Corpus de textes du Laslar

1914

Janvier

Anonyme, « Jean Richepin », Le Matin, 1er janvier 1914, p. 1.

La France a un poète officiel. Ils en ont un en Angleterre aussi. Mais là-bas, il est nommé par les autorités ; ici, il n’est nommé par personne.

En toutes les cérémonies, Jean Richepin dit des vers ou des paroles qui ne sont pas des vers, mais qui en ont l’air.

Notre poète officiel avait commencé comme révolutionnaire par La Chanson des gueux. Aujourd’hui, il en est au tango des princesses. Personne ne s’en plaint, ni les princesses qui admirent la chanson des gueux, ni les gueux qui admirent la chanson des princesses.

Maurice Boissard, « Le Tango, pièce en 4 actes, de Mme et M. Jean Richepin », Mercure de France, 16 janvier 1914, p. 410-412.

Le Tango, de Mme et M. Jean Richepin de l’Académie française, ainsi que le proclament les affiches du Théâtre de l’Athénée, est encore l’histoire d’une grand’mère acharnée à pousser dans le même lit ses petits-enfants. Elle y réussit en fin de compte. L’alternative « couchera ? couchera pas ? » se résoud, à l’Athénée comme au Vaudeville, par l’affirmative. On couche. Et le public est satisfait. Encore convient-il de ne rien exagérer de cette satisfaction pour ce qui {411} concerne le Tango. Un ou deux coups de sifflet donnèrent, si je ne m’abuse, le signal des applaudissements. « Je ne me sens pas beaucoup d'entrain pour vous exposer le sujet de la pièce. Il y faudrait de la délicatesse, et j’ai la main lourde, ce soir. En outre, je n’ai pas suivi la représentation avec toute l’attention dont mes fonctions intérimaires de critique dramatique me faisaient un devoir. Je m’ennuyais. J’ai bâillé. Je crois avoir dormi. Soirée maussade entre toutes celles que j’ai passées au théâtre. Je pensais à mon ami Maurice Boissard. Je l’imaginais au coin de son feu, en pantoufles, relisant quelque vieil auteur. Je l’enviais. Je le maudissais de m’avoir pris au piège de son strapontin. Je repensais au désir que j’avais eu de voir jouer et, par conséquent, danser le Tango. Je me raillais avec amertume. Pourtant, la vérité m’oblige à dire que le spectacle de MMlles Lavallière et Spinelly le dansant, ce fameux tango, que je n’avais jamais vu danser, me plut extrêmement. A cet instant, la pièce cessa d’être ridicule, mais elle recommença de plus belle à l’être dès que les acteurs et actrices, le tango dansé, eurent rouvert la bouche. « Je crois que le travesti dans les pièces modernes est une erreur. Une femme en pourpoint, haut-de-chausses et maillot, si défectueuses que soient ses jambes, nous offre au moins cet intérêt qu’elle les montre. Une jambe de femme est toujours une jambe de femme. On y reste difficilement insensible. Mais une jambe de femme dans un pantalon ! Mais une poitrine de femme dans un gilet ! Mais un cou de femme dans un faux-col ! Mais une croupe de femme sous les basques mesquines d’un petit veston à la mode de M. Boutet de Monvel ! L’allure équivoque que tout cela prend ! Et combien plus pénible et plus dégoûtante est cette mascarade quand toute l’intrigue de la pièce repose sur le fait que l’actrice travestie en homme refuse précisément de faire preuve de virilité ! La pensée de Mlle Lavallière se dérobant au devoir conjugal que lui impose son mariage avec Mlle Spinelly, voilà ce dont Mme et M. Jean Richepin ont cru bon de nous occuper l’esprit pendant trois heures !

« Mlle Lavallière se tire d’affaire comme elle peut. Elle gesticule, elle cabriole, elle se donne un mal de tous les diables, sans parvenir à dégeler les spectateurs. Pauvre Mlle Lavallière ! Elle est sympathique, au fond. Elle n’a pas un talent transcendant. Elle a un genre qui plaît, un genre parigot, et elle connaît l’art de s’en servir. C’est quelque chose. Mais Mlle Spinelly, qu’est-ce qu’elle a, elle ? Rien, rien, et rien. Elle n’est même pas jolie. Elle n’est même pas agréable à regarder. Elle a l’air stupide. Sa mimique la plus expressive consiste à se mettre un doigt dans la bouche, presque dans le nez, à tortiller ses frisettes. Insuffisance déplorable. Quant à sa diction, elle est aux antipodes du naturel et de la grâce. J’en étais confondu.

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M. Harry Baur, par contre, mérite tous les éloges pour la silhouette qu’il a su camper d’un précepteur entre deux âges, indulgent, paternel, avec la nuance juste de déférence que réclament les titres princiers de ses deux élèves.

« Les costumes, la décoration du Tango ont une importance de premier ordre, car ils sont de M. Poiret. M. Poiret est le Napoléon de la couture contemporaine. Mais il m’apparaît un peu comme un Napoléon qui gagnerait incessamment la même bataille. Le soleil d’Austerlitz, s’il se levait tous les jours, finirait par lasser. Ièna, la Moskowa mettent de la variété dans l’épopée napoléonienne. Je veux bien que le Tango soit, pour M. Poiret, une sorte de passage de la Bérézina, mais il en réchappe avec armes et bagages et je prévois qu’il continuera, comme devant, de nous mitrailler en fanfare avec la même bimbeloterie de ballet russe, de déverser sur nous les mêmes avalanches de coussins multicolores. Que de coussins ! Trop de coussins ! Un peu moins de coussins, s. v. p. ! En vérité, notre époque est l’époque du coussin. Il y a eu l’âge de la chaise à porteur. Les premières années de ce siècle passeront dans l’histoire sous le nom d’âge du coussin.

« Et j’en viens à M. Jean Richepin. J’en viens respectueusement à Mme Jean Richepin. Qu’est-ce donc qui les a pris ? Le besoin d’argent ? Soit, mais, dans ce cas, que n’ont-ils écrit une pièce gaie, animée, spirituelle, pittoresquement machinée, au lieu de cette flasque intrigue, dont les quatre actes s’étirent d’une façon lamentable, où les couplets patriotiques s’entremêlent aux couplets sentimentaux, où les citations classiques succèdent aux sous-entendus grivois, d’où toute vie, toute vérité est absente, où chaque réplique sonne faux, où l’impression d’artificiel, de factice, de creux, de vide, de néant grandit de minute en minute, au fur et à mesure que ce que je suis bien obligé d’appeler l’action essaie de se dérouler. Le besoin d’argent ? Il excuse tout, sauf de pareilles inepties. M. Jean Richepin — je mets Mme Richepin hors de cause — a commis, avec le Tango, un acte qui devait le déshonorer littérairement, non pas aux yeux des vrais écrivains, pour qui il a cessé depuis longtemps de compter, mais à ceux de ses collègues académiciens, si l’honneur littéraire pouvait entrer comme valeur agissante dans les mœurs de ces gens-là. »

Mars

René Rambaud, « Solution équivoque et dangereuse », Le Réveil du peuple, mars 1914, p. 2.

Souvent, il arrive que de braves camarades, de bonne foi, nous qualifient nous, les antialcoolistes abstinents, d’exagérés.

Le modérantisme qui leur paraît suffisant leur semble aussi un moyen plus pratique et plus commode, pour amener les travailleurs à une plus saine et plus exacte conception des bonnes conditions de l’hygiène et de la santé.

C’est la thèse que soutient aussi depuis de longues années déjà, la Ligue Nationale contre l’alcoolisme.

L’aventure qui est arrivée à cette dernière le dimanche 21 décembre dernier et que nous allons très brièvement rappeler – car un bon nombre de nos lecteurs la connaissent certainement – va nous montrer une fois de plus où conduit cette doctrine équivoque de modération, quelle interprétation on peut lui donner, quelles conséquences elle peut avoir, quelles conséquences elle a déjà.

***

G. Latouche, « Conférence de M. Richepin, de l’Académie française », Souvenirs des Funambules, 29 mars 1914, p. 198-199.

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Qui a connu les Funambules ? — Bien peu de personnes et ceux qui les ont connues n’osent plus l’avouer, car c’est avouer un âge bien respectable.

Jean Richepin n’a pas, lui, de ces coquetteries. N’a-t-il pas toujours eu d’ailleurs toutes les audaces ? N’a-t-il pas été saltimbanque, comme il nous l'a raconté l’année dernière ? Il a donc connu les Funambules, étant né en 1849, et ce n’est pas encore la vieillesse !

Les Funambules était un minuscule théâtre du Boulevard du Temple, ce fameux boulevard qui date de la Restauration, qui commençait à peu près où est aujourd’hui le théâtre de la Porte Saint-Martin pour finir un peu plus loin que la place de la République. Peu à peu, sur ce boulevard, s’élevèrent des théâtres de tout genre, des tréteaux, des baraques de foire... En 1825, une troupe voulut jouer le drame, on ne lui permit qu’à cette condition singulière, c’est que, même les premiers rôles devraient faire une gambade ou le saut périlleux en entrant en scène avant de jouer leur rôle. Dans ces temps, les grands théâtres jouissaient d’une sorte de privilège de fait et on trouvait bien prétentieux de la part d’une troupe nouvelle de vouloir se hausser à jouer le drame ou la comédie. Pour lui faire payer cette audace, on exigea donc que les acteurs paraissent d’abord en bateleurs, en sauteurs, en baladins devant le public. Les premières places coûtaient alors 0 fr. 75. C’était le bon temps !

Le théâtre dit des Funambules s’élevait sur la place de la République : on y jouait la pantomime. D’où vient ce nom de Funambules ? Etymologiquement, funambule veut dire « danseur de corde » ; il y avait beaucoup de funambules chez les Romains qui adoraient la danse et les danseurs de corde. Pas de foire, pas de marché sans funambules ! Il y avait des danses gaies, il y en avait d’autres de tristes.

Peu à peu, ce nom de funambules fut donné au théâtre où l’on jouait la pantomime qui fut, il est permis de le dire d’après les vieux documents, le premier langage de nos grands ancêtres, qui précéda la parole.

M. Jean Richepin a connu Jean Gaspard, Debureau, le grand Debureau, qu’on appelait le Napoléon de la Pantomime et qui fut la gloire des Funambules. Il était alors bien jeune — il n’avait que 5 ou 6 ans — et il n’en a pas perdu le souvenir et on devine avec quel charme, quelle grâce, quelle poésie, il évoque cette époque, cet ancien Paris dont le Paris d’aujourd’hui ne donne aucune idée.

La pantomime était alors à la mode : elle le fut longtemps. Baudelaire et Théophile Gauthier l’adoraient : le premier disait qu’elle constituait la quintessence de la comédie, le second y voyait des symboles et des mystères et il l’appelait un rêve éveillé.

M. Jean Richepin n’en est pas moins fanatique. Il est de l’avis de Bernardin de Saint-Pierre qui a dit que « la pantomime avait été le premier langage de l’homme ».

Théodore de Banville trouvait du génie à Debureau qui jouait le rôle de Pierrot dans la Pantomime avec un succès étourdissant. Debureau était adoré du public des Funambules. C’est qu’il en incarnait le côté bon, tendre et naïf, c’est qu’il savait, dans les personnages multiples qu’il représentait, les peindre avec un naturel, une exactitude inimitable et extraordinaire.

A ce théâtre des Funambules, les grands premiers rôles touchaient quinze francs par semaine. On se demande avec terreur quels pouvaient bien être les émoluments des derniers rôles et des pauvres figurants !

Debureau eut un fils que connut aussi M. Jean Richepin, mais qui, tout en ne manquant pas de talent, n’allait pas à la cheville de l’auteur de ses jours. Dans cette troupe, il y avait des hommes qui se sont fait connaître plus tard : Rouffe, élève de Debureau le père, la gloire de Marseille. Il fut, avec M. Jean Richepin, r édacteur au Petit Provençal qui depuis... Mais alors ce journal n’avait que deux rédacteurs : Jean Richepin et Rouffe. Quand Rouffe mourut en 1885, Marseille prit le deuil. Un monument en marbre lui a été élevé et rappelle sa gloire.

Rouffe fut, en effet, un des premiers mimes de son siècle et on peut se demander s’il a jamais été surpassé. Un de mes amis, qui l’a vu et suivi dans sa carrière, me racontait naguère que jamais aucun acteur, même des plus grands, n’avait produit sur lui une impression plus vive que Rouffe. De forme culturale, élégant et distingué, il savait, par ses gestes, vous faire passer par les émotions les plus poignantes de la douleur, de la pitié, de l’angoisse. Son jeu, vraiment classique, était le comble de l’art. Un jour, Francisque Sarcey vint le voir et il se retira émerveillé, lui consacrant un de ces feuilletons qui sacrait un homme pour l’immortalité.

Il y avait encore dans cette troupe de Debureau père : Becker, le trésorier de la « boite », Calpestri qui n’avait pas son pareil pour bondir sur la scène. C’est à lui qu’on peut appliquer les vers fameux du poète sur le pauvre jeune clown qui voulant toujours sauter plus haut, crève le plafond du ciel et s’en va rouler dans les étoiles !

« J’en passe et des meilleurs ou plutôt des moins bons ! » Arrivant à ses souvenirs personnels, M. Jean Richepin nous raconte qu’il a composé et joué une pantomime le 28 avril 1883 avec Sarah Bernhardt, pour une œuvre de charité, au Trocadéro, et que la recette atteignit près de 80.000 francs. Clairin avait dessiné le programme. L’orchestre comprenait 30 musiciens sous la direction de Pardi qui passa plus tard à l’Opéra Comique.

Les rôles de la pantomime étaient tous tenus par des acteurs en renom, des étoiles de grands talents. C’était Sarah Bernhardt qui jouait Pierrot, Mme Réjane qui faisait Colombine, Saint-Germain tenait le rôle d’un gendarme et Daubray, le fameux Daubray du Palais-Royal, celui d’un spadassin. Les deux Mounet, Mounet-Sully et Paul Mounet avaient un rôle.

Selon la vieille tradition, Pierrot est amoureux de Colombine et veut l’épouser : mais il a des rivaux qui ont soudoyé un spadassin pour le tuer et comme il invente mille ruses pour lui échapper et se défendre, on le fait passer pour fou et on le conduit dans une maison d’aliénés. C’était un très jeune homme, alors inconnu, devenu depuis un acteur célèbre et dont Richepin ne veut pas donner le nom, qui avait le rôle de médecin des aliénés,

Mais le spadassin ayant débarrassé ainsi de leur rival les prétendants à la main de Colombine, fait mille folies et, à son tour, il est enfermé comme fou et Pierrot est rendu à la liberté et finalement épouse Colombine.

M. Jean Richepin eut grand’peine à décider Sarah Bernhardt à jouer la pantomime. Elle se récusait, alléguant qu’elle n’avait jamais joué ce genre et qu’il était bien tard, {199} disait-elle, pour adopter un genre nouveau. Elle se rendit enfin aux instances de M. Jean Richepin qui, lui aussi, avait accepté un rôle dans la pièce.

Le conférencier, dont les souvenirs sont toujours vivants et lui reviennent en foule à la mémoire, raconte ensuite l’histoire d’un théâtre de Marionnettes qu’il installa avec des amis, rue Vivienne dans un immeuble occupé aujourd’hui par un grand cercle de Paris.

Le Directeur de ce théâtre était le Dr Henri Signoret : il avait réuni une troupe remarquable composée de Boucher, Pigeon, Coquelin cadet, Vidal devenu un sculpteur célèbre. Les marionnettes avaient été sculptées — grandeur demi-nature — par des prix de Rome, tandis qu’on les faisait mouvoir sur la scène, les acteurs, dans la coulisse, débitaient les paroles de leur rôle.

On jouait sur ce minuscule théâtre toute espèce de pièces : les Oiseaux d’Aristophane et la Tempête de Shakespeare ; des farces du Moyen-Age et les classiques du xviie siècle, sans dédaigner le théâtre purement moderne.

Le jour où ce théâtre ouvrit ses portes au public, la caisse était à peu près vide. M. Richepin composa une sorte de prologue en vers destiné à attirer les amateurs et qui fut très applaudi. Le théâtre connut quelques années de prospérité, puis il disparut un beau jour, la faveur toujours capricieuse du public l’ayant abandonné pour se porter ailleurs.

M. Jean Richepin donne un souvenir ému à quelques-uns de ses compagnons du théâtre des Marionnettes, notamment à un pauvre diable, un ascète, une sorte de saint laïque qui, en gagnant 1 fr. 50 par jour, trouvait le moyen de faire la charité et de soutenir une famille chargée d’enfants, habitant tout près de lui, dans le quartier perdu de la Butteaux-Cailles. Ce brave homme vivait de rien : un peu de pain et par jour un plat de riz (partagé en deux portions pour le déjeuner et le dîner) et qu’il assaisonnait de queues de harengs pour lui donner du goût !

Ce pauvre diable mourut non de privations, mais d’avoir voulu... manger comme tout le monde. Un beau jour, il hérita de 10.000 fr. ; c’était une fortune pour lui. Il voulut alors manger de la viande : son estomac rebelle et déshabitué lui causa une maladie d’entrailles dont il mourut en quelques semaines.

Richepin évoque encore le souvenir d’un théâtre d’ombres où un accompagnateur entonnait des chants militaires et patriotiques, repris par toute la salle, et après avoir salué en passant le Chat noir dont Maurice Donnay a raconté naguère les péripéties, il en arrive à sa conclusion fort intéressante.

La pantomime semble un peu endormie aujourd’hui, bien qu’elle ait eu encore naguère ses succès avec la belle Otero et Collette Wily ; mais enfin, on la délaisse. Le cinéma lui a été fatal : mais elle redeviendra de mode, déclare énergiquement M. Jean Richepin et elle remportera encore de nouveaux triomphes.

Les peuples se lassent des bavards, même les Gaulois qui, César le remarquait, il y a deux mille ans, aiment tant la parole publique et ils reviennent au geste, à la pantomime, car « seul, le geste ne déguise pas la pensée, ne la trahit pas ».

Donc la pantomime ressuscitera, elle est antérieure au « verbe ». La première écriture, chez les peuples primitifs, n’étaient-ce pas des gestes tracés sur le papier ? Voyez, en effet, les premières écritures uniformes. Pour M. Jean Richepin, la pantomime sera le langage de l’avenir et, joignant l’exemple à sa déclaration, il termine sa conférence par des gestes, en portant successivement les mains à son cœur, à son cerveau et en les étendant vers le public qui l’applaudit frénétiquement.

G. Latouche.

Avril

Anonyme, « Un Candidat mal embouché », Le Bonnet rouge, 14 avril 1914, p. 1.

C’EST L’ACADEMICIEN JEAN RICHEPIN

M. Jean Richepin est, comme on sait, candidat de la Fédération des gauches, à Vervins. Il paraît que les électeurs manquent d’égard envers le chantre des gueux, car voici que le poète retrouvant sa verve d’antan, se met à les eng… comme un charretier.

Hué par les citoyens de la commune d’Hirson, où il donnait une réunion, le citoyen académicien répliqua en ces termes :

« Vous n’être pas des citoyens dignes de ce nom. Vous êtes des esclaves ! Vous êtes des brutes ! Vous êtes des chiens ! Vous êtes des lâches ! »

Et, les jours suivants, dans ses journaux, le poète faisait servir aux électeurs ces petites aménités : « Misérables. Stipendiés Chacals. Morveux. Gueules d’énergumènes. Bêtes fauves et hurlantes », etc.

Toujours truculent, le poète des Blasphèmes

Anonyme, « A la Comédie-Française », Le Bonnet rouge, 16 avril 1914, p. 1.

M. Albert Carré, de retour à Paris, va prendre, dès aujourd’hui, la direction des répétitions de Macbeth. On espère pouvoir donner la première de l’œuvre de Shakespeare, mise en vers par M. Jean Richepin, dans les premiers jours du mois de mai, tout en préparant le spectacle suivant, qui se compose de La Nouvelle Idole, comédie en trois actes de M. François de Curel, et de La Révolte, de Villiers de l’Isle-Adam.

La Nouvelle Idole aura pour interprètes Mme Bartet, M. de Féraudy, Mme Lara, M. Alexandre et Mlle Bovy ; ceux de La Révolte seront Mm Segond-Weber et M. Henry Mayer.

Gabrielle Cavellier, « Courrier de Paris », Le Cri du marin, 16 avril 1914, p. 2.

Paris, 5 avril 1914

C’est grand’passion, dans les cénacles, que le passage de M. Jean Richepin de la poésie à la politique… Jean Richepin candidat ! Hé, pourquoi pas ? Si Tout-Paris manque à lui pardonner quelque chose, ce ne sera que d’avoir méconnu les électeurs de la Râpée-Bercy qui – au sûr – lui auraient prodigué leurs voix. En attendant, la figure nous reste. Hâtons-nous de la fixer avant que le vilain parlementarisme nous la dénature :

M. Hugues Le Roux a décrit bien finement, certain jour, M. Jean Richepin : « Un Hun tout chaud descendu de son cheval ».

Voilà un portrait peu harmonieux, mais exact. Evidemment, Richepin est le dernier des Huns ; sa moustache le prouve autant que sa fougue pourfendeuse. Mais tout chaud, oh ! que oui, davantage encore ! Il est né d’ailleurs à Médéah, ce qui explique bien des choses, et les femmes du pays de Thiérache où il revint, comme l’hirondelle revient invinciblement au nid des ancêtres, l’appelèrent « Mon ch’tio blond », « mon petit blond », probablement parce qu’il avait une forêt de cheveux noirs et deux yeux de braise qui faisaient languir les filles.

Nul écolier n’est parvenu à la gloire par des chemins plus longs ni plus pittoresques.

En 1868, Richepin potasse Juvénal à l’Ecole normale. En 1870, il fait le coup de feu dans l’Est parmi un corps de francs-tireurs. En 1871, certaine aurore le voir installé sur le toit de sa maison, lançant des odes à Paris qui flambe depuis la veille. En 1872, il écrit dans les journaux interrompant sa collaboration dès qu’il a vingt louis en poche, se sauvant tout à coup sans crier gare à Londres ou dans quelque trou perdu des bords de l’Océan, à moins qu’il ne racole les clients de l’agence Cook auxquels il a la manie de payer des cocktails dans les bars.

Portalis, qui dirige des feuilles, sait son homme. Quand il juge Richepin à court de ressources, il envoie les garçons du journal le rechercher dans les garnis à douze sous la nuit où Richepin, panné, a coutume de se réfugier.

Cependant, le journalisme ne l’intéresse pas. La tête de ce diable d’homme est une boîte à sonnets, et il n’y a pas à dire, il faut que les sonnets sortent. Paris les dédaigne ? Qu’à cela ne tienne ! Il ira les dire aux flots. Le voici à Nantes. Un bateau décharge : – Quand repartez-vous ? – La semaine prochaine – Prenez-moi à votre bord ? – Oui, moyennant cinq cents francs ! – Je n’ai pas un liard ! – Alors, travaillez avec mes débardeurs !

Richepin vêt la cotte, « turbine », se colle des marrons avec la « coterie », et huit jours après embarque comme matelot. Cette inénarrable odyssée nous vaudra plus tard l’admirable poème qui s’appelle : la Mer.

La mer usée, on se retrouve à Montmartre devant des saladiers de vin chaud. Richepin est devenu le chansonnier attitré des noctambules. Il leur improvise au jour le jour des actualités rimées qui lui créent une célébrité. Mais la Roche Tarpéienne n’est pas loin du Capitole. La Chanson des Gueux vaut de la prison à l’auteur pour « outrage aux bonnes mœurs ». Le soir de la libération, tout le Quartier-Latin se porte à Sainte-Pélagie. Un long cortège se forme, Paul Bourget, Maurice Bouchor et André Gill marchant en tête, les étudiants suivant, avec Jean Richepin sur un pavois.

Malheureusement, le triomphateur est en loques, sans asile, sans argent. Bourget lui offre la moitié de la petite chambre qu’il occupe rue des Plantes. Pour ménager le dernier débris de sa garde-robe, Richepin se taille une manière de simarre dans un vieux rideau, et c’est en cet accoutrement qu’il reçoit les journalistes.

Temps de triste chère !

Un jour, Richepin l’ingrat lâche Bourget pour Raoul Ponchon qui lui vante les agréments d’un lavoir abandonné où il vient d’élire domicile. On ne voit plus que Richepin-Ponchon et Ponchon-Richepin, l’un habillé en paysan breton, l’autre (c’est Richepin) coiffé d’un immense sombrero, les doigts chargé de bagues, les poignets et les chevilles cerclés de bracelets. Ils ne mettent point les pieds dehors qu’une escorte anonyme et vague, principalement composée de nègres, les suive. Paris s’amuse, s’intéresse, s’émeut.

Et ainsi le génie latent se développe-t-il au souffle de la popularité. Richepin revêt la souquenille pour écrire Monsieur Scarpin, le surcroît pour écrire le Flibustier, la robe pour écrire Miarka, la blouse pour écrire Le Chemineau, le costume de la Basse-Loire pour écrire la Glu, je ne sais quel autre déguisement pour écrire Nana-Sahib, qu’il s’offre la fantaisie de jouer lui-même avec Mme Sarah Bernhardt, car cet illusionniste se prend soi-même à ses propres fantasmagories et n’est pas encore revenu de ce qu’un soir de septembre 1887, les habitants de Saint-Enogat, près Dinard, le firent s’arrêter parce qu’il s’était affublé d’un manteau écarlate et battait solitairement du tambour sur la plage.

Il est vrai que, depuis l’Académie est survenue, et il est encore possible que, demain, la Chambre corrobore… à moins que ce soit comme dans une chanson signée de Jean Richepin lui-même :

« Celle’ » Avais-tu déjà deviné la Politique ô Poète ?

Gabrielle CAVELLIER

Pick-me-up, « Le Rire de la semaine, Le Rire, 25 Avril 1914, p. 3.

Ce document est extrait du site RetroNews.

M. Jean Richepin est, à Paris, un poétique conférencier pour jeunes filles : il leur parle avec lyrisme de l'idéal.

En Thiérache, M. Jean Richepin est un candidat truculent, rabelaisien, plus qu'audacieux dans ses harangues et surtout dans ses gestes.

L'autre jour, l'auteur des Gueux a fait devant son adversaire, M. Ceccaldi, un geste que connaissent bien les potaches et qui sert souvent d'argument dans les casernes.

M. Richepin a « taillé une basane » à l'actuel député de Vervins : oui, il a osé cette mimique qui rappelle celle du Manneken-piss.

Et M. Richepin est académicien !

Que va dire M. René Bazin de ce collègue qui, en public, prend cette attitude shocking entre toutes ?

Naturellement, les jeunes filles qui suivent les conférences des Annales, les « cousines d'Yvonne » sont au courant de cet incident électoral. Quelques-unes ignorent peut-être en quoi consiste exactement le geste désormais fameux de M. Richepin.

Un de ces jours, celui-ci se verra entouré de vierges curieuses qui après l'avoir complimenté comme d'habitude, lui demanderont :

– Cher maître, voulez-vous être bien gentil ?

– Sans doute, mesdemoiselles.

– Dites, comment lui avez-vous répondu, à Ceccaldi ?

– Oh ! mes demoiselles !

– Cher maître, refaites-le.

– Quoi, devant vous ?

– Pourquoi pas ? Nous venons aux Annales pour nous instruire des choses de la vie. Refaites-le, cher maître, refaites-le !

M. Jean Richepin consultera Cousine Yvonne et M. Adolphe Brisson.

– Puis-je, leur demandera-t-il, tailler une basane devant ces chères enfants ?

Et si la direction de l'Université de la rue Saint-Georges l'autorise, M. Richepin taillera des basanes en même temps que des bavettes chaque jour, à deux et à cinq heures, avec récitations poétiques et danses de caractère.

Et rien ne sera plus parisien.

Mai

Paterne Berrichon, « Versions inédites d’ « Illuminations », Le Mercure de France, 1er mai 1914, p. 28-30

Les feuillets manuscrits des versions de poèmes d’Arthur Rimbaud qu’on va lire nous ont été communiqués par leur possesseur : M. Jean Richepin. Nous lui en exprimons notre bien vive et très affectueuse gratitude.

On sait que Jean Richepin compta, un temps, parmi les amis de Rimbaud. C’était en 1872. Rimbaud, après avoir quitté les Parnassiens, était revenu, à diverses reprises, de mai à juillet, faire de courts séjours à Paris. Autour de Jean Richepin se groupaient alors quelques jeunes poètes. Sous la dénomination de « Vivants », dans la bataille littéraire, ils levaient des étendards contre le « Parnasse », contre le groupe de ceux qui, dans la Saison en Enfer, sont appelés « les amis de la mort ». Il était dans l’ordre naturel des choses que le poète, le prophète des Illuminations, s’éloignât du clan des Parnassiens si adverse à son caractère et à ses visées, du clan des « arriérés de toutes sortes », des « infâmes infirmes dont le démon ne peut rester qu’aux lieux où l’aumône est sûre », pour venir rejoindre des âmes de volonté plus jeune, plus saine et plus libre. On doit penser que, malgré le peu de durée de ses présences parmi le nouveau groupe, il n’en fut pas le moins exubérant. En tout cas, Richepin garde de lui dans son souvenir une trace ineffaçable, et, dans sa maison, la mémoire d’Arthur Rimbaud est pieusement, célébrée.

« J’eus—nous écrivait-il récemment — la joie de le connaître assez intimement. Nous le considérions, quelques camarades et moi (Forain, Ponchon, Nouveau, entre autres), comme l’adolescent de génie qu'il était. Nous fûmes seuls, alors, à penser ainsi. Je n’ai jamais changé d’avis là-dessus. J’estime, en particulier, que le grand Verlaine seconde et dernière manière n’eût pas existé sans l’influence de Rimbaud. » Et, en effet, Jean Richepin, non seulement reconnaît et enseigne dans l’intimité et le tête-à-tête la valeur exceptionnelle du poète, mais encore il la proclame souventes fois au cours de ses conférences si suivies. Cela, du reste, nous confirme dans cette opinion : que les Symbolistes, à la suite de Verlaine très injuste dans la biographie des Hommes d'Aujourd’hui, ont méconnu l’auteur de la Chanson des Gueux, en qui, derrière le succès et les honneurs actuels, sous le classique manteau, sous la toge romaine, nous voyons, nous, une façon de poète maudit. N’était-ce pas aussi le sentiment d’Arthur Rimbaud, lorsque, en 1891, à Roche, sur son lit de souffrances, il s’intéressait aux proses de Richepin dans les Annales et en recommandait la lecture à sa sœur Isabelle ? L’on aura peut-être, un jour, la preuve de la justesse de cette intuition.

Encore que les trois premiers des suivants poèmes de Rimbaud ne présentent pas, quant au texte, de variantes très nombreuses et que, seul, le quatrième offre une grande dissemblance avec la version jusqu’ici connue, il nous a paru nécessaire, à cause du dispositif général, indiqué de la main de l’auteur au verso du dernier feuillet, de publier l’ensemble, le tout formé par ces quatre pièces.

On y reconnaîtra cette sorte de mystique matérialiste qui inspira Mémoire, poème un peu antérieur et dont nous avons donné une analyse, une explication dans Jean-Arthur Rimbaud, le Poète. Pourtant, ici, cette mystique n’est pas sans s’orner çà et là de catholicisme : car, qu’il l’ait voulu ou non, Rimbaud ne cessa jamais d’être catholique.

Les Fêtes de la Patience semblent avoir été écrites à Paris, un peu après la Comédie de la Soif, qui, elle, doit être exactement contemporaine de Mémoire et avoir été écrite, de même que ce dernier poème, à Charleville. Dans ces Fêtes de la Patience, comme dans Mémoire, la méthode d’inspiration du poète est tangible. S’il est dans la nature, c’est pour écarter, déchirer le rideau des apparences ; pour se plonger au sein des éléments, dans le mystère même de la création ; pour s’imprégner de ce mystère, le faire sien, et pour nous le restituer. Et cela est sans doute ce qui expliquerait le mieux pourquoi, chez lui, les mots les plus courants prennent un sens si nouveau en même temps que si plein, si complexe en même temps que si dense ; pourquoi ces mots débordent leur texture et viveut d’une telle vie lumineuse et procréatrice. En opposition à la doctrine de l’art pour l’art, qui était de mode en 1872, c’est bien là, comme il l’a indiqué lui-même dans la lettre contenant la théorie du voyant, de l’âme pour l’âme. Et l’étrange et si délicat frémissement de ces vers, dont toute rhétorique est absente, qui ont un rythme de complaintes populaires, de poésie unanime, est obtenu par le jeu le plus subtil de la rime discrète, de l’assonance et de l’allitération dans le nombre et la mesure les plus fuyants et pourtant les plus précis ; il s’adapte et se confond de merveilleuse façon à la présence de la pensée dans l’inconnu, inconnu dont Rimbaud vient d’explorer les profondeurs et les hauteurs, et qu’il veut nous raconter, nous confesser prophétiquement, avec tous ses sens, tout son cœur, toute son intelligence, avec son humanité.

On retirerait profit — croyons-nous — à confronter les versions publiées dans les Œuvres de Arthur Rimbaud avec celles-ci, qui leur sont antérieures. Au point de vue de la technique musicale, la comparaison des deux textes d’Age d'Or est particulièrement instructive. Il semble que ce poème, ici, n’est pas achevé ; la quatrième strophe, que nous reproduisons typographiquement selon que Rimbaud l'a tracée en diverses écritures, paraît être de rédaction provisoire.

Quant aux conditions temporelles dans lesquelles furent élaborées ces choses, Rimbaud nous en instruit lui-même par la lettre, si remarquable, adressée de Paris à Ernest Delahaye en juin de cette année 1872 (1) et où, entre autres passages très délicats, on lit : « Les rivières ardennaises et belges, les cavernes, voilà ce que je regrette... Maintenant, c’est la nuit que je travaille. De minuit à cinq heures du matin. Le mois passé, ma chambre, rue Monsieur-le Prince, donnait sur un jardin du lycée Saint-Louis. Il y avait des arbres énormes sous ma fenêtre étroite. A trois heures du matin, la bougie pâlit : tous les oiseaux crient à la fois dans les arbres : c’est fini. Plus de travail. Il me fallait regarder les arbres, le ciel, saisis par cette heure indicible, première du matin. Je voyais les dortoirs du lycée, absolument sourds. Et déjà le bruit saccadé, sonore, délicieux des tombereaux sur les boulevards. Je fumais ma pipe-marteau en crachant sur les tuiles, car c’était une mansarde, ma chambre. A cinq heures, je descendais à l’achat de quelque pain ; c’est l’heure. Les ouvriers sont en marche partout. C’est l’heure de se soûler chez les marchands de vins, pour moi. Je rentrais manger, et me couchais à sept heures du matin, quand le soleil faisait sortir les cloportes de dessous les tuiles. Le premier matin, en été, et les soirs de décembre, voilà ce qui m’a ravi toujours ici. — Mais, en ce moment, j’ai une chambre jolie, sur une cour sans fond mais de trois mètres carrés. — La rue Victor-Cousin fait coin sur la place de la Sorbonne par le café du Bas-Rhin, et donne sur la rue Soufflot, à l’autre extrémité. — Là, je bois de l’eau toute la nuit, je ne vois pas le matin, je ne dors pas, j’étouffe. Et voilà. » Ces quelques lignes, nous semble-t-il, autant quoique d’une autre manière que la théorie du voyant, antérieure, expliquent le système de travail employé par Rimbaud pour s’exaspérer l’intelligence jusqu’à la divination et pour placer son esprit au-delà des ordinaires contingences. Avril 1914.

PATERNE BERRICHON.

Anonyme, « Les élections législatives », Le Petit Provençal, 6 mai 1914, p. 4.

Article recensé par Yves Jacq.

M. Jean Richepin ne sera pas candidat au second tour

Paris, 5 mail

Un de nos confrères est allé demander à M. Jean Richepin quelles étaient ses intentions pour le second tour :

- Est-il exact que l’Union républicaine de Caudry, dans le Nord, vous ait offert de poser votre candidature contre M. Le Roy, radical-socialiste, député sortant ?

- Parfaitement exact, dit l’académicien. La proposition m’a bien été faite, mais elle n’aura pas de suite. J’ai dû, en effet, la décliner, en raison du peu de temps qui reste pour assurer une organisation complète.

- Votre résolution est définitive ? Accepteriez-vous d’autres propositions si elles vous étaient faites ?

- Non, d’autres propositions m’ont été faites, à Marseille, et ailleurs, mais je ne m’occupe que de ma plainte en police correctionnelle pour diffamation que j’ai déposée contre M. Ceccaldi. Comme mon avocat, Me Jacques Bonzon a demandé audience à la Cour d’appel d’Amiens pour constater le défaut de M. Ceccaldi et que cela va être incessamment jugé. J’attends avec confiance que justice me soit rendue, et je reste, en l’attente, sur mes positions.

Léon Werth, « M. Richepin et le travail », Gil Blas, 10 mai 1914, p. 1.

Ce document est extrait du site RetroNews.

Pour les jeunes personnes qui ont de la lecture, M. Jean Richepin est un Bohémien magnifique, qui traversa le monde, vêtu de pourpre et d'or, dans une roulotte bien jolie à photographier dans les clairières. Il était le roi de la tribu. Et des hommes farouches et bronzés et des gitanes, aux chevelures de nuit sans étoiles, s'empressaient autour de lui, afin de le servir. Pour les récompenser, il leur disait des vers, en frappant, à la césure, sur un gong.

Mais pour moins théâtrale, la destinée de M. Jean Richepin est infiniment plus tragique : il redouble. Il redouble depuis l'âge de dix-huit ans. Il redouble sa rhétorique. Poète, dramaturge, romancier, académicien, Bohémien, M. Jean Richepin est toujours en Rhétorique A. Il y a la vie, il y a le monde, il y a les hommes. M. Jean Richepin ne connaît ni les hommes, ni le monde, ni la vie. Il tourne dans la cour parfaitement close, poète d'une éternelle Saint-Charlemagne. Et si quelque autre espace que celui de la cour s'offre à son regard, c'est l'espace d'une classe : les bancs, la chaire, le poêle — aperçu par une porte entr'ouverte…

***

Ayant abandonné son paradis scolaire, M. Jean Richepin s'est présenté à la députation Cela n'avait rien d'absurde.

M. Jean Richepin se disait sans douter : « Beaucoup d'universitaires sont députés. Et moi je représente dans l'Université des traditions qui sont mortes aujourd'hui. Je suis le vers latin lui-même, le vers latin qui fut, pendant des siècles, toute la poésie des régents et de leurs disciples. Et je suis aussi l'Amplification. Je serai le candidat de l'Amplification. »

Mais l'élève Richepin qui, depuis que la Rhétorique est la Rhétorique, avait toutes les « nominations » à toutes les distributions de prix, pour la première fois ne fut pas nommé. Et le proviseur, qui aimait les jeux de mots, écrivit sur son livret scolaire : « Bulletins insuffisants. »

Cela n'était pas grave et tous les bancs de toutes les rhétoriques étaient prêts à l'accueillir.

Mais M. Jean Richepin composa sur son échec un devoir français, sous la forme familière d'une interview. Et il nous donne son opinion sur la liberté, l'égalité, la fraternité et le travail. Le travail, le monotone travail dont sont uniquement remplis les jours de milliers et de milliers d'hommes, le travail lui-même ne contraint pas M. Richepin fit quelque humble réflexion. Sa rhétorique est indéfectible, autant qu'un dénouement présidentiel. Et il met le travail en couplets. de théâtre. Il nous confie ses paroles électorales :

« …La fraternité ? Je sais ce que c'est. J'ai travaillé comme, vous, avec mes muscles, suivant les coups de tête familiers aux Thiérachiens. J'ai été pêcheur à Dieppe. J'ai été débardeur à Nantes. Et de Nantes à Bordeaux, je payais mon passage en besognant rudement. »

Et les travailleurs ingrats n'ont pas acclamé M. Richepin. Bien mieux, une « troupe d'ouvriers alcoolisés » est venue « hurler » devant ses fenêtres. Ah ! s'ils ont compris, ces « ouvriers alcoolisés », l'impudeur qu'il y avait à raconter devant eux ces travaux d'amateur, comme ils ont bien fait de hurler !

M Richepin a été pêcheur et débardeur, comme Louis XVI fut serrurier. Il a travaillé « suivant les coups de tête familiers aux Thiérachiens ». Et il disait cela fièrement, comme une petite actrice bien sage confie à une couturière à la journée : « Je fais toutes mes robes moi-même. Je suis une travailleuse, moi aussi, une travailleuse de l'aiguille. Oui, je fais moi-même toutes mes robes, toutes les robes que je n'achète pas chez un couturier. »

Mais le professeur de rhétorique de M. Jean Richepin ne fut a donc pas appris qu'il y a des hommes pour qui le travail n'est pas un « coup de tête », des débardeurs qui ne débardent pas pour l'unique plaisir de raconter dans les salons et dans les journaux qu'ils ont débardé. Pécheur et débardeur d'école normale, M. Richepin faisait du sport. Il pêchait et il débardait., comme un acteur de cinéma exécute les mouvements d'un métier manuel. Il pêchait comme un petit rentier. Il débardait, comme un recordman. Et la pêche et le débordement et la rente et bien d'autres choses encore, il les a mises en vers latins et en affiches électorales.

Et c'est de cela qu'il faut le plaindre. Esprit vide, accoutumé depuis l'enfance à une quotidienne amplification, habile aux développements scolaires à déclenchement automatique, il ne saisit rien des plus évidentes, des plus urgentes réalités. Semblable à un régent de collège embauché dans un cirque, il n'est pour lui que des attitudes et des mots. Il ne distingue pas la tragédie du travail quotidien de l'amusement d'un sport ; il confond la pioche, le gradus ad Parnussum, la pelle et la raquette de tennis,

***

Aussi bien, M. Jean Richepin n'éprouve aucune difficulté à résoudre les questions sociales, la question sociale, toutes les questions. Ce qu'il veut, c'est « la vraie République, c'est-à-dire la vraie liberté, la vraie égalité, la vraie fraternité. » Vous entendez bien ; il ne faut pas confondre. Et n'allez pas croire, si par hasard vous aviez l'esprit sans méthode, que M. Jean Richepin veut la fausse liberté. (Non, c'est de la vraie qu'il s'agit. Et pour la fraternité, de même :

« J'ai été soldat pendant la guerre, confie M. Richepin au Figaro. Et lorsqu'on s'entasse pour dormir sur le sol gelé, il ne s'agit, pas de savoir si le camarade a des opinions, des goûts, des habitudes. Il faut se serrer les uns contre les autres, et se tenir chaud au dos et au ventre. Eh bien ! la fraternité, la voilà. C'est de se tenir chaud. »

Le défaut de la fraternité, telle que la conçoit M. Richepin, sociologue, c'est qu'elle n'a pas de raison d'être, pendant l'été.

***

Et M. Richepin, poète et sociologue, compare les élections de jadis aux élections d'aujourd'hui. Cela pourrait s'intituler l'âge d'or et l'âge de fer. C'est un aimable parallèle. Jadis, les paysans jouaient aux boules et votaient bien.

Les sylvains et les nymphes se promenaient sur la place du village. Les faunes couraient entre les arbres. Le jour des élections législatives, les hommes, les femmes et les enfants assemblés criaient : « Vive Cérès. Vive Pomone. »

Et, parfois, des délégations de paysans s'en allaient en pèlerinage, nu-pieds, vers la capitale, afin de supplier quelque académicien d'être leur député. Et le député, quand il venait au village, rendait la justice sous un chêne.

Aujourd'hui, tempora nubila, tout est bien changé. Et M. Richepin décrit un Apache de théâtre, un Apache de figuration, qui, pendant une réunion publique, ne cesse de l'insulter Et il a vu aussi un paysan d'almanach qui se bouche les deux oreilles et répète inlassablement :

– J'veux point changer d'opinion…j'veux point changer d'opinion…

Mais cela n'est que littérature et politique. C'est quand M. Richepin s'amuse à jouer, au pied levé, le rôle du travailleur manuel, que nous saisissons la misère des exercices scolaires auxquels il se livra et cette impuissance tragique à s'approcher de la vie. « J'ai été débardeur. j'ai été pêcheur... » Et M. Richepin fait penser à ce comédien qui disait à un ami, pleurant sa femme morte :

– J'ai souffert comme toi, mon vieux. Et dans plus d'un rôle. Et même une fois, j'ai appris, après sa mort, qu'elle ne m'avait jamais aimé.

Léon Werth.

Juin

Anonyme, « M. Jean Richepin écrit à M. Raymond Poincaré », Le Bonnet rouge, 29 juin 1914, p. 1.

Fonds Yves Jacq

Ce n’est que pour lui demander… DE DISSOUDRE LA CHAMBRE !

Tous les candidats malheureux n’auront peut-être pas cette excellente idée d’écrire à notre président de République… afin qu’il dissolve la Chambre ! Et nous imaginons que si M. Jean Richepin avait eu raison, aux dernières élections, de M. Pascal Ceccaldi, il n’eût point manifesté cette agressive intention…

Evidemment, les braves gens du bon troupeau ne croiront pas cette nouvelle. Il conviendra, pour éclairer leur religion, de leur rappeler seulement que l’ex-chantre des gueux a fait la même sommation autrefois à M. Paul Deschanel. Pourquoi ne serait-il pas capable de recommencer aujourd’hui qu’il a un récent compte à régler avec la Chambre actuelle, où les braves bougres de l’Aisne n’ont pas voulu l’envoyer ?

Nous tenons ce renseignement de source sûre. A M. Richepin de le démentir s’il lui plaît…

Mais non, il ne le fera pas.

Juillet

Léo, « Un ami de la pantomime : Jean Richepin », Manuel général de l’instruction primaire, 11 juillet 1914, p. 516-517.

Ce document est extrait du site RetroNews.

Souvenirs des funambules, Eloge de la pantomime. — Un émule de Debureau. — La mort de Calpestris.

Jean Richepin aime les forains et il ne s’en cache pas. C’est un milieu qu'il connaît bien pour y avoir vécu et y avoir, aujourd'hui hui encore, des amis. Il a fait, ces temps derniers, à la salle des conférences du boulevard Saint-Germain, une bien curieuse revue de ses souvenirs. Il nous a parlé avec attendrissement des funambules et des mimes qu’il a connus et pour lesquels il a toujours un faible. N’a-t-il pas lui-même composé des pantomimes ?

La pantomime, nous dit-il, est la vraie comédie humaine, et, bien qu’elle n’emploie pas deux mille personnages comme celle de M. de Balzac, elle n’en est pas moins complète. Avec quatre ou cinq types, elle suffit à tout. Cassandre représente la famille ; Léandre, le bellâtre stupide et cossu qui agrée aux parents ; Colombine, l’idéal ; Béatrix, le rêve poursuivi, la fleur de jeunesse et de beauté ; Arlequin, museau de singe et corps de serpent, avec son masque noir, ses losanges bigarrés, sa pluie de paillettes, représente l'amour, l’esprit, la mobilité, l’audace, toutes les qualités et tous les vices brillants. Pierrot, pâle, mêle, vêtu d’habits blafards, toujours affamé et toujours battu, représente l’esclave antique, le prolétaire moderne, le paria, l’être passif et déshérité qui assiste, morne et sournois, aux orgies et aux folies de ses maîtres.

Parmi les pierrots qu’il a connus, il y en a eu un dont l’histoire est particulièrement navrante, c’est Calpestris qui fut l’émule du grand Debureau. Richepin assista, sinon à sa mort, du moins au dernier jour de sa vie :

Ce soir-là, dit-il, le pauvre Calpestris était venu à la foire au pain d’épices, n’ayant pu trouver d’engagement depuis longtemps, la pantomime étant en décadence à ce moment-là, comme cela lui arrive souvent. Elle a des hauts et elle a des bas, heureux, comme disait une épigramme, quand ces derniers lui restent. Lui, ils ne lui restaient même pas. Il était pieds nus, il n’avait pas mangé, il était seul avec son chien et il essayait de trouver un engagement. Mais que paît trouver un vieux pierrot de soixante-douze ans sur un endroit comme la foire au pain d’épices où chacun travaille pour gagner durement sa vie ! Enfin, néanmoins, comme les pauvres gens sont très bons les uns pour les autres, d’une des baraques on lui fit signe de monter sur l’estrade où se fait le boniment ; on l’affubla d’une casaque de paillasse et on lui dit de parler. Il essaya de faire un boniment. La voix n’y {517} était plus, les gestes n'y étaient plus ; il était vraiment tout à fait vieux et perdu, et il descendit en disant : « Non, c'est fini, c’est fini, je ne pourrai plus jamais rien faire, je ne pourrai plus gagner ma vie ». On lui donna une pièce de quarante sous. Ce n’était pas un gros payement, mais la baraque n’était pas riche. Et il s’en alla.

Or, le lendemain, Richepin apprit par des amis qu’on avait trouvé Calpestris mort sur son grabat — à son septième étage de la rue de Ménilmontant. Il était rentré avec son chien ; il avait dépensé ses deux francs pour acheter une petite saucisse pour son compagnon et du charbon ; il avait allumé le réchaud et on les trouva tous les deux, le matin, morts l’un à côté de l’autre.

Septembre

Anonyme, « La Guerre et la presse », Les Annales politiques et littéraires, 20 septembre 1914, p. 217-219.

Jean Richepin, le grand poète, le défenseur ardent de la culture classique, donne à nos soldats la formule d'une prière patriotique capable d'exalter nos combattants d'aujourd'hui, comme elle exaltait, autrefois, les jeunes héros de la Grèce :

PRIÈRE DE SOLDATS

Oh ! C'est une prière que peuvent dire tous les croyants, de n'importe quelle foi, et même ceux qui ont pour religion' unique la foi dans le pays. C'est le serment magnifique prêté par vos frères, les jeunes hommes d'Athènes, à leur vingtième année, quand ils devenaient soldats.

Ils le prêtaient en présence des pères et des mères, entre les mains des magistrats, sans emphase inutile, très simplement et le disaient par cœur, mais du fond du cœur, comme vous le saurez et le direz, jeunes Français, ô Athéniens d'aujourd'hui, qui vous battez aussi pour l'humanité contre les Barbares.

Voici les mots que prononçait l'adolescent changé en homme, et par lesquels cet homme se sentait changé en héros :

« Je m'engage à obéir aux lois, à respecter la foi de mes ancêtres, à ne point déshonorer mes armes, à ne jamais abandonner mon compagnon de rang dans la bataille, à combattre jusqu'au dernier soupir pour défendre le sol de la patrie, et à laisser enfin mon pays en meilleur état que je ne l'ai trouvé. »

Apprenez-les, ces simples mots, qu'ils se gravent en traits de flamme au meilleur de votre être, qu'ils soient votre prière du matin et du soir, ô jeunes soldats, ô vainqueurs du sublime Marathon qui s'apprête pour demain, à la honte de la barbarie écrasée, à la gloire de la France, libératrice du monde !

Au Marathon de l'antiquité, assistait comme jeune soldat le poète qui devait être plus tard le grand Eschyle, le plus grand des tragiques grecs, celui que Hugo a nommé Shakespeare l'ancien. A la fin de sa longue et glorieuse vie, après avoir écrit plus de cent drames, Eschyle fit lui-même son épitaphe, et il n'y mentionna aucun de ses triomphes, estimant, à juste titre, que son unique triomphe avait consisté à être un des combattants de Marathon.

« Ce monument, dit l'épitaphe, recouvre Eschyle, fils d'Euphorion, Athénien. S'il fut brave, le bois sacré de Marathon et le Mède aux longs cheveux en savent quelque chose. »

Eh bien ! cette splendide épitaphe, la plus belle qu'un homme puisse avoir sur sa tombe, chacun de vous, ô jeunes soldats, peut et doit la rêver pour ses vieux jours, Il suffit que chacun de vous prête le serment du jeune Athénien, et le sache et le répète comme une prière, du fond du cœur et à plein cœur.

(Le Petit Journal.) JEAN RICHEPIN.