1923
Mars↑
Anonyme, « La Littérature à la
huitième Olympiade », Mercure de France, 1er mars 1923, p. 570.
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Les organisateurs de la huitième Olympiade qui se tient à Paris en 1924 ont le souci de fournir, à l’exemple de l’antiquité, un champ d’observation aux artistes dans le domaine des Sports. Un jury international décernera aux trois meilleures œuvres de l'Architecture, de la Peinture, de la Sculpture, de la Musique et de la Littérature, la Médaille Olympique de vermeil, d’argent ou de bronze. Bien entendu ne seront admises au concours que les œuvres inédites inspirées de l’idée sportive. Le jury pour la littérature est ainsi composé : Président : M. Jean Richepin. Membres : MM. Gabriel d’Annunzio ; Maurice Barrès ; Henri Bidou ; Johan Bojer; Marcel Boulenger; Albert Bourdariat; le Comte Clary ; le Comte Jean de Castellane ; Paul Claudel; Maurice Donnay ; Robert de Fiers; Jean Giraudoux ; Blasco Ibanez ; Edmond Jaloux ; Jelinek; Rudyard Kipling; Maeterlinck; Mérejkovski; Mme la Comtesse de Noailles ; MM. Jean de Pierrefeu; le Marquis de Polignac ; Marcel Prévost; Henri de Régnier ; Georges Salles ; Tcheng-Loh ; Jacques de Saint Pastou; Albert Thibaudet; Paul Valéry; Mil* Selma Lagerlœf. Les œuvres admises au concours (lyriques, dramatiques ou romanesques) ne devront pas excéder 1000 vers ou 20.000 mots pour la La Commission des Arts de la VIIIe Olympiade a son siège, 30, rue de Grammont, à Paris.
Paul Allain, « Tous
journalistes », Le
Radical, 15 mars 1923, p. 1.
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Je veux parler des poètes, à propos de cet exquis Théodore de Banville que l'on a fêté hier. Mais oui, nos poètes ont été et sont tous, ou presque tous, journalistes — depuis qu'il y a des journaux.
Cela prouve que la poésie ne nourrit guère son homme et que, du moins en général, le métier de porte-lyre n'est pas un métier qui enrichit. Les belles rimes, certes, valent beaucoup d'or ; mais on ne les paie pas à leur prix et, s'il veut manger, le poète doit produire plus de prose que de vers.
Cela prouve aussi que le journalisme peut s'enorgueillir des plus beaux noms de France. Car, au risque de choquer pas mal de gens, je me permettrai de dire qu'une lyre de poète, de vrai poète, efface en éclat les plus nobles blasons.
Tout récemment, je proposais de prendre pour patron des journalistes le poète Théophile Gautier, qui fut un martyr de la « copie » alimentaire. Banville, lui, ne souffrit pas comme Gautier d'être journaliste ; mettons qu'il s'y amusa, pour nous amuser ; mais enfin, il le fut. Il le fut gentiment, joliment, comme il fut poète, avec des idées quelquefois, pas toujours, peut-être pas souvent, mais avec une fantaisie, une grâce, un charme et une perfection de forme qui ne faisaient jamais défaut.
Journaliste aussi, surtout à ses débuts, Victor Hugo. Journaliste, à la fin de sa vie, Lamartine succombant sous le faix de ses dettes et de ce Cours de littérature, qui n'était qu'un journal. Journaliste, Baudelaire ; journaliste, au Nain jaune, l'olympien Leconte de Lisle lui-même. Journalistes, ces deux frères siamois, Catulle Mendès et Armand Silvestre, qui étaient capables d'écrire autre chose que Pour lire au bain et que les Mésaventures du commandant Laripète.
Journaliste, Anatole France. Journalistes, François Coppée et le Touranien Jean Richepin, « dont le nom n'a pas de féminin ». Journalistes, Charles Maurras, Henri de Régnier, Fernand Gregh.
André Rivoire, Fernand Divoire, Ponchon, Marsolleau et combien d'autres qui m'excuseront de ne pas allonger, en les nommant, une liste déjà longue — et des plus probantes.
Je vous dis que nous pouvons être fiers de tous ces poètes qui sont nôtres.
Quand on inaugure des plaques et des statues en leur honneur, ne pourrait-on y inscrire qu'ils furent aussi journalistes ?
Paul ALLAIN.
P. S. - « Déterminance », m'a fait dire, hier, un aimable typo. Je ne suis pas le père de cet enfant.
Anonyme, « Madame Colette à
l’Académie », Le Carnet de
la semaine, 18 mars 1923, p. 12.
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L’académie française va-t-elle enfin admettre des femmes dans son sein ?
Le bruit court que plusieurs académiciens, parmi lesquels MM. Jean Richepin et Maurice- Donnay, ont l’intention de poser à la noble assemblée la candidature de Mme Colette.
La spirituelle écrivain, si on l’interroge, prétend que c’est une blague ; mais il y a souvent des blagues qui deviennent vraies.
Anonyme, « Jean Richepin
veut-il envoyer Mme Colette à l’Académie ? » La Presse, 24 mars 1923, p. 1.
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Villa Guibert, dans le huitième, un hôtel tranquille. C'est là que demeure M. Jean Richepin, de l'Académie Française. Le maître est rebelle à l'interview et nous devons user d'un stratagème pour obtenir un « entretien ». Nous lui faisons annoncer qu'une dépêche de Marseille, parue du matin dans les journaux lui prête certains propos. Ce qui est exact d'ailleurs.
- Quels propos ? nous dit l'auteur du Chemineau, soudain méfiant.
-Le bruit court, sur la Cannebière, que vous auriez décidé Mme Colette de Jouvenel à poser sa candidature à l’Académie française ?
-La nouvelle vient du Midi. C’est son excuse. Elle est tout à fait fantaisiste… pour le moment.
-Mme Colette semble partager votre impression, car elle a répondu à notre confrère marseillais : « Personne ne m’a encore parlé de ma candidature, et je n’en ai rien dit à personne. Mais je ne veux faire à mon maître Richepin nulle peine, même légère. »
- J’approuve la réponse et n’ai rien à y ajouter.
Mais il n’y a jamais de fumée sans feu, assure-t-on, et l’information mérite que nous insistions en prenant une voie détournée.
-Cher maître, êtes-vous partisan de la candidature des femmes à l’Académie française ?
La réponse vient, mais ambiguë
-Je n’ai pas encore étudié cette question. Lorsqu’elle se posera et que mes collègues de l’Institut seront amenés à la discuter, je prendrai mes responsabilités. Pour l’instant, la plus élémentaire convenance m’oblige à ne pas avoir d’opinion. C’est tout ce que je puis vous dire.
Mais nous emportons l’intime conviction que si Mme Colette se présente un jour aux suffrages des Quarante, M. Jean Richepin ne sera pas le dernier à lui donner sa voix.
Avril↑
Émile Henriot, « Les Mémoires
de Richepin », Le
Temps, 17 avril 1923, p. 2.
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M. Jean Richepin écrit ses mémoires. Après avoir annoncé cette alléchante nouvelle, on est fâché d’ajouter qu’ils ne paraîtront probablement pas du vivant de ce très robuste écrivain, bien vivant. Il y a longtemps que le poète des Blasphèmes a entrepris le récit de ses aventures : il en a déjà écrit vingt mille lignes, la valeur d’au moins trois volumes. Il lui en reste autant à faire, entre deux poèmes, en se jouant. Le titre de l’ensemble est motivé : Toutes mes vies. En vous l’apprenant, péremptoire, le poète au crin grisonnant vous jette un regard clair comme une dague, bombe le torse, ouvre largement les bras en signe d’évidence : « Toutes mes vies ! » Et, tandis qu’il parle, évoquant au hasard de la causerie une existence plus remplie que celles, mises bout à bout, de vingt personnes ordinaires, il semble à son interlocuteur amusé qu’au-dessus du véritable Richepin viennent fourmiller, ainsi suscités, les innombrables fantômes de tant de Richepin aux physionomies diverses — comme dans la loge d’une actrice toutes ses photographies dans ses divers rôles se déploient en éventail autour de son portrait réel : Richepin aux bras nus, chargés de pierreries, du temps qu’il jouait Nana Sahib avec Sarah, Richepin chemineau, sous la besace, Richepin jonglant au nez de ses geôliers ébaubis, avec les strophes fanfaronnes de ses Gueux, ou méditant, comme Villon, sur la paille humide des cachots, Richepin matelot, bédouin, portefaix, commensal des rois, charmeur de reines de théâtre, suiveur de cirques ambulants, professeur, soldat, débardeur ; ici, jetant le coup de feu du franc-tireur aux avant-postes de l’armée de, Bourbaki ; ailleurs, déchargeant les navires: sué les quais, de Gênes ou de Naples ; là, penché sous l’abat-jour de l’étudiant, préparant une licence à l’École Normale ; entrant vainqueur à Bullier, aux acclamations d’une jeunesse délirante ; buvant un verre à des terrasses de cafés, entre Verlaine et Ponchon ; le Richepin « bon bougre et gentil copain » des années 80, chanté par le pauvre Lélian ; le Richepin disert des conférences, versant à des oreilles -virginales le trop-plein épuré de sa science universelle; le truculent candidat des élections législatives de 1914, au geste éloquent comme la parole ; l’académicien enfin, s’ingéniant, sous l’habit vert, à ouvrir l’accès du Dictionnaire aux nerveuses beautés de la langue verte... Ce sont toutes ces vies que ce jeune septuagénaire touranien a entrepris d’écrire, comme elles lui reviennent, au gré d’une mémoire fabuleuse, naguère capable de lui faire réciter par cœur le Rouge et le noir tout entier, et qui ne commençait, à faiblir, assurait feu Adolphe Paupe, qu’environ la page 200. Cette prodigieuse faculté à retenir rythmes, rimes, couleurs, images fit même un jour l’étonnement du vieil Hugo, qui, ayant récité quelques vers nouveaux devant Richepin, se les entendit incontinent répéter par lui, mot pour mot, sans la moindre faute (tour de force accompli déjà par Gautier, dans une circonstance analogue). Nous rappelant cette historiette, M. Richepin se mit à rêver. « Une autre fois, nous avions dîné chez Hugo. II y avait Flaubert. Après le dîner, le maître lut des vers inédits. Flaubert était dans un coin, béant, hébété d’admiration, se tapant les Cuisses à tour de bras, incapable de manifester son émotion autrement que par ces seuls mots, à voix basse : « Ah ! le cochon!,.. Ahl le cochon !... ». Sur la pente des, souvenirs littéraires, on voudrait pousser, le poète, afin qu’il y roule. Mais à peine un nom est-il prononcé, un autre survient, qui détourne l’attention et l’entraîne ailleurs. Nous en étions ainsi avec M. Richepin chez Hugo, qu’il nous citait déjà des vers de Louis Veuillot, selon lui dignes de Baudelaire :
Deux amants internés dans cette solitude
Achevaient un bésigue et se crevaient d’ennui !
De là, il nous rappelait la curieuse prédiction du critique catholique, assurant le jeune poète des Gueux à ses débuts qu’infidèle à la poésie, à cause de son verbe éloquent, il finirait dans la peau d’un tribun, « triste destinée d’un fils de roi volé par des saltimbanques » et puis, de Veuillot, revenant à Barbey d’Aurevilly, à Banville, à Coppée, nous montrait ce précieux tableau d’histoire littérature : lui, à moins de vingt ans, introduit par Troubat dans la bibliothèque de Sainte-Beuve, et, de loin, couvrant d’un regard d’amour ces grands hommes autour du maître du logis : Flaubert, Gautier et… Vinet. De là encore, passant à Rimbaud, connu très jeune chez Banville à Germain Nouveau, à Verlaine, dont il possède une abondante correspondance fort intéressante, encore inédite, et que l’on retrouvera sans doute un jour dans Toutes mes vies. Signalons à ce propos, au futur historien de la littérature de ce temps, cette mine féconde en autographes : les archives de Jean Richepin qui depuis cinquante ans a conservé toutes les lettres, tous les livres à lui adressés, et ne s’est jamais désintéressé de quoi que ce soit, de qui que ce fût, professant que tout le monde est intéressant dès qu’on a pu trouver le contact, ayant au surplus tout ce qu’il faut pour l’établir, nomade et voyageur par goût, de caractère très liant, l’estomac facile ; au total, un très bon garçon. C’est à quoi les relations de ce poète ont dû d’être si étendues et si diverses, ayant connu toutes sortes de particuliers, gens de théâtre, gens du peuple, rois, princes, comédiens, chemineaux, gitanes, anarchistes, et jusqu’à de vulgaires malandrins, tels que Lebiez et Barré, assassins d’une marchande du passage des Balivaux, et possédant en ses cartons d’admirables vers inédits d’un caporal qui eût peut-être été Verlaine avant Verlaine, s’il n’avait été guillotiné entre temps.
Le plus curieux est que tous « les apparus dans ses chemins », les gens de lettre sont, à l’exception de quelques amis de sa jeunesse folle, les moins nombreux. Cela tient, explique M. Richepin, à ceci qu’il fut avant tout et reste encore un indépendant et ne put jamais s’inféoder à aucun groupe, fût-il parnassien, symboliste ou naturaliste, ni aliéner sa précieuse liberté pour faire partie d’une école, excepté l’Ecole normale, en laquelle il passa deux ans, retenu par les 60,000 volumes de sa bibliothèque, et l’école de natation des bains Deligny, où il obtint le brevet de maître-nageur, pour la conquête duquel il fallait savoir plonger du haut d’une girafe, à peu près de la hauteur du quai. M. Jean Richepin nous parle encore du fameux dîner des Sphénopogones (autrement dit des barbes pointues), dont faisaient partie, autour de notre vénéré et regretté Adrien Hébrard, les docteurs Pozzi et Robin, Clairin, Detaille, M. Bérardi et Sardou, qui, lorsqu’il buvait, mettait la main sur la bouche de son voisin le plus bavard, afin qu’il ne profitât pas de cette interruption pour lui enlever la parole… Ces mystérieux Sphénopogones intriguèrent longtemps ceux qui ne connaissaient pas la langue grecque, mère des étymologies. Et l’on pourrait même retrouver, assure M. Richepin, dans la collection de ce journal, une note insidieusement glissée parmi les nouvelles de la Dernière heure, à une époque où les Balkans étaient troublés, annonçant que de violentes émeutes avaient été réprimées à temps chez les Sphénopogones (Macédoine). O jours heureux ! ô fantaisie, douceur de vivre…
En attendant l’achèvement de ses souvenirs, Jean Richepin va publier dans quelques jours – soixante et nme de ses œuvres complètes – un nouveau volume de vers, Interludes, où l’on retrouvera quelques dernières chansons de son premier livre, dignes et vivaces « épaves » de cette Chanson des gueux qui lui valut, avec « trente jours de prison », la gloire, il y a quarante-sept ans, et fut le thème initial de sa romanesque légende. L’important est d’en avoir une. C’est ce que M. Maurice Barrès, le recevant à l’Académie, faisait malicieusement entendre à Jean Richepin, quand il lui disait : « Vous ne seriez pas le premier à avoir senti l’utilité d’une biographie imaginaire. » N’est-ce pas une jolie épigraphe, et toute trouvée pour Toutes mes vies ?
Emile Henriot
Choulette, « Les Mémoires de
Jean Richepin », Le
Populaire, 17 avril 1923, p. 2.
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Jean Richepin, académicien septuagénaire, va publier ses mémoires de gueux. M. Emile Henriot, dans le Temps d'hier, raconte qu'il en a déjà écrit vingt mille lignes. Elles seront savoureuses, si elles, sont sincères. Peut-être le seront-elles. Leur titre en tout cas est alléchant ! Toutes mes vies.
Toutes ? Tant mieux. Et que d'aventures que l'on a crues légendaires ! « Richepin chemineau, sous la besace, Richepin jonglant, au nez de ses geôliers ébaubis, avec les strophes fanfaronnes de ses Gueux, ou méditant, comme Villon, sur la paille humide des cachots, Richepin matelot, bédouin, portefaix, commensal des rois, charmeur de reines de théâtre, suiveur de cirques ambulants, professeur, soldat, débardeur ; ici, jetant le coup de feu du franc-tireur aux avant-postes de l'armée de Bourbaki ; ailleurs, déchargeant les navires sur les quais de Gênes ou de Naples ; là, penché sous l'abat-jour de l'étudiant, préparant une licence à l'Ecole normale ; entrant en vainqueur à Bullier, aux acclamations d'une jeunesse délirante ; buvant un verre à des terrasses de cafés, entre Verlaine et Ponchon ; le Richepin « bon bougre et gentil copain » des années 80, chanté par le pauvre Lélian ; le Richepin disert des conférences, versant à des oreilles virginales le trop plein épuré de sa science universelle ; le truculent candidat des élections législatives de 1914, au geste éloquent comme la parole ; l'académicien enfin, s'ingéniant, sous l'habit vert, à ouvrir l'accès du Dictionnaire aux nerveuses beautés de la langue verte... »
Voilà qui est bien évoqué par M. Emile Henriot. Ce qui suit est-il si nouveau qu'il y paraît ? Richepin a raconté au rédacteur du Temps :
Nous avions dîné chez Hugo. Il y avait Flaubert. Après le dîner, le maître lut des vers inédits. Flaubert était dans un coin, béant, hébété d'admiration, se tapant les cuisses à tour de bras, incapable de manifester son émotion autrement que par ces seuls mots, à voix basse : « Ah ! le cochon !... Ah ! le cochon !... »
J'ai lu cette anecdote ailleurs et jadis, il y a quelque quinze ans, dans un article de Maurice Talmeyr, publié par la Revue hebdomadaire. Et je crois bien me souvenir que le poème qui provoqua, chez le bon grand Flaubert l'expression aussi pittoresque d'une admiration si profonde, était le septième des Sept merveilles du monde, les Pyramides.
Ainsi parlent, le soir, dans la molle clarté.
Ces monuments, les sept étonnements de l'homme,
Jean Richepin survit à Sarah Bernhardt, sa contemporaine à quelques années près en plus et qui lui assura sou premier grand succès, sérieux, qui le lança, peut-on dire, quand elle joua son drame en vers, Nana-Sahib. Richepin, qui fut toujours un admirable déclamateur, donnait la réplique à la grande tragédienne et, plus hindou que nature, jouait dans sa propre pièce.
Et, dans le même temps, il rendit à Sarah un service.
Une ancienne amie de celle-ci, Marie Colombier, venait de publier – de publier sous son nom, mais c'est Paul Bonnetain qui les avait écrits - les Mémoires de Sarah Barnum, un livre épouvantable de méchanceté et auprès duquel, de surplus, la Garçonne est un monument de chasteté. Sarah Bernhardt répliqua en publiant les Mémoires de Marie Pigeonnier, mais c'est Jean Richepin qui les écrivit. Et ils étaient de bonne encre, eux aussi. En retrouvera-t-on, dans Toutes mes vies, le souvenir ?
Choulette.
Mai↑
André Billy, « Jean Richepin »,
L’Œuvre, 17 mai 1923,
p. 1.
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... Un fracas d'applaudissements salua l'entrée sur la scène du music-hall de Damia, au pâle et tragique visage, à la robe de velours noir sur laquelle tranche l'ivoire mat des bras tour à tour ballants et tordus...
— Je vais vous chanter, dit Damia, Les deux ménétriers, de Jean Richepin.
Un gouffre de silence se creusa dans l'immense salle et Damia, chanta la chanson fameuse :
Et les blancs ménétriers.
Sur leurs noirs chevaux sans mors.
Sans selle et sans étriers,
Ont laissé dormir les morts,
Projetés en arrière et raidis dans le simulacre du tombeau, les bras, de Damia donnaient une forme visible au dernier vers. C'était superbe. Des gens criaient, on eût dit d'effroi. Cependant, au fond d'une avant-scène, Jean Richepin se cachait de son mieux. Car il est reste fidèle au music-hall, aux chanteurs, aux acrobates, aux saltimbanques, à toute sa chère « miseloque » :
Princes, seigneurs à la détrempe.
O les drôles de pistolets.
Mais quels vins de rêve ça lampe.
Comme je les aime... Aimez-les,
Interludes, page 219.
Le volume vient de paraître. Et c'est en lisant la Ballade fermant le livre et pour que ceux qui ne chérissent pas les comédiens ne m'en veuillent point, de glorifier la miseloque, que je revois le poète dans l'avant-scène du music-hall, sous sa couronne de cheveux gris et bouclés, qui le fait ressembler à un saint Pierre des vieux livres, le visage creusé de méplats énergiques et sillonné de rides martiales, le buste mince et droit dans la vareuse sombre étoilée de rouge à la hauteur du troisième bouton.
On connaît mal Jean Richepin. Des légendes successives et contradictoires ont complètement brouillé sa physionomie. Pendant longtemps, on n'a vu que le bohémien, le chemineau, l'homme au « torse d'écuyer, », l'ennemi des lois. Ensuite, on n'a plus vu que l'académicien-conférencier. Deux personnages également conventionnels, également faux. Le vrai Richepin est aussi éloigné du bohémianisme d'opéra-comique que de l'académisme pour jeunes filles pâtes. Le vrai Richepin, c'est le poète, c'est l'artiste, c'est le grand lettré, c'est l'homme follement désintéressé qu'il est resté jusque sur le penchant de l'âge et dont il ne faut pas s'étonner qu'il soit assez mal compris de la nouvelle-génération littéraire, si positive, si bourgeoise, Si vieille avant la quarantaine, si sage. Il est vrai que chaque génération subit sa fatalité et que la nôtre, sous ce rapport, n'a été que trop bien partagée. Mais le temps passera, la roue tournera, d'autres jeunesses surgiront qui renieront celle-ci. Je ne doute point qu'alors on n'aime en Jean Richepin une conception romanesque de la vie digne d'être reprise et, maintenue.
Cette conception, Jean Richepin l'a dans le sang. Ne l'a-t-il pas héritée de son ancêtre, le violoneux ménétrier (étrange obsession de certains mots...) qu'il célèbre dans Interludes en strophes fièrement martelées :
« Richepin, d'erratique extrace.
« Violoneux ménétrier... »
Sur cette antique paperasse
Tel il se fit notarier. ...
Pourquoi ? Nul n'en sait plus chipette
Tout l'acte étant par les souris,
Grignoté, sauf, je le répète,
Les cinq mots que je retranscris
« Richepin d'erratique extrace,
« Violoneux ménétrier... »
De la date aussi cette trace :
« Mil cinq cent... quatre février...
Tu ris de moi ? Bon. Laisse, laisse.
Moi, j'estime un fameux chopin
Ces titres de haute noblesse
Dus au ferlampier Richepin.
Le jour qu'il m'en fit l'avantage,
J’ai béni d'un pieux avé
Son nom, son sang, son héritage,
Me sacrant Romané-Tchavé
Car j'en suis, hein, moi, de ta race
Ma vie est là pour le crier,
« Richepin d'erratique extrace,
Violoneux ménétrier.
Quelques pages avant, transposant « Ce siècle avait deux ans... » à sa manière plus familière mais non moins épique, il nous donne son acte de naissance :
Fils de soldats ayant des tentes pour maisons
Du temps qu'on guerroyait encore en Algérie
Mon enfance nomade et, libre fut fleurie
D’aventures sans nombre au gré des garnisons,
Et la grand’ route est ma véritable patrie.
Comme il faut cependant qu'on naisse quelque part.
Et qu'on ait sa première étape d'où l'on part.
J'ai donc la mienne ainsi que vous avez la vôtre.
Semé dans un endroit, récolté dans un autre,
C'est à Paris, et j'en suis fier, qu'on me créa.
Mais quand je vis le jour, c'était à Médéa,
Puis il évoque son « papa », qui était chirurgien militaire, comme le papa d'un autre grand romantique, Gérard de Nerval. Puis sa « maman » :
Voici la consigne sommaire
Dont jamais ne se départit
A mon égard ma brave mère :
Poitrine, petit.
...................................................
De toi maman, pour être digne,
A tous mes fils je l'ai redit,
Le simple mot de ta consigne :
Poitrine, petit.
Le vers fait image, évoque le torse moulé dans la vareuse, sombre étoilée de rouge. Mais-il résume mieux encore l'attitude morale du poète et ce que je me permettrai d'appeler sa musculature philosophique. Les derniers poèmes d'Interludes seraient tous, à citer, à cet égard :
J'ai gagné largement ma vie.
Et plus encor celle des miens ;
Mais être un richard qu'on envie
Répugne à mes goûts bohémiens.
Les miens, donc, pour tout héritage
N'auront que mon œuvre et mon nom,
Plus leur travail, pas davantage.
En sont-ils tristes ? Sûr que non.
Car ils n'auront pas l'or pour maître,
Mais pour serf, tradéridérà,
Et sur leur tombe on pourra mettre
Ça que sur la mienne on verra :
« O Mort, ton nouveau garnissaire
« T'emmielle, ayant, même au cercueil,
« Sous le menton de sa misère,
« Le hausse-col de son orgueil. »
La pensée de la mort n'a jamais cessé, de le hanter ; c'est, un des thèmes poétiques qui reviennent le plus fréquemment sous sa plume et il l'a traité dans un sentiment de bravade et de guoguenardise acerbe qui ne rappelle ni la résignation stoïcienne, ni l'effroi chrétien, ni le satanisme byronien, et où il faut voir, en dernière analyse, un frénétique acte de foi optimiste en la vie.
Tous les poèmes d’Interludes n'ont pas le caractère d'aveu personnel qui domine dans ceux que j'ai cités. Beaucoup d'entre eux sont des pièces de circonstance, d'une virtuosité magnifique et puissante, d'une richesse de cadences et de vocabulaire, par lesquelles Jean Richepin s'affirme comme le dernier représentant de la grande poésie pindarique. Il apporte d'ailleurs, dans sa façon de frapper la lyre d'Apollon, je ne sais quoi de sportif qui rappelle le coup d'archet grinçant et bondissant du violoneux ménétrier et où ne cesse de se faire sentir le rythme intime de son être valeureux et hardi.
André Billy
Juin↑
Anonyme, « L’Hommage de Jean
Richepin à la Renaissance physique – La cérémonie du Comité
National des sports », L’Avenir, 1er juin 1923, p. 3.
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Il y aura aujourd’hui exactement trente-cinq ans que Pierre de Coubertin fondait le Comité pour la propagation des exercices physiques dans l’éducation. Jules Simon en était le président.
Un grand souffle d’espérance et de libération éveilla toute la jeunesse des lycées de Paris. Trois associations sportives scolaires se fondirent alors, une à l’Ecole Monge, l’autre à l’Ecole alsacienne, la troisième au lycée Lakanal.
Passant de l’idée aux actes, le Comité provoqua tout de suite des manifestations et appela à participer à des rallye-papier, à traverser champs et bois, les lycéens et collégiens turbulents que le régime universitaire condamnait à une morne et dépérissante inaction physique.
En 1889, un Congrès des exercices physiques s’accompagnait de concours multiples à l’aviron, en gymnastique, en couses à pied, en boxe, escrime, natation, équitation, cependant que Paschal-Grousset qui, sous les pseudonymes de Philippe Daryl et d’André Lauris, s’était associé à la campagne de Pierre de Coubertin, organisait ses Lendits.
L’élan était donné : les plus hautes personnalités de l’enseignement des lettres, du corps médical appuyaient l’initiative de Pierre de Coubertin.
Bien vite, ces associations scolaires se multiplièrent ; au fur et à mesure qu’ils avaient terminé leurs études, les jeunes gens, acquis aux exercices physiques de plein air, rallièrent les trois clubs qui agonisaient, alors, dans l’indifférence de tous pour la culture physique et sportive, le Racing Club de France, le Stade Français et les Francs-Coureurs.
En 1880, il existait donc trois clubs et trois associations scolaires.
En 1890, l’effectif était porté à dix-huit. Il est, en 1923, de 18.000 sociétés : elles représentent, au bas mot, deux millions de jeunes hommes qui, de 17 à 30 ans, courent, sautent, boxent, s’escriment, luttent, nagent, rament, pratiquent le rugby et le football.
C’est cette œuvre de 35 années que le Comité National des Sports a honoré dans une cérémonie donnée à la société de géographie, la fondation du Comité Jules Simon-Coubertin, cause de cette magnifique révolution.
A cette occasion, Jean Richepin, qui fut de tout temps adepte des exercices physiques et des sports, a récité l’ode que voici, écrite pour la circonstance :
Ode à l’athlétisme
Je les plains, les purs cerveaux
À leur seul culte dévots,
Ignorant ce que tu vaux
Et ta noble gymnastique,
Ô corps qu’ils ont en mépris
Et dont je dirai le prix,
Corps sain, vigoureux, bien pris,
Dur, souple, agile, élastique !
C’est bon et c’est beau pourtant,
Gonfler ses muscles qu’on tend
Et portant, luttant, sautant,
Sans craindre que rien altère
Cette force qu’on accroît,
Sentir l’homme dans son droit
Quand, orgueilleux, il se croit
L’animal-roi de la terre ;
Avoir le sang toujours frais,
Tous les membres prompts et prêts,
Poignets, épaules, jarrets,
Taille étroite, poitrail large ;
En ces membres prêts et prompts
Entendre aux moindres affronts
Les tambours et les clairons
De ce sang sonnant la charge ;
Être si gaîment viril
Que l’approche du péril
Vous est une aube d’avril,
Vous est une rose éclose,
Vers quoi l’on va de l’avant
Sans autre dessein souvent
Que d’être brave et bravant
Et sans s’étonner qu’on l’ose ;
Simplement, pour voir un peu
Si l’huile d’un beau sang bleu
Donne toujours libre jeu
Aux ressorts de sa machine
Entreprendre des travaux
Où bien de jeunes rivaux
Malgré leurs nerfs tout nouveaux
Se sentent rompre l’échine ;
Être, au long d’un jour entier,
Chasseur, rameur, chalutier ;
Faire, ainsi qu’un du métier,
Des haltères, du trapèze ;
Sans peur d’y casser ses os,
Voler comme les oiseaux,
Prendre les airs pour des eaux
Où l’on flotte et plus ne pèse ;
Saisir l’étalon aux crins,
Enfourcher d’un bond ses reins,
Et, droit sur ses flancs étreints,
Humer le vent qui restaure,
S’en soûler éperdument
Et, fou, croire en le humant
Qu’on y flaire une jument
Dont on est l’amant centaure ;
Pour rafraîchir ces chaleurs,
Plonger dans les flots hurleurs,
Et, ses bras mêlés aux leurs
Sa poitrine à leurs poitrines,
Les vaincre, ces demi-dieux,
Et de leurs gouffres pleins d’yeux
Sortir, le col radieux
D’un collier d’aigues-marines ;
Et tout cela qui vous plaît
Le faire sans effort laid,
Avec l’abandon complet,
Avec la grâce charmante
Des nonchalants goélands
Dont les plus fougueux élans
Semblent, distraits, doux et lents,
Se jouer dans la tourmente ;
Le faire sans laisser voir
Qu’on remplit un saint devoir
Et que l’homme a ce pouvoir
Dont rien ne le destitue :
Par les mouvements accorts
Aux harmonieux accords
Sculpter lui-même son corps
Et l’ériger en statue !
Jean Richepin
Le comte Clary avait prononcé l’allocution d’ouverture et rappelé l’œuvre du baron Pierre de Coubertin, président du Comité ; M. Louis Dedet, directeur du collège de Normandie, avait parlé de la pédagogie sportive, et M. Frantz-Reichel traça l’historique de l’éducation physique de 1888 à nos jours.
Après quoi, il remit à M. Pierre de Coubertin « Promoteur de la Renaissance physique en France », une plaquette, au nom du Comité National des Sports, continuateur de sa pensée et de son œuvre.
M. Pierre de Coubertin décrivit alors le rôle social du Sport.
Une remarquable partie musicale (harpe, contralto et flûte) était assurée par Mlle Micheline Kahn, MM. G. Blanquart et A. Le Guillard.
Anonyme, « M. Jean Richepin
chante la vie physique », Le Gaulois, 1er juin 1923, p. 3.
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Le trente-cinquième anniversaire de notre renaissance athlétique a été célébré hier.
Pour commémorer le 35e anniversaire de la fondation du Comité pour la propagation des exercices physiques dans l'éducation, le Comité national des sports avait organisé hier, à la salle de Géographie, une soirée à laquelle assistaient de nombreuses personnalités des lettres, des arts et des sports, heureusement réunies pour rendre un éclatant hommage à ceux qui, en 1888, déclenchèrent le mouvement en faveur de la renaissance physique de notre race, dont nous voyons présentement les effets. Le comte Clary, en prononçant l'allocution d'ouverture, rappela l'œuvre du baron Pierre de Coubertin, président du comité. M. Louis Dedet, directeur du collège de Normandie, parla de la pédagogie sportive, et M. Frantz-Reichel traça l'historique de l'éducation physique et sportive de 1888 à nos jours. Il remit ensuite à M. Pierre de Coubertin, promoteur de la renaissance physique en France », une plaquette au nom du Comité national des sports, continuateur de sa pensée et de son œuvre. M. Pierre de Coubertin décrivit alors le rôle social du sport, et M. Jean Richepin, de l'Académie française, de sa voix chaude et colorée, dit une ode consacrée à la renaissance de l'athlétisme, dont nous publions d'autre part quelques strophes. Enfin, la partie musicale (harpe, contralto et flûte) fut assurée avec un rare talent par Mlle Micheline Kahn, MM. G. Blanquart et Le Guillard.
Marius Arty-Leblond, « Jean
Richepin », L’Action,
18 juin 1923, p. 1-2.
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Dans cette galerie de portraits où le public aime voir se silhouetter les plus vibrantes figures de l’époque, la parution toute récente du nouveau volume de vers de Jean Richepin, Interludes, n'est pas la seule occasion de lui consacrer un article : sa magnifique activité, ses présidences, notamment celle du groupe France-Etranger, le mettent encore cette semaine au premier plan de l’actualité ; dernièrement, enfin, Emile Henriot dans une très jolie étude du Temps nous révélait ses Mémoires. La personnalité de Jean Richepin est une des plus saisissantes de notre temps amoureux de puissance.
On oublie généralement qu’il est un colonial. II est né en Algérie aux heures de conquête, et tout le faste du soleil et de la gloire militaire illumine son œuvre ardente, brutale et épique. Les Blasphèmes, Les Gueux, Ie Chemineau, tous ces mots mêmes dont s’illustrent les couvertures de ses livres prennent un sens singulièrement plus fort et une couleur plus justement poétique quand ils s’éclairent de la nomaderie artiste de cet Orient qui lui inspira dès ses débuts Nana-Sahib. Parce qu’il a écrit les Truands et célébré Villon, on a fait de lui une sorte de revenant lyrique du Moyen Âge alors qu’il est un des écrivains les plus représentatifs de notre siècle : de la Grande France impériale colonisatrice. Et c’est une des raisons pour lesquelles il se voit particulièrement aimé de tant de coloniaux : je me souviens d’avoir vu en mon enfance tous ses livres rangés dans une bibliothèque au-dessous de ceux de Victor Hugo et ce n’était pas à cause des vers ou il analysait les larmes, fût-ce les plus fécondes ; Robert Randau pourrait dire quelle influence il a exercée sur les virils Algériens.
Dans ses Mémoires, il se propose d’éployer « toutes ses vies ». Il a été bédouin, matelot, portefaix, « commensal des rois, {2} charmeur de reines de théâtre, suiveur des ambulants », professeur et débardeur avant de devenir académicien. Entre les jours où il déchargeait les navires sur les quais de Gènes ou de Naples et ceux ou « il entrât en vainqueur à Bullier aux acclamations d'une jeunesse délirante », il a fait le coup de feu de franc-tireur aux avant-postes de l’armée de Bourbaki. Ce trait lumineux de l’armée de Deuil éclaire, dès le seuil de sa carrière, le caractère national de sa vie diversement agitée, mais toujours généreuse. Je n’ai cessé de regretter qu'il n’ait pas été élu aux élections de 1914 où nous avions tant, besoin que le courage, l’intelligence lucide et le talent rythmé de cœur vinssent renforcer la politique ; je l'avais vu si souvent lancer parmi la foule conquise son éclatante parole au profit des opprimés de l’Europe, notamment des Polonais. Richepin est un des plus étincelants orateurs que j’ai jamais entendus ; il manque vraiment dans le Parlement où depuis la mort de Lamartine et de Hugo le peuple français n'a plus su envoyer de grands poètes. Il nous faut à la Chambre des poètes et du soleil La voix d’or de jeun Richepin y eût fait merveille toutes les fois qu’il se fût agi d’y évoquer les croisades des Français allant déchaîner les peuples et les races sur les grand’routes d’Europe, d’Asie et d'Afrique.
Marius-Ary Leblond.
Juillet↑
Henri de Régnier, « Quelques
poètes », Le Figaro,
24 juillet 1923, p. 3.
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C'est avec un vif embarras et une réelle confusion que j'entreprends cette chronique, car je me trouve en présence d'environ cent, vingt-sept volumes ou plaquettes de vers. Ils sont là, devant moi, formant un respectable amas et je prends à les considérer un profond sentiment de mon impuissance. Chacun de ces volumes, chacune de ces plaquettes m'inspirent de la sympathie. Certains, par la singularité de leurs formats et de leurs titres ajoutent à cette sympathie de la curiosité ; d'autres sollicitent mon intérêt, quelques-uns s'imposent à mon admiration. Tous méritent mon attention puisqu'ils représentent tous un effort désintéressé. C'est pourquoi cette sorte de respect que je ressens toujours à l'aspect d'un volume de vers m'en fait souvent différer la lecture. Pour lire des vers et les goûter comme il faudrait, on aurait besoin de circonstances un peu particulières. On voudrait autour de soi de la paix et du silence. On souhaiterait du loisir et que la vie en suspens vous laissât momentanément en dehors de ses obligations et à l'abri de ses rumeurs. C'est alors que la voix des poètes devrait s'élever pour que l'on en écoutât bien le timbre et, l'harmonie, pour que l'on en appréciât tout le pathétique, toute la pureté.
Je ne puis, certes, que trouver fort louable ce sentiment de respect attentif envers les poètes, car je l'éprouve, mais, l'éprouvant, j'en connais les inconvénients. A force de différer, pour la cause que je viens, de dire, des lectures auxquelles on désirerait des conditions un peu spéciales et d'attendre le moment propice on finit par les laisser s'accumuler et par se trouver dans l'impossibilité d'y faire face. Malgré un sincère désir de rendre à la poésie, ou ses poètes, l'hommage qu'on lui doit on est forcé de restreindre cet hommage. Or, c'est, justement, ce qui m'arrive aujourd'hui. Pendant de longs mois j'ai attendu ce loisir qui m'eût permis la lecture raisonnée et complète de ces volumes de vers parmi lesquels je n'en ai pu choisir que quelques-uns pour leur donner place en ce feuilleton qui, autrement, fût devenu une simple nomenclature et un simple dénombrement.
Et cependant, malgré la restriction que je m'impose et la concision où je m'oblige, il m'est, infiniment agréable de rencontrer tout, d'abord le verveux, pittoresque et éloquent recueil que vient de publier M. Jean Richepin. M. Richepin qui, l'an dernier, nous donnait les Glas, nous offre cette année les Interludes, témoignant ainsi de son amour toujours fécond pour la muse et de son culte toujours fervent de la poésie. Si M. Jean Richepin s'est fait parfois le romancier de haute couleur et, le conteur que l'on sait, s'il a sacrifié avec éclat à l'art dramatique, il n'en a pas moins continué avec une énergique constance son œuvre lyrique. C'est donc à elle que nous ramènent les Interludes et c'est le poète admiré de la Chanson des Gueux, des Caresses, de la Mer que nous retrouvons en ces poèmes tour à tour familiers, amusants, superbes, fantaisistes, éloquents, écrits dans une langue drue et saine, aux images toujours expressives et qui attestent un impeccable métier. Dans ces poèmes des Interludes, dont beaucoup sont des vers « de circonstance », de circonstances intimes et privées ou de circonstances officielles, M. Jean Richepin se montre toujours le parfait artiste à qui n'échappe aucun des secrets du vocabulaire et de la syntaxe.
Cette solide et robuste virtuosité, qui est une des caractéristiques de M. Jean Richepin, lui permet de vivifier ses moindres inspirations. Entre ses mains, de simples « jeux » prennent une forme intéressante et des sujets de « commande » revêtent-une valeur lyrique. Il en est ainsi des Neuf grandes Odes qui forment le centre du volume de M. Richepin. Il célèbre tour à tour la millième représentation de Carmen, l'Exposition de 1900, Banville et Hugo, la Vigne et la Langue française et les thèmes imposés ne gênent nullement sa verve abondante et généreuse qui lance, enfle, colore les strophes avec une merveilleuse aisance. Mais dans ses Interludes, M. Jean Richepin ne fait pas que « pindariser ». Aux grands morceaux s'adjoignent des pièces « pédestres », chansons, épitres, odelettes, sonnets, ballades, dont certaines datent des années de jeunesse du poète et, dont, les plus récentes sont également jeunes de verdeur verbale et de noueuse vitalité. En les intitulant Interludes, M. Jean Richepin a tenu à fixer lui-même leur place dans son œuvre lyrique à laquelle ils constituent un appoint, précieux en la complétant de certaines nuances qui s'y fondent et s'y incorporent et dont, elle se diversifie pour noire agrément. Ce lui de ses Interludes est de la plus sympathique qualité et s'ajoute à notre admiration pour le beau poète qu'est demeuré M. Jean Richepin
[…]
Septembre↑
R. David, « Les cavaliers de
“Pégase” », Bonsoir,
27 septembre 1923, p. 3.
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Ils sont deux que l’infatigable coursier déposa un jour aux portes du Palais Mazarin, MM. Jean Richepin et Henri de Régnier.
Depuis lors, Pégase semble avoir oublié le chemin du quai Conti ; il conduit quelquefois les audacieux qui l’enfourchent jusqu’à la devanture d’un libraire, parfois il s’arrête devant un théâtre subventionné, une de ces antichambres de l’immortalité, mais le plus souvent il erre à l’aventure et, lassé d’une charge inutile, s’en débarrasse en quelque carrefour obscur.
Après qu’il eût porté ces deux poètes aux Immortels qui les ont accueillis, notre Pégase estima qu’il avait assez fait pour assurer la gloire de la Poésie Française.
« M. Jean Richepin est un écuyer de cirque, ou plutôt un beau saltimbanque — non pas un de ces pauvres merlifiches, hâves, décharnés, lamentables sous leurs paillons dédorés, les épaules étroites, les omoplates perçant le maillot de coton rosâtre étoilé de reprises, — mais un vrai roi de Bohême, le torse large, les lèvres rouges, la peau ambrée, les yeux de vieil or, les lourds cheveux noirs cerclés d’or, costumé d’or et de velours, fier, cambré, les biceps roulants, jonglant d’un air inspiré avec des poignards et des boules de métal ; poignards en fer-blanc et boules creuses, mais qui luisent et qui sonnent. »
Tel est le portrait que Jules Lemaître traçait en 1887 du poète des Gueux ; le délicat et malicieux Jules Lemaître, après nous avoir promené, cicerone tour à tour ironique et pudiquement effarouché, à travers l’œuvre singulière de M. Jean Richepin, nous avertit prudemment en refermant les portes du fantastique domaine, que le « saltimbanque » est supérieur à l’image qu’il en a présentée.
M. Jean Richepin est au milieu des académiciens actuels la plus étrange figure qui s’y puisse rencontrer : sa muse, franche ribaude, impudique et débraillée, a survécu à Villon, à Rabelais, à Mathurin Régnier, pour hanter le cerveau de ce vagabond magnifique et ancien normalien de se débattre entre les réminiscences de la littérature classique et les sauvages exigences d’un indomptable tempérament.
« La Chanson des Gueux », les « Caresses, les « Blasphèmes », « La Mer » ont cependant ouvert les portes de l’Académie au poète, saltimbanque, roi de Bohème et bateleur ; les pieux historiens de la Revue des Deux-Mondes, les chastes industriels qui donnent aux jeunes filles leur pâture littéraire ont pardonné le chantre des souteneurs, mieux, ils l’ont appelé leur frère. Ils ont senti confusément à travers ces bavardages obscènes aux sonorités prodigieuses les manifestations d’un génie véritable ; il est puissant, énorme, redoutable.
« L’air « qu’il » boit ferait éclater leurs poumons ».
[…]
Novembre↑
Paul Fort et Louis Mandin, « La
poésie française depuis 1850 (suite) », L’Ecole et la vie, 24 novembre 1923,
p. 154-155.
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POÉSIE NATURALISTE ET POÉSIE POPULAIRE Apres les « Impassibles », les « Vivants ». — Les bouleversements de 1870-71, la chute du pouvoir personnel, l’avènement du régime démocratique, en portant au premier plan de l’actualité les affaires nationales, la puissance du peuple et les agitations de la foule, furent comme un signal auquel répondit bientôt l’éclosion d'une littérature plus populaire, pleine des bruits de la rue, et qui, parfois (car, de nos jours, on aime l'outrance), se plut à s’ébattre jusque dans le ruisseau. En prose, c’est le roman naturaliste qui, se greffant sur le réalisme de Balzac et de Flaubert, s’affirme dès 1871 avec Zola dans la préface-programme du premier volume des Rougon-Macquart. En poésie, ce sont les joyeux compagnons, Richepin, Ponchon, Bouchor, qui s'apprêtent à opposer les « Vivants » aux « impassibles » du Parnasse. Nous avons noté plus haut que l’école parnassienne elle-même, lasse de la raideur olympienne où la figeait Leconte de Lisle, s’imprégnait de tendresse humaine avec Léon Dierx et Sully Prudhomme, et se rapprochait du réalisme populaire avec François Coppée et ses Humbles, sa Grève des Forgerons, etc. {155} Et, l’année des Humbles (1872), Paul Déroulède avait envahi les niasses avec ses Chants du Soldat, qui, par leurs qualités et leurs défauts, ont bien le caractère du poème populaire, fait pour la foule élémentaire.
Enfin, à l’autre extrémité de la littérature il n’est pas jusqu’à l’un des premiers initiateurs du Symbolisme, c’est-à-dire de la poésie à la forme la plus spiritualisée ; il n’est pas, disons nous, jusqu’au jeune Arthur Rimbaud qui, dans son genre hardi, violent, transfiguraient n’ait tout un côté, non populaire assurément, mais ores réaliste. Déjà, en étudiant Baudelaire, nous ayons constaté la même chose chez le poète des Fleurs du Mal, qui est à la fois à la racine du Réalisme et du Symbolisme en poésie.
Du reste, malgré certaines apparences les « vivants » que nous allons voir dans ce chapitre ne jetaient pas des révolutionnaires en art. S’ils se permettaient de bousculer un peu le Parnasse et la tradition, c’était en écoliers turbulents, mais respectueux au fond, non en transformateurs apportant une esthétique nouvelle.
Jean Richepin et le Romantisme naturaliste. — Quand M. Jean Richepin entra dans la vie littéraire, les théories sur l’atavisme commençaient à être fort à la mode avec Zola et le roman naturaliste. Elles contribuèrent sans doute à suggérer à notre poète la vocation bohémienne dont il s’est revêtu comme d’un titre de noblesse. Il parait qu’une tribu de nomades en voyage aurait autrefois, il y a très longtemps renoncé aux aventures errantes de la roulotte en passant près du village d’Hirson, dans le pays de Thiérarchie (aujourd’hui département de l’Aisne). Un ancêtre de Jean Richepin était du nombre : de romanichel il devint cultivateur et prit racine au sol. Grâce à lui, son descendant se vantera d’être Touranien. Ni Celte ni Latin, un sang neuf, libre, aventureux, vierge de tous les dépôts de la civilisation, un corps vigoureux un esprit solide, réfractaire aux mièvreries, aux mélancolies, une philosophie et une morale généralement matérialistes : tel Jean Richepin s’est proclamé dans ses œuvres.
Il naquit en Algérie le 4 février 1849. Il était fils d’un médecin militaire, et il a écrit :
Fils de soldat, ayant des tentes pour maisons,
Du temps qu’on guerroyait encore en Algérie
Mon enfance nomade et libre fut fleurie
D’aventures sans nombre au gré des garnisons,
Et la grand’route est ma véritable patrie.
Bon étudiant, il fut admis à l’Ecole normale supérieure, mais il l’abandonna bientôt. En 1870, il s’engagea dans un corps de francs tireurs. Après la guerre, outre plusieurs métiers singuliers, il fit du journalisme, collabora au Mot d’Ordre, au Corsaire, publia dans la Vérité un ouvrage en prose, Les Etapes d’un Réfractaire, et commença de faire connaître ses poèmes en les déclamant dans les cafés du quartier latin. En 1873, il joue en personne une petite pièce, l’Etoile, faite en collaboration avec André Gill, et trois ans plus tard il publie en librairie son premier recueil, la Chanson des Gueux. Poursuite judiciaire : condamnation de l’auteur a un mois de prison, condamnation du livre à perdre deux poèmes et plusieurs passages estimés offensants pour la pudeur publique. Mais la censure ne tue plus en France et le jugement qui émondait la Chanson des Gueux eut pour principal résultat de désigner à la notoriété cet ouvrage d’un débutant.
L’auteur, ainsi mis en lumière, donna la même année un recueil de contes étranges, Les Morts bizarres, et, en 1877, un nouveau recueil de vers : Les Caresses.
Et puis, lui qui a déjà fait le romanichel, l'hercule forain, etc., il a la fantaisie de s’engager comme matelot à bord d’un navire marchand, et le voilà marin, débardeur. De retour à Paris, il écrit au journal le Gil Blas, lance des romans, la Glu (1881), Miarka, la fille à l'Ourse 1883 fait représenter son drame Nana Sahib 1883, dont il interprète pendant un mois le premier rôle, publie son recueil les Blasphèmes, puis encordes romans, le recueil la Mer, inégal, mais ou revivent, avec une rauque, cynique et magnifique rudesse de tempête et d’argot salés, les souvenirs du matelot qu’il fut. Et il continue à prodiguer les romans, parmi lesquels nous citerons : Truandailles (1890), Flamboche (1895) et, au théâtre, c’est notamment le Flibustier, comédie 1888, Par le Glaive, grand drame en vers (1894 le Chemineau (1897), qui reste son chef-d’œuvre dramatique. En poésie, ses derniers recueils sont Mes Paradis 1894, la Bombarde, contes à chanter (1899, Poèmes durant la Guerre (1919).
Jean Richepin est par nature un romantique de l’école d’Hugo. Autant que Banville lui-même, il a la griserie des rimes richement cliquetantes, des solides cadences, des vocables sonores et rares, des rutilantes métaphores ; et il court avec une verve fringante parmi les joyeuses trouvailles argotiques. Son romantisme est essentiellement pittoresque, tout en dehors, comme un drapeau qui brille et claque au vent. Il n’est pas jusqu’à son ironie qui ne se fasse truculente et lyrique, car il y a, plus même qu’on ne croit, beaucoup d’ironie dans Richepin, une ironie à la Villon, à la Rabelais, l’ironie d’un bon vivant qui nargue la misère, l’injustice, et ne s’épargne pas lui-même.
Richepin ne s’embarrasse pas beaucoup de psychologie. Venu au moment où le naturalisme était dans I’air, il a pris les gueux, les mendiants, les chemineaux, les révoltés comme des sujets d’exaltation poétique et de fantaisie lyrique, plutôt que comme des objets d’étude ; car, comme tous les vrais romantiques, ce poète est un subjectif, pour qui ses personnages ne sont guère que des acteurs, qui, sous divers costumes aux couleurs provocantes, ne mettent à la scène qu’un héros : lui-même. En les chantant, c’est lui-même qu’il chante, c’est-à-dire son tempérament, ses passions, ses aspirations, ses élans, ses attitudes volontiers théâtrales.
Par suite, son naturalisme est fortement bariolé d’imagination, de littérature. Mais son amour de la liberté ambulante et sans frein, lâchée en bohémienne à travers les vastes espaces, est sincère et fait sa plus sûre originalité. Richepin est un chemineau amateur qui, dans ses pires révoltes, n’oublie jamais qu’il fut normalien, mais qui a mis souvent du cœur, un vrai cœur, dans sa rhétorique. quant à ses drames en vers, avec quelle maestria ils secouent, comme des traînées de le i, les grandes tirades d’éloquence lyrique à la Ruy Blas !
Le recueil le plus caractéristique de Richepin est probablement la Chanson des Gueux. C’est là que sa verve, sa truculence, son lyrisme, matériel et gros, mais si vibrant, se déploie avec le plus de naturel et d’originalité. Le cynisme y a une grâce de jeunesse et parfois s’ouvre à une louchant sensibilité. Les Blasphèmes contiennent des poèmes d’une beauté puissante, sauvage, mais aussi une déclamation, une grandiloquence sans mesure, une affectation de brutalité qui tonitrue pour scandaliser le lecteur modéré. Ces injures à la nature, à l’homme, au ciel, à tout, ces fanfaronnades de nihilisme triomphant, ces imprécations et ces mugissements cadencés ressemblent à une ivresse (il eût dit, lui, une rabote) de virtuosité verbale, plutôt qu'à l’expression d’une pensée bien profondément convaincue. Aussi, on n’est pas trop surpris de voir ce chantre de 1 athéisme arborer, en tête de son recueil sur la mer, un long poème en l’honneur de la Vierge. Du reste, on ne doute pas de sa sincérité. Mais si l’âme de Victor Hugo était, comme lui-même a dit, un « écho sonore », celle de Jean Richepin mérite encore mieux ce nom. Elle réfléchit les sons en les grossissant, les couleur s en les exaltant. Que cela sonne, rutile, éclate, elle s’enchante à ce jeu.
Avant que le réfractaire touranien ne s’affirmât patriote français : avant que, se souvenant du franc-tireur de 1870, il n’écrivît, durant la grande Guerre, d’ardents articles patriotiques, l’Académie avait compris que ce prestigieux versificateur, si discipliné à la rime riche et aux honnêtes auteurs classiques, n’était pas au fond un anarchiste dangereux, cl elle lui avait ouvert ses portes sans se faire prier (1908).
Il convient de reconnaître qu’en dépit des plus violentes outrances, l'œuvre de Richepin n’est pas en général malsaine. En effet, grâce même à ces outrances qui sentent le joyeux tréteau bohémien, on ne s’arrête guère à discuter la philosophie et la morale de l’auteur ; on les considère comme un habit de parade, et l’on ne retient que l'impression mâle et tonifiant qui se dégage de cette poésie flambante, de ces strophes qui exaltent la force, la vigueur, la claire et franche santé, les vastes ailes de l’aventure.
Ecoutez l'auteur des Blasphèmes célébrer la chanson de son sang :
O gouttes de mon sang, voilà donc votre histoire,
Et les chansons que vous chantez !
Va, sang de mes aïeux, vieux sang blasphématoire,
Sang des gueux, sang des révoltés.
Tes leçons dans mon cœur ne resteront pas vaines,
Brave sang toujours en éveil.
Dont le flot vagabond aime à jaillir des veines,
Pour montrer sa pourpre au soleil !
Je veux aussi, je veux, comme vous, mes ancêtres,
Vivre debout sur l’étrier,
Pousser ma charge et, dans la bataille des êtres,
Ouvrir mon sillon meurtrier.
Mais, après cette charge échevelée, quand il aura pourfendu Dieu et le diable, que fera-t-il ? Il nous le dit :
Alors, à ciseler des bijoux de vitrine
J’emploierai mon clair yatagan
On sent bien que cette arme si artiste et moins méchante qu’elle n’en a l’air. Et il arrive parfois que Richepin, lorsqu’il parle des gueux, des chemineaux, se fait tendre à souhait, comme dans ce poème : Le Chemin creux :
Le long d’un chemin creux que nul arbre n’égaie,
Un grand champ de blé mûr, plein de soleil, s’endort,
Et le haut du talus, couronné d’une haie,
Est comme un ruban vert qui tient des cheveux d'or...
Ce chemin est très loin du bourg et des grand’routes.
Comme il est raccommode, on ne s’y risque pas.
Et, du matin au soir, les heures passent toutes
Sans qu’on voie un visage ou qu’on entende un pas.
C’est là que vient le gueux, en bête poursuivie,
Parmi l’âcre senteur des herbes et des blés,
Baigner son corps poudreux et rajeunir sa vie
Dans le repos brûlant de ses sens accablés.
Et quand il dort, le noir vagabond, le maroufle
Aux souliers éculés, aux haillons dégoûtants,
Comme une mère émue et qui retient son souffle,
La nature se tait pour qu’il dorme longtemps.
Richepin peut tour à tour être réaliste et idéaliste, ou les deux à la fois, mais ce romantique, qui est l’opposé d’un lamartinien, sera toujours l’adversaire des sentiments compliqués, de l’hésitation, du doute où se paralysent les Hamlets qui pèsent trop subtilement le pour et le contre.
Tel est bien Jean Richepin, tonique comme un élément, et élémentaire, en effet, mais artiste très littérateur, trop littérateur pour les simples.
Mais a-t-on remarqué qu’il y a beaucoup de rapport entre la mentalité de ce poète et celle des écrivains (Marinetti, etc.) qui lancèrent en Italie et en France, quelques années avant la guerre, le mouvement appelé Futurisme ? Cette école où se combinaient un esprit révolutionnaire iconoclaste, un autoritarisme intransigeant, un patriotisme fougueux, un matérialisme violemment primitif, tout cela animé par le culte de l’énergie et de la volonté, cette école où l’on peut voir l’ébauche du fascisme italien, a plus d'une ressemblance avec l’œuvre du poète des Blasphèmes et de Par le Glaive.
Une opinion sur Jean Richepin. — « Il possède la sonorité, la plénitude, la couleur franche, le dessin précis et une langue excellente, vraiment aiment classique par laquait. M. Richepin est d’abord un très grand rhétoricien, un surprenant écrivain en vers. » Jules Lemaître.)
Bibliographie. — Les œuvres poétiques de M Richepin sont à la Bibliothèque-Charpentier (Fasquelle,
à suivre.)
Paul Fort et Louis Mandin
En même temps que Jean Richepin, il convient de citer Raoul Ponchon et Maurice Bouchor, ses compagnons de jeunesse, dont il a écrit si souvent les normé dans ses premiers recueils.