Corpus de textes du Laslar

1919

Janvier

Pierre de Quirielle, « Réception du maréchal Joffre », La Lecture, 5 janvier 1919, p. 7.

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Le tambour académique résonne dans l’enceinte du Palais Mazarin ; il annonce, cette fois, l’entrée du vainqueur de la Marne. Au lieu de suivre le récipiendaire, comme d’habitude, le cortège des académiciens, des membres de l’Institut, dont le nombre est tout à fait inaccoutumé, dont beaucoup ont revêtu l’habit vert, le précède. Le tambour retentit encore : c’est le maréchal en tenue de campagne. Quand il pénètre dans la salle, l’assistance qui s’y presse un peu plus que vous ne l’imaginez lui fait une ovation difficile à décrire ; ce sera la première de celles qui éclateront, unanimes et spontanées, au cours d’une séance exceptionnelle par sa breveté, sa solennité et l’enthousiasme qui n’a cessé de l’animer.

Quelqu’un avait prédit tout cela, très exactement, il y a plus de trente-trois ans, moins les noms des personnages et des traits de circonstance qu’il ne pouvait prévoir. Ce quelqu’un, c’est Ernest Renan, qui a eu un peu aussi les honneurs de la séance. Recevant Lesseps à l’Académie, il avait alors prédit l’élection du général qui nous ramènerait un jour la victoire ; il avait annoncé que sa réception serait un événement académique d’importance. « Oh ! la belle séance, s’écriait-il. Heureux celui qui la présidera ! » L’heureux directeur d’hier, M. Jean Richepin, est un artiste incomparable pour jouer sur le clavier des effets dramatiques, oratoires et de lecture ; il a tiré de celui-ci tout le parti possible par la manière dont il a lu, amené et détaché cette vision prophétique de Renan.

« La politique et la guerre, disait encore Renan à l’Académie, le 23 avril 1885, sont de trop hautes applications de l’esprit pour que nous les ayons jamais négligées. » Il citait des exemples. Le 19 décembre 1918, il y avait à l’Académie le président Wilson ; entré avec M. Poincaré, après le maréchal Joffre, il fut accueilli par une ovation qui s’est renouvelée, plus forte, quand le maréchal eut prononcé son nom. Il y avait M. Venizélos. Ce sont des figures qui retiennent l’attention. Que dire de celle que le public prête au maréchal Joffre qui, entre ses deux parrains, M. de Freycinet et M. Hanotaux, lit d’une voix posée et calme le discours qui devait être un éloge de Jules Claretie ?

Il a beaucoup loué le patriotisme de son prédécesseur ; il a très peu parlé de sa vie et de ses écrits. L’aimable et heureux Claretie a eu le bonheur d’être reçu aussi par Renan avant d’être loué par Joffre. Le premier lui donna quelques paroles de chaleureuse amitié, puis il entama, dans le plus beau langage, une critique assez sévère de la littérature du siècle dernier et de l’œuvre de la Révolution. Le maréchal Joffre a choisi, dans cet autre discours de Renan, un passage qui peut être tourné en faveur de la Révolution pour servir d’introduction à son propre discours académique. Discours qui n’est pas long et qui a transporté l’auditoire ; à côté de l’éloquence simple, il montre assez souvent ce qu’il est permis d’appeler de l’adresse. Il a celle, se distinguant par l’allure et les dimensions des discours d’aujourd’hui, de rentrer ainsi dans la vraie tradition d’autrefois.

L’éloge du poilu, le tableau de la guerre, l’appréciation de l’effort de toutes les armées alliées, celle de l’effort de l’armée et de la nation françaises, par le maréchal Joffre, ses souvenirs d’Amérique, ce sont des morceaux qui portent. Il a parlé de la loi de trois ans ; il a défendu la préparation et le rôle de l’état-major. Il a loué au passage le maréchal Foch, qui, à son tour, dans quelques mois, viendra prendre séance. Un jour, au grand siècle, Racine a fait l’éloge de Corneille à l’Académie. Les parallèles de ce genre rappellent La Bruyère.

M. Jean Richepin, qui n’a guère été plus long que le maréchal, a bien comparé la victoire de la Marne aux chefs-d'œuvre de notre littérature classique. Et peut-être ne faudrait-il pas presser de trop près de semblables comparaisons. Mais qui pourrait songer à une objection quand l’éloquence magnifique de M. Richepin les fait vibrer avec la voix qui martelait jadis les alexandrins adaptés de Shakespeare ? On ne sait ce qu’il faut admirer le plus, chez lui, les envolées lyriques ou le talent prestigieux du lecteur. Il dit la Marne, la victoire de France, « la chanson de Joffre » ; il lit les fameux ordres du jour de la Marne. On serait tenté de diviser sa harangue en deux parties : avant la lampe, depuis la lampe. La première a été lue debout, ce qui n’est pas l’usage pour un discours de directeur ; puis il a été contraint de s’asseoir pour lire sous l’abat-jour vert d’une lampe à huile à laquelle fut substituée, quelques instants après, une ampoule électrique dépolie. Au bout de peu de temps aussi l’éloquence du verbe et du geste avait repris toute son ampleur dans la lecture assise de M. Jean Richepin.

Pierre de Quirielle.

Février

Anonyme, « La Haine nécessaire », La Revue, 1er février 1919, p. 348.

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La haine nécessaire, par le Commandant Henri Carré. (Maréchal, éd.) Avec son talent incisif et sa documentation coutumière, l’auteur s’efforce de créer une doctrine de haine intégrale à l’égard du peuple allemand d’aujourd’hui et de demain.

Tout ce qu’on a pu invoquer dans le sens de cette doctrine, le Commandant Carré l’a fait avec une profusion d’arguments.

Après avoir examiné la « haine allemande », telle qu’elle a été enseignée par ses maîtres, par les ministres de sa religion, par ses chants, par ses images et telle qu’elle a été pratiquée par les femmes et les soldats allemands, l’auteur prêche les bienfaits et les nécessités d’une « haine sacrée » contre une « haine impie ». Il combat les sceptiques, les indifférents, les égoïstes, les théoriciens de la générosité, de même que les partisans de la haine temporaire, les métaphysiciens et les moralistes chrétiens.

La Revue a eu l’occasion d’expliquer sa façon de voir à plusieurs reprises : et les campagnes que nous avons menées contre l’Allemagne non seulement pendant mais aussi avant la guerre, ont suffisamment prouvé que nous n’avons jamais eu à son sujet la moindre illusion. Il nous semble cependant que l’expiation totale des fautes et des crimes commis par l’Allemagne, le principe de restitution territoriale et des réparations rigoureusement appliqué et réalisé, la destruction de son militarisme et la disparition successive de ses instincts antisociaux, finiront par rapprocher l’Allemagne des autres pays civilisés. Après tout, la guerre actuelle n’était point une guerre de races, mais une guerre de mentalités, dont l’opposition pourra s’atténuer avec le temps, afin de rendre la paix « internationale » solide et durable et la société des nations pratique et viable.

Dans l’intervalle, tous les doctrinaires de la haine rencontreront sans doute parmi les victimes directes ou indirectes de la guerre, un accueil bienveillant et parfois enthousiaste.

Dans sa courte préface, M. Jean Richepin, renchérit encore sur les idées émises par le Ct Carré. Voici une phrase typique qui mériterait d’être conservée pour l’édification de la postérité :

« S’il est possible qu’il fleurisse encore quelque part dans l’âme française, une dernière fleur de pitié pour ces brutes, il faut l’en extirper comme une fleur de poison et en faire de la cendre et du fumier... »

Il nous dit aussi qu’il faut laisser « fleurir en nous la fleur de la haine implacable, sans rémission, sans exception, justicière et vengeresse ayant pour épanouissement suprême l’amour entre tous les enfants de la terre, une fois Caïn exterminé ».

Mars

F.-N., « Poèmes durant la guerre par Jean Richepin (Flammarion) », L’Echo de Paris, 18 mars 1919, p. 2.

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Poèmes durant la Guerre, par Jean Richepin (Flammarion) La plupart de ces poèmes sont des pièces de circonstance, et M. Jean Richepin indique joliment que, pour un poète empêché de faire la guerre, la chanter, du moins, était une sorte de « devoir professionnel ». M. Jean Richepin a rempli ce devoir avec goût, et avec bonne grâce. Sans doute, le caractère d'improvisation apparaît vite, quand ce ne serait qu'à ces interjections, à ces « vocatifs » par lesquels, au début de presque chaque pièce, le poète a éprouvé le besoin de se mettre en train : — « Parisienne !... — Grand. Roi !... — Salut, Serbie !... — O Roumanie !... — Drapeaux !... — O soldats !... — O Marne !... — Salut !... — Salut !... » Mais, ni l'improvisation, ni la rhétorique, n'entraînent jamais M. Jean Richepin à dire autre chose que ce qu'il veut dire : une vertu pour un poète de circonstance ; il sait dominer les circonstances, et, avec un heureux choix des mots, rester maître de ses développements. Et puis il ne faut, pas oublier que M. Jean Richepin, s'interprétant le plus souvent lui-même, est un diseur incomparable. 

F.-N.

Le Tapin, « Un homme pratique », Le xixe siècle, 24 mars 1919, p. 1.

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L'un de nos plus séduisants conférenciers, le poète Jean Richepin, fut dernièrement sollicité par un imprésario américain d'entreprendre une série de conférences aux Etats-Unis.

Le « manager » offrait un pont d'or à l’académicien pour traverser l'Atlantique. Le traité fut signé. Aussitôt l'Américain tirant de sa poche un carnet de chèques, y inscrivit la somme fixée et tendit le papier au conférencier.

- Mais, fit observer Jean Richepin avec malice, c'est toute de même un peu imprudent de votre part de payer si longtemps d'avance. Supposez, par exemple, que je vienne à trépasser en cours de route à bord du paquebot qui me conduira à New-York.

L'autre réfléchit quelques secondes, puis avec le plus grand flegme :

- Qu'à cela ne tienne, cher monsieur, je gagnerai tout autant d'argent en exhibant à mon public… feu Jean Richepin !

Roland de Marès, « Les Livres », Les Annales politiques et littéraires, 30 mars 1919, p. 5.

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JEAN RICHEPIN a réuni en un volume, sous le titre : Poèmes durant la Guerre, les pièces qu'il écrivit de 1914 à 1918, et qui, toutes, se rapportent au grand drame que nous avons vécu. L'auteur s'excuse de publier sous la forme durable du livre ces poèmes qui, dit-il, ne sont que des pièces de circonstance demandées à un poète faisant sa partie dans une cérémonie publique. « En les écrivant, et en les disant lui-même presque toujours, il n'avait d'autre but que de remplir, le mieux possible, ses devoirs professionnels. » Seul un maître des lettres françaises tel que, l'est M. Jean Richepin peut se permettre tant de modestie, car il n'est pas juste de méconnaître à ce point la « pièce de circonstance ». Si on la dédaigne généralement, c'est que, trop souvent, la médiocrité s'exerce en un genre que les poètes négligent volontiers. Le sujet imposé est une gêne pour l'imagination ; l'inspiration ne souffre aucune contrainte ; mais cela ne signifie point que la pièce de circonstance doive être forcément grise. Tout dépend, en somme, des circonstances que le poète se donne mission de chanter ; tout dépend de l'heure que la strophe veut fixer. Ce genre, pour échapper à la banalité, exige une réelle maîtrise du métier, une sincère noblesse de la pensée et une pure élégance du style. M. Jean Richepin possède toutes ses qualités, et, par-là, ce qu'il appelle ses « pièces de circonstance » prennent une valeur très particulière.

En ces Poèmes durant la Guerre, c'est toute la guerre elle-même qui s'évoque puissamment ; ce sont les angoisses et les espoirs dont nous avons vécu pendant quatre années. Toutes ces cérémonies où s'élève la voix du poète marquèrent une étape de la roule tragique parcourue, une phase ou un moment de la prodigieuse épopée: voici le premier « Noël » des soldats dans les tranchées ; voici la première journée des petits drapeaux belges ; l'appel à tous les peuples latins, avant l'entrée en campagne de l'Italie et de la Roumanie; voici l'hommage à la Serbie, en 1916, lors de la seconde invasion de ce pays ; et puis le chant à la gloire de l'Italie belligérante, et les strophes claires saluant la Roumanie prête aux combats. Ce que notre cœur éprouva pour la vaillance anglaise, pour la loyauté américaine, tout ce qu'exalta en nous la puissance de rayonnement de l'âme romaine, M. Jean Richepin l'a traduit avec des élans superbes. Et il est profondément émouvant quand il chante nos soldats, les poilus de la grande épopée,

Depuis ceux au poil gris jusqu'aux poilus imberbes.

Le poète, ici, trouve des accents qui dépassent de beaucoup le ton de la simple pièce de circonstance :

O soldats, créateurs de l'aube qui va naître, Le chant que l'on vous doit, où prendra-t-il son être ?
Quel miracle sera le vôtre, en vérité ?
Pour l'hosanna de tant de gloire mérité
Et qui dans tous les cœurs enfle vers vous son onde,
Quelle voix est assez éclatante et profonde ?

Depuis Hugo, il est périlleux pour un poète d'évoquer le spectacle de soldats vainqueurs passant sous « l'arche pleine d'ombre ». M. Jean Richepin n'a pas hésité, dès la victoire acquise, à écrire ce chant d'un souffle puissant :

Oh ! va, va, chante-la, cette aubade nouvelle
Où tout un nouveau monde à nos yeux se révèle,
Chante-la, Marseillaise, à plein souffle, à plein cœur !
Et toi, sois ébloui de ce dernier vainqueur,
Arc de Triomphe, dont l'envergure si grande
Est trop petite encor pour l'immortelle offrande
Qu'il t'apporte, en passant sous ton front immortel !
Entre tes quatre pieds, il va dresser l'autel
Où l'on adorera l'enfant de son miracle,
La Paix du Monde, et tu seras le tabernacle
Devant qui l'Homme heureux viendra prier le soir,
Quand tout l'or du couchant y met son ostensoir.

Tout ceci est du bon Richepin, et l'on comprend par ces poèmes que le poète des Gueux a profondément senti la guerre, et que, dans les cérémonies où, selon sa parole, il n'avait d'autre but que de remplir, le mieux possible, « ses devoirs professionnels », il a beaucoup apporté de son âme et de son cœur.

Avril

P.Q., « A la société des conférences », Journal des débats politiques et littéraires, 4 avril 1919, p. 2.

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« Guynemer », par M. Jean Richepin

La Société des Conférences clôturait hier splendidement ses réunions de cette année et la série des « Hommes de la guerre » par le portrait d'un enfant héroïque et légendaire, par un « Guynemer » de M. Jean Richepin. Le lyrisme d'un Guynemer, aviateur unique, est intérieur. M. Jean Richepin est aussi un lyrique. Il s'est excusé de ne pas apporter l'hommage d'un grand et magnifique poème. Recevant à l'Académie le vainqueur de la Marne, il avait annoncé « la Chanson de Joffre ». Il pourrait écrire « la Chanson de Guynemer ». M. Henry Bordeaux aurait certainement donné ce titre au volume qu'il a consacré à Guynemer, que M. Richepin a beaucoup loué, suivi et cité, s'il n'avait intitulé déjà la « Chanson de Vaux-Douaumont » deux volumes précédents. Ces volumes sont sans doute, avec celui sur Guynemer, les meilleurs ouvrages du commandant Henry Bordeaux, qui était associé hier, par le conférencier éclatant, à la gloire de l’ « as des as », et qui le sera vraisemblablement de main à la gloire académique de M. Jean Richepin. Aussi bien documenté que possible, M. Jean Richepin a traité son sujet devant un public ravi comme pouvait le faire un poète tel que lui, un Français vibrant d'ardeur et de foi patriotique, un Français de Thiérache, pays que Guynemer, mi-Wallon et mi-Breton d'origine, dont la Emilie était fixée à Compiègne, a survolé constamment, qui a été le théâtre de ses prodigieux exploits. Il l'a traité enfin, en ancien enfant de troupe du 82° de ligne. Et ce souvenir, évoqué à propos de la part prise par son vieux régiment à l'émouvante cérémonie de la remise de la rosette d'officier de la Légion-d'Honneur à ce héros de vingt-deux ans, n'a pas été l'un des traits les moins pittoresques et les moins goûtés de la conférence de M. Richepin. « Héros légendaire, tombé en plein ciel de gloire, il restera le plus pur symbole des qualités de la race », dit sa vingt-sixième et suprême citation à l'ordre du jour. M. Jean Richepin l'a lue hier et l'a illustrée par toute sa conférence ; il l'a illustrée aussi avec l'hommage rendu par César à ces Celtes gaulois dont Guynemer est l'authentique descendant : Pugnere fortiter et argute loqui.

P. Q.

Georges Wulff, « Guynemer par M. Jean Richepin », Le Gaulois, 5 avril 1919, p. 3.

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Guynemer, le légendaire Guynemer, car il est déjà entré dans la légende, a été chanté hier par Jean Richepin c'est dire qu'il trouva un interprète digne de sa gloire

« Le jeune et prodigieux héros », ce sont les expressions mêmes dont s'est servi le poète pour parler de son modèle, était à la fois un doux et un violent ; violent, comme ces chevaliers errants d'autrefois dont nous avons lu dans notre jeunesse les belles histoires.

Ah quelles belles, charmantes, héroïques et en même temps spirituelles lettres que celles que cet enfant écrivait dans l'intervalle de ses incroyables batailles de l'air. Ici, l'héroïsme parle sans emphase, en quelque sorte inconsciemment. Guynemer avait l'âme d'un paladin, mais il l'ignorait. M. Jean Richepin, en nous lisant ces lignes qui sentent la poudre, nous a admirablement fait connaître leur auteur et il faut l'en remercier.

Lorsque la guerre éclata, Guynemer avait dix-neuf ans à peine. Il voulut s'engager, mais, son apparence délicate empêcha longtemps la réalisation de son désir. « Dussé-je me cacher dans un camion automobile, disait-il, j'irai au front. » Enfin, grâce aux démarches de son père, ancien officier, on consentit à le prendre, comme élève mécanicien dans un camp d'aviation. Tels furent les débuts de l'homme, du très jeune homme qui devait tant faire parler de lui !

Le jour de sa première sortie marqua sa première victoire. Il descendit un aviatik après un combat furieux. Son capitaine, le capitaine Gérard, le complimenta de la façon suivante « Vous êtes un rude type vous ne déparez pas la collection ! » On sait que les fantassins n'éprouvaient pendant la guerre qu'une sympathie très limitée pour les aviateurs, qu'ils trouvaient, trop envahissants. Guynemer échappa à cette singulière prévention et le conférencier nous a lu à ce propos la lettre que lui adressait un colonel au nom de tout son régiment.

La vie et la carrière magnifique de Guynemer sont connues la tâche de M. Jean Richepin a consisté, encore une fois, à nous montrer le héros intime, tout en ne négligeant pas, loin de là, son côté glorieux. Avons-nous besoin de dire avec quelle éloquence, quelle noblesse il en a parlé ? Mais s'étendre sur le talent oratoire de l'auteur du Chemineau, n'est-ce pas véritablement superflu ?

Paul Souday, « Les Livres », Le Temps, 17 avril 1919, p. 3.

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La préface de M. Jean Richepin se recommande par sa brièveté d’abord, puis par une rare modestie. « Non, pas même ! écrit-il. Pas une préface, en vérité ! Rien qu’un bref et modeste avertissement ! » Le mot ne fait rien à l’affaire : avertissement ou préface, il est vrai qu’on y trouve ces qualités précieuses. « La plupart de ces poèmes, pour ne pas dire tous, explique-t-il, ne sont, en somme, que des pièces de circonstance, demandées à un poète faisant sa partie dans une cérémonie publique. » Gœthe professe qu’il n’y a que des poésies de circonstance, mais c’est dans un sens plus large. Les vers que M. Jean Richepin réunit dans ce volume sont des à-propos, faits sur commande, des espèces de cantates officielles, parfois de simples pages d’album. On ne peut donc y attacher une extrême importance, ni y chercher l’occasion d’un jugement d’ensemble sur l’auteur de la Chanson des Gueux, des Blasphèmes et de la Mer. C’est intéressant, au point de vue historique, comme témoignage de ce qu’il fallait dire pendant la grande guerre devant un public français moyen, bourgeois et populaire, tel que celui des grandes réunions où se produisait M. Jean Richepin, se constituant son propre interprète ; on sait qu’il a un remarquable talent de diction, servi par un art consommé, voire par d’ingénieux artifices, et qu’il aurait pu être sociétaire de la Comédie s’il n’avait préféré l’Académie française. Pour les amateurs, il est curieux, en outre, de noter la façon dont M. Jean Richepin s’en est tiré, et le style qu’il a cru devoir adopter dans l’exercice de ces fonctions de poète, lauréat ; car il en a bien assumé la charge et le titre seul lui a manqué.

Il serait impossible de critiquer sévèrement des vers destinés à figurer dans des albums ou des livres d’or offerts à la reine Alexandra d’Angleterre, au roi et à la reine des Belges, etc...; ou des quatrains d’envoi pour cadeaux de Noël aux soldats du front ; ou des strophes exhortant les auditeurs à acheter les petits drapeaux belges, dont la vente servait à secourir les réfugiés ; ou des odes à la Serbie, à l’Italie, à la Roumanie, à la Grande-Bretagne et à son ambassadeur, aux drapeaux de France et d’Amérique, aux soldats des Etats-Unis, à l’âme de Rome, aux Algériens, aux victimes des Gothas, aux poilus, à la Marne, à l’Arc de Triomphe, etc... M. Jean Richepin a traité tous les thèmes indiqués, décerné toutes les louanges nécessaires, et parfaitement concilié le protocole avec la poésie lyrique. Il n’est jamais inutile d’avoir, du tact, On distingue, d’ailleurs, un accent de sincérité dans ces poèmes de facture. M. Jean Richepin n’exécute pas laborieusement un pensum : il est manifestement en communion avec les foules pour lesquelles il travaille. Et d’abord on doit l’en féliciter, attendu qu’il n’y avait rien que de noble, de juste et de raisonnable dans ces sentiments collectifs. C’est très bon signe, pour un poète ou un orateur, que de savoir en de pareils temps, chez une telle nation, faire vibrer l’âme populaire. Ce qu’on pourrait seulement ajouter, c’est que cette âme si droite et si généreuse est forcément un peu simple, et qu’au point de vue littéraire elle se contente, souvent d’assez peu. Le problème est d’imprimer à la matière qu’elle fournit une formé de beauté supérieure, qui lui reste pourtant accessible. C’est ce que font en général les grands poètes, qui ne se confinent pas volontiers dans des cénacles ; et en ce qui concerne notamment ce genre difficile du poème patriotique, c’est ce qu’a fait Victor Hugo. M. Jean Richepin n’atteint pas à ces hauteurs : il ne descend pas trop bas non plus. Il s’adonne ici à l’éloquence, plutôt qu’à la poésie proprement dite : il côtoie la prose, ou même y verse délibérément, mais il garde une fermeté et une vigueur d’accent, Où l’on voit qu’il a su profiter de ses études classiques. C’est bien l’œuvre d’un ancien normalien, qui au fond, sans peut-être s’en rendre compte, en est toujours resté à Malherbe et à Jean-Baptiste Rousseau, et qui a su le Conciones par cœur. Il n’y a point de mal, car il est bon que la production d’une époque soit un peu variée ; et les aptitudes naturelles ou acquises de M. Jean Richepin ont trouvé là un excellent emploi. Après tout, l’extrême simplicité est souvent le parti le plus sage : 

O soldats de l'humanité,
De la Justice et de la France.

Cela est bien dit et résume tout en va de même de ceci : 

Drapeau tout à la fois et de notre patrie
Et de l’Humanité contre la Barbarie...

A chercher des raffinements, on eût peut-être tout gâté. Peut-on mieux s’exprimer, parlant à la Belgique, qu’en ces termes : 

O petit peuple à la grande âme,
Par qui le droit sera vainqueur !

Avec ces mots ou ces phrases de tout le monde, adroitement versifiés, M. Jean Richepin réussit à bien rendre, par exemple, notre reconnaissante affection pour nos frères belges. Il est communicatif et émouvant, au plus juste prix. Du reste, il ne se refuse pas toute envolée. La Roumanie l’a, particulièrement inspiré à cet égard et, en son honneur, il est redevenu poétique pour célébrer, lui dit-il,

L’essence de ton âme, ô rose d’Orient,
Que Rome un jour greffa sur une âpre êglantine.

Dans l’ode Aux Latins, notre commune aïeule la Grèce est brillamment invoquée ; il y a un beau mouvement dans l’hommage aux dieux helléniques, toujours vivants, dans l’anathème contre les Barbares, monstres échappés à Héraklès, et dans le serment final, par Salamine et Marathon ! On remarquera avec, plaisir que M. Jean Richepin, très ardemment patriote ; cela va de soi, évite les déclamations intempérantes du bellicisime et de l’impérialisme. Au glaive, il préfère le flambeau, et s’il admet que le flambeau redevienne glaive, c’est uniquement par la nécessité de défendre la civilisation. L’ennemi n’est pas maudit en soi, comme ennemi-né, à cause de sa race, mais à cause de ses crimes, M. Jean Richepin n’enseigne pas les haines nationales, mais l’horreur des atrocités et de l’oppression. Il exalte

Rome, dont l’héritage a mis en notre main
Ce sceptre, d’être les soldats du genre humain !
Non pour régner, mais pour vouloir, en équilibre,
Tous les peuples heureux, chaque peuple étant libre.
Il annonce la justice, la liberté, — et la paix : 
... Gloire à celle
Dont le rêve a pour but la paix universelle.

Il flétrit l’Allemagne parce qu’elle fait la guerre pour la guerre. M. Jean Richepin veut la guerre pour la paix, pour le triomphe des droits de l’homme et du droit des nations. Et les soldats de ces quatre ans lui paraissent plus grands que tous les plus fameux héros qui les ont précédés dans l’histoire, parce qu’ils n'auront pas seulement remporté des victoires magnifiques sur les armées adverses, mais sur le principe même de ces tueries ;

Car ce que vous aurez tué, vous, c’est la Guerre !

Si l’on prend garde, d’autre part, que dans la pièce sur le Miracle de la Marne, M. Jean Richepin déclare

…qu’il y eut un miracle, en effet,
Et que c’est toi, soldat de la France, qui l’as fait,

on ne refusera pas du moins, à son recueil ces deux mérites éminents : la mesure et le bon sens.

Si ce genre civique et cette espèce de musique militaire convenaient assez bien au talent de M. Jean Richepin, M. Henri de Régnier tout au contraire y était fort mal préparé. Celui-ci n’a jamais été touranien, gueux, chemineau, ni orateur du forum : c’est un symboliste raffiné et un peu isolé dans une élégante tour d’ivoire, avec tout le confort moderne. L’auteur des Poèmes anciens et romanesques, des Jeux rustiques et divins, des Médailles d’argile, de la Cité des eaux, a coutume de chanter les nymphes, les cygnes et les fontaines, les bergers de Sicile et les grandes ombres de Versailles ; il sait faire sonner la lyre, d’un pouce bien appris et tirer de la flûte des mélodies subtiles ; il n’avait pas encore embouché le clairon ou la trompette épique, ni suivi l’école de tambour. Aussi n’a-t-il pas affronté les assemblées comme M. Jean Richepin, et n’a-t-il écrit que pour, être lu. Mais ses thèmes sont forcément ceux de son confrère, et l’on découvre quelques analogies entre ces deux nouveaux ouvrages de deux poètes qui se ressemblent habituellement si peu...

Martyrs du Droit luttent contre la Barbarie...

Cet Alexandrin et ces majuscules, qui sont de M. Henri de Régnier, pourraient être de M. Jean Richepin. Il faut vérifier avec soin pour être sûr de ne pas confondre. D’ailleurs, cela est bien pensé, et ne pouvait être dit plus uniment On pourrait seulement se demander s’il valait la peine de le dire en vers, sans futilité immédiate de rehausser une fête et d’entraîner un auditoire.

Aujourd’hui toi soldat, laboureur ou poète,
Quel qu’il soit, ouvrier de la ville ou du champ,
Prolétaire, bourgeois, collabore à son rang
A la grande œuvre, chaque jour se complète.

C’est effectivement ainsi que nous avons gagné la partie. Mais pourquoi cette honnête prose est-elle rimée, surtout par un poète qui repoussait avec mépris la théorie du vers presque pédestre, à la Boileau, et ne l’admettait au contraire que résolument ailé ? Il y a deux conceptions de la poésie : l’une qui la rapproche de la prose, l’autre qui veut l’en éloigner le plus possible. M. Henri de Régnier a toujours professé la seconde : il a, cette fois, un peu pratiqué la première. Il lui arrive aussi, peut-être parce qu’il en avait soudain, conscience, de vouloir à tout prix corriger cette grisaille et de forcer la note. Les quatre vers que je viens de citer sont les premiers d’un sonnet. Voici le second quatrain : 

La page qu’il écrit, la gloire la répète
Et l’écho la redit, à l’écho plus vibrant ;
L’encre dont il se sert n’est autre que son sang ;
La plume qu’il emploie est une baïonnette.

Aimez-vous beaucoup cette truculence ? Et n’y a-t-il pas quelque chose de pénible dans l’image suivante : 

Laisse-nous humblement, laisse-nous, ô Patrie,
Baiser tes beaux pieds nus qui marchent dans le sang.

Ici l’on eût préféré que le même sentiment s’exprimât en termes plus prosaïques. Il y a, d’ailleurs, dans ce petit volume, des choses charmantes, où se retrouve le meilleur Régnier. Voici comment parle un blessé convalescent : 

J'écoute de nouveau la source qui murmure,
L’oiseau léger qui chante en s’envolant là-bas,
Les mille bruits confus de la futaie obscure
Et le son de ma voix et l’écho de mon pas.

C’est simple aussi, mais délicieux. M. de Régnier insiste, et fait dire à son jeune soldat, échappé à la mort : 

Mais qu’ait été mon front frôlé de sa grande aile,
Il m’en reste un orgueil dans rime et dans l’esprit
Et la vie à Jamais me semblera plus belle
De tout ce qu’a souffert mon corps endolori.

Soit encore ! Et les vers sont beaux. Mais on voit que l’émotion douce n’est qu’un court épisode dans ce recueil et que M. Henri de Régnier, semblant se faire scrupule de s’y attarder, retourne bien vite à l’héroïsme farouche. Tout au rebours de ce qu’on aurait pu croire, c’est même lui qui a une tendance à l’exagération, tandis que M. Jean Richepin s’en défendait mieux. Pourquoi s’écrier :

Héros, Je vous salue et ne vous pleure pas ?

Ne peut-on saluer avec le même respect, le même enthousiasme, et pourtant s’attendrir sur cette jeunesse fauchée ? Pour le jour des morts, le poète déclare que ce jour est beau : 

A vous, fils belliqueux de la patrie en armes,
Nous n’apporterons pas de regrets et de lames ;
Devant vous nos genoux ne doivent pas plier.
C’est debout qu’il convient de vous porter envie,
Car, lorsque l’on repose à l’ombre du laurier,
La Gloire fait la Mort plus belle que la Vie.

Sans doute ! Et c’est cornélien, c’est romain. Mais nous sommes moins stoïques, et n’en valons pas moins pour cela. Nos fils n’étaient pas belliqueux : ils n’en ont eu que plus de mérite, étant attaqués, à soutenir si vaillamment une guerre qu’ils n’avaient pas voulue.

Plus acceptante et même amusante, parce qu’il s’agit d’une pièce familière et goguenarde, est la réponse du poilu à qui l’on suppose des aspirations au repos :

Mon désir a pour limites
De recommencer le jeu,
Car, après tant de marmites,
C’est fade, le pot au feu !

On entend bien que ce goût de militarisme romanesque ne doit pas être pris tout à fait à la lettre. La beauté morale chez le guerrier consiste à ne pas guerroyer par plaisir, mais par devoir, et à en sentir toute l’horreur tragique. C’est alors que nous pouvons l’admirer et le vénérer pleinement lorsque, dans, tranchée, il ne se proclame pas malheureux !

Car je sens dans l’ombre moire,
Si je m’endors, harassé,
La Patrie aux yeux de gloire
Qui baisa mon front glacé.

M. Jean Cocteau appartient à une plus jeune, toute jeune génération et à une toute autre école. Ayant composé le scénario d’une pantomime, Parade, jouée aux ballets russes avec de la musique de M. Erik Satie et des décors cubistes, M, Jean Cocteau est considéré comme le frère d’armes ou le coreligionnaire de Picasso et de Georges Braque. Mais même si l’on ne comprend pas très bien le cubisme des peintres, on en constate du moins l’existence de fait. On n’est pas bien sûr qu’il puisse exister, autrement que par métaphore, un cubisme littéraire.

Le nouveau Poème de M. Jean Cocteau, le Cap de Bonne-Espérance, est principalement consacré à la mémoire de l’aviateur Roland Garros. Comme M. Marinetti, il aime l’actualité, la vie moderne, les machines et les inventions scientifiques. Les symbolistes étaient plutôt ruskiniens. Mais c’est au symbolisme que semble, se rattacher surtout la nouvelle manière de M. Jean Cocteau. Mallarmé avait déjà supprimé la ponctuation, entrevu des mises en pages étranges, violemment exclu tout Cliché. M. Jean Cocteau va jusqu’à éliminer la syntaxe, à procéder par suite de mots sans lien logique (ce qui est proprement du petit nègre) et à tomber dans la suite de syllabes sans signification précise (c’est-à-dire dans l’onomatopée, ou langage des animaux). Ainsi l’extrême raffinement rejoint l’ingénuité primitive. Il ne faut pas décourager systématiquement les essais, d’où peut sortir du nouveau. Il est certain, du reste, que M. Jean Cocteau possède des dons remarquables, un sens aigu du rythme, du trait caractéristique et de l’image qui résumé. On se demande néanmoins s’il fait le meilleur usage de son talent. Attendons. Il vient de publier aussi, sous ce titre : le Coq et l’Arlequin, un petit recueil de notes d’esthétique fort curieuses, fort spirituelles, et rédigées dans une prose immédiatement intelligible. J’y reviendrai. (Paul Souday).

Mai

Anonyme, « Revue des livres », L’Information financière, économique et politique, 13 mai 1919, p. 5.

Et voici encore deux volumes de vers sur la guerre.

M. Jean Richepin, dans la préface de ses Poèmes durant la Guerre, écrit modestement que les pièces incluses dans ce livre ne sont que des pièces de « circonstance, commandées à un poète qui fait sa partie dans des cérémonies publiques. Evidemment si M. Jean Richepin devait publier la Chanson des Gueux, les Blasphèmes et les Caresses, on ne pourrait que malaisément et injustement le juger d’après ces poèmes d’actualité « sur prière ». En les composant, Jean Richepin dut s’asservir à quelques nécessités telles que le caractère officiel des réunions où on le conviait à chanter, les collectivités qu’il avait mission d’animer et qui étaient en proie à des émotions, des angoisses et à des espérances. Ces émotions, ces espérances M. Jean Richepin était invité par les pouvoirs publics à les traduire. L’âme des foules devait se reconnaître, prendre conscience d’elle-même en lui. Son excellente diction vint à son secours : car Jean Richepin est un diseur merveilleux et au surplus l’effet de ses récitations sur le public fut toujours irrésistible. Il restait à savoir ce qui, à la lecture, demeurait de ces déclamations triomphales, et si la personnalité du poète des Gueux et de la Mer avait su dominer, je ne dis pas la banalité des cérémonies, mais leur « officialité ». Poésies de circonstances, certes, mais de quelles circonstances ! Pour avoir été commandées à l’Académicien, elles dépassaient assurément la cantate, et pour être resserrées dans le cadre étroit des cérémonies, qui donc les eût empêchées de s’envoler ? On savait que leur auteur n’était pas de ceux que les heures tragiques avaient pu laisser impassible. C’est pourquoi les Poèmes durant la guerre valent d’être lus. Et d’ailleurs Jean Richepin y célèbre des rois et des reines qui furent héroïques. Il y vante les mérites de nations qui se sont levées pour une idée. Il élève son vers en faveur de généraux et de soldats — qui furent les vainqueurs de la grande guerre. Il n’oublie ni les drapeaux déchiquetés par la mitraille, ni ces lâches oiseaux de nuit, les gothas. Odes, quatrains, poèmes — Jean Richepin s’y montre partout lyrique, avec verve, enthousiasme, et opportunité. Nulle contrainte apparente en ces expansions poétiques : sa belle sincérité y rachète la commande. Les Châtiments n’avaient pas été demandés à Victor Hugo par Napoléon III : mais ce furent poésies de circonstance, que dictaient les justes passions du jour. Elles sont restées, — et le temps, s’il estompe les haines politiques, n’a point diminué leur valeur.

Sans atteindre à la hauteur de notre plus grand poète, dans les Poèmes de Guerre, M. Jean Richepin fut émouvant et noblement inspiré autant qu’il convenait. Bien qu’il les eût composés de loisir, M. Jean Richepin aurait pu, se dressant soudain parmi son auditoire, improviser d’enthousiasme et, de verve des pièces où, s’agissant de Belgique il s’écriait :

O, petit peuple à la grande dame
Par qui le droit sera vainqueur.

Et il est certain qu’on ne pouvait mieux dire, ni plus simplement. Les amis de la poésie et des lettres trouveront un plaisir d’une autre qualité sinon plus délicat, a lire les vers dédiés aux latins, aux Roumains, à Rome

...Dont l’héritage a mis en notre main
Ce sceptre d’être les soldats du genre humain.

Mais Jean Richepin n’oublie pas que le but de la guerre, c’est la paix. Et s’il vitupère contre les Allemands, c’est pour leur reprocher leurs méthodes barbares et leur amour de la guerre. Et j’aurais voulu citer la pièce inspirée à Jean Richepin par « le miracle de la Marne » où l’on trouvera des vers dignes d’être retenus par les anthologies qui voudront réserver une place à une période de l’histoire de la poésie française.

Louis Lefebvre, « Poètes », La Revue politique et littéraire, 17 mai 1919, p. 308.

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[…]

L'harmonie dont je parle, entendons bien qu’elle elle n’est point toute dans la musique des mots : il faut pour devenir poésie, qu’elle donne un son plus large et plus profond. Autrement, le premier virtuose venu serait un poète. Et cela n’est pas.

Peu d’hommes à l’heure actuelle, possèdent les ressources de leur art aussi complètement que M. Jean Richepin. La carrière de cet écrivain est, d’ailleurs, à signaler aux regards des débutants, pour qu’ils en retiennent tel enseignements qu’exigera, à celle heure initiale où l’on choisit une voie, le choix qu’ils auront fait.

Oui ne se rappelle les bruyants débuts du normalien en rupture d’Ecole, touranien par adoption, la Violence habile de ses Blasphèmes et leur rapide succès, né de cette violence même ? Je ne dirai point que ces vers sont dans toutes les mémoires ; sauf peut-être quelque hémistiche trop typique qu’il me serait difficile de transcrire ici. Mais on sait le bruit qu’ils ont fait. Et je vis dans la constante crainte que l’une des jeunes et charmantes auditrices habituelles de M. Jean Richepin rencontrant, par hasard, ce volume célèbre de son maître, ne l’ouvre pour prolonger, par un louable zèle, la leçon de l’après-midi. Personne n’ignore, en effet, le rôle actif où se dévoue, maintenant, l’auteur des Blasphèmes, et qu’entre tant de tâches, il a élu la plus gracieuse, qui est d’enseigner les jeunes filles.

Entre tant de tâches ! Car l’activité littéraire de M. Jean Richepin fut grande et variée.

Les œuvres sont nombreuses et diverses, qui jalonnent la route depuis le départ de la rue d’Ulm, et cette brève apparition sur les planches, aux côtés d’une illustre tragédienne, jusqu’à l’Académie. La Chanson des gueux, Les Caresses, La Mer, y montrent un habile et curieux mélange de lyrisme, de réalisme et de farouche indépendance. M. Richepin joue là, avec une inlassable vigueur, d’un instrument de cuivre d’où il tire parfois des sons éclatants. Et, encore que cet instrument ne m’émeuve pas, les hommes autour de lui s’arrêtent volontiers. Mme André n’est point un roman négligeable. Le Flibustier, Par le glaive, Le Chemineau ont obtenu, au théâtre, de durables succès, et ce sont des pièces fort bien faites. On ne doit dénier à M. Jean Richepin ni une incontestable abondance, ni une réelle habileté. Voilà, oui, voilà un excellent ouvrier, apte à des besognes multiples, — et travailleur.

Son récent volume, Poèmes durant la Guerre, en donne une preuve nouvelle : ce sont, plutôt que des poèmes, des discours et des à-propos rimés — fort congrûment — chaque fois, depuis 1914, que l’occasion permettait ce travail ou qu’on le demandait même à M. Jean Richepin.

On comprend en lisant le recueil, toute l'importance de la place que son auteur occupe aujourd’hui dans la Société.

[…]

Juin

Pierre Gille, « Jean Richepin acteur », La Dépêche coloniale, 26 juin 1919, p. 3.

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Le jour de la signature de la paix à Versailles, Jean Richepin dira à la Comédie-Française un poème écrit spécialement par lui à celle occasion. L'académicien est un admirable diseur de vers et il ne faut pas oublier que, dans sa jeunesse, il fut — avant Sacha Guitry — un auteur acteur fort applaudi. C'était en 1883, on jouait Nana Sahib, de Jean Richepin, à la Porte-Saint Martin.

Les interprètes étaient Mme Sarah Bernhardt et M. Marais. Mais à la troisième représentation M. Marais s’étant trouvé souffrant, Jean Richepin le remplaça au pied levé et incarna le chef de la révolte hindoue. Ce fut M. Talbot qui fit l’annonce applaudi frénétiquement par le public. Le poète réalisait, très bien physiquement le type à demi-sauvage de Nana Sahib et il jouait supérieurement les scènes amoureuses et passionnées du rôle. Il le joua tous les soirs, aux côtés de Sarah Bernhardt avec un succès énorme.

Anonyme, « Deux poètes salueront ce soir la paix », Excelsior, 28 juin 1919, p. 4.

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L’un est M. Jean Richepin, qui, au Théâtre-Français, au cours de la représentation de l’Indiscret, dira lui-même en scène, un poème sur la Paix. M. Jean Richepin n’est pas un débutant !... C’est un admirable diseur de vers, de qui les débuts au théâtre remontent à 1883. On jouait à ce moment-là, à la Porte-Saint-Martin, un drame en vers, Nana-Sahib. A la troisième représentation, Marais, qui interprétait Nana-Sahib, dut, étant malade, abandonner son rôle. Et ce fut l’auteur lui-même qui le reprit et le joua tous les soirs, aux côtés de Mme Sarah Bernhardt, avec un très grand succès. Jeune, ardent, farouche, Jean Richepin incarnait à ravir le chef de la révolte hindoue. Les années ont passé. Le poète est académicien. Mais, ce soir, les spectateurs du Théâtre-Français verront que l’illustre écrivain n’a pas cessé d’être jeune…

L’autre poète est M. Auguste Villeroy, qui, sur la scène du théâtre Sarah Bernhardt, ce soir, viendra lui-même dire un poème qu’il a écrit : Salut à la paix victorieuse.

Août

Albert Cim, « Camille Pelletan », La Revue mondiale, 1er août 1919, p. 256.

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[…]

A l’époque où Camille Pelletan suivait les cours de l’Ecole des Chartes, il s’était intimement lié avec Jean Richepin, et tous deux, dans toute la vigueur et le feu de la jeunesse, se plaisaient aux exercices physiques, voire aux prouesses d’équilibristes et de clowns, aux « tours de force ». Richepin, avec son étonnante virtuosité, cette admirable facilité qu’il possède pour tous les genres de travail et d’exhibition, — il a été acteur, on se le rappelle, — était même passé maître dans ces exploits, et nul mieux que lui ne savait marcher sur les mains, faire la voltige, l’arbre fourchu ou le saut périlleux, se désarticuler et se désosser. Il y avait surtout un certain tour appelé le crapaud ou la grenouille, qu’il avait enseigné à son féal Pelletan, et qui était des plus drôles. Il consistait à se passer les deux jambes derrière la tête et à les croiser en ramenant les pieds sur les épaules et sous le menton, ce qui donnait au corps ainsi tordu, bistourné, disloqué et comme roulé en boule, le plus singulier aspect.

Le vaillant et intrépide Camille avait fini par exécuter ce tortillement ou enroulement, à « faire le crapaud », avec une grande habileté, mais, de l’aveu de tous leurs camarades ou condisciples, il était loin d’égaler Richepin.

Des années s’écoulèrent. Jean Richepin publia la Chanson des Gueux, la Glu, Miarka, les Blasphèmes, autant de chefs-d’œuvre ; il devint le père de l’école brutaliste, en attendant que l’Académie lui ouvrît ses portes. Pelletan, lui, muni de son diplôme d’archiviste paléographe, collabora au Rappel et à nombre d’autres feuilles, publia divers volumes, dont une très remarquable histoire des derniers jours de la Commune, la Semaine de mai, puis entra au Parlement comme député d’Aix-en-Provence. Mais il demeura toujours fidèle aux lettres, et, à travers la parole vibrante de l’orateur comme sous la plume du publiciste, on retrouve toujours le lettré et l’érudit, respectueux de la pureté de la langue et épris dru beau style. Comme l’a bien dit le délégué de la Société des gens de lettres, Jean Jullien, aux obsèques de Camille Pelletan, « ses adversaires oubliaient les virulences de ses attaques pour admirer l’art avec lequel elles étaient conduites ».

Décembre

Tournesol, « Illusions (?) », L’École et la vie, 13 décembre 1919, p. 184.

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Louis Latzarus s’en prend dans l’Avenir à un de ses confrères qui a qualifié d’ « illusions » l'espoir, caressé par un jeune et nouveau député, de ne plus s’intéresser à la politique, mais aux questions économiques.

Ah ! si les questions économiques prêtaient aux grands mots eaux grandes phrases vides !

Jean Richepin assurait jadis qu’il se chargeait de soulever toute une salle en déclamant ceci (ou à peu près) : 

Oui, la France, pour nous, sera toujours la France.
Pour nous, jamais l’échec ne sera le succès.
Jamais le désespoir ne sera l’espérance.
Les Français sont toujours Français !

Mais, certes, personne ne fera jamais vibrer son voisin en disant : « Les questions urgentes, ce sont les questions commerciales, financières et industrielles. »

S’il en est ainsi, c’est bien dommage. Et voilà, sans doute, une raison d’un autre délaissement, du délaissement des questions pédagogiques, qui ne font pas vibrer, mais qui sont pourtant, elles aussi, urgentes.

Anonyme, « La Parole académique », La France, 21 décembre 1919, p. 1.

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Elle est jugée plutôt sévèrement par certains confrère nimois.

M. Jean Richepin, chemineau assagi, chemine dans le Midi et fait des conférences. Mais son lyrisme oratoire n'est point goûté de tout le monde. Nous relevons, dans Nîmes-Soir, cette appréciation d’un critique local : 

« Je louerai faiblement sa conférence ; elle n’avait pas de sujet précis ni de plan ; le préambule était trop long. Et quel désordre, encore accru par d'innombrables digressions de détail, des citations inutiles qui encombrent la marche de son raisonnement » Le style était lâché, les plaisanteries trop faciles et d'un goût incertain... »

On voit que le journaliste nimois n’a pas été du tout impressionné par l'immortalité qu’en principe l’Académie a conféré à M. Jean Richepin.

Ils n’ont peur de rien, ces Méridionaux.

Anonyme, « Théâtre en vers, de Monsieur Jean Richepin, Chez Flammarion », Aux écoutes, 21 décembre 1919, p. 14.

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C’était au temps où Monsieur Jean Richepin jouait lui-même Nana Sahib ; où Monsieur Jean Richepin était truculent, fort en gueule ; où il scandalisait les bourgeois au lieu d'instruire leurs filles. Alors il écrivait : « Nous n'aurons pas vos filles, mais nous avons vos femmes. » ; où Monsieur Jean Richepin était flibustier, chemineau et normalien. Il est encore peut-être un petit peu tout cela, mais maintenant c’est le normalien qui domine.

Anonyme, « Les Hydropathes », Le Matin, 29 décembre 1919, p. 1.

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On ne peut plus douter qu'après les jours de pire angoisse, la paix souriante ne soit venue.

Hier, le grand amphithéâtre de la Sorbonne, dont ce n'est pas l'instant de réveiller les échos pathétiques, a retenti d'accents inattendus. Devant M. Léon Bérard, ministre de l'instruction publique, et Mme Sarah Bernhardt, de jeunes voix ont chanté en chœur :

Proclamons les principes de l'art,
Attention, que personne ne bouge
La terre glaise c'est comme le homard,
Lorsque c'est cuit, ça devient tout rouge.

M. Léon Bérard s'amusait beaucoup Mme Sarah Bernhardt n'avait jamais tant ri et l'on songeait bien peu à l'intuitif M. Bergson.

Les Hydropathes célébraient l'anniversaire de leur fondation.

Aux alentours de 1880, les Hydropathes étaient des littérateurs et musiciens qui, fidèles à la rive gauche, à leur cher quartier Latin, décidaient d'établir sur ces bords une concurrence, directe et désintéressée, au Chat-Noir rive-droitier dont le gentilhomme cabaretier Salis inclinait, de plus en plus, à faire une boutique. Les Hydropathes ne se réunissaient pas encore à la Sorbonne ils tenaient leurs assises au Chalet, disparu, de la rue de Rennes, ou dans un débit du quai Saint-Michel. Parmi eux se trouvaient plusieurs illustrations d'aujourd'hui, dont M. Edmond Haraucourt conservateur du musée de Cluny, par amour de la rive gauche, et M. Jean Richepin, qui retrouve sous la Coupole son rival chat-noiresque, M. Maurice Donnay.

L'idée est jolie des Hydropathes « arrivés d'offrir une fête aux jeunes gens des Ecoles, en souvenir des jeunes hommes qu'ils furent, pour qu'après l'honneur, la vaillance, soit entretenue chez nous la saine tradition du rire et de l'art aimable.

Si l'on chanta les chœurs de Ch. Cros et de Lorin, on fit entendre aussi les farouches élégies de Rollinat, les vers tremblants de Rodenbach, des chansons du bon Mac-Nab, de Fragerolle et, clamé par Paul Mounet, le cantique de pitié qu'est, sous l'enveloppe narquoise, la Revanche des Bêtes, de cet Emile Goudeau qui mérita si bien de donner son nom à une place montmartroise.