Corpus de textes du Laslar

1915

Janvier

P.R. « Les Leçons de la guerre », Le Gaulois, 25 Janvier 1915, p. 2.

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[…]

Trois fois par semaine, à deux heures et demie, l'Université des Annales ouvrira ses portes et l'on entendra tous les lundis la voix magnifique de Jean Richepin. Le sujet qu'il va Traiter « Les Sonneurs d'héroïsme » est digne du poète, digne de son talent généreux et sonore. A propos de nos batailles, dit-il, de nos espérances, de nos victoires, je ferai parler les voix ardentes qui à travers l'histoire jadis, ou naguère, ont dit les mots de délivrance attisant la flamme sacrée du patriotisme. »

[…]

Février

Anonyme, « Courrier des théâtres », Le Figaro, 19 février 1915, p. 4.

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Voici le programme de la matinée, de gala qui aura lieu demain samedi 20 février, au théâtre Albert Ier, 64, rue du Rocher, et qui est organisée au profit de la souscription faite pour offrir une épée d'honneur à S. M. Albert Ier, roi des Belges.

Causerie et présentation de la maquette de l'Epée, par M. Jean Richepin, de l'Académie française.

Anonyme, « Conférences », Le Figaro, 19 février 1915, p. 4.

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L'Université des Annales nous fit entendre cette semaine M. Jean Richepin qui évoqua Jeanne d'Arc, « la sainte du patriotisme », comme seul un grand poète profondément français pouvait le faire. Les paroles enthousiastes, pieuses, émues du conférencier trouvèrent un écho dans tous les cœurs. M. Funck-Brentano parla mercredi de « l'Ame du petit Français » à travers les lettres et les dessins que la grande guerre inspire à nos enfants. Des projections illustraient cette belle causerie à laquelle M. Mounet-Sully prêtait l'éclat de son talent.

Ces conférences seront publiées dans le Journal de l'Université des Annules.

Anonyme, « Echos », Journal des débats politiques et littéraires, 22 février 1915, p. 2.

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C'est devant une très nombreuse assistance qu'a été donné hier, au théâtre Albert-Ier, la matinée de gala organisée au profit de la souscription destinée à offrir une épée d'honneur à l'héroïque roi des Belges. M. Jean Richepin a présenté le fac-similé de l'arme ciselée par le sculpteur Pierre Feître. La poignée représente un jeune homme nu, symbolisant la Belgique dépouillée, avec, en mains, la massue qui abattra l'envahisseur. Cette poignée est d'or et s'orne de feuilles de chêne, en émeraudes, avec la date « 1914 » en brillants. Sur la lame, ces deux vers de Richepin : 

Droite, sans tache, sans effroi,
J'ai pour âme ton âme, ô roi.

La lame est fabriquée à Saint-Etienne. C'est, a dit Jean Richepin, « une lame non de parade mais de combat, destinée à un roi qui n'est pas un roi de parade, mais un roi guerrier, habitué à faire le coup de feu comme un simple troupier ». A plusieurs reprises le nom d'Albert Ier a été acclamé avec la plus vive émotion et M. Jean Richepin a été fort applaudi.

Mars

G.W., « Paris pendant la guerre », Le Gaulois, 28 mars 1915, p. 4.

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Et tout d'abord, M. Jean Richepin a égrené le chapelet de ses souvenirs. Il a évoqué avec attendrissement ce temps lointain (il y a soixante ans de cela et il a fallu qu'il l'affirmât pour qu'on le crût, tant il y a encore chez lui de force et de vaillance), où, petit enfant, il apprenait à lire dans une école de Belleville. Puis, ce furent des études plus sérieuses le lycée Charlemagne, le lycée Bonaparte, l’Ecole normale

Sans doute, et on le lui a reproché, il a mené la vie d'un nomade, mais Paris a toujours été son nid. Et c'est bien à Paris qu'il compte fermer les yeux lorsque le jour de l'éternel départ aura sonné !

C'est que peu de Parisiens connaissent bien Paris comme lui, ce Paris qu'il a vu sous tant d'aspects divers, depuis le Paris de la guerre de Crimée, jusqu'au Paris de la Commune qui s'arrachait lui-même ses entrailles. Et voici le Paris actuel, si différent du Paris d'hier, du Paris d'avant la guerre.

M. Jean Richepin a brossé de ce Paris imprévu un tableau comme lui seul sait le peindre. Il nous a montré un Paris où tous paraissent se connaître, où il semble qu'on ne fasse plus qu'une seule et grande famille Et il a remercié aussi les pierrots parisiens de ne pas nous avoir quittés, ces pierrots à qui, reconnaissants, nous distribuions hier la mie du pain boulot Ah ce pain boulot, ce pain du peuple, comme le grand poète l'a chanté, comme il nous en a fait concevoir toute la beauté, cette beauté que nous ne soupçonnions pas, nous, les profanes

Un autre tableau encore. Ce sont les midinettes, les ouvrières de tous métiers qui passent et qui vont gagner leur petite vie. Et puis, des blessés, des éclopés, des mutilés. Et ce spectacle rappelle à M. Jean Richepin les invalides de jadis qu'il contemplait enfant, avec admiration, ces invalides dont quelques-uns avaient vu le grand Empereur. M. Jean Richepin nous a aussi parlé de la Marne, de cette étonnante victoire qu'il n'est pas éloigné de considérer comme un miracle. Que disions-nous, il y croit au miracle. N'a-t-il pas répété le cri célèbre de saint Augustin Credo quia absurdum ?

Le poète ne pouvait oublier le rôle de la femme française pendant les jours que nous avons vécus, que nous vivons encore. Il lui a rendu l'hommage qu'elle mérite, il a dit tout son dévouement, tout son courage, tout son héroïsme. Et ce n'est pas sans quelque fierté que nous l'avons tous acclamé !

Avril

M.B, « Les conférences de l’université des Annales », Les Annales politiques et littéraires, 4 avril 1915, p. 424-425.

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L'Université des Annales a fait entendre deux fois, cette semaine, son conférencier Jean Richepin... Jean Richepin est une force de la nature ; il tient d'elle des dons magnifiques, qui s'épanouissent d'autant mieux que le sujet traiter demande plus de force... L’héroïsme, l'épique, le sublime, sont les mots qui conviennent à son tempérament lutteur et de poète... Jean Richepin un de ces Athéniens dont il parle volontiers et qui passent des plaisirs de la guerre aux jeux de la poésie avec une égale passion... Son verbe, d'une richesse extraordinaire, s'émeut souvent de tendresse. Car Richepin, comme Victor Hugo, aime les enfants ; il aime, dans toutes ses manifestations, la jeunesse, la vie et, par dessus tout, le courage. Les événements actuels sont de ceux qui devaient *** lever son enthousiasme et lui inspirer ses plus beaux morceaux d'éloquence.

Les auditeurs qui auront entendu Jean Richepin conter le drame de 1870, ce drame qui trouva dans le cœur Victor Hugo un écho admirable — n'oublieront jamais comment un poète, son génie et son cœur, peut entretenir la foi, l'énergie, l'amour d'une nation pour un idéal. Cela donna l'occasion à Jean Richepin d'analyser le **** du poète dans des événements dont l’héroïque réalité dépasse les fictions. Richepin veut que les poètes soient sonneurs d'héroïsme, et non des peintres tableaux.... Il est lui-même un sonneur dont le clairon émeut, transporte et suscite le courage...

Le « Chevalier de la Revanche », notre Déroulède national, l'homme qui incarne à nos yeux l'idée de Patrie, devait trouver en Jean Richepin un chantre.

Il parla de ce Don Quichotte qui était brave homme, de ce Français dont la vie fut un cri d'espoir, avec des accents qui arrachèrent des larmes à l'auditoire. Il dit que certaines de ses poésies, de ses chansons de marche, sont si puissantes que leurs paroles suffiraient à entraîner un régiment à la charge ; à la victoire Et il lut ce En Avant ! de telle, sorte toute la salle, debout, acclama le {425} poète et l'ami qui venait, en quelque sorte, de ressusciter l'âme de Déroulède...

Mlle Jeanne Déroulède, qui assistait à cette séance, remercia avec une émotion inexprimable le poète, et si Déroulède, de là-haut, a vu couler les belles larmes des soldats, en entendant magnifier son œuvre par un de nos plus grands poètes, il a dû trouver là une belle récompense.

Anonyme, « La Conférence Richepin à Graslin », Le Phare de la Loire, 28 avril 1915, p. 3.

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Mardi soir, a eu lieu, à Graslin, la soirée de gala, donnée sous les auspices du « Comité des Représentations-Conférences nationales pour venir en aide aux Victimes de la Guerre ».

A l’intérêt philanthropique et patriotique incontestable qui s’attache à cette œuvre, venait se joindre encore la présence du grand poète Jean Richepin, aussi la vaste salle du théâtre était-elle remplie par l’élite de la société nantaise.

L’entrée du célèbre académicien a été saluée par des applaudissements enthousiastes.

Après avoir remercié l’auditoire de ce sympathique accueil, en des termes choisis, M. Richepin a fait remarquer à l’assistance qu’il ne venait pas lui offrir une distraction — nul, en un tel moment, ne pense à se distraire — mais lui demander sa collaboration h l’effort de nos soldats, qui, là-bas, défendent pied à pied, morceau par morceau, le sol sacré de la Patrie.

» Nous sommes, dit-il, tous, trop émus, trop étreints par la hantise de cette guerre formidable pour la perdre de vue, un instant. S’il y a, par ci, par là, quelques foyers de dépression, il les faut étouffer avec soin, et se persuader surtout, que la paix prochaine pour être bonne, pour être honorable, doit être complètement déshonorante pour l'ennemi !

» Ce soir poursuit l’orateur, une seule âme nous unira tous. L’Ame de la foule aux étonnantes puissances. C’est un sentiment religieux qui nous a poussés ici, car cette conférence est un acte religieux, de la Religion de la Patrie, qui ne compte pas un seul athée ! »

E. M. Richepin entre alors dans le vif de son sujet ; il place sa conférence sous la protection d’autorités plus hautes, dit-il, que la sienne. Celles de deux hommes que rien hier ne semblait devoir rapprocher : Pennino Garibaldi et le cardinal de Matines.

Il rappelle que le lieutenant-colonel Peppino Garibaldi proclamait naguère, à la Sorbonne, l'union forcée des deux grandes sœurs latines, non dans une sympathie neutre (la neutralité devient vite une lâcheté), mais dans une sympathie active.

Après la réunion, comme le poète rappelait au jeune héros le souvenir de son illustre père, qu’il avait connu à Dijon, en 70, alors qu’il était lui-même franc-tireur ; Peppino Garibaldi l’assura que le sentiment qui animait les Garibaldiens d’hier, lorsqu’ils vinrent offrir leur épée à la France est le même aujourd'hui ; il y a même quelque chose de plus, puisqu'on a pu voir, en 1914, à la tête d’une compagnie de chemises rouges, avec les galons de capitaine un père jésuite !

L’orateur se réclame encore du cardinal Mercier, archevêque de Malines, dont il fait un be1 éloge.

Il flétrit l'Allemagne du nom de « Bête d'Apocalypse », que la France, cette, nation guerrière, jamais prête à la guerre, mais terrible dans ses réveils et qui a pu faire reculer miraculeusement la bête grâce à la rapidité émanante avec laquelle nous nous sommes ressaisis, grâce aussi à la barrière que l'héroïque Belgique, soucieuse de son honneur et respectueuse des traités a, pendant plusieurs semaines, opposée à l'envahisseur.

Le poète nous parle ensuite du miracle évident, qui se perpétue dans notre Histoire. Miracle de l’Incarnation de l’âme française dans notre Jeanne d’Arc ! Miracle de la conception de la Marseillaise ! Enfin miracle de la bataille de la Marne, qu’il appelle avec humour le miracle du « Poilu ».

Le « poilu », ce fantassin, qui aujourd'hui étonne le monde, est le descendant, perfectionné des francs archers de jadis, des milices qui combattaient avec Jeanne d’Arc, des soldats improvisés de la Révolution ; le « poilu » se bat aujourd’hui comme, la taupe, dit M. Richepin ; il se battra demain comme l'alouette !

Le conférencier nous conte ensuite, de sa voix chaude, prenante, de sa voix à soulever les foules, comme on séduit les femmes, comment est éclose la Marseillaise ! Elle fut déclenchée par une série de choses étonnantes : la proclamation de l'Assemblée Législative, le 11 juillet 1792 : l’enrôlement volontaire organisé à l’instigation du grand Carnot ; la tournée du 2 juillet 1792, la plus belle journée de la Révolution !

M. Richepin nous montre alors ce que fut cette journée : Le cortège de la Municipalité de Paris à cheval précédé de trompettes, de hérauts et de bannières tricolores, où éclatait la phrase célèbre qui enfanta les prodiges : « Citoyens, la Patrie est en danger ! » : les proclamations aux carrefours, à la foule en délire les registres d’enrôlement, ouverts sur des tables dans la rue, et se couvrant de signatures ; la province suivant l’exemple de Paris ; les prêtres les vieillards, les enfants de moins de 16 ans demandant à courir aux frontières ! Ah ! la grande, la belle, la sainte journée s'écrie l’orateur : Résultat : une armée de six cent mille hommes levée en quelques jours.

Mais nous voici, ramené par la pensée, chez le Maire de Strasbourg : Diétrich, dans un milieu aimable de repos, d’esprit, d’art et de bonne chère, où fréquentait ce franc-comtois Rouget de Lisle ; c'est dans ce milieu que fut enfantée la Marseillaise ! Pour les paroles. Rouget de Lisle semble s’être inspiré de la proclamation adressée par son ami Dietrich à la population de Strasbourg ; ces paroles l’avaient frappé. La musique, il la composa en rentrant chez lui, A la suite d’un dîner abondant où les fumées du champagne avaient, pourtant, exercé leurs ravages. Mme Diétrich harmonisa la musique en la mettant au point, et voilà bien où la chose apparaît toute miraculeuse : Rouget de Lisle n’était ni un musicien de talent, ni un poète de mérite.

Ce chant merveilleux, entraîneur de peuples, qui faisait trembler tous les tyrans et, disait Michelet, « onduler les pavés des villes », ce chant, né des fumées du champagne mousseux, léger, français, qui est de chez nous, à nous autres à nous seuls, les Allemands ont voulu nous le voler, mettre des paroles boches sur cette musique de feu.

C'est un aristocrate, un royaliste, un noble d’ancien régime, Théodore de Banville, qui s’est chargé de lui répondre ; en quels vers moqueurs, froids et blessants comme des lames, piquants comme des aiguilles, il s’en est acquitté ! Le conférencier nous le montre en nous lisant les vers vengeurs échappés de la plume du grand poète.

« Non, ajoute-t-il, la « Marseillaise » restera nôtre : elle est l’écho terrifiant des batailles, le chant de la victoire vengeresse mais magnanime, la marche à l’Étoile. Elle est comme la France, elle ne peut périr, car avec elle périraient la beauté, la liberté, la splendeur de la vie ! »

M. Richepin clame enfin, en un cri admirable de conviction, qui soulève la salle, sa certitude de la victoire, de voir « l’ennemi bouté hors de France » et l'Allemagne à tout jamais, boutée hors de l’Humanité !

Des salves de bravos, enthousiasmés, ont salué les dernières paroles de notre grand poète, qui est rappelé et ovationné par les spectateurs.

La deuxième partie de cette inoubliable soirée fut remplie par une petite comédie patriotique, chantée et parlée, se déroulant dans l'Alsace reconquise, avec les vieilles chansons et les vieilles danses retrouvées, pour la plus grande joie d’un vieux grand-père, ancien soldat, auquel on souhaite sa fête.

Les artistes de talent qui ont interprété ce petit acte de Richepin en ont su faire comme il convenait le cadre destiné à sertir l'audition du « Chant du Départ » et de la « Marseillaise », écoutés debout par la foule qui remplissait Graslin.

Mai

G. Latouche, « Paris pendant la guerre, par M. Jean Richepin de l’Académie française », La Lecture, 2 mai 1915, p. 276-277.

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La dernière conférence du programme de la Société des Conférences était faite par M. Jean Richepin, et ç’a été un succès triomphal. Il faut l’avoir entendu pour avoir une idée de son empire sur le public. Grand, de forte carrure, le front très développé, une chevelure grisonnante, embroussaillée et crépue, les yeux très vifs, il improvise avec une facilité merveilleuse : aussi a-t-il bien vite empoigné son public par sa verve, son brio, son entrain et son art à faire vibrer les cordes qui résonnent si bien chez nous : le patriotisme et la charité.

« N’est-ce pas de l’audace à moi, dit-il en commençant, à moi qui ne suis pas Parisien, de parler de « Paris pendant la guerre » ? Je ne suis pas Parisien, il est vrai, les hasards de la vie de garnison — mon père était militaire — m’ont fait naître en Algérie. Mais j’aime passionnément Paris. Je l’aime « jusque dans ses verrues », comme disait Montaigne. J’y ai mon logis, ma demeure et si je parcours beaucoup nos provinces, si on a pu m’appeler « le chemineau de la conférence », je reviens à Paris dès que je le puis, aussi souvent et aussi longtemps que je le puis.

Je n’ai pas vu le siège de Paris en 1870 : j’étais alors dans la garde impériale. Mais j’en ai eu comme la vision par les souvenirs, le témoignage de nombre de mes amis et notamment de Théophile Gautier. Il y a une page de lui qui m’a toujours paru suggestive à cet égard : c’est celle où il raconte et dépeint un attroupement de Parisiens sur le boulevard, devant la vitrine de Chevet : on y avait exposé au milieu de quelques victuailles une grosse motte de beurre et les Parisiens contemplaient d’un air résigné ce beurre dont ils étaient privés depuis des mois !

Cette fois, lorsque la guerre éclata, j'étais au bord de la mer ; je m’empressai de revenir à Paris avec tous les miens et je me mis à la disposition de mon ami Gallieni avec qui j’ai été autrefois enfant de troupe.

Vers la fin d’août et dans les premiers jours de septembre, Paris était d’ailleurs solitaire et charmant. Beaucoup de gens avaient cru devoir fuir Paris par crainte des taupes et des Allemands. — Je ne me permets pas de les juger... Paris était devenu alors un grand village où tout le monde se parlait. Nous avions notre paroisse, Notre-Dame ; notre clocher, la Sainte-Chapelle ; notre borne-fontaine, l’arc de triomphe de l’Étoile.

Lorsqu’on put craindre que les Allemands fissent le siège de Paris, lorsqu’ils arrivèrent à quelque 25 kilomètres de la cupide, les Parisiens restèrent calmes et stoïques ; ni les taupes, ni l’appréhension d’un siège ne troublèrent les Parisiens. « Disons-le », s’écrie M. Richepin, « nous fûmes vraiment sublimes. Nous pouvons bien le dire, puisque des étrangers l’ont dit. » —M. Richepin cite à l’appui un extrait d’un journal suisse :

Après les jours d’angoisse, vinrent les jours de confiance et le miracle de la victoire de la Marne. Oui, dit-il, le miracle, car le miracle est ce qui arrive proprement contre les lois de la nature et les prévisions du bon sens, et il en a bien été ainsi dans cette bataille de la Marne, où on a vu tout à coup une armée battant en retaille se retourner, faire front à l’ennemi victorieux, et, après trois jours de lutte héroïque, le forcer à reculer.

Après nos revers de Charleroi, les Parisiens n’avaient pas oublié leur vieille patronne sainte Geneviève ; ils étaient allés la prier en foule. Ils comptaient bien que, de même qu’autrefois elle avait préservé Paris de la fureur des Huns, elle préserverait encore Paris des hordes germaines du Kaiser, plus redoutables encore que les Huns. Et ils ont été exaucés.

Pour montrer comment les Parisiens se sont résignés aux exigences de la guerre, M. Jean Richepin exécute une brillante variation sur le « pain bouleau » auquel sont condamnés les Parisiens, ce pain bien meilleur à coup sûr que le pain auquel sont condamnés les Bellinois et même « soi-disant » la famille impériale. (Le pain dit pain bouleau est un pain de 4 livres, long d’environ 65 centimètres, large de 20 et fendu par le milieu dans le sens de la longueur.)

Après le couplet sur le pain bouleau, couplet sur la "tour Eiffel : — Lorsqu’elle fut construite avec ses quatre pieds géants et son long col d’acier, elle parut à tous esthétique : les artistes surtout trouvaient qu’elle écrasait de sa masse informe tous les autres monuments qui faisaient l’ornement de la capitale, et pour cela on la maudissait. Ah ! nous avons bien changé d’avis depuis la guerre, depuis que nous avons vu les services qu’elle rend à la patrie et de quelle haine la poursuivent ces officiers boches qui s'acharnent à vouloir la détruire avec leurs taupes ou leurs zeppelins !

L’acharnement des Allemands contre notre tour Eiffel nous fait comprendre combien elle nous est utile : mais elle est armée du haut en bas de mitrailleuses et elle sait se défendre.

« Tenez, l’autre soir, en rentrant chez moi, dit M. Richepin (qui habite sur les pentes de Passy), j’entendais comme des voix dans les airs, des vibrations étranges, des plaintes et des appels et je m’arrêtai surpris tout d’abord ; mais je devinai bien vite que c’étaient les voix de notre rêve que j’entendais. Ces murmures sonores, ces vibrations d’acier, c’étaient les dépêches, les télégrammes que par la télégraphie sans fil la tour Eiffel envoie aux quatre coins de l’horizon, à nos amis les Russes en Pologne, ou à nos amis les Serbes sur les bords du Danube, ou à nos vaisseaux en danger en mer, ou sur le front en Flandre ou en Argonne, en Champagne ou en Alsace ; par toutes ses fibres d’acier elle leur crie : « Hardi, mes enfants ! hardi, les gais ! »

Pour finir, M. Richepin signale le réveil du sentiment religieux dans toutes les âmes. Les religions ont repris une force nouvelle ou plutôt elles se sont confondues dans une seule : la religion du patriotisme. « Ce n’est pas moi qui dis cela, s’écrie-t-il ; je n’en aurais ni l’audace, ni la compétence. Je m’abrite derrière les déclarations de l’éminent cardinal Mercier, primat de Belgique. » (Et à ce propos le conférencier fait un grand éloge de ces trois personnalités belges : le roi Albert Ier, le bourgmestre de Bruxelles, M. Max, et le cardinal Mercier.

Donc, dans cette fameuse lettre pastorale interdite par le gouverneur allemand de Bruxelles, le général von Bissing, le cardinal Mercier, parlant des soldats morts pour la patrie, dit que si on ne peut les comparer aux martyrs parce que ceux-ci sacrifient leur vie sans la {277} défendre, cependant tous les soldats qui offrent leur vie pour la défense et la sauvegarde de leur pays, de la France, sont certains d'aller tout droit au ciel. C’est la religion du patriotisme pratique, jusqu’au sacrifice sublime de la vie !

A propos du cardinal Mercier, M. Richepin raconte ce joli trait. — Après cette fameuse lettre pastorale, le général von Bissing, ému du bruit qu’elle faisait, envoya un de ses secrétaires près du cardinal. Ce hi-fi lui proposa (en vue de la conciliation) d’écrire au gouverneur ou plutôt de signer une lettre toute rédigée dans laquelle il était déclaré qu’un malentendu s’était élevé entre le gouverneur et le cardinal au sujet des « choses » qui avaient été dites dans sa Lettre, celui-ci, etc. ». Avec une finesse qui échappa totalement à ce lourdaud de secrétaire, le cardinal Mercier répondit qu’il signerait volontiers la lettre, à une seule condition, c’est qu’on y remplacerait le mot « choses » par le mot « vérités ». Le secrétaire était enchanté ; mais le gouverneur, moins épais, comprit la leçon et le projet de lettre fut abandonné.

Après le cardinal Mercier, M. Richepin cite un passage d’un sermon du P. Sertillanges, prononcé à la Madeleine avec ce titre : La Marche à l'Etoile. « Tout pays, dit-il, a un chant national : le nôtre, c’est la Marseillaise. Autrefois, elle a été un chant de parti, un instrument de manifestations. Aujourd’hui ce n’est plus cela. Ce qui nous paraissait exagéré, boursouflé, outrancier dans ce chant, est devenu, par l’ignoble barbarie, par la férocité cynique du « peuple abject », du peuple allemand, l'expression de réalités vécues. Oui, c’est à la lettre que ces bandits ont égorgé nos enfants, nos femmes, nos vieillards, souillé nos filles, massacré des prêtres sans défense et sans armes et même torturé des prisonniers ! C’est à la lettre que le soldat français combat pour le droit, pour la liberté, pour la civilisation contre le despotisme, la brutalité, la férocité d’ennemis implacables et d'odieux tortionnaires ! »

G. Latouche

Août

Sésame, « Galerie des poilus civils : Jean Richepin », Le Carnet de la semaine, 20 août 1915, n.p.

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Depuis que tous nos plumitifs à peu près valides ont coiffé le képi, les directeurs de nos gazettes se sont vus dans l'obligation de réquisitionner les académiciens. Toute feuille qui se respecte doit avoir son « Habit vert », comme elle a son vieux général, ce dernier faisant fonctions de stratège amateur et l'autre de Tyrtée en chambre. Place aux vieux ! C'est donc à nos immortels qu'est dévolu l'honneur d'attiser à coups de plumes la flamme sacrée. Le courant patriotique ouvert par la guerre les a tous galvanisés. Et leur Coupole, qui sommeillait vaguement, s'est transformée en une coupole d'artillerie crachant un feu roulant de belliqueuses apostrophes !

Or celui qu'on a surnommé le Rempart de la Rhétorique Nationale occupe au sein de cette respectable phalange une des premières, si non la première place.

L'ancien chantre des gueux n'est plus aujourd'hui que le chantre des poilus.

Le chantre des poilus... et du Tango, lui reprochent perfidement quelques-uns... Oui, je sais que peu de temps avant que le canon tonnât, il s'intéressa à la danse de perdition qui frappa de vertige tout Paris et risqua de nous laisser sans résistance devant l'agresseur. Je sais qu'au cours de nombreuses incursions qu'il fit à Sans-Souci et à Magic, il suivit d'un œil complaisant les évolutions des couples qui se désarticulaient en cadence sur des rythmes de carte, et, qu'à la suite de cela, l'Athénée monta « Le Tango ». Mais qu'on ne s'y trompe pas ! le Tango d'académicien, où il nous fut donné de voir Mlle Eve Lavallière se livrer à des effets de pyjama, n'était au fond qu’une pièce très morale, une pièce qui, en dépit de son titre dernier cri, et de ses allures cosmopolites, procédait d’une inspiration virile et essentiellement chauvine. Cette présentation d'une société décadente évoluant parmi des décors cubistes ou munichois, avait la valeur d'un avertissement. Le prophétique auteur nous signifiait tout simplement par-là que nous dansions sur un volcan. Et la preuve en est dans ces paroles qu’y prononçait l’officier explorateur Roger d'Orbex, lequel n'était que son porte-voix : « Messieurs, assurez vos chapeaux ! Nous allons avoir l'honneur de charger ». Or, peu après, nous eûmes en effet cet honneur.

D'autres, encore, reprochent à notre barde national les fantaisies exotiques de sa jeunesse ; ils lui reprochent de s'être affublé d’un chapeau tyrolien et d'un pantalon de hussard hongrois, d'avoir crié et récrié qu’il n’était qu'une sorte de sauvage venu de loin, avec son encolure de barbare et ses yeux de cuivre, qu'il était le descendant de quelque chef de tribu errante, qu'il avait dans les veines du sang de romanichel, de Bohême, du sang de Hun (ô horreur !). Excentricités d'arriviste depuis longtemps pardonnées ! La vérité, la seule, est qu'il est né à Médéah (Algérie. France), qu'il est le petit-fils de paysans touraniens et n'a donc dans les veines que du pur, que du vieux sang gallo-romain, que son père était médecin militaire, qu'il fut baptisé par un ancien zouave devenu prêtre, (ce qui était de bon augure), qu'il passa une grande partie de son enfance à jouer du tambour avec un véritable talent, et qu’en 1870, il s'engagea dans les francs-tireurs de Bourbaki.

Cette fois-ci M. Jean Richepin avait tout d'abord songé à un poste de conférencier ou de poète sur le front. Ce n'était qu'une place à créer, et qui lui eût admirablement convenu, ses rugissements peuvent aisément dominer le pire fracas des shrapnells. Mais il dut se dire que le temps, hélas, n'est plus où l'humanité, suivant le mot d'Alfred de Musset, allait au combat avec son épée d'une main et sa lyre de l’autre. Il dut se dire que nos poilus ne sont pas très friands de cette littérature à base de poudre, dont ils font tous les frais, et qu'entre deux coups de torchon ils préfèrent sans doute lire le Poil Civil ou se rincer l'œil avec les déshabillés de la Vie Parisienne, les seuls du reste qui leur soient permis. Il dut se dire aussi qu'une seule voix était vraiment digne de les entraîner, celle du canon. Car il négligea de faire des démarches en vue d'obtenir ce poste tyrtéen et se résigna à ne rugir sa prose que devant les jeunes filles et les mamans des « Annales » dont il est un des charmeurs attitrés. C'est donc là qu'il claironna sa charge éclatante et fit revivre à diverses reprises, par d'abondantes citations, les voix ardentes qui, à travers l'histoire, ont sonné la fanfare de l'héroïsme militaire, les voix sublimes de Tyrtée, d'Eschyle, de Hugo, de Michelet, de Jeanne douro, de Danton, du grand magyar Petœfi, de Déroulède... et aussi, et surtout, celle de Jean Richepin.

J'eus heur d'assister au spectacle de sa première conférence, où sous le tonnerre des applaudissements qui hachaient son verbe en mitraille il se cita lui-même à lyre-larigot, et où confortablement installé, dans son fauteuil, il invoqua en ces termes terribles la guerre purificatrice :

Il est bon que parfois vous vous exterminiez
Hommes qui pullulez comme un troupeau d’esclaves
Tue ! A mort ! L’héroïsme est la fleur des charniers...

Je m'empresse d'ajouter qu'aussitôt après, pour corriger ce que pouvait avoir d'excessif cet appel à l’extermination universelle, il commenta de façon superbe le « Bella Matribus detestata » du poète latin.

***

En dehors de ces conférences, M. Richepin s'est signalé à l'attention de l'arrière par les nombreuses et magnifiques explosions de sa fureur bochicide. Il a tiré du bouillonnement de son imagination l’idée d'un gaz qui ne sèmerait rien moins que la cécité et la paralysie, une paralysie centrale cela, va sans dire,

(Censuré)

Il est en outre l’auteur d'un Chant de Haine qui répond mot pour mot à celui du conseiller de cour Heinrich Vierordt et qu'il suffirait peut-être de propager en Allemagne pour mettre cette dernière à genoux.

Mais c'est contre le Kaiser, contre l’impérial bandit que sa haine lui a inspiré les accents les plus terribles. Celui-là, il l'a criblé de ses crachats, il l'a déchiré à pleins crocs, il l'a déchiqueté, bien mieux encore qu'il n'avait déchiqueté le nommé Dieu dans les quatre cents pages de ses Blasphèmes. C'était du reste bien le moins qu’après avoir amoché dans les grands prix le « Père Eternel » qui ne lui avait rien fait, il amochât aussi celui qui se targue d'être son envoyé sur la terre. M. Richepin a, comme on le voit, la spécialité « d'arranger » les divinités.

Pour mettre la dernière touche à ce portrait, bien inférieur hélas à son modèle, je signalerai encore que M. Richepin a proposé dernièrement la création d'un ordre nouveau, l'ordre du « Stigmate », qui serait réservé aux embusqués, comme la croix de guerre est réservée à nos héros combattants. Il s'agirait simplement... tout simplement... de marquer au fer rouge l’épaule des criminels « qui nous ont volé le sang qu'ils nous devaient ». Je dois dire que cette idée n'a pas été sans soulever quelques protestations (parmi les costauds de la dixième ligne qui, plus tard se sentiraient un peu gênés par cette marque infamante lorsqu'ils voudraient faire des effets de torse sur nos plages mondaines devant les familles pourvues de filles à marier.

Mais nous pardonnions facilement à notre grand sonneur d'héroïsme ces quelques écarts d'une imagination terriblement excitée par les événements, et nous saluerons en lui le Tyrtée de l'arrière, celui qui, s’il n’a pas sur son ancêtre grec, sur le Tyrtée du front, l'avantage d'avoir chanté ses strophes au premier rang des poilus, a du moins cet autre avantage de ni être ni contrefait, ni louche, ni boiteux… n'est-ce pas. Mesdemoiselles ?

Sésame

Septembre

Anonyme, « Proses de guerre, Par Jean Richepin », L’Intransigeant, 1er septembre 1915, p. 1.

Sous ce titre : « Proses de Guerre », un nouveau volume de Jean Richepin paraîtra demain. Les lecteurs de l'Intransigeant auront la joie de retrouver dans « Proses de Guerre » — entre beaucoup d’autres pages encore inédites — quelques-unes des pages que l’éminent écrivain a publiées au cours de ces derniers mois, en tête de notre journal. Nous sommes heureux de pouvoir détacher de « Proses de Guerre », à l'intention de nos lecteurs, cette préface qui est inédite :

[Préface]

Anonyme, « La Guerre », L’Avenir de la Mayenne, 19 septembre 1915, p. 2.

Nous ne saurions trop recommander non plus le beau volume de Jean Richepin, Proses de Guerre, édité chez Flammarion. C'est en quelque sorte le « carnet de guerre » du grand poète, de l’éminent académicien, et on devine de quel intérêt ce carnet de guerre peut être.

Dans la préface de Proses de Guerre, Jean Richepin, avec une belle modestie, a écrit ces phrases : « Quelque doive être au surplus l’opinion des lecteurs sur ces pages, l’auteur a, du moins, la certitude consolante d'y avoir employé toutes ses forces à combattre le bon combat en faveur de ces trois choses : la foi dans la victoire finale, la nécessité qui nous oblige à vouloir que cette victoire finale soit une victoire définitive et la haine implacable dont il faut nourrir sans trêve ce vouloir tenace, entier, absolu jusqu'au bout et à n’importe quel prix. » Certes, le lecteur, après avoir lu Proses de guerre, aura la certitude que Jean Richepin a superbement mené le bon combat en faveur de ces trois choses. Mais il aura aussi l’impression qu’il vient de lire un des plus beaux livres et des plus émouvants qu’il puisse être donné de lire sur ce thème angoissant : la guerre actuelle.

Novembre

Antoine Albalat, « Le Livre & la guerre », Journal des débats politiques et littéraires, 2 novembre 1915, p. 3.

Chroniqueurs et journalistes continuent à réunir en volumes leurs articles publiés au jour le jour sur la guerre. La critique aurait mauvaise grâce, à l'heure qu'il est, de discuter de trop près la qualité littéraire de ces nombreux ouvrages patriotiques qui sont, en effet, un peu monotones et qui se ressemblent tous. Qu'importe le sens des mots ! C'est leur âme que nous cherchons. Il n'y a plus de banalité dès qu'il s'agit de l'amour de la France. Ce qui était autrefois prudhommesque nous émeut sincèrement aujourd'hui. Nous songeons à ce que l'on dit, et non plus à la façon dont, on le dit. On oublie la formule pour retenir l'émotion, et, quel que soit le talent, il faut louer ceux qui écrivent pour nous redonner de l'espoir, relever les courages et raffermir les cœurs.

Comment ces recueils d'articles ne se ressembleraient-ils pas ? Tout le monde, eu ce moment, pense et dit la même chose. Tant mieux si quelques volumes sortent du lot ordinaire et se distinguent par une forme plus soignée.

Le livre de M. Paul Margueritte : Contre les Barbares (3 fr. 50), œuvre d'un ardent patriote et d'un pacifiste désabusé, est certainement, le meilleur recueil, le plus passionné, le plus éloquent qu'on ait publié sur la guerre. L'auteur des Tronçons du glaive n'a rien écrit de supérieur à ces belles pages sur le peuple allemand, Eckermann et Goethe, la prochaine victoire, les martyrs, les mensonges teutons, la résistance française, et tant d'autres sujets qui forment les étapes et la chronique de cette lutte gigantesque.

Les Proses de Guerre, de Jean Richepin (3 fr. 50), sont d'un tout autre genre. Richepin a la colère brutale, familière, truculente. Il écrit dans un style de vieux grognard. C'est le Père Duchêne du patriotisme. L'homme est là tout entier, avec son tempérament de poète, sa fougue d'auteur dramatique, son amour de la justice et ses indignations qui voudraient « s'achever en cri, et le cri souffre de ne pouvoir s'achever en geste ». Richepin est un de ces nombreux Français, épris d'entente et de progrès, dont cette guerre barbare a violemment brisé les rêves de fraternité et de civilisation.

[…]

ANTOINE ALBALAT.

Décembre

Albert Livet, « Littérature de Guerre », La Revue, 1er décembre 1915, p. 718.

[…]

***

Nos chroniqueurs — journalistes, moralistes, écrivains, académiciens surtout — ont été particulièrement gâtés. Non seulement les grands quotidiens et les périodiques leur ont offert une large hospitalité ; non seulement des recueils de leurs meilleurs articles ont été composés avec soin par Messidor, par l’éditeur Berger-Levrault dans ses Pages de la guerre, par M. Henri de Rotshshild et Gourraigne dans la Grande guerre, d’après la presse parisienne, mais encore la plupart de ces pages, improvisés au hasard des {719} événements et des circonstances, ont été publiées en volume. C’est le cas pour MM. Maurice Barrès, Henri Lavedan, Paul Margueritte, Jean Richepin.

Les Proses de guerre (1) de l’auteur des Caresses et des Blasphèmes se ressentent de la nature truculente et impulsive de M. Jean Richepin. Selon l’inspiration du moment, c’est tantôt le romantique attardé qui se souvient du touranien de sa jeunesse ou le conférencier académique qui écrit en pensant à son public des « Annales ». Des vulgarités indignes de l’esprit français s’y étalent à côté de pages émouvantes et qui resteront dans les anthologies. L’écrivain abuse de sa rhétorique déclamatoire et verbeuse, et ses diatribes trop souvent dépourvues d’arguments et d’idées paraissent ne viser qu à l’effet théâtral. Cela sonne, mais creux. Il manque à ces hymnes de foi patriotique la flamme qui animait le Comte de Mun…

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