Corpus de textes du Laslar

1922

Janvier

José Germain, « “Théâtre en vers” de Jean Richepin », Le Matin, 10 janvier 1922, p. 6.

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Nous avons assisté récemment, à la Porte-Saint-Martin, à la reprise du Chemineau. Et quoiqu'il y eut dans la salle, bon nombre d'anciens combattants, de chemineaux de guerre qui comprennent mal, maintenant l'enthousiaste manie de courir les grandes routes et de préférer la belle étoile au ciel de lit, le célèbre drame faisait grand effet sur le public. C'est que, poète de l'aventure, l'héroïsme, de la féerie ou de la vie paysanne, toujours Jean Richepin pratiqua cet, psychologie franche et saine, intelligible aux foules, et que toujours celles-ci seront sensibles à la sonorité de ce lyrisme d'un de plus grands magiciens du verbe, qui retentit dans ces trois volumes : A travers l'Etoile, Nana-Sahib, Monsieur Scapin, le Flibustier, Par le Glaive, Vers la joie, la Martyre et le Chemineau.

Mars

Pierre-Plessis, « M. Jean Richepin, ses trois poumons, et la mauvaise fée… », Le Gaulois, 9 mars 1922, p. 1.

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Si M. Jean Richepin ne fait plus de conférences, c'est pour la sévère raison qu'il n'en devra plus faire jamais. Cette puissante et chatoyante voix est condamnée au repos illimité. Voilà, me direz-vous, toute une histoire En effet. Et M. Jean Richepin se mit à rire en commençant de nous la conter

– Vous voyez que je me porte à ravir, je n'ai jamais été si jeune. Mon nouveau livre paraît aujourd'hui, j'y travaille depuis vingt ans et s'il s'intitule Les Glas, ce n'est pas du tout pour faire grogner cette vieille sorcière qui faillit m'emporter l'autre soir. Car la mort est venue chez moi en grand équipage... parfaitement… je me suis pris le doigt dans une porte et, crac, la vilaine fée était derrière, qui guettait ! Quand on se prend le doigt dans une porte, généralement cela fait mal et cela m'a fait mal et j'ai crié. Crié, est-ce exact ? Bref, j'ai parlé très fort, si fort qu'il s'est produit dans le poumon gauche une rude déchirure et que les médecins ont dit « Ce pauvre Richepin... il est fichu » Mais je ne suis pas mort du tout et la gueuse s'en est allée. Je suis resté deux mois couché sur le côté sans bouger, sans lire, sans rire, sans dormir beaucoup, et remuant des idées bizarres dans ma cervelle endurcie, en attendant que le bon poumon sauve l'autre. Il s'en est tiré, le diable, à son honneur, et je respire si bien à présent qu'il a dû en naître un petit entre les deux. Me voyez-vous avec trois poumons à mon âge

– Mais la mort, quelle tête fait-elle ?

– Elle attend son jour. Elle trotte ailleurs. Elle reviendra quand elle voudra, cette hargneuse. Pour se venger, elle s'entend avec les médecins et m'interdit les conférences. C'est malin. Elle a les méninges fatiguées. Je ne lui en veux pas, ça l'amuse ! Qu'elle me laisse-vivre encore, que diable j'aime la vie et je suis jeune ! Je travaille et je me promène. Ah que cette journée de Paris était douce aujourd'hui !

Nous admirions combien de beaux cheveux blancs embellissent un sourire. Jean Richepin à ce moment souriait certainement à ses souvenirs !

– Figurez-vous, nous dit-il, que je suis monté l'autre jour à pied jusqu'à Belleville. Oui, c'est une idée qui m'est venue, il faisait beau, j'ai voulu revoir ma maison natale. C'est bête, direz-vous, mais non, ce n'est pas si bête que ça ! Vous le reprendrez vous aussi, un jour, le chemin que vous avez descendu, enfant, avec tant de facilité et du soleil sur vos épaules pour tout fardeau. Vous le reprendrez vous aussi, comme moi, tout doucement, et vous peinerez un peu peut-être si la côte est dure mais le même soleil de jadis illuminera votre cœur. C'est le miracle de la vie, de faire pénétrer sa lumière jusqu'à nos os, et nos rides même sont un hommage à ses rayons.

» Eh oui, je m'en suis allé par les rues et j'ai dédaigné le funiculaire. J'ai cherché en vain ma maison, on l'a démolie, paraît-il ? C'est bien, cela donne plus d'air aux petits.

J'y retournerai certainement, mais, je vous en prie, ne racontez pas mon histoire, car les gamins qui me connaissent me reconnaîtraient, et diraient, en me montrant du doigt « Tiens, regardes-le donc, là, ce monsieur qui passe, c'est celui qui a trois poumons !... »

Pierre-Plessis

Marius André, « Les poèmes », La Muse française, 10 mars 1922, p. 131-132.

Jean RICHEPIN : Les Glas (E. Flammarion). — O. W. de L. MILOSZ :

La confession de Lemuel (La Connaissance). — Pierre JALABERT :

La Vie enthousiaste (Garnier frères).

On aimerait, par pitié, à ne plus rien dire de cette vieille lyre désaccordée si l'auteur, qui fut le plus nuisible des Tyrtées en pantoufle et des bourreurs de crâne de l'arrière, ne continuait de parader et si une partie de la presse ne s'obstinait à le traiter de grand poète. Il n'a pas encore cessé d'être dangereux puisqu'il s'impose et qu'on l'impose à l'attention du public moutonnier.

M. Jean Richepin nous apprend qu'il a soixante-treize ans et qu'il vient d'échapper deux fois à la mort, ce dont on ne peut que le féliciter. Il a connu les minuits qui plombent l'âme,

Ces minuits glacés, où la mort réclame
Ce qu'on lui vola.

C'est de la hantise « de ces minuits-là » que sont nés ces poèmes :

Si tes glas, ô Mort, tintent dans ce livre
Qu'un crêpe voila,
C'est qu'il fut écrit aux mornes journées
Qui n'ont plus pour fleurs que les solanées
De ces minuits-là !

Il aurait mieux fait de ne rien écrire ou de jeter son manuscrit au feu ; non, certes, que la maladie et la mort doivent être exclues de la poésie. Mais il est pénible de lire, en pareilles matières, certaines outrances et fautes de goût, plus pénible encore d'avoir à les relever publiquement.

M. Richepin ne mourra pas comme les autres hommes. Il veut et aura une mort frénétiquement romantique ; ce sera la catastrophe cosmogonique la plus épouvantable qu'on puisse imaginer : le monde {132} mourra avec lui. Tout simplement. Il demande aux glas de tinter en lui et autour de lui, et, ajoute-t-il aussitôt,

Tintez aussi pour ce vieux monde fou d'orgueil,
Avec qui je me suis saoulé d'apothéoses,
Et dont bientôt, malgré le phénol et les roses,
Va puer le cadavre affreux, grouillant de vers.

Mais il n'a pas peur de la mort. Est-il pareil au sage dont lien ne trouble la fin et qui s'endort du dernier sommeil « comme au soir d'un beau jour ? »

Non, c'est le vieux clown qui grimace et ricanne en essayant de sourire. La mort est une vieille à la face camuse. Peu importe !

Tintez les glas : je suis don Juan. C'est une femme

C'est une femme. Alors ce sera une amante. Il bombe le torse, la provoque, l'empoigne et lui adresse un discours délirant qui se termine par ces vers d'une syntaxe douteuse :

Viens ! A ton raide corps enlaçant mon corps souple,
Cependant que, lascifs, la valse nous accouple,
Tu verras mes regards aux luisants coutelas
Flamber encor de rut (Tintez, joyeux, les glas ! )
Et que j'ai pour bouquet à la danse macabre
Vers ton sexe aboli mon désir qui se cabre,
Rouge, et, dans son espoir d'aurore jamais las,
Changeant en angélus les glas. Tintez, les glas !

Il appelle cela « mourir en beauté ». Et c'est sinistre. Bien affligeante, et sinistre aussi, cette Prière que M. Richepin, à peu près convaincu

De n'avoir plus à vivre autant qu'il a vécu,

adresse à ses cinq sens et qu'il termine par cette Prière à son cerveau :

Et maintenant, toi, mon cerveau, leur majordome,
Avec l'autorité qui fait notre orgueil d'homme,
Du haut de mes soixante et treize ans, aujourd'hui,
Crache au Monde ce que tu penses, Toi, de lui !

Inutile d'aller plus loin ; ces deux citations suffisent. Devant de pareilles élucubrations un silence unanime s'imposait. Nous nous y serions volontiers associé par estime pour les qualités de poète que M. Richepin eut dans sa jeunesse.

***

André Billy, « “Les Glas” par Jean Richepin », L’Œuvre, 15 mars 1922, p. 4.

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Quand j'étais adolescent et que j'aimais flâner dans un Paris qui n'était pas encore celui des voitures à pétrole, je poussais volontiers ma promenade jusqu'au passage des Princes où j'étais attiré par la vitrine d'un marchand de photographies, et, là, je m'abîmais dans la contemplation des portraits signés Reutlinger ou Dornac, mais il en était deux sur lesquels mes yeux de quinze ans se reposaient avec une particulière complaisance. Ce n'étaient pas, comme vous pourriez le croire, ceux de Mlle Liane de Pougy ou de Mlle Caroline Otéro ; c'étaient les portraits de Jules Lemaitre et de Jean Richepin. Je les revois très bien. Jules Lemaître se montrait de trois quarts et seulement jusqu'à la moitié du buste. Il portait une vareuse d'artiste. Jean Richepin, représenté de face et visible jusqu'aux genoux, portait aussi une vareuse mais d'une, élégance plus raffinée et boutonnée par beaucoup de petits boutons. L'un de ses bras tombait tout droit tandis que l'autre main, fort belle, s'accrochait à la hanche, dans une pose fière et un peu apprêtée. La tète était, cela va sans dire, léonine. A quoi bon la décrire ? Tout le monde se la rappelle d'autant mieux qu'elle n'a presque pas changé. Mes regards allaient donc de Jules Lemaitre à Jean Richepin, de Jean Richepin à Jules Lemaître, et je rêvais... Serais-je un nouveau Jean Richepin ? Serais-je un nouveau Jules Lemaître ? J'avais déjà pour l'auteur des Contemporains une admiration nuancée de je ne sais quelle confuse tendresse ; pourtant cette modeste vie de professeur devenu académicien par la critique m'éblouissait beaucoup moins, je l'avoue, que l'existence légendaire du poète des Gueux. Aussi me décidais-je à être Jean Richepin, malis avec le sentiment vague, avec le remords de commettre à l'égard de Jules Lemaître une espèce de trahison... Dans la suite, ces folles ambitions m'ont naturellement quitté. Toutefois l'image du poète et celle du critique sont demeurées voisines au fond de ma mémoire et je ne puis évoquer le visage de Jean Richepin sans que m'apparaissent aussitôt les deux photographies du passage des Princes.

Jules Lemaître, qui était « épaté » par Jean Richepin quoiqu'il s'en défendît, lui reprochait de l'outrance et de l'affectation ; il s'offusquait que cet ancien élève de l'Ecole Normale Supérieure affichât des allures bohèmes et tînt des propos blasphématoires, et il mettait cela sur le compte d'un certain goût un peu puéril pour la mise en scène. Eh bien, je crois que si Lemaître avait vécu assez pour lire Les Glas, il aurait changé d'opinion sur ce point. Il aurait reconnu, car sa bonne foi est irrésistible, qu'il n'y avait dans la Chanson des Gueux, dans Les Caresses, Les Blasphèmes, aucun parti-pris artificiel et qu'une attitude d'esprit, qui se maintient si ferme et si cohérente de vingt-cinq à soixante et treize ans, ne peut pas être une attitude empruntée ni contrefaite Le poète qui s'écriait, il y a près d’un demi-siècle, avec une intonation que résonne depuis n'a su reproduire : 

J’ai les os fins, la peau jaune, des yeux de cuivre,
Un torse d'écuyer et le mépris des lois,

est bien le même qui déclare aujourd'hui :

... Ce monde et moi nous fûmes beaux,
Vaillants, gais, nous saurons l'être encore, je pense.
La mort, pour m'effrayer, peut se mettre en dépense,
Elle n'en sera pas, certes, le bon marchand.
Voilà déjà deux fois que sa faux, m'ébréchant,
A sifflé sous mes pieds sans me jeter par terre.
Tintez, les glas ! Ces mots de tragique mystère
Qu'elle bégaie au bout de vos langues d'airain,
J’en ai compris le sens et l'ai trouvé serein.
O gueule de la mort, bâille donc toute grande,
Bâille ! tu n'auras plus ma terreur en offrande.

De l'âge où ils furent écrits ces vers tirent une autre beauté que formelle. J'y distingue mieux qu'une bravade, qu'un effet de mots. Le poing brandi et la phrase en apostrophe ne me cachent pas la parfaite sérénité de l'âme dont ils sont le signe indirect mais véridique. J'y reconnais le stoïcisme d'un Moréas, de ce Moréas qui disait sur son lit de mort : « Romantisme, classicisme, tout ça, c'est des blagues » et qui n’eût donc pas reproché à Richepin son romantisme, mais qui l'eût embrassé comme un frère barbare, adepte du même culte de la Beauté aux mille visages : 

Beauté, masque divin, le seul que mon blasphème
N'osa pas souffleter de verbes insultants,
Puisque c'est vers ta bouche à l'éternel printemps
Que l'éternel essaim de mes rêves essaime,
Beauté, fleur qui n'éclos jamais, fleurant quand même,
Eau toujours près de sourdre et dont toujours t'attends
Le frais baiser promis à mes vœux haletants,
Beauté, spectre menteur, apprends combien je t’aime !

« Spectre menteur » ! Le blasphème y est bien, mais corrigé, mais annulé par une formule d'adoration qui, sous la plume du vieux poète irréductible, prend un sens singulièrement émouvant et pathétique.

Négateur exaspéré des lois morales et des convenances sociales, Jean Richepin mourra dans. l'impénitence finale. Il veut qu'on e sache, il le crie, et, craignant qu'au dernier instant son cerveau épuisé ne lui joue quelque mauvais tour, il l'avertit :

Que si, toi-même enfin m'e lâchant sans défense.
Je dois près de ma mort retomber en enfance,
A tous mes patata d'alors et patati
J'oppose, ici d'avance un formel démenti.

Voilà donc une affaire réglée. Jean Richepin ne se convertira ni à Dieu ni au monde. Et l'on pourra lui passer pour l'ensevelir son bel habit brodé d'académicien, rien n'y fera, il sera réfractaire jusqu'à la fin de la dernière étape. Pour moi, je trouve cela, très bien, très crâne., très sympathique. Oh ! ce n'est pas dans le goût du jour, mais justement c'est d'autant mieux. Et je ne laisserai pas passer cette occasion de protester une fois de plus contre la littérature d'enfants sages qu'on nous fait depuis une quinzaine d'années sous prétexte de classicisme, de retour à l'ordre, à l'équilibre, etc., et qui nous a valu la maladie « dadaïste ».

Une des raisons pour lesquelles la littérature a perdu presque tout son crédit auprès de la bourgeoisie, c'est qu'elle-même est devenue bourgeoise et conservatrice en diable, qu'elle est devenue une littérature de classe. Que le dernier représentant d'une génération qui vécut les derniers beaux jours du prestige et de l'indépendance romantiques, qu'un Richepin éprouve tout à coup le besoin de lancer son bicorne par-dessus, la Coupole et de publier un testament d’anarchie philosophique, il faut donc s’en réjouir comme d’un bon exemple donné aux jeunes qui vont venir et qui auront à restaurer les lettres dans leur ancienne souveraineté.

Il est des lois pourtant que le poète des Glas n'a de sa vie songé à enfreindre : ce sont celles de la prosodie hugolienne. Pardon, je me trompe : vous trouverez aux pages 105 et suivantes quelques curieux essais de libération rythmique, mais humoristiques :

C'est absurde, cauchemaresque,

Grotesque,
Presque.
En vérité, est-ce que
On ira me prendre au sérieux ?
Non ! Eh bien, tant mieux !

Accès passager. La vieille discipline reprend vite ses droits. Aussi bien ne suis-je pas sûr du tout que ce mot puisse s'appliquer à des règles permettant un si riche déploiement de fantaisie verbale ; je ne suis pas sûr du tout que la discipline poétique d'un Richepin ne soit pas la plus souple et la plus complaisante des disciplines. Héritée du père Hugo, elle a pourtant l'air d'avoir été taillée tout exprès pour lui. Il y est extraordinairement à l'aise, il y fait merveille. Ses tours d'acrobatie et de jonglerie nous le montrent au mieux de sa forme, comme disent les sportifs. Nulle part on n'aperçoit trace d'essoufflement, ou d'ankylose.

Du beau travail, en vérité. Applaudissons. Agitons nos chapeaux en l'honneur du prodigieux virtuose. Et saluons aussi très bas le vieux connétable à la haute prestance.

André Billy

Avril

Gaston Rageot, « Les Glas par Jean Richepin », Le Gaulois, 1er avril 1922, p. 4.

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Comme tous les grands poètes, Jean Richepin a été enflammé, durant sa vie entière, par la passion des mots, des rimes et des rythmes. A l'âge de ses plus troublantes audaces, il y avait, dans sa truculence, autant de cette frénésie verbale et rythmique que de véritable révolte morale. Il jouait avec le vocabulaire autant qu'avec les principes habituels de la conduite humaine.

Cette passion, certes, n'a pas diminué, et le dernier volume qu'il vient de publier, Les Glas, est aussi sonore des chants les plus souples, les plus riches, les plus variés aussi paré de rimes hardies et rares aussi nuancé de coupes et de rythmes originaux est savants d'une forme enfin aussi solide, aussi familière et aussi belle que les recueils de jadis. Mais cette passion s'est assagie, ou du moins ne brûle plus que dans une âme devenue plus grave, plus proche de la mélancolie que de la révolte, de la résignation que de la colère. La pièce liminaire « Teintez, les Glas », donne, comme un puissant accord, le ton de l'œuvre entière.

Toutes les sensations du poète, celles qui jadis l'exaltaient, semblent transposées maintenant dans le mode mineur, simples thèmes à la tristesse et aux regrets. Ainsi s'adresse-t-il au vent d'automne, emportant les feuilles mortes :

Ce qui, par toi, roule aux ornières,
Ce sont nos amours printanières,
Nos serments sous les bois d'été,
Nos baisers longs dans les ravines
Et toutes les chansons divines
Où nos rossignols ont chanté.

Richepin s'inspire aujourd'hui de la pathétique et simple évocation du Souvenir… Il a parcouru tout le cycle d'une magnifique destinée poétique, connu les pays, les êtres, éprouvé les passions et la gloire, et il a l'impression que ce cycle, maintenant, se ferme et qu'il revient, comme tous les hommes, au point de départ. Il écrit une « épître dans le goût ancien », car la seule chose qui ne change pas dans l'homme, c'est l'humaniste, et, songeant à tous ces horizons vainement parcourus, il conclut :

Tant qu'après avoir fait tout le tour de la terre,
Aucun ciel, pour vos yeux, n'ayant plus de mystère,
On revient simplement au coin d'où l'on partit,
Sous le ciel qu'on voyait quand on était petit.

Jean Richepin est un des maîtres de la langue française tous ceux qui aiment le génie de notre nation lui doivent une reconnaissance fervente pour son attachement à notre beau parler et pour son savoir il est aussi le poète qui a su faire chanter tous les instruments de l'orchestre poétique, depuis le fauve olifant de la passion, comme disait Verlaine, jusqu'au violon de la mélancolie et au violoncelle de la douleur. 

Anonyme, « Echos », La Liberté, 4 avril 1922, p.2.

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Hier soir, les Optimistes se sont réunis en un banquet sous la présidence de M. Jean Richepin. Car les Optimistes, pour soutenir leur optimisme, éprouvent de temps en temps le besoin de festoyer en commun.

Au dessert, M. Jean Richepin prononça quelques paroles, trop brèves au gré des convives. « Nous n’avons pas de chance ! » murmurèrent-ils en chœur. Puis on dansa aux accents variés d’un jazz band nègre.

« ça nous donne des idées noires ! » se confièrent les couples moroses.

A la sortie de cette charmante fête, les Optimistes retrouvèrent la pluie. « La vie n’est plus tenable ! » s’écrièrent-ils avec des larmes dans la voix. Car l’on peut être optimiste et, par moment, ne pas trouver l’existence drôle…

Anonyme, « Une opinion », Ciné-Journal, 15 avril 1922, p. 22.

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M. Jean Richepin, au cours d'un dîner donné par les « Amis du Septième Art », a, dans une causerie, parlé de l'Art muet. Il ne s'est pas exprimé en littérateur, mais en poète et en homme qui a compris la puissance de l'image animée.

« Le cinéma, a dit Jean Richepin, est tout autre chose que le théâtre. Le théâtre n'est pas le père du cinéma. Le cinéma est sorti d'autre chose et doit faire autre chose. »

Aristide, « Les Glas, par Monsieur Jean Richepin. Chez Flammarion », Aux Ecoutes, 23 avril 1922, p. 17.

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Ces 200 pages, ces 56 poèmes, c’est l’œuvre poétique de Jean Richepin depuis vingt ans. Cela ne veut pas dire vraisemblablement qu’il a passé vingt ans à en limer les vers. L’âme de Jean Richepin a une peau (c’est lui qui te dit) sur laquelle il bat héroïquement le tambour. Il ne faillit pas dans sa tâche et ce n'est pas sa faute si la peau du tambour parait un peu détendue. Jean Richepin, par son œuvre, s’est acquis assez d’estime et de respect pour que la critiquent s'appesantisse pas trop sur ce volume plein de courage et d'honnêteté poétique.

Voici quelques vers des Glas. Le lecteur complétera lui-même :

… mais je vous ouvrais tout grand
Pour contempler le ciel, la lumière, l’espace,
La vierge en blanc, l’enfant qui va, l’oiseau
Les tapis onduleux et diaprés des champs,
Les Babels de couleur qui croulent aux…
Les temples d’ombre ayant les chênes pour pilastres,
Le grand feu d’artifice éblouissant…

Juin

Anonyme, « Le Latin pour tous ? – Quelques interviews, en attendant le vote du Parlement », L’Intransigeant, 13 juin 1922, p. 1-2.

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La Chambre reprend demain cette discussion de la réforme de l'enseignement secondaire, qui valut, à la dernière discussion, un beau succès littéraire, à M. Bracke, député socialiste, et défenseur du latin.

Il semble d’ailleurs qu’à la Chambre et à la ville la question soit jugée et que les latinistes aient gagné leur cause.

Voici au demeurant, à titre documentaire, quelques opinions extra-parlementaires, premiers documents d’une enquête. Sommaire rapidement menée dans tous les milieux

M. JEAN RICHEPIN

De M. Jean Richepin, un de nos meilleurs latinistes et peut-être le plus fervent, l’opinion n’était pas douteuse. « Tout ce qu’on pourra faire pour développer l’enseignement de cette langue, il faut le faire », nous dit-il, en nous rappelant ce que nous n’avions pas oublié, qu’avant la {2} guerre il était à la tête d'un mouvement « pur latin », si l’on peut dire, qui, par conférences, tracts et brochures, s'efforçait de faire pénétrer partout cette idée que l’enseignement de la langue latine est à la base de toute culture vraiment digne de son nom.

« Loin de la limiter, il faut l’étendre, et donner à tous les cerveaux à quelque milieu qu’ils appartiennent ; je suis partisan, moi, de l’égalisation des intelligences par en haut. »

Novembre

Henri de Régnier, « La Vie littéraire – Contes sans morale, par Jean Richepin », Le Figaro, 7 novembre 1922, p. 3.

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Comme la plupart des poètes modernes, M. Jean Richepin n'est pas sans ravoir ressenti l'influence de Baudelaire. Le poète de La Chanson des gueux n'est pas sans analogie avec le poète des Bohémiens en voyage, du Vin des chiffonniers, du Vin de l’assassin. M. Richepin a respiré cette atmosphère baudelairienne et elle a passé dans son souffle puissant, mais le violon pathétique de Baudelaire et son orgue liturgique se sont changés aux mains de M. Jean Richepin en un buccin éclatant d'où il tire de vibrantes sonorités. La verve lyrique de M. Richepin, faite d'éloquence et de mouvement, l'emporte loin des jardins clos où Baudelaire cultive ses « fleurs maladives » et distille leurs parfums concentrés. Mais ce n'est pas de M. Jean Richepin poète qu'il doit s'agir ici, c'est de M. Jean Richepin conteur.

C'est, en effet, un volume de contes qu'il nous propose aujourd'hui, et même de contes « sans morale », ce qui ne veut point dire que ce soient des contes « immoraux » tels que ceux que publia jadis, sous le pseudonyme de Chamipavert, Pétrus Borel, le Lycanthrope. Les Contes sans morale de M. Jean Richepin ne sont ni moraux ni immoraux et n'ont aucun dessein de prouver ou d'enseigner quoi que ce soit à qui que ce soit. Ils se contentent de nous présenter des hommes et des femmes, des gens en un mot, en des situations singulières, tragiques, mystérieuses, comiques. Ces gens, M. Richepin les tire soit de sa mémoire, soit de son imagination, et nous les peint en traits nets et marqués, en couleurs vives et franches, car il faut qu'ils se fixent rapidement dans notre esprit et que nous nous les représentions avec force. Nous ne devons, en effet, les apercevoir qu'un instant dans l'anecdote où ils figurent et dans l'attitude qu'ils nous offrent. A ces brefs croquis de personnages et d'événements, M. Jean Richepin apporte, avec un art magistral, une ironie amusée et une bonne humeur savoureuse. Les histoires qu'il nous conte sont de l'observation la plus pittoresque ou de la fantaisie la plus imprévue, et M. Richepin nous les conte avec une solide aisance, dans une langue robuste et saine qui, tout en étant écrite, demeure parlée. On sent que M. Richepin a pris plaisir à se souvenir ou à inventer ces courts récits, les uns farouches ou terribles, les autres d'un comique copieux et dru et, d'une irrésistible cocasserie. De ces derniers je ne citerai que « Un Monstre » et l'étonnante farce qui a pour titre « Les Deux Borgnes ». Tout le volume, d'ailleurs, est de belle et verveuse qualité narrative. J'y retrouve le conteur du Coin des Fous et des Morts bizarres, et, çà et là, le poète de La Chanson des gueux. C'est toujours une belle rencontre.

[…]

Décembre

Léon Plee, « Le Sport dans l’Art », Les Annales politique et littéraires, 3 décembre 1922, p. 15.

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C'est la première exposition des Lettres-Arts-Sports, un très opportun groupement qui se propose, comme son président, le maître Jean Richepin, le dit dans son éloquente présentation, « d'élargir l'art par le sport, d'anoblir le sport par l'esprit ». Le poète et ses amis, Georges Bourdon, René Blum, Hugues Le Roux, le comte Clary, le marquis de Polignac, Robert Guillou, Georges Menier, Louis Vauxcelles, et tant d'autres encore, voudraient « réunir en un faisceau les intellectuels, les artistes et les sportifs qui ont trop de tendances à s’ignorer ». Leur rêve serait « d'être auprès des uns les fourriers de la culture physique, et auprès des autres les ambassadeurs de l'intelligence et de l'art ». Ce programme, auquel Les Annales applaudissent sincèrement, l'ancienne Grèce ainsi que Richepin le rappelle, « l'avait déjà mis en formules ». L'Art et le Sport sont, en effet, des amis de toujours. Dès le stade antique, ils collaborent intimement ; et cette collaboration, après avoir fait la gloire de l'Hellade, de ses temples, de ses palais, déborde encore nos musées. Faut-il rappeler L'Athlète de Lysippe, celui que le peuple romain reprit à Tibère, les deux Discoboles, le Jason domptant les Taureaux de Colchos, le Faune dansant, en qui triomphe l'art subtil de surprendre dans une figure le moment où elle « commence et promet le mouvement » ? Plus près de nous. Les Pugilateurs, de Canova, le grand Vénitien, dont on oublia de fêter le centenaire, ne sont-ils pas un souvenir des jeux Néméens, du drame raconté par Pausanias et qui se joua entre Greugante et Damossène ? Après une lutte incertaine, les deux adversaires conviennent de se porter un dernier coup. Greugante assène sur la tête de son rival un terrible coup de courroie. Damossène, à son tour, demande à Greugante de lever le bras gauche, et, serrant les doigts, lui plonge la main presque entière dans le flanc.

Nous voilà loin des trois cents œuvres si judicieusement groupées à la galerie Barbazanges par notre confrère Louis Vauxcelles, loin des chefs-d'œuvre élevés par la statuaire et la peinture dans tous les temps et tous les pays à la plus grande gloire des sports, de tous les sports.

Et voici, en un défilé captivant, des coupes antiques. Voici les Hercules des époques les plus lointaines, les peintures si merveilleusement vivantes consacrées par l'artiste indo-persan aux prouesses des fauconniers ; voici les agiles lutteurs japonais, les chasseurs royaux chinois. Puis, vient en rangs pressés la foule des artistes, qui, du Guerchin à du Gardier, se firent les narrateurs des prouesses sportives.

Goya ouvre, bien naturellement, la marche, avec une Course de Taureaux, une de ces corridas dont il était passionné jusqu'à se faire chulo et banderillero. Eugène Delacroix le suit avec une tumultueuse Chasse au Lion, toute en rugissements et en fanfares, d'une couleur poussée jusqu'au paroxysme. Carie Vernet, Géricault et de Dreux sont également là avec des chevaux superbes de robe et d'allure. Puis voilà, de Daumier, un morceau d'observation profonde : Les Lutteurs. Oublierai-je Manet, l'autre afficionado, et Renoir, et Claude Monet, dans leurs scènes de canotage, si splendidement lumineuses, et Roll, Besnard, Lucien Simon ?

A la sculpture, le sport est admirablement représenté par Barye, avec ses deux inoubliables Thésée ; par Landowski et ses deux pugilistes ; par Bourdelle, avec son farouche Héraclès ; par Desbois, avec une réduction de La Femme à l'Arc ; par Degas, enfin, Degas autrement intéressant dans une étude de cheval qui se cabre, se renverse, que dans ses Jeunes Spartiates s'exerçant à la Lutte.

Que d'œuvres ajoutent encore à l'intérêt de cette première manifestation ! Mais un autre groupement, très intéressant lui aussi, remplit à la même heure les salles de la Galerie Devambez. Je veux parler des Quelques-Uns, c'est-à-dire de Louis Dauphin, leur animateur, de retour d'Italie, de Venise, dont il rapporte une Porte d'Eau, superbe de coloris ; William Ablett, Jean-Gabriel Domergue, l'énergique Villeboeuf ; Gervèse, qui, de simple humoriste, devient chaque jour un vrai peintre de mœurs ; Cyprien Boulet, Tony et Rachel George-Roux, Guiraud-Rivière, et ce charmant, cet infortuné Munier-Jolain, qui, dans ses petites fêtes galantes, mêlait Verlaine et Watteau. Il broyait sur sa palette un tas de gemmes brillantes. Mais toute réalisation dernière n'était pas permise au grand blessé de guerre, au mourant.

LEON PLEE

Jean Bernard, « Vieux bouquins et bouquinistes », Journal d’Orient, 26 décembre 1922, n.p.

Il y a longtemps qu’on ne trouve plus de livres rares dans les boîtes des bouquinistes des quais, ou dans les magasins de librairies de provinces, quand un fureteur découvre quelque édition de valeur, c’est un événement ? Cela est d’autant plus regrettable pour les bibliophiles que ces volumes atteignent parfois des prix très élevés. Vous vous en apercevrez si vous feuilletez « Le Miroir des livres antiques et nouveaux » d’Escofier, qui est une sorte de catalogue périodique des plus curieux. Nous y voyons notamment une plaquette de Victor Bouton : « L’Espagnolette de Saint Leu, sur le suicide à ce qu’on a essayé de faire croire du prince de Condé Victor Bouton donne des détails sur la maîtresse du prince, la baronne de Feuchères et il recopie une partie du rapport de la police secrète, il fournit de nombreux détails qui rendent le crime à peu près certain. Ce qui n’empêche pas la justice d’alors de conclure au suicide et Louis-Philippe de recevoir à la cour Mme de Feuchères qui était une aventurière et une femme de mauvaise vie. En revanche ce fut le jeune duc d’Aumale qui hérite.

Cette plaquette, écrite à la main et dont il n’existe qu’un unique exemplaire est coté 1.400 francs. Ce n’est pas pour rien. La vie est chère, les beaux livres ne sont pas bon marché non plus. Voici les « heures parisiennes » d’Alfred Delvau, qu’on achetait, il y a quelques années pour un louis et qu’on nous offre maintenant 1.200 francs. Il est vrai qu’il y a la taxe de luxe et que l’exemplaire est sur papier de Hollande avec 25 eaux-fortes sur chine. Vous savez, sans doute, que Delvau eut des démélés avec la censure impériale, qui exigea de nombreuses impressions, l’exemplaire dont je parle contient des passages défendus en 1866. Les millionnaires peuvent s’offrir, pour 2.150 francs, les trois volumes de Scarron de l’édition Janet 1796. Si le collectionneur ne recule pas devant 6.000 francs, il pourra posséder les « Essais » de Montaigne de 1595, édition publiée par Mlle de Gournay, la fille adoptive du célèbre philosophe.

Il est évident que l’on trouvat ce volume sur les quais ou chez les bouquinistes de province et qu’on le payât 20 francs, on ferait une vraie trouvaille. Cela s’est vu mais il y a longtemps ; aujourd’hui les bouquinistes sont trop avertis.

Mais Montaigne, c’est un ancêtre. Voici un contemporain que beaucoup d’entre nous ont connu Emile Goudeau, qui fut le compagnon attardé d’une romancière connue, femme charmante, écrivain délicat, mais qui n’avait pas la notion des différences d’état civil. Emile Goudeau avait bien la moitié de son âge, et les deux fiancés, qui ne s’épousèrent jamais, furent unis par une amie fantasque qui bénit leur sofa morganotique et qui leur laissa par héritage une rente d’une douzaine de mille francs, tant que durerait cette liaison, qui se – malgré quelques journées d’orage accompagnés de coups d’ombrelle – se prolongea jusqu’à la fin de la romancière amoureuse. Emile Goudeau conduisit le deuil de cette excellente femme morte en odeur de la régularité et qui était sympathique, le cœur sur la main. Je la vois encore à soixante-dix ans passés ; vêtue de blanc et coiffée d’un chapeau délicieux formé de deux tourterelles qui se becquettaient.

Pour en revenir à Emile Goudeau, un exemplaire des « Chansons de Paris et d’ailleurs » édité en 1896 par Charpentier, sur Japon, est coté 2000 francs. Il est illustré de 57 aquarelles originales de Vanteyne, ce qui fait de ce recueil de poésie un objet d’art.

Goudeau, cela nous reporte en 1874 à la publication de son premier volume, « Fleurs de bitume », qui parut presque en même temps que « La Chanson des Gueux » de Richepin et « Les Chansons joyeuses » de Maurice Bouchor. Ces trois poètes étaient jeunes, ils avaient à peine vingt ans. Emile Goudeau penchait déjà du côté de la bohème ; c’était le temps où le nez de Raoul Ponchon commençait à rougir devant les vieilles bouteilles ; Jean Richepin se donnait pour fils de Touraniens et raillait l’académie ; Maurice Bouchor, possédant une grosse fortune, se procurait le plaisir de vivre au quartier Latin. Je cous ai dit l’autre jour sa détresse.

Jean-Bernard.