès la première leçon, les nombreux invités furent quelque peu surpris de voir jouer devant eux une scène du Bourgeois gentilhomme. Pour prononcer a, il faut ouvrir la bouche.

Molière revenait en France avec une adaptation russe.

Les explications étaient données avec des expressions et un accent tels que Paul Erio, présent à la séance, avoue n'y avoir rien compris. Cela tient à ce que le cours était fait pour des illettrés et non pour des intellectuels.

Au bout de quinze jours, les dociles élèves de Mme Lagardelle n'étaient pas plus avancés. Brusque changement de tableau : l'école fut fermée.

On comprit probablement qu'une gaffe avait été commise.

Paix à sa cendre, dirions-nous, si l’incident ne comportait un enseignement.

Pourquoi avoir infligé cette humiliation à notre corps enseignant ? Notre instruction primaire mérite-t-elle les reproches que d'aucuns lui adressent chaque jour ? Nos instituteurs sont-ils réellement au-dessous de leur lâche ?

Si les pouvoirs publics en sont convaincus, leur devoir est de supprimer les millions que l'on consacre annuellement à l'entretien des groupes scolaires et des écoles normales et à les affecter à un usage plus profitable. Mais si, au contraire, ils sont persuadés que nous avons des maîtres capables, dévoués, possédant toutes les qualités requises pour développer aussi bien les facultés morales que l'intelligence des enfants et même de soldats, ils ne doivent pas prêter une oreille trop attentive aux affirmations erronées des dialecticiens de parti pris qui s'attachent chaque jour à dénigrer notre enseignement national.

Ce que nous disons des détracteurs systématiques de l'école Laïque peut s'appliquer également à ceux qui, cherchant à la sauver, commencent par la jeter à l'eau, au feu, à tous les diables.

La comédie des Invalides ne doit pas avoir une seconde représentation.

Nos écoles valent celles de l'étranger et notre civilisation est toujours la première, comme l'a dit très justement Jean Richepin.