1912
Janvier↑
Romain de Jaive, « Les
servantes de Molière », Comœdia, 18 janvier 1912, p. 2.
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Jean Richepin a présenté hier Molière comme un des premiers pionniers du féminisme. Et de fait, quelqu'étrange que puisse paraître, à première vue, cette opinion, on ne peut s'empêcher de constater, qu'en effet, Molière a toujours défendu la femme, en lui prêtant les sentiments les meilleurs du caractère humain. Ce trait est d'autant plus admirable chez Molière, qu'il n'eut guère à se louer de celle qui fut sa compagne.
La femme occupa toujours une place très en vue dans ses pièces. La servante particulièrement y joue un rôle des plus importants. Jean Richepin rappelle que Molière avait à son service une excellente femme qu'il se plût à croquer dans ses œuvres ; il baptisa, même de son nom, Martine, la servante des Femmes Savantes.
La plus remarquable figure des servantes du répertoire de Molière est sans doute Dorine.
Elle est en quelque sorte la « princesse des suivantes ». Dorine joue un rôle prépondérant dans Tartuffe, en défendant sa jeune maîtresse contre les desseins du perfide personnage.
Revenant à l'idée développé dans son exorde, Jean Richepin conclut en déclarant que Molière était féministe, qu'il devait considérer la femme comme la racine de la race, car elle possède le cœur, si l'homme a l'esprit. Elle ne doit pas chercher à être l'égale de l'homme, dit le poète. Elle doit rester la mère, celle que les plus grands esprits eux-mêmes invoquent lors des grands événements de la vie, celle à qui on a recours en cas de danger. Et pour œil a elle n'est pas l'égale de l'homme, elle lui est bien supérieure !
Le conférencier fut longuement applaudi !
La matinée se termina par l'audition des 2e, 3e, 4e et 5e scènes du Malade Imaginaire, qui étaient interprétées par M. Bernard (Argan), Milles Rovy (Angélique) et Dussane (Toinette).
Ces trois artistes jouèrent délicieusement ces scènes amusantes et leur succès fut très grand.
Anonyme, « Littérature », Le Ruy Blas, 20 janvier
1912, p. 16.
Si l'on n'admet point la métempsycose, un simple mortel ne vit qu’une fois ; M. Jean Richepin, immortel par élection, vécut successivement des existences diverses puisque nous lirons de lui, cette année, des mémoires intitulés Toutes mes vies, du moins ce livre le laisse-t-il entendre.
A la vérité, il s’agit des métiers nombreux et d’abord pittoresques qu’exerça cet ancien poète de talent qui, suivant une expression de l’auteur de Vitra næ, commis-voyage en éloquence. Il dira ses mois de navigation ou d’enfant de troupe, comment il se lit débardeur et pion, pourquoi il joua le drame et parlera de sa participation aux travaux de la baraque (celle des forains).
Et ce sera de la littérature.
Les uns, « Le banquet de la
critique littéraire », Gil
Blas, 27 janvier 1912, p. 4.
Hier soir a eu lieu, sous la présidence de M. Jean Richepin, le banquet trimestriel de l'Association des Critiques Littéraires.
Il a été particulièrement brillant.
- M. et Mme Paul Reboux ; M. et A. Fischer, Emile Langlade, Paul Duprey, F. Loliée ; Mme F. Blaze de Bury ; docteur Cabanès docteur Bloncel ; MM. Maurice Leblanc, Louis Bertrand, Curnonsky, Alexandre Georges, P. Valdagne R. de Bermingham, A. Norühain, H. de Forge, A.-Z.
Mathot, Jean Rameau, Francis Chevassu, A. Ségard, P. Berret, etc., étaient au nombre des convives.
Au dessert, Jean Richepin a improvisé un spirituel discours.
Avec bonne grâce, se plaisantant lui-même, l'auteur du Chemineau, qui fait encore plus de conférences que M. Faguet ne fait d'articles, se plaint gentiment qu'après une avalanche de louanges, une cascade d'amabilités, on l'oblige encore à parler.
Lui qui, hier, parla à Nancy, qui parlera demain à Lyon !
Il donne cependant une définition de la critique qui, dit-il, est une chose amère à avaler, mais les amers sont des toniques.
Et, comme on revient toujours à sa nature, M. Richepin parle des chemineaux qui, dans leur langage professionnel, font un peu œuvre de critique en se signalant telles ou telles maisons où ils seront plus ou moins bien reçus. Ainsi, la critique se doit de signaler telles ou telles œuvres charmantes, heureuses, délicieuses ou utiles.
C'est à cette critique-là qu'il lève son verre.
Et M. Paul Reboux lui a répondu avec non moins d'esprit et de verve :
« Eh quoi ! dit M. Paul Reboux, j'en suis tout éberlué. M. Jean Richepin, ce voyageur infatigable, cet errant impénitent qui ne cesse de parcourir le monde, d'un élan tel que cet élan le porte souvent jusqu'aux étoiles, M. Jean Richepin, depuis une heure que nous sommes assemblés ici, est demeuré parmi nous. »
M. Paul Reboux prend ensuite la défense de la critique et des critiques dont on se plaint toujours, disant : « Ah ! du temps de Sainte-Beuve ! » sans penser qu'alors on disait : « Ah ! du temps de la Harpe, ou, auparavant, ah ! du temps de Boileau ! »
Au fond les auteurs n'admettraient d'être critiqués que par des critiques morts. C'est sans doute pourquoi ils s'efforcent d'anéantir les vivants.
Mais, Jean Richepin est un homme exquis, et c'est pourquoi M. Paul Reboux termine en affirmant que, pour seule revanche, les critiques disent en face à l'auteur qu'il est, toute l'admiration qu'il leur inspire et tout le bien qu'ils pensent de lui.
Enfin, après le divertissement de l'esprit ce fut le divertissement des oreilles et des yeux :
Mimes, Charny, Fey-Lassalle et Suzanne Nova ; MM. Lasalle et Brunot se firent entendre. De jeunes danseuses de l'Opéra : Mlles Mauller, de Craponne, Ganevar et Celron se montrèrent en des attitudes harmonieuses.
En vérité, ce fut-là, une fête intime, toute de bonne humeur dans une charmante atmosphère de cordialité.
Février↑
Anonyme, « La Conférence de
Jean Richepin à Amiens », Le Progrès de la Somme, 6 février 1912,
p. 2.
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Les conférences de Jean Richepin n'ont jamais connu que le succès, et l’on peut affirmer que le brillant académicien est un des rares conférenciers de notre temps que l’on entend toujours avec un plaisir renouvelé.
C'est que les superbes improvisations lyriques que sont ses causeries, comportent toujours de merveilleuses auditions de poèmes que le grand écrivain dit avec l’âme d’un poète et un talent qui égale celui des plus grands artistes contemporains.
La conférence que Jean Richepin, de l’Académie-Française, nous donnera, ce soir mardi, au Théâtre sur les CHEMINEAUX, s’annonce comme une solennelle manifestation littéraire à laquelle voudront assister tous ceux qui n'ont pas eu l’occasion d’entendre le maître, sur ce sujet, à l’Université des Annales.
La conférence de M. Jean Richepin réunira le Tout-Amiens des grandes manifestations artistiques et le public fera fête au poète de la Chanson des Gueux, de la Mer, du Chemineau, et de tant d’admirables pages qui vivront tant qu’il y aura une littérature française.
C'est aujourd’hui mardi 6 février, à 9 heures du soir, au Théâtre Municipal, qu’aura lieu la conférence de Jean Richepin, sur les CHEMINEAUX.
Mars↑
Anonyme, « Université des
Annales », Gil Blas,
28 mars 1912, p. 5.
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M. Jean Richepin, au retour d'un voyage triomphal à Bucarest, à Athènes où on acclama en lui le poète, le conférencier et aussi les Lettres Françaises, M. Jean Richepin fit hier une conférence sur le « Misanthrope » qui souleva l'enthousiasme du jeune public des Annales. Jamais l'éminent conférencier ne fut plus en verve, et son chaleureux plaidoyer en faveur d'Alceste fut éblouissant et acclamé.
Il faut voir le « Misanthrope », ce chef-d'œuvre non pas mêlé de commentaires furtifs, non pas joué par des comédiens qui, si bien qu'ils le jouent, sont forcés de le dénaturer — car on ne peut pas deviner toutes les profondeurs qu'il y a sous ces mots si simples, pas plus que sur une eau qui coule, qui miroite et qui reflète tout e qu'il y a, au-dessus, de charmant, de nuages qui passent, on ne peut deviner les profondeurs, les vrais gouffres, quand il s'agit d'un abime avant, comme l'Océan, quelquefois 5.000 mètres de profondeur (et le cœur humain est encore bien plus profond que l'Océan le plus profond} ; il faut voir cette œuvre et la juger non pas comme si nous étions du temps de Louis XIV ni comme si nous étions aujourd'hui ni même comme si nous étions des habitants de la terre ; en réalité, il faudrait pouvoir la juger comme le ferait un habitant de la planète de Mars, par exemple, venant nous visiter pour voir à quel degré de civilisation nous sommes arrivés. Eh bien ! il prendrait notre théâtre comme pierre de touche, et il verrait que, parmi les autres chefs-d'œuvre de l'humanité, depuis Eschyle, Sophocle, Euripide, tous ceux que nous avons étudiés ensemble, les Lope de Vega, les Caldéron que nous étudierons, j'espère, un jour, Shakespeare aussi, et Corneille, et Racine et tous nos grands auteurs, il verrait que dans tous ces drames, si beaux qu'ils soient, il y a toujours un reste (je dis un blasphème, mais aujourd'hui je dis n'importe quoi) un reste de sauvagerie. Même dans Racine, même dans Corneille, on arrive toujours aux coups d'épée, on arrive à la mort, on arrive au poison, dans Phèdre, partout.
Ici, non ! Ici, tout se passe dans de la pensée, dans des nuances de sentiments : c'est de la pure psychologie. De là vient l'insuccès, toujours, du « Misanthrope » et le futur succès qu'il aura, et le succès qu'il aurait auprès de cet étranger à notre terre venant nous examiner de très loin avec un esprit très supérieur au nôtre ; car il verrait que Ià en réalité, le fond même du drame, l'essentiel du drame y est et y est tout entier ; car le véritable drame, le plus terrible de tous, l'aventure la plus extraordinaire, la plus imprévue, si prévue qu'elle soit, que nous puissions courir en ce monde, c'est l'amour. Croire qu'on aime, mais s'apercevoir qu'on n'est pas aimé, savoir qu'on l'a été, sentir qu'on ne l'est plus, il n'y a rien d'aussi tragique, d'aussi plein de nuances dans le sentiment, dans la souffrance, dans la colère, dans l’héroïsme
Avril↑
André Negis, « Richepin a parlé
de Verlaine », Le Petit
Provençal, 1er
avril 1912, p. 2.
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C’est Jean Richepin qui a clos la série des conférences des « Amis des Lettres », et c’est presque lui qui l’avait commencée par une admirable causerie sur la Mer, dont les belles périodes sonnent encore à nos oreilles.
Samedi, Richepin nous parla de Verlaine. Cet admirable prêtre du Verbe, ce ciseleur de phrases, ce joaillier de mots, a eu pour glorifier Paul Verlaine des accents émouvants, et des images d’une délicatesse exquise. Volontairement, il a laissé dans une ombre favorable les défaillances du poète pour n’exalter que son génie, ce génie si profondément français en dépit de la meute des bas imitateurs, des pasticheurs sans vergogne qui firent du Verlaine parce que leurs insuffisances leur interdisaient de faire quelque chose qui fut d’eux.
Oui, en dépit de ses expressivités, Verlaine est bien à nous ; son vers est français comme est française la prose de Marivaux et de Beaumarchais, et l’on se souvient que M. Herriot, à cette même Société des Amis des Lettres, nous montra, à propos de Marivaux, l’apparentement de ces deux génies : celui de l’auteur du Jeu de l’Amour et du Hasard et celui de l’auteur des Uns et des Autres.
Au lieu de le diminuer, les imitateurs de Verlaine servirent son clair génie en lui donnant par comparaison toute sa valeur. Si Jean Richepin n’a pas dit cela c'est qu’il a réservé son temps pour réhabiliter Paul Verlaine, aux yeux du gros public, car on sait, que Verlaine eut une existence tourmentée.
On a tort, de ne point faire toujours chez un artiste les deux parts : celle de l'homme et celle de l’œuvre. La critique moderne dans un prurit de recherches, de dissection, veut à toute force découvrir la vie privée à côté de l’autre et les expliquer réciproquement. Comme si cela était possible ! A ce procédé le génie de l'artiste a tout à perdre, car nous avons encore trop le préjugé de la vie bourgeoise et sommes trop enclins à ne décerner des lauriers qu’aux écrivains qui joignent à leurs livres un certificat de bonne vie et mœurs. Verlaine, heureusement, nous a prouvé ourson pouvait écrire des vers parfumés de la plus pure poésie dans une salle d’hôpital et en prison, le plus sincère des actes de contrition
C’est là la morale que nous avons tirée de la belle conférence de Jean Richepin Les fervents du pauvre Lélian se sont intimement réjouis de cet éclatant témoignage d’un poète que la chance n’a point rendu injuste et le succès Impitoyable.
Voici donc la fin de cette saison de conférences. Il faut savoir gré à ceux qui nous donnèrent ces fêtes de l’esprit qui sont dans la vie terriblement positive (le la plus coin mercuriale des villes françaises, comme autant de petites oasis de verdure et de fraîcheur intellectuelle.
Mai↑
Les uns, « Pour la culture
française », Gil
Blas, 16 mai 1912, p. 3-4.
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Le comité de direction de la « Ligue pour la Culture française » s'est réuni, hier, sous la présidence de M. Jean Richepin, de l'Académie française.
Après avoir procédé au renouvellement de son bureau, il a entendu le rapport du secrétaire sur la situation de la ligue.
« Notre action, dit-il, a eu déjà des résultats appréciables. La commission de l'enseignement, à la Chambre, est chargée d'étudier une révision des programmes établis en 1902. D'importantes modifications ont été réclamées par le conseil supérieur de l'Instruction publique. D'autre part, l'opinion des pères de famille encourage notre mouvement. Les statistiques {4} officielles témoignent d'une faveur croissante à l'endroit des études latines. »
Aussi le comité de direction a-t-il décide de continuer plus que jamais la propagande pour les humanités et de répandre les travaux et les idées de la ligue, afin d'obtenir une révision complète des programmes secondaires. Il a décidé la publication d'un nouveau bulletin et de deux brochures inédites : Les Humanités et les Médecins, par M. le professeur Grasset, de la Faculté de Médecine de Montpellier ; la Grèce et nous, par M. André Beaunier.
Ces travaux seront prochainement adressés aux membres de la ligue.
Les cotisations pour 1912 doivent être envoyées aux secrétaires, 8, rue Drouot, Paris.
Anonyme, « Jusque dans la
phynance », Le Ruy
Blas, 18 mai 1912, p. 14.
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Poète, homme libre aussi, fier, indépendant, Jean Richepin le fut jadis ; son souvenir a droit aux hommages pour la beauté de certains Blasphèmes et l’allure généreusement éloquente de la Chanson des Gueux.
Et puis vint l’habit vert. Des quarante, il en est. Après, bien entendu, avoir quémandé les suffrages de quelque trente-sept mortels immortels, il siégea près de M. Mézières et de M. Thureau-Dangin, collègues d’Hanotaux (Gabriel), l’homme qui fait coffrer les femmes comme il le mérite.
Jean Richepin voyagea. Le mot de Tailhade dut être créé pour définir sa fonction neuve : il commis-voyagea, portant dans les provinces une parole sacrée et même consacrée.
Puis, les honneurs municipaux lui furent dispensés, il devint, l’autre dimanche, édite de Montchauvet. Ayant escaladé ces montagnes de gloire, il devait aspirer à d’autres cimes encore : le voici devenu financier, ayant accepté la présidence de la « Société Electrique de Septeuil-Dammartin-en-Serve et extensions ».
Saluons bas cet omnicompétent dont les titres tiendraient malaisément sur le recto et le verso d’une carte de visite du plus grand format, mais souhaitons que dans la mémoire de générations futures le nom du financier et du conseiller municipal ne fasse pas oublier celui du poète honoraire.
Anoynme, « M. Jean Richepin élu
maire », Le Journal,
22 mai 1912, p. 1.
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M. Jean Richepin, qui habite le château des Trois-Fontaines, à Montchauvet, en Seine-et-Oise, avait été élu conseiller municipal de Montchauvet le 5 mai. Dimanche, il a été nommé maire par neuf voix sur dix votants. Le poète pourra désormais, sur son habit d’académicien, ceindre l’écharpe tricolore, ce qui ne sera pas banal.
Anonyme, « L’écharpe de Jean
Richepin », Le Monde
Artiste, 25 mai 1912, p. 15.
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Non loin du ru de Vaucouleurs, il existe un joli village qui vient d'élire pour maire notre Jean Richepin, le poète des Gueux, de la Mer et des Caresses. Les habitants de Montchauvet ont le droit d'être fiers de compter parmi eux l'orateur éloquent et harmonieux qui sait verser à la foule heureuse, à travers le rire et les pleurs, l'enthousiasme et l'indignation et les émotions, les tendresses, les douleurs, les pitiés et les espérances consolatrices de toute misère.
Jean Richepin est un de ces hommes que Platon redoutait, un de ceux qui sont la gloire et le conseil, la louange et le blâme, la croyance et le doute, enfin l'ornement le plus rare dont se puisse parer un grand peuple. Voici qu'aux palmes vertes de l'Institut, au ruban rouge de la Légion d'honneur, les habitants de Montchauvet ajoutent pour Richepin l'écharpe bleue, blanche et rouge, insigne des dignités municipales...
Le suffrage universel a quelquefois du bon sens, — et de l'esprit.
Juin↑
A. « Une conférence de M. Jean
Richepin », Le
Gaulois, 2 juin 1912, p. 2.
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L'œuvre du « Théâtre à la Caserne » offrait, hier soir, à la garnison de Paris, sa 150e représentation, dans la grande salle du Trocadéro, avec le concours de M. Jean Richepin, de l'Académie française, qui donnait une conférence sur « la Grande Armée ». L'assistance était en grande partie composée de délégations de tous les régiments de la garnison de Paris. Citons dans les loges :
Princesse de la Moskowa, duchesse d'Albuféra, Princesse Marguerite Murât, baronne de Bourgoing, vicomtesse de Savigny, Mme Edouard Dollfus, duc de Feltre, colonel et vicomtesse Fleury. M. et Mme G. Le Provost de Launay, marquis et marquise de Dion, M. et Mme Thouvenel, M. de Vallée, M. Querenet, M. Gabriel du Tillet, comte de Goyon, etc.
Les musiques des 103° et 24° d'infanterie jouèrent divers morceaux et notamment la Marche des Bonnets à poil, qui obtinrent le plus vif succès et soulevèrent de frénétiques applaudissements.
***
Dans un charmant avant-propos, Mme Andrée Forine de Mayerhoffen annonça que M. Jean Richepin ferait revivre aux yeux de l'assistance « les héros qui ont honoré de leur vie, de leur courage et de leur mort la grande épopée napoléonienne ».
Toute une série de projections des dessins de Raffet montrèrent des types de la Grande Armée, des vues de batailles, l'Empereur à Wagram, à Rivoli, au mont Saint-Bernard. L'apparition de chaque tableau était saluée) par des applaudissements.
Enfin vint l'éminent maître Jean Richepin, qui, avec un enthousiasme vrai, sincère, communicatif, annonça qu'il parlerait « des héros de la Grande Armée et de leur dieu » Il rappelle que c'est il y a cent ans, en 1812, « la véritable année terrible où, pour la première fois, l'infortune, le désastre commença à décimer la Grande Armée ». D'après le conférencier, Napoléon est dans l'histoire le seul héros qui ait deux effigies et deux légendes, « le meneur d'hommes et, d'autre part, le génie qui faisant la guerre allait répandre dans l'humanité « l'évangile de justice ».
Il rappelle avec émotion qu'il appartient à la dernière génération qui ait pu connaître et approcher des hommes ayant connu l'Empereur.
C'est alors une série d'anecdotes des plus attrayantes le brillant poète a des trouvailles d'expression des plus curieuses. Racontant l'histoire d'un vieux brave qu'il connut au Gros-Caillou, dont la poitrine était couverte de cicatrices, bleues, blanches, rouges, de toutes les couleurs, c'était, dit-il, un feu d'artifice de couleurs et de cicatrices Avec quelle bonhomie aussi M. Jean Richepin raconte ne le dites pas », ajoute-t-il qu'il fut enfant de troupe. Il a aussi une jolie allusion à la Marche des Bonnets à poil, au son de laquelle la garde entra dans l'armée ennemie à Austerlitz.
« Oui, dit-il, le Français est ainsi fait s'il va à la mort, il veut une fleur à la boutonnière, un sourire aux lèvres et danser un rigodon. »
Pour l'éminent conférencier, « le bûcher de Sainte-Hélène consacre la grandeur de Napoléon, comme le bûcher de Rouen fait Jeanne d'Arc vraiment grande, comme les cadavres de Waterloo consacrent la grandeur de la Grande Armée ».
***
Le succès de M. Richepin fut considérable il se retira sous une série interminable d'applaudissements.
On entendit encore de la musique militaire, une pièce en trois actes de M. Jean Richepin, Le Flibustier, par des artistes de la Comédie-Française. Enfin la sortie s'est faite pendant que les musiques jouaient Sambre-et-Meuse au milieu du plus vif enthousiasme.
A.
Le Diable boiteux, « La
Rosette », Gil Blas,
14 juin 1912, p. 1.
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M. Jean Richepin, depuis qu'il est entré dans la vie mondaine et s'est rallié à l'aristocratie française, obtient tous des honneurs. II est, en effet, très flatteur pour la société contemporaine que ce grand révolté soit enfin venu à ses conventions pour les approuver.
Élu maire de sa commune, et d'ailleurs aussitôt après empressé à des discours impérialistes retentissants, M. Jean Richepin caressait une nouvelle ambition : être officier de la Légion d'honneur. Cette ambition, il la réalisera. Au 14 juillet prochain, le ministre de l'Instruction publique récompensera le zèle républicain de M. Jean Richepin par la rosette rouge. Tout le monde sera ravi, même M. Jacques Richepin, qui saura, en bon fils, oublier qu'il est candidat à la croix de simple chevalier et attendra que la gloire paternelle soit satisfaite.
Juillet↑
Anonyme, « Inauguration du
monument de Camoëns », Mercure de France, 1er juillet 1912, p. 221-222.
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Sur l’initiative de M. Xavier de Carvalho, fondateur et secrétaire général de la Société des études portugaises de Paris, a été inauguré le 13 juin, dans un coin tout fleuri de Passy, non loin du Trocadéro, un buste en bronze de Camoëns, le grand poète portugais qui chanta en des pages immortelles les conquêtes héroïques de ses compatriotes aux Indes.
Les invités avaient pris place dans une tribune sobrement décorée de drapeaux français et portugais. On y voyait des poètes, des écrivains, des artistes, des diplomates, des membres des colonies portugaise et brésilienne. Les regards se portaient avec une curiosité sympathique sur une charmante Javanaise de dix-sept ans, vêtue de la robe sarong et de la veste badiou : Mlle Wilma Knaap, que M. René Ghil avait choisie pour réciter son poème A Camoëns.
Présidée par M. Jean Richepin, de l’Académie française, la cérémonie se déroula selon le rite habituel de ces manifestations littéraires. Des discours furent prononcés par M. Jean Richepin, qui parla en poète du chantre des Lusiades, faisant ressortir que le grand poète portugais avait droit de cité à Paris, tant par son génie, par la noblesse de sa vie, que parce {222} qu’il est le poète national d’un pays, qui fut, à une époque de son histoire, le champion de la civilisation latine. Puis il y eut les discours des représentants et délégués de la Société des gens de lettres, de la Société des poètes, de l’Académie brésilienne, de la Société des études portugaises, de l’Académie de Lisbonne, des Universités françaises et de la Société Victor Hugo. Mlle Wilma Knaap, dont le nom originel Si Sarin’ten' signifie : Porteuse de bijoux, obtint un succès des plus vifs en déclamant d’une voix chantante et avec les gestes retrouvés des danseuses de Java, les vers de M. René Ghil. Ces vers disent :
Camoëns ! ô toi des hommes et du destin,
Persécuté !
Entends-tu, sous Singapour, parmi
Le sud et les poissons volants, les pleurs qui heurtent
Le cœur, de mes « gamlong » au sanglot tant gémi,
Entendis-tu se plaindre et mon île et ma race,
Moi qui suis née à Java !
Où l’on aime qui aime ainsi que le sang va !
Après Mlle Knaap, des artistes de l’Odéon et de la Comédie-Française recueillirent des applaudissements enthousiastes. Le soir, un banquet, présidé par M. Joao Chagas, ministre du Portugal à Paris, réunit à l’Hôtel Continental les invités officiels et plus de cent cinquante convives. Après les dis cours de MM. Joao Chagas, Ferez Caballero, ambassadeur d’Espagne à Paris, Gay, syndic, au nom du Conseil municipal de Paris, Xavier de Carvalho, René Ghil, Martin Nadaud et Jules Bois, une partie artistique termina la soirée.
Adolphe Brisson, « M. Jean
Richepin », Excelsior, 25 juillet 1912,
p. 2.
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Officiers
M. Jean Richepin de l’Académie française
Voici enfin réparée, dans une lumière d'apothéose, l'inexplicable erreur qui fit condamner naguère la Chanson des Gueux. Jean Richepin est, depuis Hugo, le plus somptueux, le plus abondant, le plus populaire de nos poètes, le seul qui perpétue la tradition du grand vers lyrique et puisse, sans perdre haleine, animer de son souffle une épopée. Et ce virtuose, cet humain se penche avec une sympathie fraternelle sur les êtres... Il adore la vie. Sa carrière ressemble à un conte de fée, à un roman d'aventures. Et d'abord, savant humaniste, brillant normalien, il s'assimile la moelle des Grecs, des Romains, des vieux Gaulois. Puis il descend dans la rue. Il s'émerveille de ce qu'il y voit, car il a le goût passionné du pittoresque. Mais en même temps, il s'émeut. Une tendresse l’attire vers les déshérités, les miséreux, le gamin du pavé, la petite ouvrière des faubourgs, comme vers le vagabond philosophe portant sa besace, le saltimbanque poussant sa roulotte, comme vers le marin des côtes bretonnes, dont il partage un moment, le rude labeur. Il exècre le terre-à-terre de l'existence bourgeoise. Son imagination évoque le mystère des pays de rêve, l’Orient, l’Inde sacrée de Nana Sahib, ou bien les splendeurs de l'Urbs impériale et de Byzance. Lui-même, viril et superbe, il n'appartient pas à notre humanité rabougrie : Son torse semble voué à vêtir l'armure, sa main à brandir la lance des paladins.
Cependant par une étrange anomalie, cet insurgé, ce héros a l'instinct de l'ordre, de la clarté, le sens de l'équilibre, de l'harmonie, le respect des disciplines nécessaires et, en littérature, la haine de l'anarchie. Des liens indestructibles l'attachent au passé. Il se sent Latin. Fils reconnaissant, il embrasse ardemment la cause de l’Alma Mater ; il se proclame le chevalier de la culture classique. Ses discours, ses leçons sont des modèles de sage ordonnance. C'est sur la solide trame de Pénélope qu'il brode ses étincelantes improvisations. Car il est né orateur. Ce fut sa dernière incarnation, son plus récent miracle. Il ignorait cette force qui sommeillait en lui et n'attendait que l'occasion de jaillir. Elle lui a rendu ses vingt ans. Glorieux chemineau du Verbe, il parcourt l'univers, toujours prêt, jamais las. De toutes parts, on l'appelle...
Sa généreuse éloquence verse aux peuples le vin de l’enthousiasme, leur apprend à admirer, à aimer les choses de chez nous... L'Etat devait un hommage au plus magnifique de ses ambassadeurs : l'Ambassadeur de la Parole Française...,
Dangeau, « Quelques nouveaux
décorés », Gil Blas,
25 juillet 1912, p. 2.
JEAN RICHEPIN
M. Jean Richepin a une poitrine qui appelle, en quelque sorte, les décorations. Qui donc, entre les auditeurs et surtout entre les auditrices du prestigieux conférencier, n'a admiré la belle prestance de l'auteur des Blasphèmes, du touranien de jadis, devenu académicien, mais qui n'a rien abdiqué de sa superbe ?
Si le poète aussi bien que l'auteur dramatique, si le romancier autant que le conférencier n'étaient également dignes, en M. Jean Richepin, de tous les honneurs, on pourrait supposer que la dignité nouvelle dont le voilà revêtu va aussi à l'ardent défenseur des « humanités », à l'apôtre infatigable qui a répandu de toutes parts la bonne parole en faveur de la culture classique.
Le Diable Boiteux,
« Autrefois », Gil
Blas, 26 juillet 1912, p. 1.
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M. Jean Richepin, qui reçoit la rosette de la Légion d'honneur, a été fort complimenté, hier, à l'Académie : ses collègues, assez nombreux pour la saison, l'ont entouré et félicité. Il semblait fort content, lui, l'ancien touranien, et il goûtait les délices de ce succès académique.
C'est ce qui faisait dire à un de ses amis, sans aucune arrière-pensée de blâme, d'ailleurs :
— C'est étrange comme les hommes changent ! J'ai connu Jean Richepin détracteur enragé de l'illustre Compagnie. L'horreur de l'Académie était chez lui une sorte de hantise. Il s'attachait même à la faire partager à ses enfants. N'avait-il pas imaginé de leur représenter les académiciens comme des espèces de croquemitaines hideux et malfaisants ?
Quand son petit Jacques faisait le diable :
— Ah ! Jacques, lui disait-il, prends garde à toi, j'appelle un académicien !
« Je me souviens de l'avoir vu s'arrêter sur la plage de Deauville devant un paquet d'algues vertes et de varech et taper sur l'épaule de. Jacques :
— Vois-tu ceci, Jacques ? Sais-tu ce que c'est ? Ce sont des cheveux d'académicien. Il doit y en avoir un près d'ici. Je te recommande donc d'être bien sage. Sinon, je le ferai venir pour qu’il t'emporte.
Jean Richepin a évolué : le voilà orateur patriotique, membre de l'Institut, officier de la Légion d'honneur, et dans les délais strictement légaux, il sera commandeur !
Anonyme, « Gens et choses de
Lettres », Le Temps,
28 juillet 1912, p. 4.
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M. Jean Richepin — promu hier officier de la Légion d’honneur, et qui rattrape le temps perdu dans les grades et les dignités — a doté jadis la langue française d’un bien joli mot. C’était en 1877. Son éditeur, Maurice Dreyfous, lui proposa de collaborer à la Revue des Deux Mondes et porta à Buloz le manuscrit d’une jolie nouvelle, Sœur Doctrouvé, que le jeune écrivain venait d’achever. Buloz accepta, sous la réserve habituelle : le premier conte d’un débutant n’était jamais rétribué... Jean Richepin était pauvre et fier. Il refusa : « Pas d’argent, pas de nouvelle ! » Et il voulut, sans discuter, reprendre son manuscrit. Buloz trouva que le geste était d’un garçon résolu, s’amusa de la riposte et paya la nouvelle. Or, il y avait, dans cet article, un mot nouveau et bien sonnant qui frappa Littré. Le célèbre lexicographe le recueillit ; et l’année suivante, donnant un supplément à son dictionnaire, il inscrivit : « Chantonnement, sm. Action de chantonner... Qui engourdissaient ses derniers souvenirs comme un chantonnement de vieille nourrice. (J. Richepin. Revue des Deux Mondes, 15 mars 1877.) » M. Jean Richepin était ainsi désigné — il avait vingt-six ans — pour collaborer au Dictionnaire de l’Académie, et lui fournir des mots de sa façon.
Adolphe Brisson, « Jean
Richepin », Les Annales
politiques et littéraires, 28 juillet 1912, p. 68.
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Voici une rosette tardive mais bien gagnée. Jean Richepin est, depuis Hugo, le plus somptueux, le plus abondant, le plus populaire de nos poètes, le seul qui perpétue la tradition du grand vers lyrique et puisse sans perdre haleine animer de son souffle une épopée. Et ce virtuose, cet humain, il se penche avec une sympathie fraternelle sur les êtres... Il adore la vie. Sa carrière ressemble à un conte de fée, à un roman d'aventures. Et d'abord, savant humaniste, brillant normalien, il s'assimile la moelle des Grecs, des Romains, des vieux Gaulois. Puis il descend dans la rue. Il s'émerveille de ce qu'il y voit, car il a le goût passionné du pittoresque, mais en même temps il s'émeut. Une tendresse l'attire vers les déshérités, dont il partage un moment le rude labeur. Il exècre le terre-à-terre de l'existence bourgeoise. Viril et superbe, il n'appartient pas à notre humanité rabougrie : son torse semble voué à vêtir l'armure, sa main à brandir la lancé des paladins. Cependant, par une étrange anomalie, cet insurgé, ce héros a l'instinct de l'ordre, de la clarté, le sens de l'équilibre, de l'harmonie, le respect des disciplines nécessaires et, en littérature, la haine de l'anarchie. Des liens indestructibles l'attachent au passé. Il se sent Latin. Fils reconnaissant, il embrasse ardemment la cause de l'Alma Mater ; il se proclame le chevalier de la culture classique. Ses discours, ses leçons sont des modèles de sage ordonnance. C'est sur la solide trame de Pénélope qu'il brode ses étincelantes improvisations. Car il est né orateur. Ce fut sa dernière incarnation, son plus récent miracle. Il ignorait cette force qui sommeillait en lui et n'attendait que l'occasion de jaillir. Elle lui a rendu ses vingt ans. Glorieux chemineau du Verbe, il parcourt l'univers, toujours prêt, jamais las. De toutes parts on l'appelle... Sa généreuse éloquence verse aux peuples le vin de l'enthousiasme, leur apprend à admirer, à aimer les choses de chez nous... L'Etat devait un hommage au plus magnifique de ses ambassadeurs : l'Ambassadeur de la Parole Française.
Anonyme, « Les Conférences de
Jean Richepin », Les
Annales politiques et littéraires, 28 juillet 1912,
p. 85.
Nos jeunes cousines des Annales et toutes les petites Universitaires qui foisonnent dans les villes d'eaux vont avoir, cet été, le grandi bonheur d'applaudir leur éminent ami M. Jean Richepin. En effet, appelé de tous côtés par ses auditrices et admiratrices désireuses d'entendre résonner sa grande voix, le poète va donner une conférence dans chacune des villes suivantes : Vichy, Evian, Aix-les-Bains, Ostende, Blankenberghe, Namur, Scheveningen. Puis encore Deauville, le Havre, Cabourg, Dieppe, Biarritz, Royan, Arcachon, Bordeaux, Saint-Sébastien. Cette étonnante randonnée va combler de joie nombre de jeunes filles et de jeunes gens qui ne pouvant suivre les conférences de M. Jean Richepin à Paris auront du moins la bonne fortune de l'écouter au cours de leur villégiature. Un critique a appelé M. Richepin, l'ambassadeur français de la parole. Jamais il n'aura mieux mérité ce titre... cette tournée est digne de Molière.
Août↑
Akademos, « Joli Tambour », Gil Blas, 24 août 1912,
p. 1.
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J'ai été trouver mon vieil ami pour lui demander ce qu'il augure de la dernière séance académique. Rien n'est décidé encore.
MM. Alfred Capus, André Hallays, Pierre de Nolhac, et peut-être Edmond Perrin seront, vraisemblablement, candidats à la succession de M. Henri Poincaré. Certains font remarquer que le prédécesseur de M. Poincaré fut Sully-Prudhomme, un poète. Et il en va, paraît-il, de l'hérédité académique comme de l'hérédité physique : elle saute souvent une génération. Il conviendrait donc, cette fois, de choisir un poète.
– Quel candidat, parmi tous ceux dont on cite le nom, aurait donc des chances ?
– Peuh ! sait-on jamais. dit mon éminent ami.
Il caressa son front, et sourit. D'un sourire d'académicien naît souvent une anecdote sur un autre académicien.
– Tenez, reprit mon vieux maître, rappelez-vous l'élection de Richepin. Sa littérature méritait certes bien des épithètes, mais l'épithète « académique » semblait la dernière que l'on eût songé à lui appliquer. L'assaut serait dur. M. Richepin bomba le torse et fit jouer ses muscles. Mais c'est à d'autres moyens qu'il dut avoir recours pour emporter la citadelle.
« Ainsi, M. de Voguë ne rendait pas toujours au poète touranien la justice qui lui était due. M. Jean Richepin dut cependant rendre visite à M. de Voguë. La conversation fut peu nourrie. M. de Voguë accueillit le candidat avec une courtoisie parfaite, l'invita à s'asseoir, prononça quelques paroles, et le reconduisit jusque dans l'antichambre. M. Jean Richepin comprit que sa démarche, de l'antichambre au salon, du salon à l'antichambre de l'immortel, n'avait guère avancé ses affaires. Il fallait faire donner la garde.
Mais il n'apercevait point le mamelon derrière lequel elle se cachait.
« Or, tandis qu'il s'apprêtait à prendre définitivement congé, M. Jean Richepin avisa, pendu au mur, un tambour de forme ancienne.
— Le joli tambour ! s'écria-t-il.
— N'est-ce pas ? dit M. de Voguë, un peu froid.
— Permettez-moi de le regarder de plus près, reprit M. Jean Richepin. Et il s'excusa fort gracieusement, lui qui chantait la bohème, de son goût pour un instrument qui offrait quelque ressemblance avec un tambour de Bohémiens.
« M. de Vogue, de plus en plus froid, décrocha le tambour. M. Jean Richepin, de plus en plus extatique, le caressa comme un être vivant.,
— N'est-il pas indiscret de vous demander comment il est en votre possession ?
— Nullement : c'est le tambour du Royal-Voguë.
– Ah ! fit M. Richepin d'un ton pénétré.
– Ah ! ne me permettrez-vous pas de jouer un peu ?
— Faites donc, mais faites donc ! s'écrit M. de Voguë, agacé.
« Alors, M. Jean Richepin saisit les baguettes, et, avec un art consommé, il exécuta, en demi-teinte, la marche même du régiment de Royal-Voguë ! Dès la première mesure, toute trace d'impatience s'effaça sur le visage de l'académicien. Au bout de quelques secondes, il souriait. M. Jean Richepin regardait, gardait, sur ce visage d'immortel, son ciel qui redevenait serein.
« Quelques semaines plus tard, M. de Voguë donnait son vote à M. Jean Richepin. Mon vieil ami se tut, puis, me serrant la main :
— Vous voyez, dit-il, l'œuvre d'un candidat est quelque chose, mais les circonstances, et surtout le parti que l'on en tire, importent bien davantage. Au reste, s'il faut un poète pour le fauteuil de M. Poincaré, M. de Nolhac n'a-t-il pas écrit des sonnets, et M. Capus de petits vers ? Leur violon d'Ingres pourra bien remplacer le tambour du Royal-Voguë.
Septembre↑
Anonyme, « Pour le relèvement
de la Corse – Les congrès d’Ajaccio », Le Petit Provençal, 6 septembre 1912,
p. 4.
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[…]
Une entente entre groupements – L’action de M. Richepin
Ajaccio, 5 Septembre.
La présence de l’académicien Jean Richepin a permis un rapprochement entre la Fédération des Syndicats d’Initiative et l’Union Générale des Amis de la Corse. Ce rapprochement fut en partie l’œuvre de M. Gistucci, conseiller général de Bastelica. M. Richepin, convié au banquet qui clôturait les travaux de la Fédération des Syndicats, parla éloquemment des groupements corses qu’il représenta comme des métaux précieux en dissolution ayant fini par faire un mélange représentant enfin un lingot inestimable. M. Grasse parla ensuite, ainsi que MM. Gistucci, Frassetto, Poli, président de l’Union Générale ; Omessa, Casanova, avocats parisiens. Enfin, un Arabe en costume oriental.
Interpellé par M. Richepin dans sa langue maternelle, l’Arabe répondit en pure français exprimant les sentiments bienveillants de sa race à l’égard de la Corse.
Ce matin, le Congrès de l’Union Générale des amis de la Corse ouvrit la séance sous la présidence de M. Richepin qui, en président sévère, exigea de la méthode et pria les congressistes, en quelques mots brefs, de s’en tenir à la discussion des affaires et d’abuser plutôt des chiffres que des effets oratoires.
M. Poli fit un long discours où les parlementaires corses furent un peu étrillés. Il a exposé la misère de la Corse et demande des secours. M. de Pianelli, trésorier-payeur de l’Aveyron, succède à l’orateur. Il s’élève avec des documents contre l’accusation injuste dont souffre le Corse. Au sujet du jury d’expropriation dans les opérations relatives à la construction de la voie ferrée qui nous vaut le retard apprté à la construction de la ligne de Ghisonnaccia à Bonifacio, dont les travaux viennent à peine de commencer. M. Pianelli démontre que les craintes conçues sont injustifiées. En comparaison des appréciations de certains jurys continentaux, les exagérations du jury corse sont peu importantes.
M. Richepin lève la séance en annonçant que la séance du soir sera présidée par M. Stévenon, délégué du Touring-Club.
En ville, beaucoup d’animation : les courriers intérieurs amènent des centaines d’individus curieux d’assister aux séances du Congrès et surtout d’entendre Richepin, qui va conférencier sur la légende napoléonienne.
[…]
Anonyme, « Pour le relèvement
de la Corse – Les congrès d’Ajaccio », Le Petit Provençal, 7 septembre 1912,
p. 3.
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[…]
Une conférence de Jean Richepin
Ajaccio, 6 Septembre.
Dans l’après-midi, Jean Richepin a fait une conférence sur la légende de Napoléon au Théâtre municipal Saint-Gabriel.
Le poète des Blasphèmes a obtenu un succès inouï.
Une ovation formidable a été faite à M. Richepin qui a été couvert de fleurs et traîné jusqu’à l’hôtel, dans une voiture à bras.
Anonyme, « Pour le relèvement
de la Corse – Les congrès d’Ajaccio », Le Petit Provençal, 8 septembre 1912,
p. 2.
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Ajaccio, 7 Septembre.
La soirée de gala organisée au Théâtre en l’honneur de Jean Richepin a obtenu un succès inouï. Une troupe d’amateurs jouait le Flibustier, qui valut à l’auteur, une ovation grandiose.
La dernière séance du Congrès de l’Union générale des Corses est ouverte à 9 heures sous la présidence de MM. Richepin et Poli. M. Pinelli, président de la section d’Ajaccio, émet le vœu que le projet de voie ferrée d’Ajaccio à Calvi, avec embranchement complet, soit mis à l’étude aussitôt que possible. M. Giacomoni prie la Compagnie C.F.D., qui déjà a fait un effort sensible, de tenir ses promesses d’amélioration des services.
M. Etévenon renouvelle le vœu concernant le tourisme. Tous les vœux émis par le Congrès seront renouvelés au Conseil général.
M. Richepin a prononcé un vibrant discours, affirmant que tous les vœux justes, émis dans les séances du Congrès, seront bientôt réalisés. Il remercie le peuple corse de sa réception grandiose, qu’il n’oubliera jamais.
Le banquet clôturant les travaux du Congrès, eut lieu à midi. Deux cents personnes y assistaient. De nombreux toasts ont été portés à la Corse.
M. Jean Richepin a quitté Ajaccio par le courrier de Marseille, accompagné par les représentants de la colonie corse à Paris.
Anonyme, « Le poète et
l’historien », Le Monde
Artiste, 7 septembre 1912, p. 571.
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Jean Richepin et Ernest Lavisse se sont rencontrés il y a quelques jours sur les bords du Léman. L'un a fait une conférence et a dit de belles choses sur le pouvoir surnaturel des fées ; l'autre a achevé une convalescence délicate, suite d'une opération chirurgicale.
Jean Richepin et Ernest Lavisse sont deux académiciens de la Thiérache.
Jean Richepin ne retourne jamais dans son pays natal qu'il aime pourtant, et où ses grands-parents dorment dans un petit cimetière bien calme. Il s'est contenté d'en décrire les mœurs pittoresques, les bois, les rivières, les étangs et les beaux paysages en des histoires fort touchantes.
Ernest Lavisse, au contraire, y retourne chaque année, et il parle aux enfants des écoles de Nouvion ; il leur tient un aimable discours, de forme simple, où la pensée conseille de grandes choses.
Le clair pays où sont nés Jean Richepin et Ernest Lavisse est un des jolis coins de France.
Octobre↑
Paul Merrien, « Un ‘‘repris de
Justice’’ à l’Académie : Jean Richepin », La Semaine politique et littéraire de
Paris, 13 octobre 1912, p. 1-10.
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A la dernière session des Assises, parmi le jury bourgeois que sa présence impressionne : Jean Richepin. Trente-six ans ont passé depuis l'affaire de La Chanson des Gueux, du banc d'infamie, le grand poète, académicien et légionnaire est venu à celui du jury. Encore un qui a su —et avec quelle maestria — passer de Vautre- côté de la… balustrade.
Nul ne pouvait mieux dire cette vie magnifique en son évolution que l'ami intime et dévoué, l'admirateur passionné à qui nous devons ces très belles pages.
Il est doux à la fois et amer d’avoir vécu dans le commerce journalier d’un grand poète. La vie fait toujours trop tôt de ces joies des souvenirs.
Parler de Richepin, pour qui l'a connu et aimé, c'est un, peu, toutes proportions gardées, comme si l’on eut demandé jadis à un grenadier de la garde de raconter les faits et gestes du « petit tondu ».
Ceux du poète « à tous crins », pour être moins épiques, valent d'être retracés, et surtout mis au point. Car nul plus que lui, peut-être, n'a prêté à la légende. – Richepin, qui, de son petit-nom, ne s'appelle pas Jean, mais Auguste-Jules, est né à Médéah (Algérie), le 4 février 1849. Il a donc aujourd'hui soixante-trois ans bien sonnés. A en croire une légende qu'il dut prendre soin de forger lui-même pour qu'elle fût poétique à souhait, il aurait dans les veines un peu du sang aventureux de ces bohémiens errants qu'il a chantés dans Miarka. Il aurait eu de la sorte pour aïeux un couple de romanichels qui, voilà deux siècles, s'arrêtèrent en Thiérache, dans la vallée supérieure de l'Oise, et se fixèrent ensuite dans la région.
Bohémianisme sédentaire, si ces mots ne juraient d'être accolés, tel serait, à nie considérer que ses ascendants, le caractère dominant de la personnalité du poète.
Il est juste de reconnaître que, physiquement tout au moins, Richepin offre le type exact de ces intrépides coureurs de routes : la tignasse crépue, dont les boucles épaisses, jadis couleur de raisin noir, aujourd'hui poudrées de givre, ombrent le front et les tempes ; la face mate et bistrée, couleur de sépia, où luit le fauve éclair des yeux au reflet de cuivre : enfin, il possède au suprême degré le goût un peu barbare des bijoux éclatants et des étoffes voyantes.
Victor Hugo affirmait péremptoirement sa filiation avec les Burgraves du Rhin. Richepin, plus modeste, se contente, lui, pour ancêtres, de montreurs d'ours. Il est vrai que ces montreurs d'ours tresseurs de corbeilles et rétameurs de bassines, sont les descendants directs des Touraniens farouches débusqués" des hauts plateaux asiatiques par tes Aryens à peau blanche, et condamnés depuis lors à promener leurs caravanes à travers le monde. Attila, holà ! était un Touranien, et aussi Tamerlan. Ce sont là en définitive, de fort honorables aïeux.
{2}
Mais, à ne considérer que la réalité, avant d'être Touranien, Richepin est très certainement Picard. Son père était médecin militaire, et c'est au seul hasard de la vie de garnison qu'il dut de naître en Algérie. Toute sa parenté a vécu et vit encore sur la terre de Thiérache, A Ohis, on a conservé longtemps le souvenir d'un de ses grands-oncles, fin laboureur, qui, jusqu'à quatre-vingt-dix ans, tint à herser et ensemencer lui-même son champ. Il aimait sa terre d'une tendresse sans bornes, tendresse qu'il étendait volontiers aux jolies filles d'alentour. Le petit-neveu devait, sur ce chapitre, hériter des robustes appétits de l'oncle.
Son père et sa mère sont morts, l'un en 1888, l'autre deux ans plus tard. C'étaient de très braves gens, d'âme simple et de mœurs austères, pratiquant les vertus de la vieille bourgeoisie. Maintes fois ils eurent à déplorer les écarts du grand enfant dont les frasques retentissantes contrastaient leurs idées.
Aujourd'hui, ils seraient apparemment satisfaits de voir que l'enfant prodigue a regagné le bercail, et, au bout de ses prétentaines, s'est acquis un gîte confortable et sûr sous la coupole de l'immortalité. De bonne heure, Richepin fut mis au lycée, et s'y montra élève studieux et brillant, nullement enclin à l'indiscipline. Au Lycée de Douai, puis au Lycée Charlemagne et à l'Institution Massin, il remporta régulièrement tous les prix, aussi bien d'arithmétique et de grec que de dessin et de gymnastique,
Son père qui, retraité de l'armée, s'était retiré à La Fère, où il exerçait la médecine, eût bien voulu léguer sa clientèle à son fils. Mais Riehepin ne se sentait nullement attiré vers la carrière hippocratique. Les lettres le captivaient déjà. Dès l'âge de quinze ans, son pupitre était plein d'ébauchés de tragédies à la Casimir Delavigne et de milliers de vers dans le goût des Orientales ou des Méditations. Comme sa famille, peu fortunée, ne lui eût assurément pas fourni les moyens de s'établir poète, —profession peu lucrative quand il ne s'y adjoint pas quelque honnête métier, — il choisit celui qui s'apparentait le mieux à ses goûts, le professorat. Et c'est ainsi qu'après avoir conquis ses diplômes, il prépara le concours de l'Ecole normale supérieure. Il y fut admis en 1868.
De ses camarades de promotion, la plupart ont poursuivi leur carrière dans l'Université. Collignon, Brochard, Séailles, tous trois professeurs en Sorbonne ou au Collège de France : Emile Faguet, qui est aujourd'hui à l'Académie le voisin de fauteuil de son ancien condisciple, et qui, fait à noter, depuis ses débuts dans la critique, l'a constamment et systématiquement éreinté.
A quoi tiennent les opinions humaines !
Un jour — c'était peu de temps après son entrée à l'Ecole — Richepin avise au milieu d'un groupe un petit jeune homme, maigriot et chafouin, portant lorgnon, qui s'en donnait à cœur joie de dauber sur Victor Hugo. C'était Faguet, qui s'entraînait à la critique littéraire. Or, Richepin, dès cette époque, - il n'a jamais varié d'opinion — considérait comme un dieu l'auteur des Châtiments. Il prit à partie le petit jeune homme chafouin, et, de controverse en discussion, finit par administrer à l'hugophobe une maîtresse raclée, qui, si elle ne modifia pas son opinion, modifia du moins le bel ordonnancement de sa cravate. Le critique ne devait jamais pardonner au poète cette première défaite : il lui a rendu à coups de plume, et pendant quarante ans, la monnaie de sa « pile ». Et je ne suis pas bien sûr qu'aujourd'hui même, grisonnants et académiciens, ils se soient réconciliés.
Pendant son séjour à l'école, Richepin amassa une énorme érudition. Moment heureux où le cerveau, comme une éponge avide et jamais saturée, s'imprègne délicieusement de lectures ! Vers ou prose, classiques ou romantiques, modernes et anciens, tout ce qui passait à sa portée servait à son énorme curiosité de connaître, s'incrustait dans sa mémoire avec une fixité d'airain. Toute sa vie, Richepin appliquera ses soins à entretenir et fortifier en lui cette érudition de ses débuts. Mais, suivant les vieux préceptes des Grecs et des Romains, qui furent de tous temps, et, surtout à l'école, ses maîtres préférés, il s'évertuait à développer son corps en harmonie avec son intelligence, et témoigna dé bonne heure d'une vive passion pour tous les exercices physiques. Il professait notamment un goût très prononcé pour la natation. Dans l'entre-temps des cours et les jours de sortie, il fréquentait assidûment les bains Deligny, près du pont d'Austerlitz. Il y avait foule sur la berge pour le voir piquer des têtes du haut de la girafe, et il ne tarda guère à conquérir l'insigne glorieux du caleçon rouge, but suprême des ambitions des nageurs.
{3}
On sait que le stage imposé à nos futurs universitaires est de trois ans : et déjà, à la fin de sa seconde année d'école, le jeune normalien, avide de liberté, sent bouillonner en lui les fougueux instincts qui, bientôt, le porteront vers l'aventure.
Les événements hâtent sa décision. Nous sommes en 1870, et la guerre vient d'éclater. Coup sur coup, les désastres se précipitent, viennent jeter l'amertume et le deuil au cœur de la France.
Fils de soldat et petit-fils de paysan, le jeune normalien devait sentir doublement la colère de la défaite. Il pourrait, en vertu de son engagement décennal dans l'Université, se dispenser d'accomplir son devoir de soldat. Il n'a qu'à faire comme les autres et reprendre sa place, à la rentrée, sur les bancs de l'école. Mais quel poète ne se sent un Tyrtée quand le territoire est envahi et que la patrie souffre ? C'est le moment où Théophile Gautier, malade et presque moribond, se faisait transporter de Genève à Paris, et écrivait à l'une de ses filles cette lettre à la Spartiate : « On bat maman : j'arrive. »
Richepin, lui, donne sa démission, renonce à ses prérogatives, à la sécurité matérielle qui l'attend dans l'enseignement, encourt bravement la colère maternelle — c'est son premier acte de révolte : mais qui aurait le courage de l'en blâmer ? -— et s'engage, à Besançon., dans les volontaires de Bourbaki. Et c'est ainsi qu'il prit part, d'un bout à l'autre, à cette admirable campagne de l'armée de l'Est qui fut une des revanches de l'Année terrible.
En mars 1871, il rentrait à Paris. Logé rue de Vaugirard, sous les combles (car il n'était pas riche), il assista, du toit de sa mansarde, aux derniers combats et aux incendies de la Commune. Il nous en a laissé un tableau émouvant dans Césarine. Et, les derniers jours de la Semaine sanglante, il vit de son observatoire les fusillades qu'amena la répression et qui eurent pour théâtre, à vingt mètres de sa maison, le mur tragique du Petit-Luxembourg. Cette vision abominable a suffi à le détacher à tout jamais de la politique et de l'utopie sociale. Richepin n'a jamais allumé d'incendies que dans son imagination et n'a souhaité d'autres flammes que les feux de l'aurore ou les embrasements d'un beau coucher de soleil.
De 1872 à 1876, année où paraîtra son premier grand ouvrage, La Chanson, des Gueux, Richepin va mener ce qu'on est convenu d'appeler la vie de bohème, à la façon des héros de Murger et de Murger lui-même, avec ses libres joies, ses essors, mais aussi ses privations et ses détresses. Il aime passionnément ce qui en fait le charme, l'aventure perpétuelle, l'imprévu, toutes les folies et toutes les ivresses de l’indépendance, les jeunes grisettes qui égayent de leur sourire rose la misère des heures noires. Delà ce symbole auquel il reviendra toujours, du chemineau et du nomade, en marge de l'existence, et qui lui sert à mépriser le bien-être vulgaire, à mettre au-dessus de tout le lyrisme et la contemplation, la fréquentation salutaire des petits et des humbles. Il y trouvera aussi cette tendresse profonde que l'on éprouve à vivre parmi les pauvres gens, et qui, plus- que les autres, émeut les délicats, les lettrés, les artistes.
Evoquons un peu de nos adolescences à travers la sienne : heures enguirlandées à la fois de tristesses et de joies, où s'affirme le caractère, et sur lesquelles la jeunesse jette son voile éclatant d'illusions.
Sans ressources, renonçant hardiment à la vie régulière, brouillé avec ses parents, Richepin se lance dans l'imprévu, et s'établit poète, tout simplement. Il va même jusqu'à ouvrir une boutique en plein Quartier latin, avec cette enseigne : « Poèmes sur commande. — Vers à toute heure de jour et de nuit. » Il a pour associé dans ce commerce, au moins original, un jeune homme qui demeurera toute sa vie l'ami le plus cher de son cœur : Raoul Ponchon, poète lui-même, et fils d'un officier, qui fut le camarade de son père. Les deux enfants, après avoir joué tout gamins, se retrouvent l'un et l'autre adolescents chevelus, aux gais sentiers de bohème, et continueront de cheminer côte à côte, l'existence durant, aux sentiers toujours verts des vieillies amitiés.
Le commerce de vers, sous la raison sociale « Richepin, Ponchon et Cie », est loin de prospérer. Les amateurs sont rares. Il faut trouver autre chose.
Richepin entre comme répétiteur dans une « boîte à bachots », l'institution Roger-Momenheim. Là, il se lie d'étroite amitié avec un camarade de lettres, répétiteur et besogneux comme lui, et ce jeune pion se nomme Paul Bourget. Grâce à son érudition, Richepin fait la conquête du directeur de l’établissement, et son physique avantageux lui {4} vaut les bonnes grâces de la fille du directeur. Il ne tient qu'à lui de convoler avec elle. Mais... Rappelez-vous la fable du loup et du chien. Le louveteau fringant ne se sent pas d'humeur à passer si prématurément le collier nuptial. Il reprend sa liberté, non sans user de son influence pour faire entrer dans la place, et à sa place, un pauvre diable d'étudiant de lettres, miteux et loqueteux, qui crie famine sur le-pavé", le jeune Ferdinand Brunetière. En mémoire de cette bonne action, le futur académicien et directeur de la Revue des Deux-Mondes ne perdit jamais une occasion d'éreinter copieusement son bienfaiteur.
Pendant un temps, Richepin donne de-ci de-là des leçons particulières. Il a tour à tour les plus étranges élèves : un nègre, qu'il n'a jamais connu que sous le nom de « Pipi » ; un Chinois, et, enfin, un Anglais de noble race, le propre fils d'un lord auquel il inculque, en guise de français classique, le plus pur argot de Montmartre, si bien que le fils des lords retourna dans sa patrie, lesté d'un riche vocabulaire à la Bruant, et qui ne pouvait lui servir que pour accomplir tout au plus la tournée des grands-ducs ».
Entre temps, Richepin collaborait à divers journaux : au Mot d'Ordre, au Corsaire, à La Vérité. Lorsqu'il avait mis de côté quelque petite somme, péniblement gagnée, il partait aussitôt pour Londres. La vieille Cité exerçait sur lui un irrésistible attrait. Les gueux de là-bas ne le cèdent guère en pittoresque à ceux de Paris. Il vivait dans les tavernes de White Chapel et des docks, pêle-mêle parmi les loqueteux, se nourrissant de bière aigre et de poisson fumé. Parfois les quelques sous nécessaires à sa subsistance lui faisaient défaut. Alors, invoquant les procédés du grand ancêtre Villon, patron des poètes faméliques, il avait recours pour se nourrir à quelque subterfuge. Celui-ci était le plus fréquent.
L'on sait qu'il existe à Londres des sergents recruteurs qui, semblables à nos racoleurs d'autrefois, parcourent les rues, à l'affût de jeunes gens robustes et sans situation. Ils les emmènent au cabaret, leur offrent à manger et à boire, les grisent, et, finalement, leur font signer un engagement au moyen duquel ils se réveillent soldats pour sept ans, au service de Sa Très Gracieuse Majesté. Richepin, au courant de ces procédés, se promenait nonchalamment aux abords des quartiers fréquentés par les recruteurs. En avisant ce gaillard, robuste et bien bâti, les sergents se disaient : « Voilà notre affaire ! » La conversation s'engageait. Le poète, prenant un air niais, se laissait entraîner. Et, quand grâce à l'appoint d'une quantité respectable de pintes de pale aie et de tranches de rosbif, l'entente cordiale était cimentée; lorsque, surtout, Richepin, pourvu d'un estomac plein de noblesse et d'une capacité supérieure à celle de ses entraîneurs, avait réussi à les griser, il ne lui restait plus qu'à filer... à l'anglaise. L'académicien d'aujourd'hui doit ainsi quelques bons repas à la couronne d'Angleterre.
A Paris, et surtout au cœur de Paris,— entendez au Quartier latin d'alors, —Richepin jouissait dès cette époque d'une suprématie incontestée. Notre ex-ministre des Affaires étrangères, Stephen Pichon, alors étudiant timide, pourrait dire quelles ovations étaient faites au poète lorsqu'au milieu d'un cortège de femmes, tel un empereur romain, il entrait à Bullier. Il tenait ses assises tantôt au café Tabouret, à l'angle des rues Racine et de Vaugirard, où le patron, plein d'admiration, lui réservait le coin que jadis occupait Baudelaire, tantôt dans un petit café du boulevard Saint-Michel, le « Sherry Gobler », siège social du Club des Hydropathes. On y rencontrait d'étranges clubmen, et la société y était parfois un peu mêlée. A côté de futurs ministres de la République, comme Bourgeois, Stephen Pichon, déjà nommé (que l'on y surnommait Stéphanie), fréquentaient des étudiants comme Lebiez, le futur assassin de la rue d'Hauteville. On y voyait aussi Sapeck, le farceur impénitent, qui mourut conseiller de préfecture et fou ; André Gill, le caricaturiste génial, que guettait aussi Charenton, et. Glatigny, en vêtements blancs, été comme hiver, un cache-nez blanc lui enserrant le cou, étrange apparition de Pierrot poitrinaire, se fatiguant après un cigare qui menaçait à chaque instant, comme son possesseur, du reste, de s’éteindre pour toujours; et le poète Alfred Poussin, qui, possédant pour vingt sous de linge, devait cent francs de blanchissage ; et ce pauvre grand homme de Villiers de l'Isle-Adam, qui, aux jours de noire détresse, se louait dans un asile d'aliénés, pour y jouer le personnage du fou guéri : celui que l'on montre aux visiteurs pour témoigner de l'efficacité du traitement; et ce pauvre Cabaner, aussi, mort à vingt-huit ans, musicien génial, qui dînait d'un bout de l'an à l'autre d'un hareng saur macéré dans du riz, et qui, ayant fait un petit {5} héritage, lequel allait lui permettre enfin de manger à sa faim, mourut littéralement de bien-être et d'indigestion.
On ne peut s'empêcher d'accorder un souvenir attendri à ces doux enfants de bohème, chevaliers errants de la plume et du pinceau, chercheurs d'infini et marchands de chimère, qui n’avaient d'autre joie que de se rassembler en tas, comme des oiseaux frileux, pour réchauffer leur enthousiasme et parler de l'œuvre qu'ils avaient rêvée, et qu'ils ne devaient, hélas ! jamais faire. Richepin, lui, avait trop de vitalité et d'orgueil pour ne pas faire la sienne. Et il se consolait de. la dure détresse en faisant de beaux vers. La Chanson des Gueux paraît, au mois d'avril 1876, chez un petit éditeur de Montmartre, le libraire Decaux. Le livre obtient un retentissant succès. L'on sait quelle mésaventure advint au poète à la suite de cette publication. Quelques poèmes offensent la pudeur d'un journal qui n'avait pas jusqu'alors passé pour un parangon de vertu. Sur dénonciation du Charivari, le volume est saisi le 24 mai 1876, et une instruction ouverte contre l'auteur pour attentat aux mœurs. C'était le temps où régnait « l'ordre moral », plus oppressif que l'Empire. On était alors enragé de vertu, et les mœurs étaient, on peut le-dire, effroyablement protégées. Mais il en est de la protection des mœurs comme de celle des denrées. Plus on les protège, moins il y en a. C'est l'histoire de l'excellente dame qui collait des feuilles de papier sur certains passages d'un livre qui lui semblait suspect, avant de les confier à sa fille. La jeune demoiselle ne manquait pas de la sorte un de ces passages troublants dont quelques-uns auraient tout probablement passé inaperçus, sans la précaution de la bonne mère. Les véritables outrages à la pudeur sont commis, au fond, par ceux qui les poursuivent, et, à cet égard, il n'y a pas de livre dont la lecture soit plus pernicieuse que La Gazette des Tribunaux.
Quoi qu'il en soit, le 15 juillet 1876, Richepin fut condamné par le tribunal correctionnel delà Seine à un mois de prison et cinq cents francs d'amende, sous l'inculpation « d'outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs ». Privé de ses droits civils et politiques, le poète ne devait les reconquérir qu'en 1895, grâce à un article spécial introduit dans la loi d'amnistie par son vieil ami Pelletan. Jusqu'alors, il était considéré purement et simplement comme un « repris de justice », passible, à seconde récidive, de la relégation et pouvant, fort tranquillement, être expédié à la Nouvelle. Il ne fait pas bon, même pour les poètes, avoir maille à partir avec la justice de leur pays. Quant à celle de la foule, elle eut tôt fait d'absoudre l'auteur de La Chanson des Gueux. Dix éditions du volume affirmèrent son succès, et ce fut du jour au lendemain la célébrité pour Richepin.
Année par année, depuis 1876, ses œuvres vont se succéder, vers et prose, théâtre et roman, avec une verve prodigieuse.
C'est d'abord, en 1877, un second recueil de vers, Les Caresses, où chante toute l'adolescence passionnée du robuste gars, friand de la vie, et qui saisit avec transport, toutes les joies qu'elle met à sa portée. Que l'on se rappelle le grand-oncle de Thiérache qui, de vingt à quatre-vingts ans, avait, tout en semant sa terre, fait l'amour à la ronde et peuplé le pays d'autant de rejetons qu'il y a de marguerites dans un pré. De même, Richepin, dans la grande forêt de pierre, a mené la vie éperdument amoureuse d'un faune en liberté dans une forêt véritable. Et tous ses émois passionnés revivent dans ce livre des Caresses, suite de cantiques ardents à la gloire de la femme. La même année vit éclore un recueil de nouvelles à la façon d'Edgar Poe, Les Morts bizarres, et cet admirable livre, Madame André, qui, non seulement est le meilleur de Richepin, mais, au dire des critiques, un des meilleurs romans de la fin du xix° siècle.
Combien cet homme est admirablement doué, il suffit de parcourir la liste de ses œuvres, en trente ans de vie littéraire, pour s'en convaincre. Prosateur autant que poète, son lyrisme n'a pas cru déchoir en abordant la réalité familière et simple, ce que Stendhal nommait « l'âpre vérité », et Maupassant « l'humble vérité ». Il l'a fait, connaissant des fortunes, diverses, mettant aux prises dans La Glu la perversité morbide, raffinée d'une fille de Paris avec la bonne santé et la sauvagerie d'un simple matelot, dressant la mère et la maîtresse en face l'une de l'autre ; allant au profond des mœurs paysannes avec Le Cadet ; faisant une incursion au pays de la' métaphysique amoureuse et sensuelle avec L'Aimé. Et encore : Braves Gens, Flamboche, Lagibasse, et toute cette série de notes, de croquis, de portraits de gueux, encore, gueux de la {6} rue, du théâtre : Le Pavé, Truandailles, Cauchemars, La Miseloque, etc.
Il a eu surtout dans cette recherche de la vérité une belle découverte, cette création de femme : Madame André. C'était, dix ans d'avance, tout le roman psychologique de Bourget. Sans décor, sans drame extérieur, Madame André reste la figure initiale, assurée de vivre, parmi le groupe des femmes animées par la littérature.
Ce combat entre la femme consciente, noble de cœur, liante d'intelligence, image de force et de beauté, et l'homme faible, changeant, inférieur, alimenté par le vivant génie de sa maîtresse, ce combat est un des plus poignants auxquels on puisse assister par la lecture.
La Chanson des Gueux arborait le drapeau, de la révolte sociale ; Les Blasphèmes arborent le drapeau de la révolte philosophique. Le poète y instruit le procès de toutes les chimères et des superstitions rêvées par l'humanité bégayante, Mais il y a un culte, pourtant, devant lequel s'arrête et s'incline l'athéisme du poète ; un culte pour lequel il n'est point d'athées, et Richepin, moins que tout autre : c'est le culte de l'art. Ce culte, et aussi l'entraînement fougueux d'un tempérament passionné, devaient précisément -à cette époque — c'était en 1884 — l'entraîner dans une des aventures les plus retentissantes de sa vie : cette liaison fameuse avec celle qui commençait à être, et est demeurée depuis lors, la grande tragédienne, notre toujours divine, et, par conséquent, immortelle Sarah.
Ils se rencontrèrent pour la première fois à l'Ambigu, dont Sarah était directrice, au moment des représentations de La Glu, en 1881, Sarah ne jouait pas dans la pièce où débutait une toute jeune actrice, figurante de la veille, au nez mutin, à la voix canaille, et qui, depuis, a fait elle aussi son chemin au théâtre, puisqu'elle se nomme Réjane.
C'était aussi le début à la scène de Richepin ; un début sensationnel, car la pièce, après avoir été sifflée (c'était, dix ans avant la lettre, tout le Théâtre Libre), alla aux nues et dépassa la centième.
Richepin arrivait au théâtre, précédé d'une réputation de bohème qui, pour être en partie légendaire, était fondée néanmoins sur d'étonnantes aventures. On savait que, pour les beaux yeux d'une fille tzigane qu'il devait immortaliser dans Miarka, il avait, durant un mois, vécu avec des romanichels, en famille, dans la forêt de Fontainebleau. On savait également que l'année précédente, en 1880, las de crever de misère et de. : s'épuiser à chercher sur le pavé de Paris un or problématique, il avait résolu de s'expatrier et d'aller chercher de l'or pour de bon au Colorado ou au Brésil. Dans cette intention, il s'en va à pied de Paris à Bordeaux, et là, durant de longues semaines, il travaille comme débardeur sur les quais pour gagner le prix de son passage à bord d'un voilier en partance pour l'Amérique. Un de ses camarades de Normale le rencontre la veille du jour où le navire doit lever l'ancre, le dissuade de s'embarquer et l'emmène à Marseille où il fonde un journal dont Richepin devient le rédacteur en chef. Six mois après, le journal fait faillite, et Richepin se retrouve de nouveau sur le pavé, devant une somme considérable à l'hôtelier qui l'héberge. Celui-ci lui offre d'acquitter sa note, à condition qu'il épouse sa fille ; et comme Celle-ci est fort jolie, Richepin accepte. Et le voilà de retour à Paris, marié, toujours très pauvre, mais résolu, coûte que coûte, à forcer le succès. Un an plus tard, La Glu triomphait sur la scène de l'Ambigu. Puis Sarah-Bernhardt ayant pris la direction de la Porte-Saint-Martin, monte Nana- Sahib dont elle incarne, cette fois, l'héroïne Djemma. L'acteur Marais, qui venait de créer Michel Strogoff, joue le rôle du révolté Indien qui soulève les cipayes contre l'Angleterre. Or, à la troisième représentation. Marais tombe malade. Grand désarroi : on a négligé de faire doubler les rôles ; les recettes sont magnifiques, la location superbe. C'est un désastre pour le théâtre. Le soir même, Richepin joue le rôle au pied levé. Il remporte un triomphe. Là-dessus, scandale dans la presse. Les comédiens jouissaient encore, à cette époque, d'une considération modérée. Il n'y a guère qu'une dizaine d'années qu'on les nomme des « artistes » et qu'on les décore. C'étaient alors des « cabotins », On décoche à Richepin l'épithète infamante, sans penser que naguère, ce double rôle de poète et d'interprète de leurs œuvres n'avait déshonoré ni Molière, ni Shakespeare Mais qu'importaient à Richepin ces clameurs et ces réprobations ? Non content de la fièvre, de l'illusion ardente que procure la scène, il en vivait une autre, plus ardente encore : celle de partager, dans le double délire de l'amour et de l'art, {7} l'existence de son idole. Puis, un beau jour, dans une fugue retentissante, Sarah et son poète quittèrent famille, théâtre, Paris, pour goûter plus parfaite au bord des lacs d'Ecosse, la grande ivresse des solitudes à deux. Ce fut un de ces enlèvements romantiques dont se repaît la curiosité cancanière et blasée des boulevards.
Un jour Sarah reparut seule. Où était le poète ? On l'ignorait. Les échos des coulisses et de la presse restaient muets à son endroit. Soudain, en décembre 1884, un bruit se répand, se répercute dans les journaux. Après une croisière à Terre- Neuve sur une barque de pêche, tel Ulysse fuyant. Calypso, Richepin est parti pour l'Algérie où il est devenu fou. Les nouvelles les plus étonnantes circulent, se précisent. Il a demandé à entrer à la Trappe de Staoueli. Mais les moines ont refusé de recevoir l'auteur des Blasphèmes, Alors, il s'est fait raser la tête, en signe de deuil, et il est parti dans la direction du désert pour se faire anachorète. Les journaux bien pensants ne manquaient pas d'ajouter que c'était là une juste punition du ciel, et que la vengeance divine s'était enfin abattue sur l'auteur de ces abominables Blasphèmes. Les nouvellistes, comme souvent, avaient été victimes d'une mystification. Richepin était bien en Algérie, mais sa femme, avec laquelle il s'était réconcilié, l'accompagnait. Il s'y trouvait en voyage d'agrément, sous le nom très bourgeois de M. Jules Roland, rentier, et s'il avait (fait exact) sonné à la Trappe de Staoueli, c'était en simple touriste, pour visiter l'établissement.
Richepin était-il aussi consolé qu'il en avait l'air ? et, pour se consacrer aux devoirs austères de la famille, abdiqua-t-il sans regret le grand amour de sa vie ? Il est permis de ne pas le croire. La preuve c'est qu'à la suite de la séparation, et à son retour d'Algérie, il alla toute une année se terrer dans un coin perdu de Bretagne où, seul, Ponchon, le fidèle Ponchon, était admis à le voir. C'est là qu'il écrivit cet admirable recueil de poèmes : La Mer, qui parut en 1886, et qui contient peut-être les plus beaux vers de son œuvre.
Il n'y a pas de consolatrice meilleure et plus doucement berceuse que la mer. Non point la mer déshonorée par les casinos, mais la mer solitaire et sauvage, avec ses brisants aux crinières d'écume et ses grèves désertes, hantées -des cormorans. La brise qui vient du large est douce aux blessures qui saignent : à celui qui sait écouter, la mer parle un langage apaisant, et le ronron des vagues est pareil aux chansons des nourrices maternelles : il contient des oublis pour toutes les douleurs.
L'année même où paraissait La Mer (1886), la Comédie-Française recevait et jouait Monsieur Scapin, une comédie exquise, aux rimes chatoyantes, que créa Coquelin, et dont Rostand s'inspirera pour écrire Les Romanesques. Deux ans plus tard, au même théâtre, Richepin faisait jouer Le Flibustier, dont Got créa le principal rôle et qui est demeuré au répertoire. En vers tour à tour robustes et caressants, imprégnés de la tendre et puissante haleine, de la mer, le poète y a exprimé l'amour de nos- populations maritimes pour le vieil Océan, la vaste plaine stérile que, de père en fils, elles labourent.
Puis, après une incursion sur un théâtre de genre, les Menus Plaisirs (aujourd'hui le Théâtre Antoine), avec Le Chien de garde, que créa l'acteur Tailhade, et un opéra, Le Mage, dont Massenet écrivit la musique, le poète revient à son théâtre de prédilection, la Comédie-Française, avec Par le Glaive, en 1892, et, deux ans plus tard, Vers la Joie.
Par le Glaive nous montre la révolte d'une petite cité italienne, Ravenne, écrasée sous le joug d'un condottiere allemand, Conrad le Loup, et délivrée par une sorte de rêveur, Strada, en qui s'incarne le patriotisme ardent de l'âme du peuple.
La pièce avait été reçue à correction par le Comité de lecture, en 1890. On avait trouvé l'action un peu noire et touffue, et l'on pria le poète de la « dénoircir » et de la simplifier. Pour cela, il eut recours à un procédé que l'on ne saurait trop recommander aux auteurs dans le même cas. Il laissa son manuscrit dormir dans un tiroir pendant deux ans et, sans changer la moindre virgule, le relut tel quel au Comité de lecture. Les comédiens louèrent hautement le poète des heureuses modifications qu'il avait apportées à son œuvre. Elle fut reçue d'enthousiasme et représentée avec un grand succès.
Vers la Joie, deux ans plus tard, en octobre 1894, eut de moins brillantes destinées. Toujours épris de nouveau dans l'art, ainsi que dans la vie, Richepin avait entrepris de mettre à la scène un de ces contes bleus qui, comme Cendrillon et Riquet à la Houppe, font les délices des âmes simples. En des vers d'une grâce exquise, il y chantait d'un bout à l'autre l'hosannah des champs et {7} proclamait la nécessité où se trouvent les générations modernes, épuisées de lecture, et d'analyse, de se retremper, sous peine de décliner et de périr, dans la vraie vie qui est l'amour, dans la nature et dans le peuple qui sont éternels. Les spectateurs furent déroutés. Le titre même les avait induits en erreur. On entendait dans les couloirs, le jour de la générale, des "exclamations comme celle-ci : « Pourquoi Vers la Joie ? Ce n'est pas joyeux du tout !... »
C'est que chacun entend la joie à sa façon. On s'attendait à ce que Richepin exprimât la sienne sous la forme de grasses plaisanteries ou de belles filles bien en chair. Or, la grande joie, pour Richepin, c'est la vie à l'air libre, le ciel ouvert, le soleil, les mâles senteurs des forêts et des grèves, le bon vin, l'aventure. Joignez à cela le dédain des préjugés et la haine des mensonges, le mépris des boudoirs et de la politique. Evidemment, ce n'est pas là la joie de tout le monde. Aussi la pièce parut triste. Elle n'eut qu'un nombre très limité de représentations. Assurément, elle sera reprise un jour ou l'autre, et elle restera comme une des œuvres les plus charmantes et les plus neuves du maître.
Il devait prendre sa revanche, l'année suivante, avec cette œuvre qui fut le triomphe de sa double carrière d'auteur dramatique et de poète et dans laquelle il s'est donné tout entier œuvre caressée amoureusement comme une maîtresse, et qui, dans toute l'acception du mot, mérite d'être considérée comme sa maîtresse-œuvre : Le Chemineau.
De même que le principal personnage du Flibustier était la mer, celui du Chemineau c'est la grand'route.
Une fille des champs est mise à mal par un de ces bohèmes rustiques, véritables oiseaux de passage, qui s'embauchent pour quelques jours au temps de la moisson. Mêlé aux moissonneurs, il prend là tout ce qui est à sa portée, la soupe chaude et la piquette fraîche, et Toinette, la fille de ferme, qu'il enflamme de ses chansons et de sa bonne humeur. Puis, il s'en va, insoucieux de son acte et de ses conséquences. Le bissac au dos et le bâton en mains, un brin de chanson aux lèvres, il reprend la grand'route, sa seule amante, et s'enfonce dans la nuit froide, mais toute fleurie d'étoiles.
Au temps de La Chanson des Gueux, la pièce eût fini là. Le poète, sans s'embarrasser de ce qui pouvait survenir, se serait tenu pour satisfait d'avoir affirmé le droit de son héros à la vie libre.
Mais vingt-cinq ans se sont écoules, et le poète, en 1897, est en route vers la cinquantaine. Après avoir, lui aussi, couru les chemins, il est monté au plateau où l'homme s'oriente, se retourne vers le passé, contemple le présent et interroge parfois mélancoliquement l'avenir.
Le chemineau, après vingt-deux ans d'absence, repasse par le même village. Le sentiment de la paternité s'éveille en lui. Un enfant qu'on chérit et qui vous le rend, un être en qui, lorsqu'on décline, on sent qu'on va renaître, cela doit parfumer la vie... De lui, père de hasard, dépend le bonheur du jeune homme. Après avoir fait le malheur de trois êtres, il devient leur génie bienfaisant, l'organisateur de leur avenir. Et quand tout le monde est heureux, il quitte l'a maison tiède, reprend son chemin de hasard sur la route couverte de neige, parce que le dehors l'attire irrésistiblement et que l'amour de la liberté prime en son cœur, plein de tendresse pourtant, tous les amours du monde.
Toute la beauté du drame est là, dans cette lutte éternelle entre l'errant et le casanier, celui qui veut toujours partir, et celui qui doit rester. Cette lutte, elle est dans tous les cœurs. Qui de nous n'a été, au printemps de sa vie, le chemineau de sa propre existence ? Richepin plus que tout autre. Car, ce qui ajoute encore à l'intérêt du drame, c'est son existence même que le poète confesse tout haut devant la foule, devenue sa confidente. Bien mieux, au lendemain de la pièce, il se lance à corps perdu et à cœur effréné dans une nouvelle aventure retentissante, nous offrant ce rare et singulier spectacle d'un écrivain fasciné par sa propre création.
Dans les années qui suivirent, Richepin publie successivement les Contes de la Décadence romaine, où revit la prestigieuse érudition du normalien de jadis, nourri de Juvénal, de Martial et de Pétrone, Lagibasse, un roman magique, La Bombarde, recueil de contes en vers tout plein des trésors savoureux de la Muse populaire : une des œuvres qui lui sont le plus chères et qu'il dédie à son plus cher ami, au fidèle Ponchon ; La Martyre, qui, deux ans avant Quo vadis, exaltait le double héroïsme du christianisme au berceau et du paganisme agonisant ; Don Quichotte, chevalier de tous les idéals, hanté par les rêves de bonté, de justice universelle, et mourant invaincu, confiant dans une humanité meilleure ; cette Belle {9} au Bois dormant, si belle, si jeune, grâce à laquelle le grand poète et la grande tragédienne, d'amants irréconciliables, sont devenus amis ; enfin cette Route d'Emeraude que, très généreusement, le poète consentit à pavoiser de ses rimes flamboyantes, pour mettre en honneur le grand et méconnu génie du puissant écrivain flamand Eugène Demolder.
A cette liste, il convient d'ajouter deux œuvres qui, s'il ne les a pas signées, n'en sont pas moins un peu siennes, par le dévouement qu'il mit à les produire : Les Romanesques et le Cyrano, de Rostand. Oui, Rostand a été créé et lancé par Richepin. Il n'est pas inutile de mettre en lumière ce point, très ignoré, de l'histoire littéraire de notre temps. C'est Richepin qui sut, le premier, dans le jeune collégien qui venait, parmi tant d'autres, lui soumettre les essais d'une Muse inexperte, deviner et encourager le futur auteur de Chantecler. C'est lui qui présenta et fit recevoir à la Comédie-Française la première œuvre du jeune maître : Les Romanesques ; c'est lui qui enthousiasma Coquelin sur Cyrano.
Que le rayonnement subit de la gloire du disciple ait un peu, au moins dans les premiers temps, éclipsé la renommée du maître, et qu'il soit survenu quelque refroidissement dans leur vieille amitié : c'est là un fait trop fréquent dans les relations humaines et, en particulier, dans les relations littéraires, pour qu'il soit besoin de le souligner. En tous cas, ce que l'on peut affirmer, c'est que le premier qui s'éloigna fut, non pas le bienfaiteur, mais l'obligé ; non pas Richepin, mais Rostand.
Et, le jour où l'Académie fut appelée à se prononcer sur l'élection de Richepin, jour de rude bataille où il avait devant lui pour concurrent Henri de Régnier, soutenu par la faction des ducs ; où le simple déplacement d'une voix pouvait compromettre son succès, ce jour-là, et ce jour-là seulement, Rostand ne vint pas à l'Académie.
La surprise fut heureuse pour quelques-uns, mais courroucée pour d'autres, de voir le poète accueilli par la noble assemblée. Les gens à courte vue témoignèrent, en effet, quelque étonnement de ce que cette Muse, rude et débraillée, après avoir si cavalièrement battu l'estrade par des chemins étranges et quelquefois mal famés, eût l'audace, un beau jour, de venir frapper à la porte de l'Institut. Les uns virent là une nouvelle témérité, plus ou moins irrévérencieuse. Les autres considérèrent cette sollicitation comme une marque d'abaissement.
Il convient de noter que Richepin ne se décida pas de lui-même à poser sa candidature, mais qu'il fut grandement sollicité de le faire par les camarades, voire les amis extrêmement chers qu'il possédait depuis longtemps parmi les immortels : • entre autres Hervieu, Claretie, Lavedan, Donnay, Frédéric Masson, et son vieux compagnon de misère, Paul Bourget.
Et l'on vit, spectacle émouvant, le jour de l'élection, Coppée, le bon Coppée, tout grelottant de fièvre et presque agonisant (il devait mourir moins d'une semaine après, venir, soutenu par des bras amis, et malgré la défense des médecins, déposer son bulletin dans l'urne. Le poète des Humbles s'offrit pour suprême joie d'assurer l'élection du poète des Gueux.
Cette élection fut saluée comme une juste réparation impatiemment attendue depuis déjà bien des années par tous les lettrés. Et ce n'est pas seulement le lettré qu'elle a honoré. C'est l'homme complet, utile à la pensée française, personnifiant, non seulement un grand nom de la littérature nationale, mais quelque chose de mieux encore, un homme qui, par son activité inlassable dans toutes les branches de la pensée humaine, a su honorer son pays, un homme à qui rien de ce qui est humain n'est étranger.
Normalien et soldat, marin et portefaix, chemineau et académicien, repris de justice et officier de la Légion d'honneur, Richepin aura eu dans sa vie le rare bonheur d'atteindre tous les extrêmes, de se voir offrir de son vivant une statue, et même une statue équestre, dans sa ville natale, et d'être condamné par les tribunaux de son pays.
Il est, dans la littérature de notre temps, ce qu'est pour l'art dramatique Mme Sarah Bernhardt. Et ne voyez, je vous prie, dans ce rapprochement aucune arrière-pensée ironique. Il est dans les lettres ce qu'elle aura été sur la scène : une force vive, agissante, populaire, répandant la bonne parole et l'enthousiasme de l'art dans tous les milieux, aussi bien en France qu'à l'étranger.
Et il est aussi un des plus robustes artisans de la langue moderne. Il se rattache à Rabelais par sa puissance verbale, par son respect pour {10} l'esprit et son culte de la chair. Si quelqu'un recréa, revivifia notre poésie, énervée, et notre prose anémique, Ce fut Richepin qui au mépris des fadeurs et des hypocrisies, professa hardiment la saine et vigoureuse franchisé du père de Pantagruel.
Aujourd'hui, le poète a dépassé la soixantaine. Mais l'œil est toujours vif et rieur dans la figure bronzée, encadrée d'une barbe, qui se console d'être blanche en persistant à friser. Les années qui ont passé sur lui ne lui ont laissé, semble-t-il, que leurs printemps.
Il évangélise par la parole de toutes jeunes filles, à l'Université des Annales et nul enseignement n'est plus savoureux et substantiel, plus jeune et plus vivant que le sien. Il se prépare à vieillir superbement comme Goethe à Weimar, et à donner à notre pays l'exemple d'une de ces vieillesses de poète, sereines et fécondes, qui reflètent déjà la vie supérieure, et semblent anticiper sur l'immortalité,
PAUL MÉRRIEN
Romain de Jaive, « Shakespeare
et Cervantès », Comœdia, 19 octobre 1912, p. 1.
Ce document est extrait du
site RetroNews.
De toute l’histoire de l'humanité chrétienne, il n'est point d'époque plus passionnante que celle de la Renaissance, cette aurore de notre civilisation.
L'étude de cette rénovation de l'esprit humain, dont l'éclosion eut lieu au XIVe siècle, occupera une place prépondérante cette année à l'Université des Annales. Des séries de conférences y seront consacrées à la littérature étrangère à l'Art, à l'histoire de la Renaissance.
J'aurai occasion tout prochainement de parler ici même des conférences ayant pour sujet l'Histoire de la Renaissance et l'Art de l'époque de la Renaissance. Je me cantonnerai donc aujourd'hui dans l'étude de cette partie du programme ayant trait à la littérature étrangère.
En emmenant ce programme, je constate que Jean Richepin fera un véritable cours, en douze conférences, sur les deux plus grands génies du XVIe siècle : Shakespeare et Cervantès. Avec sa maîtrise, son inégalable talent d'orateur, de conférencier, de poète, de professeur, il disséquera l'œuvre du sublime Shakespeare et celui du génial Cervantès. On peut imaginer à quel point ces conférences seront intéressantes et tout à fait hors pair. Jean Richepin analysant Shakespeare, lisant des scènes des immortels chefs-d'œuvre du grand Will, les « jouent » avec son impressionnant talent et, parfois même, recevant la réplique de Mme Badet ou de Mounet-Sully voilà qui sera bien fait pour laisser un ineffaçable souvenir parmi les auditeurs !
Dans le cours de ces conférences, il nous parlera du roman de la vie de Shakespeare, de l'Amour Tragique, des grandes Passions, de l’Ambition, de la Haine., de l'Ingratitude dans ses œuvres ; des Comédies de Caractère, des Féeries et du Rêve, etc., il analysera Le Roi Lear, Hamlet, Jules César, Coriolan, Antoine et Cléopâtre, La Mégère domptée, Shylock, Les Joyeuses Commères de Windsor, etc., etc. Bref, il fera l'étude parlée de Shakespeare, la plus complète qui aura jamais été faite.
Nul génie plus que celui de Shakespeare ne se prête davantage à une semblable étude et Jean Richepin saura exprimer tout le suc, faire ressortir toute l’amertume et aussi toute la splendeur de la gloire de l'immortel poète.
Comme bien des génies, Shakespeare fut renié par certains, non seulement de son vivant mais encore longtemps après sa mort. Les écrivains du XVIIe et du XVIIIe siècle lui trouvèrent tous des défauts. Voici quelques-uns des principaux reproches qu'ils lui adressaient : concetti, invraisemblance, jeux de mots, calembours, extravagance, absurdité, crudité, puérilité, enflure, emphase, exagération, clinquant, pathos, recherche des idées, affectation du style, abus du contraste et de la métaphore, subtilité, immoralité, écrire pour le peuple, sacrifier la canaille, se plaire dans l’horrible, n’avoir point de grâce,, n'avoir point de charme, dépasser le but, avoir trop d'esprit, n'avoir point d'esprit, faire trop grand…
Mais Victor Hugo a dit de lui : « Shakespeare qui est-ce ? On pourrait presque répondre, c'est la terre... La tête de mort passe des mains de Dante dans les mains de Shakespeare ; Ugolin la ronge, Hamlet la questionne. Peut-être même dégageât-elle un sens plus profond et un plus haut, enseignement dans le second que dans le premier ; Shakespeare la secoue et en fait tomber des étoiles !
« …La place de Shakespeare est parmi les plus sublimes dans cette élite de génies absolus qui, de temps en temps, accrue d'un nouveau venu splendide, couronne la civilisation et éclaire de son rayonnement immense lie genre humain. -Shakespeare est légion. A lui seul, il contrebalance notre beau XVIIe siècle français et presque le XVIIIe. »
Jean Richepin, de sa parole colorée, en son langage si pur et si poétique, saura faire revivre, dans des évocations émouvantes tout l’œuvre et tout le génie de ce géant.
Si l’œuvre de Shakespeare fut copieux, celui de Cervantès le fut beaucoup moins, mais son don Quichotte et ses Contes suffisent amplement à lui assurer l’immortalité. Ce sera un véritable régal littéraire que cette étude de la vie de Cervantès et celle de ses personnages, devenu types d’humanité, faite par Jean Richepin. Ces études feront une suite très intéressante aux conférences consacrées à Shakespeare et le contraste entre le poète anglais et l’écrivain espagnol ne sera pas un mince attrait.
Cette série de douze conférences de Jean Richepin sera complétée par une étude du Tasse faite par l’éminent, spirituel et si érudit académicien qu’est M. Henry Roujon, dont la conférence sera agrémentée d’une audition de Mme Litvinne dans la musique de Glück.
M. Edouard Herriot, dont nous avons apprécié l’an dernier la remarquable étude de Dante, fera, cette fois, l’historique du roman de la jeunesse de l’Aristote.
Enfin, une des gloires du barreau parisien, Me Henri Robert, que le public des Annales est toujours si heureux d’entendre, fera, à son intention, cette plaidoirie inattendue et pour le moins originale, qui consistera à présenter la défense de… Lady Macbeth.
Toutes ces conférences sur des sujets aussi intéressants que la littérature et le théâtre au temps de la Renaissance, faites par les éminents conférenciers que j’ai cités, produiront sûrement une impression profonde dans le monde littéraire et parmi les nombreux auditeurs qui les suivront. Elles seront d’ailleurs toutes publiées, à l’intention de ceux qui n’auront pu les entendre, dans le Journal de l’Université des Annales, ce précieux recueil de toutes les conférences se donnant à l’Université
Romain de Jaive.
Frantz Reichel, « Un collège
d’athlètes – Culture ou éducation ? », Le Figaro, 20 octobre 1912, p.
3.
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Un comité s'est formé dans le but de réaliser un, projet curieux, la création d'un collège d'athlètes. Ce comité es.t compose de MM. Auguste Rodin Jean Richepin, le docteur Weiss, le docteur Boucard, Maurice Colrat, Gabriel Bonvalot et marquis de Polignac. Dans une sorte de manifeste, ce comité vient d'exposer ses intentions. Les voici :
Justement émus par les ravages de l'alcoolisme et de la tuberculose qui atteignent la force française dans ses sources vives, tous les esprits clairvoyants s'inquiètent du remède. Le meilleur moyen de combattre ces fléaux, c'est de généraliser le goût et la pratique des exercices physiques. Il semble qu’un sûr instinct en avertisse la jeunesse. Depuis longtemps déjà, de nombreuses associations, sportives se sont formées à Paris et en province. Elles groupent des milliers de jeunes athlètes, les éduquent el les dirigent. Partout 'où de semblables associations existent, il faut les aider. Partout où elles n'existent pas, il faut les établir. Dans cette intention se sont déjà fondées de grandes fédérations auxquelles nous ne voulons pas nous substituer. Mais pour réaliser pleinement, la renaissance physique, il ne suffit pas d'appeler aux joies salutaires du sport toute la jeunesse des villes et des campagnes. Il nous manque encore un centre d'entraînement, un centre de formation où se prépareront, en même temps que des instructeurs et des entraîneurs, les champions de ces grandes épreuves internationales que la France ne peut pas ignorer et où elle doit reconquérir son rang. A cet effet, nous organisons le « Collège d'athlètes, école de renaissance physique ». Nous avons conscience de préparer ainsi l'amélioration de l'individu et de garantir l'avenir de notre race et sa force créatrice. Il n'y a point, d'antagonisme entre le muscle et l'intelligence. L’admirable exemple de l'antiquité grecque et latine nous inspire, au contraire, et nous guide vers un équilibre harmonieux du corps et de l'esprit.
Il y a d'excellentes choses, dans cet appel. Je me plais à constater qu'il est le premier hommage rendu publiquement par un groupe d'hommes éminents à l'œuvre, accomplie pour le bien du pays, par l'Union des Sociétés françaises de sports athlétiques. Fondée en 1887 par le Racing-Club de France, le Stade français et les Francs Coureur qui, créés en 1881, 1882 et 1885, eurent l'initiative du mouvement athlétique et de la régénérescence nationale par l'éducation physique et sportive, l'U.S.F.S.A, a longtemps poursuivi sa tâche patriotique, au milieu de l'indifférence de tous. Vingt-cinq années ont passé, et voici qu'il n'est heureusement plus ridicule d'affirmer qu'il n'y a point d'antagonisme entre le muscle et l'intelligence. Il n'est pas douteux que les sports athlétiques sont, contre l'alcoolisme, le remède le plus efficace. Le jeune homme qu'a conquis la vie si active, si loyale, si généreuse, si ardente, si passionnante des exercices de plein air, le football, la course à pied, le tennis, l'aviron, le hockey, etc., ne passe pas son dimanche au café ; il ignore aussi les promenades sans but, si mauvaises conseillères. La bienfaisante influence des sports n'a point d'ailleurs échappé à ceux qui ont acquis dans l'art de former la jeunesse une expérience redoutée ; et c'est pourquoi l'exemple de l'Union des Sociétés françaises de sports athlétiques fut suivi dans les milieux catholiques, où se fonda un groupement analogue, la Fédération gymnastique et sportive des patronages de France. Si la première fédération groupe près de 200,000 jeunes hommes, la seconde en administre 100,000 peut-être. Mais à côté de ces deux associations, d'autres existent, : la Fédération française d'aviron, l'Union vélocipédique de France, la Fédération cycliste et athlétique de France, la Fédération française de boxe et de lutte, qui travaillent pour la même cause, la santé et la jeunesse par la culture sportive.
Toutes ces associations ont beaucoup fait; il reste encore beaucoup à faire. Et c'est pourquoi l'initiative du comité qui se propose de créer un collège d'athlètes est, une bonne chose. A vrai dire, je ne crois pas que ce collège servira, au point de vue technique l'athlétisme français au tant, que semblent l'espérer ceux qui l'ont conçu. Mais ceci est secondaire: l'idée est originale ; elle frappe, étonne l'opinion. Elle fera parler de ces jeux violents, de cette éducation physique, qu'on n'avouait qu'en s'excusant, il va peu de temps encore. Elle précipitera leur pratique dans la France entière. Il y a 36,000 communes en France ; il devrait donc y avoir 30,000 associations athlétiques. Il n'y en a pas 4,000. L'œuvre du collège d'athlètes sera regardée avec intérêt et sympathie par tous ceux qui ont suivi, et, suivent la cause de l'éducation physique. Sait-on jamais ce que peut -donner une pareille tentative, sans exemple dans les pays où le sport, occupe une place si considérable, comme en Amérique, en Angleterre ! A la direction de ce collège athlétique sera placé le lieutenant de vaisseau Hébert, qui a combiné d'une façon extrêmement heureuse la culture physique, et l'effort sportif. Le lieutenant Hébert se mettra à l'œuvre dès mars 1913, au lendemain du congrès des Sports et de l'éducation physique, organisé, avec l'appui du gouvernement, à l'Académie de médecine de Paris. Au moment de ce congrès, le lieutenant de vaisseau Hébert présentera, dans le Grand Palais — où se tiendra une exposition des sports — 350 sujets, entraînés par lui afin qu'on puisse juger de sa méthode. Je la sais excellente, et je la crois aussi la meilleure de toutes, mais j’ai bien peur que beaucoup ne confondent — ainsi qu'on le fit, en Suède — la culture physique avec l'effort sportif et l'éducation sportive. Loin de moi l'intention de médire de la culture physique, et d'abord parce que je m'y adonne avec ferveur ; mais si elle est admirable pour sculpter de beaux corps, et si elle est une incomparable hygiène, rajeunissante, elle ne porte pas assez en elle le don de tremper les caractères, de former l'énergie et la volonté.
Embellir, assouplir son corps par des mouvements rationnels et rythmés, c'est bien, mais le sport a une vertu, en plus : il demande aux individus d'oser se mesurer entre eux ; d'affronter le risque des défaites, et par l'émulation et l'amour-propre il donne le goût et l'énergie des revanches, et comme pour vaincre il faut savoir vouloir et se soumettre aux règles inflexibles du sport, il discipline. N'empêche, le « collège d'athlètes » est un réconfortant signe des temps ; et si à cette tentative il eût été préférable, à mon avis, d'aider directement dans son œuvre l'union des Sociétés françaises de Sports athlétiques, reconnue d'utilité publique depuis mai 1912, il importe d'encourager cette initiative qui a trouvé son mécène dans le marquis de Polignac, créateur du Parc des Sports à Reims.
Frantz-Reichel.
Gabriel Clouzet, « Biographies
de poètes – Les débuts de Jean Richepin », Le Siècle, 21 octobre 1912,
p. 3.
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Fils d'un médecin militaire, il naquit en 1849, à Médéa et ne s'arrêta pas pour si peu à sa première étape. Heureux d'être au monde avec une bonne constitution qui lui permettra d'aller loin, d'Algérie il passe en France, toujours dans la poussière des routes, le soleil, le piétinement et les fanfares des troupes en marche. On voit le Midi, la vallée du Rhône. Les yeux du petit s'ouvrent à la splendeur des paysages de la Provence aride et flamboyante, des vallées fécondes du Dauphiné. Et ses oreilles s'ouvrent aussi aux bruits des forêts, des ruisseaux et des cascades ; il retient, comme des musiques différentes, les accents, les idiomes, les chansons des provinces traversées qui demeureront en lui comme le souvenir sonore d'une région et que le poète retrouvera plus tard. Puis, le régiment tient garnison à Lyon et le jeune Richepin fait ses premières études dans une petite pension de la place des Pénitents de la Croix, tandis que son père est médecin à l'hôpital des Collinettes, à mi-coteau de la Croix-Rousse. On vit le camp de Salhonay, les rives de la Saône, et l’on repartit vers le nord. Ses études furent quelque peu décousues, mais le futur poête n'avait pas besoin de maître.
On était en 1870. Sans ressources, qu'allait-il faire ? Ce que tout le monde fit à cette époque. Il se battit, non pas dans l'armée régulière, mais dans un corps franc de l'armée de l'Est. De ces années de misère et d'héroïsme il devait emporter des sensations inoubliables qu'on retrouvera plus tard dans Césarine, un de ses meilleurs romans. Il revint à Paris voir une révolution, Paris mitraillé par les canons prussiens et tout fumant des incendies de la Commune. Il se promena dans l'émeute, respira l'âcre odeur de poudre, de sang et de pétrole, et s'enfiévra aux proclamations de Jules Vallès, dont il aimait le style explosible, nerveux, concis, tout, en images violentes et brèves connue des coups de feu dans la nuit. Mais Richepin n'admirait que l'écrivain. Les élans démagogiques ne l'attiraient pas. Il se garde à son art et, pour le moment, une seule chose l'intéresse : écrire, mais écrire à sa guise. Il bataille pour toutes sortes d'idées dans les journaux. Il s'y fait remarquer par sa verve, son observation colorée et spirituelle, sa fougue mordante, l'équilibre et la robustesse de son style. Mais il est toujours et avant tout poète, un poête superbe, inspiré, révolté, ivre de liberté, toujours en quête de nature. Dès qu'il a gagné un peu d'or, il s'enfuit vers la mer, passe la mer, séjourne à Londres, se mêlant aux pires milieux et aux foules cosmopolites pour en recevoir une impression de vie universelle. A ce moment, Jean Richepin n'était d'aucune école : Très incertain sur sa propre destinée, il ne répondait guère aux avances de Vallès qui, ayant reconnu en lui un irrégulier de sa race, l'appelait à Bruxelles pour préparer quelque chose d'intéressant. La politique effraya toujours le poète. Cependant, ce fut l'auteur de L'Insurgé qui lui inspira son premier livre : Les Etapes d'un réfractaire (1872), où l'admiration de Richepin pour le grand agitateur est manifeste. Lui aussi sera un insurgé, nous verrons plus loin de quelle manière. Il ne maudira pas l'instruction qu'il a reçue. Il saura s'en servir et ne méprisera ni le latin ni la belle rhétorique. Déjà il a imposé aux groupes intellectuels sa forte personnalité. Il est le chef des Vivants qui marchent, autour de son char : Ponchon, Bouchor, Mérat, Valade, Bourget, Goudeau et combien d'autres, transfuges du Parnasse comme Vicaire et Rollinat. Cependant, le poète souffrait, sans le dire comme il sied à un chef. Depuis trois ans il portait La Chanson des Gueux sous son pourpoint, sans trouver un éditeur. Le désespoir faillit le gagner. Il y avait là des poèmes superbes où palpitait toute une jeunesse sang généreux ; il y avait là des plaint tes et des caresses pour tout le monde des gueux, gueux de lettres, gueux de la mer, gueux des champs. Le poète songeait déjà que son avenir n'était pas à Paris, qu'il ferait mieux d'aller chercher aventure et fortune aux pays neufs de l'Amérique du Sud. Mais un éditeur hardi se décida à publier le livre, et Jean Richepin connut enfin la gloire en se voyant octroyer immédiatement un mois de prison, pour quelques vers d'un poème jugée licencieux, et qui, dans les éditions suivantes, furent remplacés par ceux-ci :
Ici deux gueux s'aimaient jusqu'à la pâmoison
Et cela m'a valu trente jours de prison.
Ce fut une clameur indignée aux Hydropathes où trônait Jean Richepin. On riposta au jugement en clamant à la sortie le vers de la ballade :
Le poète est le roi des gueux.
On conspua l'ordre moral sur le boulevard. Mais un mois est bien vite passé, et ce fut au retour du prisonnier un redoublement d'enthousiasme. Elle était toujours là, prête à le défendre, la garde fidèle, Ponchon, Bouchor, Maurice Montaigu, Ebstein, Forlier qui finit écrasé sous un omnibus Stéphen Pichon qui devint ministre, te bon Georges Lefèvre, Groskist qui ressemblait à Napoléon Ier et dont le seul titre de gloire était d'être l'ami de Courbet... toute une bohème auprès de laquelle celle de Pétrus Borel et de Gérard de Nerval est sans relief... et encore cette figure bizarre de Lebiez, cet étudiant, en médecine vêtu d'un pardessus râpé qui lui donnait l'allure de Raskolnikoff, de Crime et Châtiment. C'est lui qui, avec Barré découpa la laitière de la rue d’Hauteville, méthodiquement, suivant les principes de l'Ecole. Quatre jours après le crime, non encore découvert, il faisait une conférence sur le darwinisme, à la salle d'Arras. Tous les hydropathes étaient là... Quels temps ! Mais pourquoi s'attendrir Jean Richepin n'avait-il pas comprit toutes ces misères intellectuelles et morales, ces déviations de l’être faible dans le crime et dans la révolte. On passe à travers la bohème comme à travers le feu qui vous calcine ou vous purifie.
Décembre↑
J. Ernest-Charles, « L’Âme
athénienne », Excelsior, 13 décembre 1912,
p. 3.
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Jean Richepin a rendu la conférence populaire. C'est un grand miracle. En notre pays saturé de conférences, politiques, économiques, sociales, il a fait goûter des foules la conférence littéraire. Peut-être même a-t-il rendu la conférence — je veux dire la littérature — indispensable aux foules. On ne lui en aura jamais une suffisante gratitude. Jean Richepin, notez-le, est une sorte d'apôtre. Il a parcouru le monde afin d'y parler — afin d'y parler français.
D 'innombrables auditoires ont été émerveillés de sa nombreuse éloquence. Et d'abord on le tint pour un bel orateur très plaisant à regarder. « On n'a pas besoin d'être beau quand on est intelligent », dit un personnage immortel de Georges Feydeau. Mais la beauté est un superflu qui s'ajoute agréablement au nécessaire. Jean Richepin était donc d'abord un bel orateur. On admira ensuite son immense facilité de parole. Oui. Jean Richepin parle avec une infatigable facilité. N'en concevez point d'effroi. La facilité est la qualité essentielle de l'orateur. C'est une qualité malchanceuse : on la méconnaît. Qui donc entreprendra l'éloge, la réhabilitation de la, facilité de parole ? Elle est l'unique garantie du talent oratoire. Méditez ce principe strict, ce précepte fondamental : « Il faut savoir parler pour ne rien dire, si l'on veut être capable de parler pour dire quelque chose. » Jean Richepin est doué d'une facilité de parole vertigineuse. En sa fougue oratoire, il apparaît comme une force de la nature.
Au surplus, il n'est pas un rhétoricien prompt à se répandre en bavardages vains. Sans doute se laisse-t-il entraîner parfois aux développements !... On louait devant Agésilas un orateur sur son talent à amplifier les petites choses. Agésilas demanda : « Estimeriez-vous un cordonnier qui ferait de grands souliers pour de petits pieds ? » Je ne cite cette anecdote que pour donner tort à Agésilas. Il n'y a aucun rapport entre le cordonnier et le conférencier. Et j'estime, au contraire, que l'art du développement est l'art fondamental du conférencier. Il n'est que de savoir choisir ses développements ou, mieux encore, ses sujets de développement. Jean Richepin les choisit bien. Jean Richepin les choisit très bien. Et sa prestigieuse, exubérance trouve toujours le meilleur emploi possible.
Je dis : exubérance, mais je veux indiquer seulement par ce mot l'exceptionnelle richesse de ses dons naturels. En effet, l'exubérance de Jean Richepin est très méthodique. Et ce conférencier valeureux est systématique autant que faire se peut. Il connaît les règles et les pourrait enseigner. Il est un maître. Il sait dire. Son geste à sa diction s'accorde. Il est un excellent animateur de phrases... Et ses phrases expriment toujours des pensées ou des faits... L'abondance oratoire de Jean Richepin ne saurait être vide. Il est un lyrique sans doute, et les images surgissent et les métaphores jaillissent. Mais Jean Richepin est un lyrique érudit. En se vouant au lyrisme quotidien de la conférence, Jean Richepin s'est retrouvé le normalien vivant et frémissant qu'il fut naguère et toujours. Sa culture universitaire le soutient. Son érudition exalte et fortifie sa verve. Son goût classique discipline son indépendance. Quand on est éloquent comme Jean Richepin, il n'est pas mauvais d'être savant comme lui.
Eloquence et science se sont répandues comme à plaisir dans ces études où Jean Richepin a ressuscité l'âme athénienne pour les aimables amies de Mme Adolphe Brisson. Et voici deux volumes de conférences qu'on lira comme on les écouterait, Ne semble-t-il pas, en les lisant, qu'on les écoute encore ?
Deux volumes de conférences ! Jean Richepin nous conduit de l'Olympe à l'Agora et d'Eschyle à Aristophane. Il nous initie aux mystères d'Eleusis, aux Oracles, à l'Iliade, à l'Odyssée, à Socrate, à Platon, à la tragédie, à la comédie, au drame satyrique. C'est une enthousiaste revue des belles idées et des belles formes grecques.
Enthousiaste revue, revue minutieuse aussi. Nul orateur, je le crois, n'aurait pu se livrer à des exercices de vulgarisation plus pleine et plus limpide. En somme, ces conférences sont de la vulgarisation, n'est-ce pas ? Mais Jean Richepin nous introduit dans l'intimité de la littérature grecque. Il a vécu, lui, dans cette intimité. Il y vit encore. Il vous fait les honneurs d'un monde familier. Avec quelle bonne grâce verbale vous sert-il ainsi de guide ! Il est heureux que, par son entremise, chacun participe aux trésors d'un domaine que jusque-là il possédait tout seul. Et ce guide diligent devient le plus obligeant des intermédiaires. Ses conférences sont chargées, mais non pas accablées de détails. Tout s'y meut à l'aise, et, Jean Richepin, par son ardeur même, communique à tout une vie nouvelle.
La sténographie a saisi cette vie et ne l'a point figée. Les conférences de Jean Richepin nous sont transmises telles qu'elles ont été prononcées. « Je ne pouvais espérer, dit-il en une préface qui trahit sa manière oratoire, je ne pouvais espérer que les pages du linceul en papier noirci conserveraient au verbe mort tous les frissons dont il palpite à l'air libre par les inflexions et les timbres de la voix, le ballet volubile des gestes, le feu d'artifice des regards.
» Pour prendre une image moderne, toute neuve, d'hier, en pensant à cette eau jaillissante du discours, dont les bouillons ardents ont leur source dans, les fonds volcaniques de l'esprit et du cœur, je connaissais trop que cette eau de miracle perd toute sa faculté miraculeuse, dite aujourd'hui radio-activité, une fois qu'elle est mise en bouteilles... » Eh bien! les craintes de l'orateur ont été chimériques, et à être mise en bouteilles l'eau jaillissante des discours n'a rien perdu de ses qualités efficaces. La vie palpite encore là, véhémente, vibrante, intense.
Jean Richepin rapporte les paroles de Socrate : « Celui qui a la science du juste, du beau et du bon aura-t-il moins de sagesse que le jardinier dans l'emploi de sa semence ? Je ne le crois point. Et alors, il n'ira donc pas sérieusement, après les avoir déposés dans une eau noire, l'encre, les semer à l'aide d'une plume, avec des mots incapables de se défendre eux-mêmes, incapables d'enseigner suffisamment la vérité ; mais il trouvera plus noble de s'en occuper sérieusement et à l'aide de la dialectique, de la parole vivante, animée. Quand il aura rencontré une âme bien préparée comme la tienne, il se réjouira d'y semer et d'y planter avec la science des discours capables de se défendre eux-mêmes et de défendre celui qui les a fait, des discours qui, au lieu de rester stériles, formeront et enfanteront dans d'autres cœurs d'autres discours pour immortaliser la semence du beau et du bien, et donner à tous ceux qui la posséderont le plus grand des bonheurs de la terre. » Ainsi a fait Jean Richepin avec une pieuse allégresse. Et ses conférences sont l'hymne reconnaissant d'un poète éloquent à l'antiquité grecque, source de toute poésie et de toute éloquence... Les conférences de Jean Richepin sur l'âme athénienne sont un chant d'amour — un chant extrêmement documenté, mais non pas moins musical pour cela. « Du moins, s'écrie Jean Richepin, ai-je apporté à cette Grèce mes délices, tout mon désir de son esprit libre, léger, fluide, allègre, aérien, brave, toute ma dévotion à son culte du beau, tout mon amour pour sa grâce, pour son éternelle jeunesse, pour son sourire inextinguible, pour la gloire dont elle reste auréolée à jamais d'avoir été l'avril en floraison de la race méditerranéenne, de cette race où s'est le mieux épanouie l'humanité !... » Certes, de telles phrases restent encore des paroles. On ne les lit pas, on les entend ; et on suit les mouvements de d'orateur frémissant ; et il nous emporte encore, et nous n'avons pas le loisir de le critiquer, nous l’applaudissons.
J. Ernest-Charles.
Un domino, « Echos de
partout », Le
Gaulois, 23 décembre 1912, p. 1.
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site RetroNews. Article recensé par Yves Jacq.
Le maître Jean Richepin, de l'Académie française, a consacré à la montre Oméga un conte féerique moderne des plus captivants, que la direction des montres Oméga s'est empressée de faire éditer luxueusement, agrémenté de dessins confiés au pinceau de l'un de nos meilleurs artistes.
Cette brochure est une petite merveille d'art que tout le monde sera heureux de posséder. Il suffit d'ailleurs de la demander chez Kirby, Beard et Cie Ltd, 5, rue Auber, à Paris, ou chez les concessionnaires de la montre Oméga en province.