1926
–↑
Paul Fort, « Après les
“Impassibles”, les “Vivants” », in Histoire de la poésie française depuis
1850, Flammarion, 1926, p. 50-58.
Les bouleversements de 1870-71, la chute du pouvoir personnel, l’avènement du régime républicain, en portant au premier plan de l’actualité les affaires publiques, la puissance du peuple et les agitations de la foule, furent comme un signal auquel répondit bientôt l’éclosion d’une littérature plus populaire, pleine des bruits de la rue, et qui, parfois (car de nos jours, on aime l’outrance), se plut à s’ébattre jusque dans le ruisseau. En prose, c’est le roman naturaliste qui, greffé sur le réalisme de Balzac et de Flaubert, s’affirme avec Zola dans la préface-programme du premier volume des Rougon-Macquart (1871). En poésie, ce sont les joyeux compagnons, Richepin, Ponchon, Bouchor, qui s’apprêtent à opposer les « Vivants » aux « Impassibles » du Parnasse. Nous avons noté plus haut que l’école parnassienne elle-même, lasse de la raideur olympienne où la figeait Leconte de Lisle, s’imprégnait de tendresse humaine avec Sully Prudhomme et Léon Dierx, et se {51} rapprochait du réalisme populaire avec François Coppée et ses Humbles, sa Grève des Forgerons, etc. Et l’année des Humbles (1872), Paul Déroulède avait envahi les masses avec ses Chants du Soldat qui, par leurs qualités et leurs défauts, ont bien le caractère du poème populaire, fait pour la foule élémentaire.
Enfin, à l’autre extrémité de la littérature, il n’est pas jusqu’à l’un des premiers initiateurs du Symbolisme, c’est-à-dire de la poésie à la forme la plus spiritualisée ; il n’est pas, disons-nous, jusqu’au jeune Arthur Rimbaud qui, dans son génie hardi, violent, transfigurateur, n’ait tout un côté, non populaire assurément, mais très réaliste. Déjà, en étudiant Baudelaire, nous avons constaté la même chose chez le poète des Fleurs du Mal qui est à la fois la racine du Réalisme et du Symbolisme en poésie.
Nous retrouverons Rimbaud. Quant aux « vivants » que nous allons voir dans ce chapitre, ce n’étaient pas, malgré certaines apparences, des révolutionnaires en art. S’ils se permirent de bousculer un peu le Parnasse et la tradition, ce fut en écolier turbulents, mais respectueux au fond, non en transformateurs apportant une esthétique nouvelle.
Jean Richepin et le Romantisme naturaliste.
Quand M. Jean Richepin entra dans la vie littéraire, les théories sur l’atavisme commençaient à être fort à la mode avec Zola et le roman naturaliste. Elles {52} contribuèrent sans doute à suggérer à notre poèe la vocation bohémienne dont il s’est revêtu comme d’un titre de noblesse. Il paraît qu’une tribu de nomades en voyage aurait autrefois, il y a très longtemps, renoncé aux aventures errantes de la roulotte en passant près du village d’Hirson, dans le pays de Thiérache (aujourd’hui département de l’Aisne). Un ancêtre de Jean Richepin était du nombre : de romanichel, il devint cultivateur et prit racine au sol. Grâce à lui, son descendant se vantera d’être Touranien. Ni Celte ni Latin, un sang neuf, libre, aventureux, vierge de tous les dépôts de la civilisation, un corps vigoureux, un esprit solide, réfractaire aux mièvreries, aux mélancolies, une philosophie et une morale farouchement matérialistes : tel Jean Richepin s’est proclamé dans ses œuvres.
Il naquit en Algérie le 4 février 1849. Il était fils d’un médecin militaire, et il a écrit :
Fils de Soldat, ayant des tentes pour maisons,
Du temps qu’on guerroyait encore en Algérie,
Mon enfance nomade et libre fut fleurie
D’aventures sans nombre au gré des garnisons,
Et la grand’route est ma véritable patrie.
Bon étudiant, il fut admis à l’École normale supérieure, mais il abandonna bientôt. En 1870, il s’engage dans un corps de francs-tireurs. Après la guerre, outre plusieurs métiers singuliers, il fait du journalisme, collabore au Mot d’Ordre, au Corsaire, publie dans La Vérité un ouvrage en prose, Les Étapes d’un {53} Réfractaire, et commence à faire connaître ses poèmes en les déclamant dans les cafés du quartier latin. En 1873, il joue en personne une petite pièce, L’Étoile, faite en collaboration avec André Gill, et trois ans plus tard il publie en librairie son premier recueil, La Chanson des Gueux.
Poursuite judiciaire : condamnation de l’auteur à un mois de prison, condamnation du livre à perdre deux poèmes et plusieurs passages estimés offensants pour la pudeur publique. Mais la censure ne tue plus en France, et le jugement qui émondait La Chanson des Gueux eut pour principal résultat de désigner à la notoriété cet ouvrage d’un débutant.
L’auteur, ainsi mis en lumière, donna la même année un recueil de contes étranges, Les Morts bizarres, et, en 1877, un nouveau recueil de vers : Les Caresses.
Et puis, lui qui a déjà fait le romanichel, l’hercule forain, etc., il a la fantaisie de s’engager comme matelot à bord d’un navire marchand, et le voilà marin, débardeur. De retour à Paris, il écrit au journal le Gil Blas, lance des romans, La Glu (1881), Miarka, la fille à l’Ourse (1883), fait représenter son drame Nana-Sahib 1883, dont il interprète pendant un mois le premier rôle, publie son recueil Les Blasphèmes (1884), puis encore des romans, le recueil La Mer (1886), inégal, mais où revient, avec une rauque, cynique et magnifique rudesse de tempête et d’argot salés, les souvenirs du matelot qu’il fut. Et il continue à prodiguer les romans, parmi lesquels nous citerons : Truandailles (1890), Flamboche (1895) ; et au théâtre, c’est notamment Le Flibustier, comédie {54} (1888), Par le Glaive, grand drame en vers (1894), Le Chemineau (1897), qui reste son chef-d’œuvre dramatique. En poésie, ses derniers recueils son Mes Paradis (1894) La Bombarde, contes à chanter (1899) Poèmes durant la Guerre (1919).
Jean Richepin est par nature un romantique de l’école d’Hugo. Autant que Banville lui-même, il a la griserie des rimes richement cliquetantes, des solides cadences, des vocables sonores et rares, des rutilantes métaphores ; et il court avec une verve fringuante parmi les joyeuses trouvailles argotiques. Son romantisme est essentiellement pittoresque, tout en dehors, comme un drapeau qui brille et claque au vent. Il n’est pas jusqu’à son ironie qui ne se fasse truculente et lyrique, car il y a, plus même qu’on ne croit, beaucoup d’irone dans Richepin, une ironie à la Villon, à la Rabelais, l’ironie d’un bon vivant qui nargue la misère, l’injustice, et ne s’épargne pas lui-même.
Richepin ne s’embarasse pas beaucoup de psychologie. Venu au moment où le naturalisme était dans l’air, il a pris les gueux, les mendiants, les chemineaux, les révoltés, comme des sujets d’exaltation poétique et de fantaisie lyrique, plutôt que comme des objets d’étude ; car, comme tous les vrais romantiques, ce poète est un subjectif, pour qui ses personnages ne sont guère que des acteurs, qui, sous divers costumes aux couleurs provocantes, ne mettent à la scène qu’un héros, lui-même, c’est-à-dire son tempérament, ses passions, ses aspirations, ses élans, ses caprices, ses attitudes volontiers théâtrales.
{55} Par la suite, son naturalisme est fortement bariolé d’imagination, de littérature. Mais son amour de la liberté ambulante et sans frein, lâchée en bohémienne à travers les vastes espaces, est sincère et fait sa plus sûre originalité. Richepin est un chemineau amateur qui, dans ses pires révoltes, n’oublie jamais qu’il fut normalien, mais qui a mis souvent du cœur, un vrai cœur, dans sa rhétorique. Quant à ses drames en vers, avec quelle maestria ils savent secouer, comme des traînées de feu, les grandes tirades d’éloquence lyrique à la Ruy Blas !
Le recueil le plus caractéristique de Richepin est probablement La Chanson des Gueux. C’est là que sa verve, sa truculence, son lyrisme, matériel et gros, mais si vibrant, se déploie avec le plus de naturel et d’originalité. Le cynisme a une grâce de jeunesse et parfois s’ouvre à une touchante sensibilité. Les Blasphèmes contiennent des poèmes d’une beauté puissante, sauvage, mais aussi une déclamation, une grandiloquence sans mesure, une affectation de brutalité qui tonitrue pour scandaliser le lecteur modéré. Ces injures à la nature, à l’homme, au ciel, à tout, ces fanfaronnades de nihilisme triomphant, ces imprécations et ces mugissements cadencés ressemblent à une ivresse (il eût dit, lui, une ribote) de virtuosité verbale, plutôt qu’à l’expression d’une pensée bien profondément convaincue. Aussi, on n’est pas trop surpris de voir ce chantre de l’athéisme arborer, en tête de son recueil sur la mer, un long poème en l’honneur de la Vierge. Du reste, on ne doute pas de sa sincérité. Mais si l’âme d’Hugo était, comme lui-même {56} l’a dit, un « écho sonore », celle de Richepin mérite encore mieux ce nom. Elle réfléchit les sons en les grossissant, les couleurs en les exaltant. Que cela sonne, rutile, éclate, elle s’enchante à ce jeu.
Avant que le réfractaire touranien ne s’affirmât patriote français ; avant que, se souvenant du franc-tireur de 1870, il n’écrivît, durant la Grande Guerre, d’ardents articles patriotiques, l’Académie avait compris que ce prestigieux versificateur, si discipliné à la rime riche et aux honnêtes rythmes classiques, n’était pas au fond un anarchiste dangereux, et elle lui avait ouvert ses portes sans se faire prier (1908).
Il convient de reconnaître qu’en dépit des plus violentes outrances, l’œuvre de Richepin n’est pas malsaine. En effet, grâce même à ces outrances qui sentent le joyeux tréteau bohémien, on ne s’arrête guère à discuter la philosophie et la morale de l’auteur ; on les considère comme un habit de parade, et l’on ne retient que l’impression mâle et tonifiante qui se dégage de cette poésie flambante, de ces strophes qui exaltent la force, la vigueur, la claire et franche santé, les vastes ailes de l’aventure.
Ecoutez l’auteur des Blasphèmes célébrer la chanson de son sang :
Ô gouttes de mon sang, voilà donc votre histoire
Et les chansons que vous chantez !
Va, sang de mes aïeux, vieux sang blasphématoire.
Sang des gueux, sang des révoltés,
Tes leçons dans mon cœur ne resteront pas vaines,
Dont le flot vagabond aime à jaillir des veines
Pour montrer sa pourpre au soleil !
Je veux aussi, je veux comme vous, mes ancêtres,
Vivre debout sur l’étrier,
Pousser ma charge, et dans la bataille des êtres
Ouvrir mon sillon meurtrier.
Mais, après cette charge échevelée, quand il aura pourfendu Dieu et le diable, que fera-t-il ?
Alors, à ciseler des bijoux de vitrine
J’emploierai mon clair yatagan
On sent bien que cette arme si artiste est moins méchante qu’ele n’en a l’air. Et il n’est pas rare qe Richepin, lorsqu’il parle des gueux, des chemineaux, se fasse tendre, comme dans ce poème : Le Chemin creux :
Le long d'un chemin creux que nul arbre n'égaie,
Un grand champ de blé mûr, plein de soleil, s'endort,
Et le haut du talus, couronné d'une haie,
Est comme un ruban vert qui tient des cheveux d'or.
Ce chemin est très loin du bourg et des grand'routes.
Comme il est mal commode, on ne s'y risque pas.
Et du matin au soir les heures passent toutes
Sans qu'on voie un visage ou qu'on entende un pas.
C'est là que vient le gueux, en bête poursuivie,
Parmi l'âcre senteur des herbes et des blés,
Baigner son corps poudreux et rajeunir sa vie
Dans le repos brûlant de ses sens accablés.
Et quand il dort, le noir vagabond, le maroufle
Aux souliers éculés, aux haillons dégoûtants,
Comme une mère émue et qui retient son souffle
La nature se tait pour qu'il dorme longtemps.
{58}
Richepin peut tour à tour être réaliste et idéaliste, ou les deux à la fois, mais il sera toujours l’adversaire des sentiments compliqués, de l’hésitation, du doute où se paralysent les Hamlets qui pèsent trop subtilement le pour et le contre.
A-t-on remarqué qu’il y a beaucoup de rapport entre la mentalité de ce poète et celle des écrivains (Marinetti, etc.) qui lancèrent en Italie et en France, quelques années avant la guerre, le mouvement appelé Futurisme ? Cette école où se combinaient un esprit révolutionnaire iconoclaste, un autoritarisme intransigeant, un patriotisme fougueux, un matérialisme violemment primitif, tout cela animé par le culte de l’énergie et de la volonté, cette école où l’on peut voir l’ébauche du fascisme italien, a plus d’une ressemblance avec l’œuvre du poète des Blasphèmes et de Par le Glaive.
Février↑
Anonyme, « Une épigramme de
Jean Richepin ? », Mercure
de France, 1er
février 1926, p. 796.
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Une épigramme de Jean Richepin ? — Un catalogue d’autographes a attribué récemment à Jean Richepin l’épigramme manuscrite suivante qui se trouve sur le faux-titre d'un exemplaire des Destins de Sully-Prud’homme :
Cette philosophique lyre,
Nous offre de maigres festins ;
Et le plus triste des Destins,
C’est de les lire.
L’écriture semble bien être celle de Jean Richepin...
Le Fauteuil 24, « Propos de
théâtre », La Semaine
mondaine, 10 février 1926, p. 1.
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Les reprises succèdent aux reprises et si cela continue, on pourra dire que la saison finira mieux qu’elle n’avait été commencée.
Samedi c’était le “ Chemineau ”, le beau drame lyrique de Xavier Leroux, tiré de la superbe pièce de Jean Richepin. Cette œuvre de Leroux, une des plus belles du répertoire français moderne, qui avait paru trop audacieuse à sa création, est maintenant bien compréhensible pour tous ceux qui ont une légère culture musicale, et le gros public, lui-même, l’apprécie volontiers favorablement.
Avril↑
André Fontainas, « Les
Poèmes », Mercure de
France, 1er avril
1926, p. 156
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M. Alexandre Léty-Courbière nous a depuis longtemps accoutumés à ses redondances abondantes. Souvenez-vous ! clame-t-il, et le buccin grave et profond de M. Jean Richepin accourt à la rescousse. Il n’y met, nous assure-t-il, « aucune complaisance » et y a trouvé l’occasion favorable d’affirmer en quelle estime il tient son art, « le premier de tous ». Parbleu ! Mais le musicien ou le peintre ne seraient-ils point admis à dire du leur exactement la même chose ? Si l’on ne croyait pas son art le premier de tous, pourquoi s’y adonnerait-on ? Au surplus, là n’est pas la question. La poésie lyrique est le premier des arts. En résulte-t-il que M. Léty-Courbière ou même M. Jean Richepin soit un grand poète ? M. Richepin, à ses débuts, l’a donné à penser, et il fut assurément, ce qui est fort noble déjà, un vrai et un beau poète. M. Léty-Courbière s’en donne les attitudes, et du poète patriote, et du poète de guerre, mais j’aperçois chez lui plus de grandiloquence à la manière, si l’on veut, de Déroulède, que de puissance, d’enthousiasme entraînant et d’émotion intime à la manière de Hugo ou, parfois et encore, de M. Jean Richepin.
Nicolet, « Les Conférences »,
Le Gaulois, 9 avril
1926, p. 4.
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M. Jean Richepin, de l'Académie, française, présidera samedi prochain après-midi, à la Potinière, la cinquante-sixième séance de l’œuvre des poètes français, au cours de laquelle Mme Aurel dira quelques mots du poète G.-T. Franconi, mort au champ d'honneur. La partie musicale, consacrée aux œuvres de M. Jean Richepin mises en musique, aura comme interprètes Mme Hilda Roosevelt et M. David Devriès de l'Opéra-Comique Mme Simone Breuil, accompagnés par MM. Alexandre Georges, et Tiarko Richepin. Des auditions-poétiques auront lieu avec le concours de Mlle Betty, de MM. Chambreuil, Pierre Bertin, de la Comédie-Française, et de M. Roger Gaillard.
Pinturrichio,
« Anticipations », Le
Carnet de la semaine, 25 avril 1926, p. 10.
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Le dictionnaire est le grand amusement des Académiciens, particulièrement de ceux d’entre eux qui sont d'anciens normaliens. Ainsi, M. Camille Jullian et M. Jean Richepin déjà nommés ne ratent pas une séance de révision du grand Livre de notre langue.
Jeudi dernier, après une séance tumultueuse, au cours de laquelle M. Jean Richepin eût voulu enrichir le dictionnaire d’une acception nouvelle du mot Majoration, le poète des Gueux et l'historien de La Gaule descendaient ensemble l’escalier de l'institut quand ils furent arrêtés par des journalistes.
– Chers maîtres, quelques détails sur la séance d'aujourd'hui....
— Nous n’avons pu augmenter la richesse de majoration, répondirent-ils... et M. Richepin ajouta :
— Les éditeurs pourront quand même continuer à abuser de la majoration trompeuse...
— Cela embête tellement de gens, les tirages à cent mille, insinua un confrère.
— Ce qui n’empêche pas qu'on en annonce chaque jour. Et pourtant Dieu sait si l’on en publie de la prose. Bientôt on ne saura plus où loger tous les livres qui se publient... insinua un second confrère.
Alors, M. Jullian annonça :
— Savez-vous qu’on vient d'inventer le livre microscopique qui contiendra dans un espace restreint ce qui se publie aujourd’hui dans plusieurs in-quarto. Le livre microscopique sera un petit rouleau de celluloïd que l'on déroulera dans un stéthoscope pour en lire le contenu.
M. Richepin écoutait ravi, ce qui fit ajouter à M. Jullian :
— Et l’on annonce mieux encore. Dans quelques années, quand vous ferez un discours, une machine l'enregistrera et l’imprimera illico.
Alors, je ne ferai plus de discours, répliqua le poète-conférencier.
— On vous obligera à en faire.
— Eh bien, répondit M. Richepin, devant la machine extraordinaire je ne prononcerai que des gros mots. Ainsi l’on n’insistera pas.
Le poète de Miarka est resté gavroche. Le temps n'a vraiment pas de prise sur lui
Mai↑
Anonyme, « Esprit d’à-propos »,
Le Carnet de la
semaine, 9 mai 1926, p. 10.
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M. Jean Richepin n’a pas avec l’âge perdu le sourire. Il est l’immortel aussi peu morose que possible.
Ainsi jeudi dernier, tandis qu’il descendait l'escalier de l’institut après la séance du Dictionnaire, un confrère empressé courut à lui pour demander à quoi avait été consacrée la séance académique. Dans sa hâte à saluer l’auteur de la Chanson des gueux, il s’embrouilla et comme il venait de croiser Monseigneur Baudrillart, il demanda à M. Jean Richepin :
— Monseigneur, à quoi...
— Monseigneur... ? répliqua le père de Miarka... Monseigneur... ? Eh bien je vous accorde ma bénédiction et, levant la main droite, il fit le signe rituel, à la grande confusion du confrère dont le visage était devenu aussi pourpre qu’une robe cardinale.
Et les journalistes de l’institut firent un bruyant succès à Monseigneur Richepin, prélat... in partibus.
Le confrère qui l’a ordonné malgré lui n’est pas encore revenu de la sainte tranquillité avec laquelle M. Jean Richepin a exploité son lapsus. Une autre fois il abordera avec moins de précipitation l'auteur de La Glu.
Juin↑
Armory, « L’improvisation de
Jean Richepin », Comœdia, 13 juin 1926, p. 1.
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Droit et portant haut sa belle tête touranienne et chenue, sur une stature toujours splendide — bien qu'il approche aujourd'hui de ses quatre-vingts ans ! — Jean Richepin gravit d'un pas ferme les degrés de l'estrade. Il jette un long regard sur l'assemblée, un autre regard sur la statue, et c'est les yeux visiblement pleins de souvenirs et d'émotion, qu'après avoir salué d'un mot cordial l'initiative de Comœdia, il improvise à peu près en ces termes :
Celle dont nous inaugurons aujourd'hui la statue fut une fée, une fée bienveillante qui apporta à tous ceux qui la connurent la vision des plus belles choses, la notion que les plus hautes chimères de l'esprit étaient en elle réalisées. »
Et, d'une voix forte, se laissant emporter par l'éloquence du cœur, Jean Richepin poursuit en poète une magnifique évocation de celle qui fut son interprète, avec laquelle il joua même la comédie et qu'il accompagna parfois dans ses glorieuses tournées :
– Sarah Bernhardt, dit-il, fut un de ces êtres inouïs qui nous font comprendre que l'idéal est le but que nous devons toujours poursuivre ; que la poésie est la fin suprême de l'homme, qu'il vaudrait mieux ne pas vivre si l'on ne pouvait se donner de toute sa tête et de tout son cœur à l'idéal.
Interrompu par de vifs applaudissements, et comme emporté par la sympathie et l'émotion qui l'entouraient, Jean Richepin, en qui luttent toujours l'orateur et le poète également magnifiques, poursuit :
Mais Sarah Bernhardt ne fut pas seulement une fée, une princesse merveilleuse : elle fut aussi une des plus grandes travailleuses que j'aie connues. Elle savait que le travail est l'ennoblissement de tout, et elle qui aurait pu vivre adulée dans le loisir, s'astreignit toute sa vie à un labeur débordant. Elle ruisselait littéralement d'activité, donnant à tous l'exemple. Je me souviens l'avoir entendue un jour qu'un jeune acteur obligé de recommencer maintes et maintes fois une entrée, lui disait : « Mais à recommencer si souvent, je vais devenir ridicule ».
— Quand on travaille, s'écria Sarah de sa vibrante voix, on n'est jamais ridicule.
Telle fut cette femme miraculeuse, si belle et si grande que ceux qui l'ont connue croient qu'ils ont rêvé et, en effet, c'était bien du rêve qu'elle leur apportait.
Je me souviens encore qu'une nuit, voyageant avec elle en Norvège, comme après une journée de labeur elle sommeillait, nous apprîmes que dans une petite station il y avait là des paysans qui avaient fait, en carriole ou à cheval, plusieurs lieues pour la voir, ne fût-ce qu'un instant. Nul n'osant prendre la responsabilité de la réveiller, je pris, moi, cette responsabilité. Sarah, sans se plaindre, se fit deux brins de beauté avec un peu de poudre de riz, et apparut à la portière, souriante, charmante.
Les paysans qui avaient voyagé toute la nuit pour voir l'enchanteresse se retirèrent heureux. Sarah aussi était heureuse. Elle n'était jamais fatiguée lorsqu'il s'agissait d'accomplir sa mission, qui était de disperser partout de la beauté.
Et maintenant la voilà pour jamais parmi nous, et tous ceux de Paris, tous ceux du vaste monde, tous ceux qui à jamais la connaîtront pourront venir ici perpétuellement recevoir des leçons de grâce, d'harmonie et d'idéal pour lesquels cette fée est venue sur la terre.
Le loup de dentelle, « Jean
Richepin parolier », Comœdia, 28 juin 1926, p. 5.
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Le maître Jean Richepin qui, dans sa jeunesse mouvementée, fut jongleur, puis lutteur et vécut longtemps parmi les romanichels, a conservé pour le music-hall un goût très vif.
Il assiste, tous les vendredis après-midi (dans la seconde avant-scène, à gauche), aux débuts à l'Olympia.
Le directeur de ce music-hall, M. Paul Franck, un véritable artiste, poète et ancien grand mime, l'y reçoit en ami.
L'autre vendredi, entendant l'actuelle vedette du programme chanter une puissante et nostalgique chanson de marin breton, retrouvée dans la collection de Victor Hugo, Jean Richepin rappela qu'il avait écrit pu recueilli dans La Mer un certain nombre de chansons semblables, Son fils, le compositeur Tiarko Richepin, est en train de les harmoniser et nous les entendrons, dit-on, la saison prochaine.
Août↑
Anonyme, « Jean Richepin et
« Le Chemineau » », Comœdia, 7 août 1926, p. 3.
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Aux côtés de Denise Lorys, Henri Baudin, Régine Bouet, principaux protagonistes du Chemineau que réalisent actuellement MM. Monca et Kéroul d'après l'œuvre de Jean Richepin, l'excellent artiste, M. Mevisto, tiendra le rôle de François. M. Jean Richepin, désireux de prouver son intérêt aux réalisateurs de son œuvre et aux interprètes, a écrit à M. Mevisto la lettre suivante que nous sommes heureux de publier :
Cher ami,
Je serai ravi de vous avoir encore comme interprète. Vous serez admirable dans François. Il m'est impossible de donner rendez-vous à MM. Monca et Kéroul, car je vais et viens, prenant mon repos en nomade.
Mais puisque vous connaissez leur travail et l'approuvez si chaudement, je m'en rapporte à vous, ami sur et si bel artiste. Allons-y donc ! J'aurai de la joie à voir le tout réalisé, vous dedans, quand je rentrerai à Paris, Ecrivez-moi vite si ce mot, écrit à la hâte, vous va. Et toujours, n'en doutes pas, ami, toujours bien affectueusement à vous.
Jean RICHEPIN.
Anonyme, « Comment reposez-vous
votre moteur cérébral ? », Le Siècle, 23 août 1926, p. 1.
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Savants, littérateurs, industriels, soldats, hommes politiques, ont la parole. La France est un pays de chefs, et ces chefs obéissent eux-mêmes à leur cerveau, à ce qu'industriels et sportifs appellent leur « moteur intellectuel ». Or, pour qu'un moteur fonctionne bien, il est nécessaire de lui accorder un repos. Ce repos n'est-il pas également impérieux pour l'esprit de tous ceux qui, dans les branches si diverses de notre activité nationale, ont mérité notre admiration ou notre reconnaissance ? Aussi leur avons nous demandé « Comment reposez-vous votre moteur intellectuel ? » Nous avons déjà publié les réponses de MM. Henri Lavedan, Appell, D' de Martel, François de Curel et Cognacq.
M. Jean Richepin de l'Académie Française
Il y a de longues années déjà que M. Jean Richepin, va se reposer chaque année au Val-André, dans les Côtes-du-Nord. C'est de là qu'il nous a envoyé ces mots : — Veuillez excuser le retard et le bref de cette réponse : mais je suis ici occupé entièrement à ne rien faire du tout, du tout, ce qui est pour moi le meilleur repos du moteur en question. Et voilà. Arrêt complet du moteur. Mais est-il bien arrêté ?...
Septembre↑
Anonyme, « M. Jean Richepin
gravement malade », Le
Petit Journal, 16 septembre 1926, p. 1.
Les amis des lettres ont appris avec peine, hier, dans la soirée, une nouvelle suivant laquelle M. Jean Richepin était gravement souffrant. On exprimait de fortes craintes, dans l'entourage de l'illustre académicien, le chantre magnifique de La Mer, le vigoureux aède de La Chanson des Gueux, sur l'issue de la maladie qui vient de le frapper.
Anonyme, « Jean Richepin nous
télégraphie lui-même qu’il va très bien », L’Œuvre, 17 septembre 1926,
p. 1.
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Des nouvelles alarmantes ont couru, depuis deux jours, au sujet de la santé du maître Jean Richepin. Ce n'étaient heureusement que de faux bruits et nous pouvons rassurer complètement tous les admirateurs du grand poète, qui vient de nous adresser lui-même ce télégramme :
Val-André, 16 septembre.
Nouvelles absolument inexactes. Je suis en santé parfaite, dans notre délicieux Val-André, paradis d'où je vous envoie de cordiales poignées de mains — dont l'une pleine de figues..
JEAN RICHEPIN.
Jacques Patin, « Choix de
poésies de Jean Richepin », Le Figaro, 25 septembre 1926,
p. 6.
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L'auteur de ce florilège a dû être bien embarrassé pour le composer. Faire tenir en un seul volume le meilleur et le plus caractéristique de l'œuvre nombreuse, touffue, claironnante et colorée du grand poète Jean Richepin n'était certes pas chose aisée. Pourquoi choisir plutôt telle pièce que telle autre ? Chacune a son éclat, son rythme, sa musique ; il n'en est pas une qui soit indifférente et qui ne semble spontanément jaillie du fond de l'être, qui ne soit un cri involontaire du cœur, de l'esprit ou des sens. Le choix de poésie que publie l'éditeur Fasquelle n'en est pas moins une synthèse exacte et complète de l'œuvre poétique de Jean Richepin. On trouve dans ce volume toutes les faces de son talent, une place égale et juste est faite à chacun des livres qui ont assis sa renommée. C'est d'abord la Chanson des Gueux qui, du jour au lendemain, rendait célèbre le jeune normalien en rupture de classique ; ce sont les voluptueuses Caresses, chant d'amour aux juvéniles ardeurs ; ce sont ces éloquents Blasphèmes qui, sous leurs violences romantiques, cachent un si vibrant appel à l'infini ; c'est la Mer, toute la mer, tour à tour furieuse et câline, sombre et miroitante, chantée par un matelot qui serait un grand aède ; ce sont Mes paradis, poèmes de la maturité, où la raison s'unit à la bonté ; c'est la Bombarde, charmant recueil de chan sons fleurant bon le terroir, ce sont enfin les Poèmes durant la guerre et les Glas, vibrants d'héroïsme, de pitié, de douleur et d'indéfectible espoir en des temps meilleurs, dont les derniers vers de l'ode Pour nos poilus résument la généreuse pensée :
Courage ! Et sur vos fronts vont fleurir les lauriers,
Plus splendides que ceux des plus fameux guerriers.
Vous dont le pur roman rendra le leur vulgaire ;
Car ce que vous aurez tué, vous, c'est la Guerre !
Octobre↑
Marc Varenne, « Jean Richepin,
choix de poésies », Le
Gaulois, 6 octobre 1926, p. 6.
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Elle est loin l'époque où, dans les milieux littéraires, on se demandait avec une certaine anxiété s’il fallait compter M. Jean Richepin au nombre des classiques ou au nombre des romantiques. Le poète de La Chanson des Gueux qui, je crois, s'est toujours moqué de ce souci un peu puéril des classifications, s'est contenté d'avoir du talent, et voilà, semble-t-il, la seule réponse à faire à ceux qui s'inquiétaient de l'étiquette à coller sur l'œuvre, de M. Jean Richepin. Lettré admirable (il suffit pour s'en convaincre de lire la série de ses conférences sur le théâtre grec, sur Shakespeare, ou sur Victor Hugo), M. Jean Richepin possède à fond la technique du vers : c'est un maître ouvrier, c'est aussi un virtuose, et nul n'a jamais refusé de lui reconnaître cette ampleur, ce souffle qui lui ont permis, à diverses reprises, d'atteindre sans effort les plus hauts sommets du lyrisme.
M. Jean Richepin – qui l'en blâmerait ? – tient à sa légende. Vous souvenez-vous lorsqu'il déclarait être d'origine touranienne ?
J'ai les os fins, la peau jaune, les yeux de cuivre...
Il n'abandonne pas cette idée, et dans la dernière page de son choix de poèmes, il nous confie que, grâce à un parchemin datant du seizième siècle, il sait qu'il est « d'erratique extrace ». Nous le savions déjà ; mais ce qu'il importe de ne point ignorer, c'est que celui qui a célébré en termes si puissants les mystères de la, mer, qui a trouvé des accents émouvants pour nous dire la, misère des « pauvres gueux lamentables » et qui n'a pas hésité, dans Les Caresses, à chanter la beauté éternelle de l'amour, celui-là est un grand poète.
Novembre↑
Anonyme, « Cinquantenaire du
Petit Provençal »,
Le Petit Provençal,
30 novembre 1926, p. 3.
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Nos Rédacteurs
Dès ses débuts, ce journal a trouvé de précieux collaborateurs grâce auxquels il a pu mener hardiment et utilement le bon combat.
Nous avons dit que Clovis Hugues avait été son premier rédacteur en chef. Parmi ses successeurs dans ces fonctions figura le glorieux poète Jean Richepin, qui n'a certes pas oublié ces temps lointains de sa jeunesse militante. Et le souvenir de sa collaboration reste l'orgueil de notre maison.
Décembre↑
Baude de Morceley « Courrier de
Paris », La Revue
diplomatique, décembre 1926, p.4-5.
L’Art et la Littérature sont en deuil : Claude Monet et Jean Richepin sont morts. Le premier fut le grand maître de l’impressionnisme.
Grisé de lumière, il vit et peint parmi les fleurs ; puis, c’est la mer qui l’attire et le retient, puis, il revient aux fleurs, se passionne ensuite pour les Cathédrales, qu’il nous montre, le matin, l’après-midi, et le soir, au crépuscule. Un de nos critiques les mieux avertis, M. Arsène Alexandre, écrit : « Monet a incontestablement conquis avec la couleur tout ce qui peut se conquérir de fugitif ».
Je me rappelle le premier manifeste des peintres impressionnistes : c’était rue Le Peletier, en 1878. Ils étaient à peine connus, et pour se faire connaître, ils battaient la caisse, ils tambourinaient, faisaient le plus de bruit possible. Je n’ai qu’à me recueillir un instant pour voir passer, dans le lointain des choses qui ne sont plus, les ombres de Sisley, de Guilemet, de Degas, de Renouard, de Manet, de Caillebotte – le peintre des locomotives ; puis, plus tard, de Pissaro, de Cézanne – dont on se moquait, et qui moururent illustres. C’était le temps où notre grand Puvis de Chavannes faisait rire les peintres de l’Institut en se faisant refuser au Salon officiel son Pauvre pêcheur : un personnage étique, debout sur une pauvre barque, à proximité d’une rive déserte, où se dressait un arbre dépouillé de ses feuilles, squelettique. Ce tableau, si triste, crie misère, et MM. les Jurés le dédaignent et passent. Mais il doit être au Louvre aujourd’hui.
[…]
Et c’est Jean Richepin qui nous quitte, rapidement fauché par la mort. Jean Richepin, dont la Grèce et les Romains de l’Antiquité eussent fait un dieu ; lui qui, chez nous, représentait, en énergie et en beauté, le Travail et la Pensée, le voilà parti, tandis qu’il aurait pu durer encore des années, libre et vaillant, sans aucune infirmité. « Alerte et droit » comme disaient ses camarades de l’Académie française.
Je l’ai connu en 1877 – au début de sa carrière glorieuse – peu de temps après le vacarme splendide de La Chanson des Gueux. Il était le roi du Quartier Latin. On venait de la rive droite au Café de Médicis – là-bas, là-bas, tout près du Luxembourg – pour admirer sa tête de Lucius Verus, son « torse d’écuyer » et ses gilets de velours rouge, copiés sur celui que {5} portait Théophile Gautier à la première représentation d’Hernani. Il était superbe et radieux, entouré joyeusement, inséparablement de Raoul Ponchon et des frères Bouchor : Maurice et Félix. De belles filles leur servaient à boire, le cœur sur la main. C’était le temps où les brasseries de la Rive gauche n’employaient que du personnel féminin pour servir et satisfaire la jeunesse amoureuse et bruyante.
Je vis Richepin pour la première fois, dans les bureaux de La République des Lettres, que dirigeait Catulle Mendès, sous le haut patronage du père Hugo ; il était accompagné de Raoul Ponchon et de Paul Bourget. C’est là que nous fîmes connaissance ; et nous nous retrouvâmes plus tard et souventes fois, chez Nina de Villard, dont le salon était ouvert à tous les poètes comme à tous les artistes. Il y joua, certain soir, une comédie en un acte, qui eut un fameux succès. Nina avait lancé des invitations pompeuses et retentissantes. On y rencontra la princesse Ratazzi, née Bonaparte-Wyse – qui devint plus tard Madame de Rute – et celle-ci nous annonça la présence prochaine de la reine Isabelle d’Espagne et de Tony Révillon – mais ce couple attendu ne parut point.
Roger Valbelle « Jean Richepin
est mort hier matin, il aurait eu 78 ans le 9 février prochain »,
Excelsior, 13
décembre 1926, p. 1-3.
AVEC L'AUTEUR DE LA " CHANSON DES GUEUX " DISPARAIT L'UNE DES DERNIERES FIGURES PITTORESQUES DES LETTRES
Ce "révolté" finit académicien et commandeur de la Légion d'honneur.
QUELQUES-UNS DES ASPECTS LES PLUS CARACTERISTIQUES DE JEAN RICHEPIN
1. Jean Richepin, jeune, en tenue de chasseur. ; 2. vers la trentaine ; 3. sur le seuil de son hôtel, au temps du « Chemineau » en 1897 ; 4. au travail, dans son cabinet, en 1910 5. en avril 1914, pendant la campagne électorale, M. Jean Richepin, ayant son fils Jacques près de lui, brandit le mouchoir taché de sang d'un de ses partisans, blessé dans une bagarre ; 6. dans son cabinet de travail, en 1921, (Phot. Le Cadre, Nadar, Harlingue et Excelsior.)
M JEAN RICHEPIN est mort, hier matin, à 6 heures, dans son hôtel, particulier de la villa Guibert, à Passy. Il y a huit jours, il avait pris froid dans un théâtre, pendant que l'on prenait sa photographie pour la mettre en tête du film tiré du Chemineau. Une bronchite se déclara, puis une congestion.
Le mal fit des progrès rapides et quatre
jours plus tard, le poète entrait dans le coma. Il s'est éteint au
milieu des siens, après être resté sans connaissance pendant
quarante- huit heures.
Il était né en 1849, à Médéah, où son
père, médecin militaire, tenait garnison ; mais sa famille était
originaire de la Thiérache, dont la capitale, Hirson, connut au
dix-septième siècle un Richepin ménétrier.
{3}
LA MORT DU POÈTE DES GUEUX
Enfant, il suivit son père d'une garnison à
l'autre et fit ses premières études à Vanves, comme enfant
de
troupe. Il les continua jusqu'à l'Ecole normale supérieure, en
passant par un petit cours — le cours
Lucron -— où il fit ses
débuts d'auteur et de poète qui récite ses vers pour la première
fois.
C'est à l'Ecole Normale, où il entre en
1868, qu'il commença les premières pièces de la Chanson des
Gueux dont on
connaît l'étrange fortune. Elles valurent à leur auteur des
poursuites, une condamnation à 500 francs d'amende et à trente
jours de prison, un séjour d'un mois à Sainte-Pélagie et la
célébrité du jour au lendemain. Qui eût prédit, à cette époque,
que le « rhétoricien révolté contre les lois et la morale et
contre la modestie du goût classique, - mais classique lui-même
jusqu’aux moelles » entrerait un jour à l'Académie et serait
commandeur de la Légion d'honneur, aurait fait douter
de
l'équilibre de ses facultés.
« Vous trouverez dans la Chanson des gueux,
écrit l'académicien Jules Lemaître, parmi les tableaux crapuleux,
au milieu des couplets d'infâme argot, où les rimes sonnent comme
des hoquets d'ivrogne, de petites pièces qui fleurent,
l'anthologie grecque, ce parfum sauva cet
auteur.
Ce qu'on pouvait reprocher à ses débuts,
c'était le goût « du rare, de l'énorme », le parti pris d'étonner
dans sa vie et dans son œuvre, et il persévéra dans la sincérité
d'une note excessive en publiant les Blasphèmes. Il ne pouvait aller plus
loin que pour accueillir de plus vastes sujets d'inspiration
lyrique. Il
se tourna alors vers les spectacles éternels et
publia la Mer en
1886. Mes Paradis en
1894 étaient dans la plénitude et la sérénité ce qu'avaient été
les Blasphèmes dans
l'âpreté et l’excès même. La Bombarde (1899) était la moisson
harmonieuse de l'imagination passant d'un thème à l'autre et du
« conte à chanter » à la chanson populaire.
L'œuvre théâtrale
Jean Richepin aborda le théâtre en 1873
avec l'Etoile, à
laquelle André Gill collabora et qui fut jouée au théâtre de La
Tour-d'Auvergne.
Il donna quelque dix ans plus tard, Nana-Sahib à la Porte-Saint-Martin, après une traduction littérale de Macbeth et, au principal, à la Comédie-Française : Monsieur Scapin, le Flibustier, Par le Glaive, Vers la joie, la Martyre ; à l'Odéon, le Chemineau, qui fut son plus grand succès dramatique, à l'Opéra, le Mage, avec Massenet; à l'Opéra-Comique, le Chemineau, Miarka, avec Xavier Leroux et Alexandre Georges ; ici et là, la Martyre, les Truands, Don Quichotte, et en 1906, en collaboration avec Henri Cain, la Belle au bois dormant.
Son œuvre en prose commença avec les Etapes d'un
réfractaire : Jules Vallès. Elle fut, abondante avec Madame André, les Morts bizarres, écrits à
Sainte-Pélagie (1876) la
Glu, dont la pièce fut tirée : Miarka, la fille à l'ourse, le Pavé, Braves Gens, Césarine, le Cadet, Truandailles, la Miseloque,
etc.
Interludes
En 1922, il publiait,
les Glas, poèmes dont
quelques-uns avaient, attendu vingt-trois ans et, en 1923,
Interludes, son chant du
cygne.
En 1923, il entreprit d'écrire ses
mémoires, et il est si difficile de résumer sa vie que lui-même
choisit pour titre : Toutes mes vies. C'est que le poète,
que l'Académie reçut en 1909 et qui disait avoir du sang bohémien
dans les veines, a exercé, de la sortie de l'Ecole Normale à sa
fin, mille métiers : tour à tour marin, bédouin, portefaix ou
débardeur, commensal des rois, charmeur de reines de théâtre,
suiveur de cirques ambulants, professeur libre, acteur, soldat -
il suivit l'armée de Bourbaki comme franc-tireur et fit le coup de
feu aux avants-postes, — journaliste, conférencier... et, il en
manque. On se souvient qu'il fut même, en 1914, candidat aux
élections législatives.
En 1924, il recevait le Grand Prix Osiris de poésie. Poète, c'est ce qu'il fut toute sa vie, s'enchantant de toutes les impressions, de tous les rythmes et de tous les mots, car il avait, avec le culte du verbe, l'amour des mots qui le composent :
Ces mots qui disent tout, labeur, vœux, peine, joie,
Rêves, mots pour agir, pleurer, rire, prier,
Verbe du paysan, verbe de l’ouvrier
Du soldat, du marin, du gueux, fontaine claire
Où vient boire en dansant la chanson populaire !
Rappelons, en terminant, que Jean
Richepin s'était un jour laissé tenter par la politique. En 1914,
il fut candidat républicain de gauche dans la circonscription de
Vervins, contre le député sortant, M. Ceccaldi, radical
socialiste. Le poète fut battu, n'ayant recueilli que 5.383 voix
alors que 7.718 allaient à son concurrent. Mais il avait connu,
sur d'autres scènes, assez de succès pour se consoler de cet
échec, d'ailleurs fort honorable, si l'on considère qu'il
s'agissait d'un début. — Roger Valbelle.
LES CONDOLÉANCES
Dès la nouvelle de la mort de M. Jean
Richepin, le président de la République a chargé un officier de sa
maison militaire, le colonel Jules Michel, de porter ses
condoléances personnelles à la famille de l'illustre
académicien.
Au cours de la soirée, sont venus
s'inscrire les membres de l'Académie française, plusieurs
ministres et généraux, ainsi qu'un très grand nombre de
personnalités du monde des arts et des lettres.
Collectif, « Jean Richepin est
mort », Comœdia, 13
décembre 1926, p. 1.
René Fuchon, « L’Adieu au
poète »
Il était le dernier survivant du Romantisme intégral, de celui qui s'incarnait non seulement dans les œuvres, où le tumulte verbal, l'abondance métaphorique et l'excès sentimental dominent, parfois jusqu'à les éclipser, les vertus authentiques du style et de la pensée, mais dans la vie quotidienne, les paroles coutumières et les gestes ordinaires.
Tout enfant, sa légende m'éblouit. Chez mes parents, son nom passait avec celui de Sarah Bernhardt dans les conversations. Il y symbolisait la poésie, telle que le peuple la comprend encore, c'est-à-dire une sorte de folie musicale et généreuse dont l'expression émeut et procure aux moins doués la sensation que leur cœur s'élargit et que leur esprit s'est élevé, quelques instants.
Quand j'arrivai à Paris, vers 1896, je
n'avais, dans ma petite valise, pour toute bibliothèque, qu'un
livre de messe et qu'un exemplaire, fatigué par mille lectures,
de La Chanson
des
Gueux, que j'aurais pu réciter, à peu près, par
cœur. Et je n'oublierai jamais l'émotion quasi panique qui me
saisit peu de temps après, en apercevant, au moment qu'il
sortait de la Comédie-Française, où l'on allait donner, quelques
jours plus tard, La
Martyre, la haute silhouette touranienne du poète que
flanquaient superbement Mounet-Sully et Paul Mounet, ses
interprètes, alors encore dans tout le donnant éclat de leur
mâle beauté sculpturale.
Lorsque je fis jouer La Fille de Pilate, je reçus, sur une carte, quelques mots affectueusement confraternels du poète que j'avais tant admiré dans mon enfance et dès lors au hasard des rencontres, nous causâmes.
L'âge n'avait pas eu de prise sur son enthousiasme. Jusqu'en ces temps derniers, où je le vis encore quelquefois, le vendredi, aux matinées d'un music-hall, il gardait, tout en appréciant en amateur les périlleux exploits des acrobates, les reins cambrés, la tête haute, le visage ardent, cette chaude sympathie avec toutes les choses de l'art et de la vie qui est le signe souverain de la jeunesse.
***
Ne méditait-il pas encore récemment un grand poème métaphysique où il se proposait d'élucider les relations de l'homme et du divin ?
Il m'en avait, tout en caressant dans sa loge, de sa belle main, le front de mes enfants, au son d'un jazz proche, exposé les grandes lignes ; et la subtilité de sa dialectique égalait la hardiesse de ses conceptions philosophiques.
Antoine, en l'invitant jadis à faire à l'Odéon une série de conférences sur le Romantisme, nous avait donné l'occasion de découvrir en Jean Richepin un orateur prestigieux que personne, jusqu'alors, n'avait soupçonné.
Sa grandiloquence naturelle troublait les plus sceptiques et déchaînait finalement l'enthousiasme de tous ses auditeurs.
Je l'ai entendu à l'inauguration du
monument consacré à Sardou, place de la Madeleine.
Des
ouvriers, des employés, des mi- dinettes, massés sur un
terre-plein voisin, se régalèrent des anecdotes qu'il improvisa
alors et du portrait truculent et malicieux qu'il traça du démon
dramatique qu'était l'auteur de Thermidor, et de Nos bons
villageois.
Il était populaire à la façon de Mendès et de Coppée, ses amis et ses émules ; et il jouissait avec noblesse et bonhomie de l'admiration que soulevaient à son passage le souvenir de ses grands succès et sa virile beauté que les années avaient solennisée sans la diminuer.
D'autres, dont c'est la fonction,
étudieront son œuvre dans le détail, exposeront ce qui, dans sa
masse, a le plus de chance de braver le temps, et distingueront
entre ce qui fut en elle rhétorique et réelle inspiration
poétique.
Ici, je veux, simplement, dire un salut très respectueusement ému au poète qui commanda le dernier carré de la bataille romantique.
Au ciel de l'art, où il n'est plus question d'écoles, sous le sceptre du grand Chemineau grec, il a pris sa place maintenant. Le père Hugo l'a accueilli comme l'un de ses fils. De loin, certainement, Villon et Rutebeuf lui ont fait un petit signe. Et je suis sûr que l'ombre preste d'Edmond Rostand s'est approchée de l'ombre nouvelle et, s'inclinant avec grâce, a murmuré :
« Vous voici. Maître. »
René Fuchon
Marius Boisson « L'Homme et
son Œuvre »
Né en 1849 à Médéah, Jean Richepin était
le fils d'un médecin militaire. Il fit ses dernières études dans
un petit pensionnat de Lyon, où son père tenait garnison ; puis
entra à l'Ecole Normale, il y délaissa les cours pour la
bibliothèque, où il dévora, pendant deux ans, tous les livres
qui lui tombaient sous la main. Après quoi, voulant faire de la
littérature et désavoué de la famille, il engagea la bataille en
pleine
bohème,
Son premier ouvrage, paru en 1872, est
Les Etapes d'un réfractaire, où il étudie un peu sévèrement
Jules Vallès, du haut de ses vingt-trois ans : « Nous croyons
qu'il y a lieu de noter en lui quelques instincts mauvais, et
qu'il aurait pu, à force d'énergie vers le bien, changer en
quelque sorte la direction de sa vie. » Ce petit livre est du
reste dédié aux réfractaires et à leurs amis.
Le jeune dieu….
Richepin était alors ce qu'il fut longtemps : ardemment sensuel et matérialiste, aveuglément païen, beau garçon, beau mâle, le teint foncé, cuivré, la tignasse opulente, face de jeune dieu robuste, puissant d'encolure, le front haut, le regard droit et fier.
Bien qu'il eût fait la guerre de 70 dans les francs-tireurs, et en dépit de sa juvénile morale à Vallès, il se rattachait aux individualistes de l'anarchie inopérante, méprisante, aux libertaires aristocrates. On le comprit aussitôt qu'il eut publié La Chanson des Gueux (1876). Murger et ses camarades et imitateurs avaient chanté la bohème des garnis ; Richepin s'appropria magnifiquement la bohème de la route. Il avait du reste la nostalgie de la caravane, une sympathie instinctive pour les avaleurs de sabre, les porteurs de gros poids, les lutteurs aux biceps impressionnants, les marins fougueux, les chemineaux forts en gueule. Il méprisait le coquin des villes, le fanandel sédentaire, l'homme des bouges, et clamait son amour des conquérants de la route, du sillon du sillage, des nomades indépendants, des « marcheurs » en quête d'inconnu, les frères et les sujets du poète.
Le poète est le roi des gueux
dit-il dans sa célèbre ballade. De fait, dans un moment de détresse morale et de gêne monétaire, il s'était fait embaucher sur un brick.
La Chanson des Gueux.
La Chanson des Gueux fut poursuivie par le ministère public, et le 15 juillet 1876, Richepin était condamné par défaut, en 98e chambre correctionnelle de la Seine, à un mois de prison et 500 francs d'amende ; son éditeur et l'imprimeur du livre ramassèrent dans la distribution 500 francs d'amende. Ils firent tous trois opposition et le jugement fut confirmé.
Un critique avait dit de La Chanson des Gueux : « Ce livre est non seulement un mauvais livre, mais encore une mauvaise action ». Dans la préface d'une réédition, le poète défendit son œuvre : « Mon livre excite-t-il à la débauche, au vice au crime ? Voilà ce qu'il fallait démontrer. Or, je nie qu'on puisse le faire. »
Pourtant La Chanson des Gueux contenait plusieurs appels à la revendication sociale, à la justice sommaire par l'incendie :
Ouvrez, ouvrez la porte,
Aux petiots qu'ont un briquet.
Les petiots grincent des dents,
Ohé ! les durs d'oreille !
Nous verrons là-dedans,
Bonnes gens,
Si le feu vous réveille !
Et ailleurs, cette scène de Jacquerie :
Les feux que nous avons boutés
Au pied des donjons redoutés,
Crépitent dans l'ombre. Ecoutez !
Flambez, castels et châtelains !
Nous prendrons, quand nous serons las,
Leurs cadavres pour matelas !
Mais le jeune poète ne cédait pas qu'à l'emportement, à la révolte, conséquence de misères que personne ne conteste ; il exaltait aussi la vie, les semailles, la sève puissante, les moissons victorieuses, la force épanouie, l'euphorie musculaire, l'étirement satisfait, l'amour sensuel enfin. Peu d'émotion, mais beaucoup d'enthousiasme ; un verbalisme retentissant, des effets oratoires fort réussis, une grande science rhétoricienne, et souvent aussi le lyrisme de bonne source naturelle, allié au plus prestigieux métier romantique. Richepin avait du souffle, de la richesse d'expression et d'images. Au surplus, nourri de grec et de latin, se servant d'une langue belle et solide, gardant classés dans son cerveau des vocables rares, sonores ou colorés.
Son œuvre.
Mais revenons à l'œuvre du grand poète. Cette œuvre est une forêt. Après La Chanson des Gueux, il publia successivement : L'Etoile, Les Blasphèmes, Les Caresses, La Glu, Madame André, Miarka, la fille à l'Ours, Les Morts bizarres, Nana Sahib, drame en vers, que Richepin joua lui-même en 1883, aux côtés de Sarah Bernhardt, Le Pavé, Quatre petits romans, Sappho, Sophie Monnier Braves gens, Le Cadet, Césarine, La Mer, Truandailles, L'Aimé. La Bombarde, Contes de la décadence romaine, Les débuts de César Borgia, Flamboche, Les grandes amoureuses, La Miseloque, Mes Paradis, Les litanies de la mer. La Gitane, Contes espagnols, Paysages et coins de rue, Lagibasse, L'Aile, L'âme américaine, La Clique (1915-1916)), Contes sans morale. Le Coin des fous, Proses de guerre ; ses derniers recueils de poèmes sont : Poèmes durant la guerre, Interludes, Les Glas.
On a publié dernièrement un choix bien
fait de ses poésies. Deux œuvres dominent cet immense
travail : La Chanson des
Gueux et Le
Chemineau, qui est le grand succès de Richepin à la scène.
Ses autres œuvres théâtrales, outre Nana-Sahib, sont Monsieur Scapin, trois actes en vers
joués à la Comédie-Française en 1886. une traduction de Macbeth, Le Chemineau 5 actes en
vers.
Le
Flibustier, 3 actes en vers (Comédie-actes (1889); Le Mage,
opéra (1891), Par le Glaive, 5 actes en vers.
(Comédie-Française. 1892) ; Vers la joie, 5 actes en vers,
(Comédie-Francaise, 1894) : Les Truands, 5 actes en vers (1899)
; La Martyre, 5
actes en vers ; Don Quichotte. huit tableaux en vers.
(Comédie-Française. 1905) ; Falstaff, 5 actes en vers. La Belle
au bois dormant (avec Henri Cain), créée au Théâtre
Sarah-Bernhardt en 1907 ; La route d'émeraude. d'après Eugène
Demolder, (Vaudeville. 1008). un Théâtre chimérique, etc.,
etc.
Maître diseur de vers et parleur incomparable, Jean Richepin eut de grands succès de conférencier et d'orateur. Resté beau vieillard, solide et sain, il travaillait sans relâche, portant ici et là sa parole chaude et convaincante, bataillant sans cesse pour la poésie, pour sa foi en l'impérissable beauté. Il publiait en ce moment même ses Souvenirs dans la Revue de France. La mort a engagé la lutte avec un héroïque adversaire. Aujourd'hui une pièce des Blasphèmes hante notre mémoire.
Que de fois, dans les champs déserts, sur les rivages,
La nuit, ai-je entendu, frénétique et joyeux,
Des galops enragés, des musiques sauvages
Qui versaient dans mon cœur le cœur de mes aïeux.
Et je les rentrât, ces chansons de voyages,
Pleines d'orgueil farouche et d'appétit brutal, parlant de liberté, de meurtres, de pillages,
Sur des rythmes criards aux rimes de métal.
Tant mieux si ces chansons, âpres, aigres, pareilles
A des hennissements parmi des bruits d'essieu,
Font grincer la mâchoire et saigner les oreilles
Aux fils des Aryas, ces inventeurs de Dieu…
Depuis longtemps déjà — depuis au moins
son élection à l'Académie française
— Jean Richepin avait
fait taire ses colères, et relégué l'appareil romantique de ses
débuts, le spermatozoïde aveugle, les amants s'unissant selon le
calendrier républicain, les chemineaux rébarbatifs et l'enfance
incendiaire. Au reste, ce blasphémateur n'avait point attaqué
les dogmes, n'avait jamais engagé de polémique spécialement
anticléricale. Avant jeté son cri vers le ciel muet,
sauvagement, comme un homme brutal et sincère, il se reposait,
non vaincu mais apaisé, goûtant la beauté pure.
La jeunesse a moderne », qui le connaissait peu, découvrira plus tard ce maître du verbe, ce poète éperdu, qui maniait l'ample alexandrin comme un charmeur de serpents. Pour nous, qui pleurons l'un des plus parfaits ouvriers de notre langue, nous songeons à sa nostalgie migratrice, à son amour des espaces et des sommets, à ce « là-bas » qu'il évoqua dans la chanson de la Vougne :
Que cherches-tu ? Tu n'en sais rien.
Ce que je cherche, je ne sais pas.
Tu roules et je roule. Qu'importe
Où nous allons, si c'est là-bas.
Là-bas, le grand refuge où il nous précède
et où nous atterrirons tous.
Marius Boisson
Anonyme, « Les derniers
moments »
La villa Guibert. Une impasse bordée de coquettes demeures, que fleurissent des jardinets ; c'est dans l'une d'elles qu'habitait Jean Richepin. De la lumière à la porte vitrée. M. Jacques Richepin est là.
Il a la bonté de nous conduire lui-même auprès du lit de son père.
— Il est mort ce matin, entouré de nous tous, sans trop souffrir en gardant sa pleine lucidité ; il avait pris froid, voilà quelques jours, dans un studio où il était allé à Boulogne où l'on tourne Le Chemineau. Il revint, s'alita, il eut une si forte fièvre que le cœur ne put résister... il est mort comme il le désirait, vite, entouré de ses enfants, de Mme Cora-Laparcerie-Richepin, et sans qu'aucune infirmité ait eu le temps de l'affliger.
Nous voici dans la chambre de Jean
Richepin. Le poète repose dans la blancheur d'un petit lit. On
l'a revêtu d'une chemise de soirée au plastron amidonné et qui
brille. La petite cravate noire apparaît sous le faux col. Jean
Richepin a les mains croisées, son visage calme et pâle où la
petite barbe et la moustache légendaires semblent encore
folâtres, demeure tel que nous l'avons toujours connu, et
tristement nous l'évoquons aux heures où la vie, une vie
débordante et joyeuse l’animait, nous revoyons cette tête fière
et fine se dresser et de ces lèvres, maintenant muettes à
jamais, la parole jaillir, colorée, chaude, pittoresque, toute
pétillante d'esprit, avec un son romantique. Dans cette chambre
rien qui attriste.
Les lumières électriques sont allumées.
Il y a des fleurs dans les vases, des roses rouges. Cela reste
coquet et élégant., Jean Richepin, jusque dans la mort, semble
vouloir que tout garde autour de lui la belle humeur qu'il
avait, la gaîté énergique. Toutes ces choses pleurent, mais
elles cachent leurs larmes, à l'exemple du maître qui les
dissimulait sous un inoubliable sourire.
Jean Richepin n'est plus...
En repartant, dans l'escalier, nous
croisons Mme Rosemonde Gérard et M Maurice Rostand, dont Jean
Richepin était le parrain.
Un registre est dans l'entrée. Il est
déjà couvert de signatures. Le président de la République s'est
fait inscrire, et M. Jules Michel, secrétaire général de
l'Elysée, a présenté ses condoléances. Les noms les plus
illustres entourent celui du chef de l'État. L’Intransigeant demande que des
« honneurs officiels » soient rendus à la dépouille mortelle de
cet ardent poète, membre de l'Académie française, commandeur de
la Légion d'honneur.
Comœdia, qui s'honore d'avoir publié de nombreux articles du maître disparu, s'unit à ce vœu avec toute la piété du souvenir.
Les obsèques.
Les obsèques de Jean Richepin auront lieu jeudi, à 10 heures. La cérémonie aura lieu à l'église Saint-Honoré d'Eylau.
« Une lettre de Jean
Richepin »
Il, y a quelques jours à peine, à
notre confrère G. Millandy qui sollicitait son concours pour le
Théâtre de la Chanson, dans la Salle Comœdia, Jean Richepin,
déjà malade, répondait par cet affectueux billet où l'auteur de
La Glu ne cache pas son amour pour la petite muse :
Tous mes regrets, cher confrère, de ne
pouvoir être des vôtres demain soir ; mais, si profond et vif
que soit mon amour pour la chanson, notre gentille et splendide
maman, même à son appel, je ne sors plus après le coucher du
soleil ! Agréez, je vous prie, mes excuses et l'expression, cher
confrère, à nos amis et à vous, de mes bien cordiaux sentiments.
Jean RICHEPIN.
Collectif, « Jean Richepin est
mort », L’Œuvre, 13
décembre 1926, p. 1-2.
Jean Richepin est mort. Il a succombé hier matin, à 6 heures, des suites d'un refroidissement qui avait dégénéré en grippe. Pendant plusieurs jours, malgré ses soixante-dix-sept ans, il avait lutté, avec toute la force de vie qui était en lui, contre le mal, qui a fini par triompher. Il s'est éteint entouré de tous ceux qu'il aimait, de Mme Jean Richepin, sa femme, de Mme Cora Laparcerie, sa belle-fille, de ses fils Jacques, Tiarko, Jean-Pierre et Jean-Loup, jeune peintre au talent vigoureux, de son petit-fils François, de sa petite-fille Jacqueline et de son vieux et fidèle compagnon Raoul Ponchon.
M. Jules Michel, secrétaire général de l'Elysée, est venu, dans le courant de la matinée, présenter à la famille de Jean Richepin les condoléances du président de la République.
Les obsèques du grand poète, auront lieu vraisemblablement mercredi prochain.
André Billy, « Le poète et le
romancier »
Il était de force à ne pas mourir. Hélas, la poésie française pleure un de ceux qui l'ont le plus passionnément aimée et servie.
Picard par son père, beauceron par sa mère, né à Médéah, le 14 février 1849, il fut, dirait-on, comme marqué dès le berceau pour une destinée insolite : ce fut un ancien zouave qui le baptisa. Son père était médecin militaire. Après un séjour à Belleville avec sa mère pendant la guerre de Crimée, l'enfant suivit, de garnison en garnison, les déplacements paternels. Plus tard, il prétendit descendre de race touranienne, d' « erratique extrace », et l’on en riait un peu. Je me demande pourquoi. Est-ce que le sang, l'humeur, la figure ne valent pas l'état-civil ?
Elève à Charlemagne, puis à Napoléon, il
entra à l'Ecole normale supérieure en 1868, mais l'enseignement
n'était point son affaire et il ne tarda pas à donner sa
démission. Dès lors, il dut gagner sa vie à courir le cachet —
et les salles de rédaction. Il figura, paraît-il, dans la troupe
d'une baraque foraine. Une bohémienne lui aurait offert sa main,
sans autre résultat, que de lui faire prendre la fuite. On le
revit dans les journaux et les brasseries du Quartier Latin,
avec Paul Arène, Albert Mérat, Emile Blémont, Rollinat. En 1870,
on le signale en Franche-Comté, rédacteur en chef de l'Est. Il
s'engage sous Bourbaki. La paix revenue — et la misère —
Richepin mène avec Ponchon et Bouchor une existence toute
villonesque. Ce sont alors les fécondes années de sa formation.
Il sait par cœur tous nos poètes, depuis Rutebeuf jusqu'à
Baudelaire. Il s'en imprègne et, dans sa tête crépue, toute
bruissante de rimes, s'élabore et s'organise le plus prodigieux
appareil verbal que nous ayons vu depuis Hugo, avec des
richesses argotiques et populaires insoupçonnées de Hugo,
dirais-je, si tout n'était pas dans Hugo...
Bref, Jean
Richepin commençait à s'affirmer tel qu'il allait bientôt se
faire connaître. En 1872, il publiait à la Vérité une forte étude sur Vallès,
Les étapes d'un
réfractaire. Ce titre sonnait comme un programme, et, en
effet, il pourrait servir à résumer toute la carrière au bout de
laquelle, en 1909, l'Académie Française attendait Jean Richepin.
Réfractaire, il ne l'était pas seulement par ses mœurs, il
l'était par sa vêture demeurée, légendaire et dont il nous faut
bien parier sous peine de priver ce portrait du pittoresque
nécessaire à une complète ressemblance : grand chapeau de feutre
gris à pompons rouges, dolman de velours et bottes de hussard
hongrois. Quand parut la Chanson des Gueux, en 1876, la
silhouette du jeune poète était déjà notoire., Son talent
n'avait plus qu'à faire le reste. Son talent et la bêtise des
magistrats... Car la Chanson des Gueux fut poursuivie pour
outrage aux bonnes mœurs, et condamnée. On enferma l'auteur à
Sainte-Pélagie. Heureux temps !
Les Caresses parurent en 1876. Après la vie libre et farouche des Gueux, il y chantait l'amour. Sept ans après les Blasphèmes attirèrent sur lui les foudres de Ferdinand Brunetière, qui rendit d'ailleurs justice à son étonnant souffle lyrique. Deux ans après, La Mer, où il évoquait une fugue maritime vraisemblablement contemporaine de la fugue foraine :
Ta tristesse fut tendre à ma mélancolie.
Ton amertume saine à mes vœux mal-portants.
Et c'est toujours ta voix sereine que j'entends
Quand revient ma raison gourmander ma folie.
Mes Paradis sont de 1894. On y lit ces beaux vers dignes d'être gravés sur la tombe de celui qui a rimé la Chanson de la Glu (1882) :
Que ton nom s'abolisse et meure ! Mais défends
Par le rythme immortel ta pensée éphémère.
Oh ! faire des chansons qu'apprendront les enfants.
Vers sans auteur, transmis de grand'mère en grand'-mère !
La Bombarde (1899), Poèmes durant la guerre (1914-1918), Les Glas (1922), et Interludes (1923) complètent cette œuvre poétique, la plus sonore, la plus colorée, la plus virile aussi — et l'on a trop oublié, depuis les mièvreries du symbolisme, que la vigueur et l'énergie peuvent être des qualités poétiques — de la période post-romantique. Par elle, Jean Richepin se situe très exactement dans la tradition hugolienne, nonobstant la virtuosité qu'il tenait de l'ambiance parnassienne.
Le conteur et le romancier qu'il a été aussi ont largement usé de toutes les ressources émotives et pittoresques que le poète mettait à leur disposition. Dans la Glu, dans Madame André, dans Miarka, la fille à l'ourse, dans Le Pavé, dans Truandailles, dans La Miseloque, exultent le même magnifique tempérament de visionnaire, la même imagination d'artiste. La langue en est drue et musculeuse, à la ressemblance de l'homme. L'émotion y est toujours forte, directe, essentiellement communicative. Jean Richepin aura sa place, parmi les conteurs français qui, en pleine période naturaliste, n'ont point consenti que prose fût synonyme de prosaïsme.
Maintenant, il me reste à dire un mot de l'homme. Il fut exquis. Il fut, en dépit de sa légende, la simplicité même. Je ne l'ai connu que quand l'âge avait déjà dénudé son front, mais quelle allure il gardait ! Quel port de tête ! Quelle fière mine ! Quel regard surtout, plein d'on ne savait quelle royale rêverie, et quel feu y brillait quand l'entretien tombait sur quelque point d'érudition ou de grammaire ! Jusqu'à la fin, la littérature demeura sa préoccupation de tous les instants, et je dirais sa seule préoccupation si je ne craignais que l'écrivain, l'humaniste, le linguiste ne fissent oublier le bel être de chair et de sang, de tourment, et de conquête, pour qui écrire fut inséparable de vivre, et vivre de courir des risques enivrants. Le poète, on ne cessera pas de le lire, mais cet homme-là que je viens d'essayer de dire et qui aima tant les enfants, la lumière, la musique, les formes, les parfums, les paysages, les animaux, cet homme-là qui aima tant la vie, il est mort, et c'est sans compensation.
André Billy
Edmond Sée, « L'auteur
dramatique »
Ce grand poète, ce romancier varié,
puissant et pénétrant, fut aussi un autour dramatique admirable,
et qui servit magnifiquement le théâtre en vers. On peut dire
qu'à l'exception d'une ou deux pièces, Jean Richepin ne connut
que des succès, et retentissants ! Aussitôt après sa première
œuvre, La Glu
(j'entends sa première œuvre importante, car il avait déjà fait
représenter L'Etoile, un acte en vers), après La Glu, dis-je, drame
en prose celui-là, si vigoureux, si poignant, si hardiment
« réaliste » déjà, et créé en 1884 par Réjane à la
Porte-Saint-Martin, Jean Richepin n’abandonna plus le théâtre,
qu'il aimait passionnément. Il y revint à quelques années,
parfois à quelques mois d'intervalle. Il donna Nana Sahib, ou il remplaça son
principal interprète Marais, indisposé, et parut glorieusement,
aux côtés de Sarah Bernhardt, – pendant de nombreuses soirées.
Car la pièce (elle contient des vers d'une fougue, d'une
éloquence, d'une sonorité merveilleuses) « portait » sur le
public, de la première à la dernière scène ; et construite à la
perfection, fertile en surprises, en rebondissements, accusait
une rare habileté dramatique.
Ce furent ensuite, et presque
coup sur coup, Monsieur
Scapin, délicat, savoureux, et si spirituel exercice
littéraire « en marge » de Molière, et qui, de par son
classicisme même, mérite de demeurer au répertoire de la
Comédie-Française (où, d'ailleurs, on doit le reprendre le mois
prochain) ; Monsieur
Scapin et Le
Flibustier, drame si pur, si simple et si ingénieux tout
ensemble ; avec, comme toile de fond, la mer, cette mer
magiquement célébrée par le poète à différentes reprises, mais
qui l’inspira ici mieux encore peut-être que partout ailleurs,
lui dicta des strophes incomparables, toutes bruissantes encore
à nos oreilles et à nos cœurs.
Un peu plus tard, le dramaturge triomphait à la Comédie-Française avec Par le glaive, œuvre vibrante, colorée, d'un romantisme truculent, débordante d'ardeur, de générosité et où il exalte les plus nobles sentiments : honneur, devoir, foi patriotique. Vinrent ensuite Vers la joie, une sorte de conte de fées délicieux, mais dont les tendances allégoriques, voire symboliques, surprirent un peu ; et Le Chemineau, d'impérissable mémoire. Ce fut l’apogée de la carrière dramatique de Jean Richepin et son œuvre maîtresse : Le soir du Chemineau, le poète connut une gloire comparable à celle que devait connaître plus tard Rostand, le soir de Cyrano ; et cette gloire-là, elle s'affirme, s'accroît, s'amplifie à chaque reprise nouvelle. La pièce, qui fit, on peut le dire, la fortune de l'Odéon, entrera un jour (bientôt, nous l'espérons) à la Comédie-Française. Elle y a sa place marquée. Et jamais, je crois bien, un poète ne chanta de façon, plus éclatante, plus pathétique, plus générale humainement, les élans, les instincts violents, mais aussi les scrupules et les mâles tortures du créateur, (du poète, précisément, avide de liberté, assoiffé d'aventures, et contraint (presque à son cœur défendant) de s'arracher au devoir, au bonheur, à l'amour, pour poursuivre sa route semée de fleurs et d'épines, comme poussé par une force, une nécessité, une fatalité supérieures !...
N'eût-il écrit que Le Chemineau, Jean Richepin serait assuré de ne point périr !...
EDMOND SÉE.
Le dernier article de Jean
Richepin
Le dernier article de Jean Richepin parut, il y a quelques jours, dans la Revue de France datée du 1er décembre. Ce sont des Souvenirs sur Paul Verlaine et on ne lira pas sans émotion cette conclusion d'une étude consacrée à un grand poète par un autre grand poète.
Le pauvre Lélian, le pauvre Gaspard,
Riche de ses seuls yeux tranquilles,
qui demandait que l'on priât pour lui, on
a fini par le trouver malin ; on a fini par le
trouver beau
la mort a bien voulu de lui.
Ah ! certes ! n'est-ce donc pas une sorte de prière qu'on est obligé de faire pour comprendre son œuvre ? Et comment, la comprenant ne l’aimerait-on pas, cette œuvre ? Comment n'excuserait-on pas la vie du poète, s'il n'avait déjà cause gagnée ?
Et ne fut-on pas, d'abord, la plus belle de toutes les prières, la plus touchante, celle qui fut dite sans texte mais à plein cœur, le jour où tous ses frères en poésie communièrent dans ces admirables obsèques, qu'on lui fit ?
Ah ! oui, les belles, les douces, les splendides, les inoubliables obsèques ! Voilà combien d’années qui se sont passées depuis lors, et il ne semble toujours y être.
Pour moi, c'est toujours dans cette sorte d'apothéose faite de suave affection que je prévois le pauvre Lélian, chahute fois que je revis avec sa mémoire, ce qui m'arrive souvent, soit en me rafraîchissant l'âme dans la rosée de ses plus exquis poèmes, soit en relisant ses lettres, surtout les dernières, ces pauvres lettres jaunies, écrites sur du papier d'hospice à l’en-tête administratif, soit en contemplant le très touchant portrait qu'a laissé de lui Carrière, ce portrait dans lequel il semble nimbé de bruine mystique, soit enfin devant le masque funèbre que je possède, un masque qui a été moulé sur son visage mort, et dont le plâtre a gardé quelques-uns de ses cheveux, très fins et très doux, fins comme des cheveux d'enfant, doux comme un duvet de petit oiseau
Anonyme, « M. Jean Richepin est
mort – le grand poète s’éteint à 77 ans », La Dépêche, 13 décembre 1926,
p. 1.
Paris, 12 décembre. — Un grand poète vient de disparaître : Jean Richepin est mort ce matin des suites d'une grippe infectieuse dont il souffrait depuis quelques jours.
La nouvelle de cette mort a causé une grande sensation dans les milieux littéraires. Membre de l'Académie française depuis de longues années, il jouissait d'une grande influence dans les milieux littéraires. Sa carrière avait été excessivement brillante. Né à Médéa en 1849, il passa par l'Ecole normale supérieure et écrivit dans plusieurs journaux parisiens avant de publier en 1876 son premier recueil de vers : La Chanson des Gueux, qui lui rapporta un mois de prison, 500 francs d'amende... et la gloire. Ce livre, qui faisait découvrir un talent excessivement original, eut un immense retentissement.
Par la suite, Richepin publia d'autres recueils de poèmes qui n'eurent pas moins de succès. Littérateur et romancier, il a beaucoup écrit, s'attachant aux sensations âpres et curieuses, aux anomalies psychologiques. Au théâtre, il a donné des pièces dont plusieurs ont eu un vif succès : Le Chemineau entre autres. Dans Nana Sahib, il joua pendant quelque temps le principal rôle auprès de Sarah Bernhardt. Comme librettiste, il est l'auteur, en collaboration avec Alexandre Georges, de l'opéra-comique Miarka.
Durant ces dernières années, son éloquence a fait retentir toutes les salles de conférence de la France et de l'étranger. Car le poète, magnifiquement imprévoyant et bon, avait négligé d'amasser des rentes ; il avait dépensé au jour le jour les sommes considérables que lui avaient rapportées ses œuvres, et, sur la fin de sa vie, il se livra donc pour vivre dignement à l'art de la conférence.
Jean Richepin laisse trois fils :
Jacques Richepin, poète et auteur dramatique ; Tiarko, musicien, et Jean-Pierre. Il est mort, entouré de sa femme et de ses enfants, dans son hôtel de la villa Guibert, à Auteuil. Jusqu'aux premiers jours de la semaine dernière, avant d'être atteint de la grippe qui devait l'emporter si rapidement, il ne souffrait d'aucun malaise et avait établi lui-même un recueil de morceaux choisis extraits de l'ensemble de ses œuvres. Ce recueil est le dernier ouvrage qu'il ait revu de son vivant ; il vient de paraître ces jours-ci.
Jean Richepin était commandeur de la Légion d'honneur. C'est en 1908 qu'il avait été élu membre de l'Académie française, en remplacement d'André Theuriet. Il avait été reçu à l'Académie par -Maurice Barrès, qui, dans sa réponse au discours de réception, s'exprima ainsi sur les origines de Jean Richepin :
Vous êtes le fils d'un officier. C'est
au hasard de la vie de garnison que vous avez dû de naître en
Algérie, Toute votre parenté paternelle et maternelle vivait sur
la terre de Thiérache. Un de vos oncles ensemençait ses champs
lui-même, disant, que lui seul savait ce que chaque sillon pouvait
rendre. Un autre, fermier des terres de l'abbaye de Reims,
comptait dans ses étables 200 bœufs et 600 moutons. Vous êtes bien
un homme du terroir français
Robert de Flers, « Jean
Richepin est mort », Le
Figaro, 13 décembre 1926, p. 1.
Jean Richepin est mort. Nous ne pouvons y croire. Il y a peu de jours encore, nous l'avions rencontré, débordant de ce robuste enthousiasme et de cette harmonieuse belle humeur où s'épanouissaient la jeunesse d'un cœur qui n'avait cessé de s'enrichir en se dépensant et la ferveur d'un esprit auquel les choses, les gens, les idées, apparaissaient dans l'éclat et le rayonnement de l'éternel lyrisme. « On parle toujours des neuf Muses, s'écriait-il, il y en a beaucoup plus que ça » Il pensait, en effet, qu'à tous les aspects de la réalité comme à toutes les conceptions de l'intelligence, correspondait une forme poétique, et il n'est point de circonstance de sa vie où il n'ait mis en vers ses joies ou ses douleurs, afin de s'enivrer des unes ou de se consoler des autres. Ce grand assembleur de rimes et de mots, ce grand pourfendeur de la sottise et de l'hypocrisie, ce grand bohémien de la poésie française, était l’homme le plus simple et le plus cordial. Il avait l'accueil splendide et familier. Sa bonté était toujours présente. Quand il rendait un service – et il passa ses jours à en rendre - il semblait si content, que l'on eut dit qu'il l'avait reçu. Et comme il était gai ; Et comme il riait bien, d'un rire de dieu, sonore et frais !
Et comme, lorsque, brusquement, un souvenir de jadis ou un beau vers de toujours lui revenait à la mémoire, comme il avait vite les larmes aux yeux ! Cher et bon maître, que de fois nous vous avons entendu, en cheminant sur les quais, devant les boîtes des bouquinistes, ressusciter tel moment de votre destin, chargé d'aventures et de sagesse, de colère et de pitié. Vous saviez si bien mêler les livres et la vie qu'ils arrivaient à se confondre et à s'embellir de leurs bienfaits réciproques. Et quelle anthologie vivante vous étiez ! Vous aviez tout lu et tout retenu, les historiens et les poètes, les archéologues et les conteurs. De Virgile à Lucrèce, d'Horace à Catulle, pas un vers qui, dès que vous l'appeliez, ne vînt tonner ou fleurir sur vos lèvres. C'est ainsi que, depuis soixante ans, sans efforts, allègrement, - par monts et par vallées d'une épaule vigoureuse, vous tiriez après vous, sans vous essouffler jamais, la roulotte de la latinité.
On dira, on a dit déjà, que Jean Richepin était le dernier romantique. C'est le juger un peu trop sur l'apparence. Romantique, il le fut, en effet, par le geste, par le son, par la truculence de certains poèmes et par l'aisance à dégainer la rime comme une épée. Mais, au fond, Richepin a surtout été un classique, par la clarté de son inspiration, par l'ordre et la solidité de son style et, malgré les révoltes de la vingtième année, par un sens merveilleux des grandes traditions. Il estimait qu'une tradition est un guide, et non pas un lien. Il n'aimait pas les liens, et lorsqu'il se sentait menacé de leur entrave, il se dépêchait de les rompre. Il disait de lui-même « Je crois bien que, sans y prendre garde, j'ai toujours été à la fois un briseur de chaînes et un noueur de traditions. » Dans l'admirable Chanson des gueux, son œuvre de début, qui, par un verdict imbécile, lui valût trente jours de prison, il a beau s'abandonner à toutes les outrances de l'image ou du verbe et laisser crépiter dans la flamme de sa colère les rameaux de la langue verte, dès sa préface il se met sous la protection d'une fable de La Fontaine, Le Loup et le Chien. Sans doute dans Les Blasphèmes le plus romantique de ses recueils de vers y a-t-il quelque intention d'inspirer aux bourgeois des sentiments horrifiques, tout de même que les Jeune-France n'hésitaient pas à renverser la bière de leurs bocks dans un crâne humain. Il y eut scandale, mais un scandale de Jean Richepin ne pouvait être qu'un scandale harmonieux. Dans les Caresses se déchaîne une ardeur voluptueuse qui bouscule au passage le confort sentimental du paisible tiers-état
-Vos amours, ô bourgeois, sont des fromages mous
Le nôtres, un océan d'alcool, plein de remous.
Mais à côté de ces défis et de ces boutades, que de tendres plaintes et que de fantaisies mélancoliques Ces excès et ces beaux désordres disparaissent dans le volume intitulé La Mer, où le génie lyrique de Jean Richepin vint, cette fois, au secours de l'humanité toute pure. Les paysages de la douleur y prolongent les paysages des flots. Relisez, dès demain, les Trois Matelots de Groix, le Serment, les Litanies sur la Mer, et vous vous sentirez fortifiés et vivifiés par la plénitude du vers, par l'envolée de l'inspiration, par la fermeté de cette langue ardente et colorée où les parfums du terroir se mêlent au sel du rivage.
Chez Jean Richepin, le romancier demeure au second plan, bien que Miarka ou la Fille à l'Ours, les Braves Gens et les Contes de la décadence latine soient justement célèbres. En revanche, le poète dramatique a tenu et tiendra à la scène une place d'honneur. Monsieur Scapin, le Flibustier et le Chemineau ont connu et mérité cet événement, si rare au théâtre un grand succès littéraire et populaire.
Membre de l'Académie française, commandeur de la Légion d’honneur, on s’est plu à répéter que Jean Richepin s'était converti aux honneurs ou plutôt que les honneurs l'avaient converti. C'est absurde. Un poète chante, déchante et rechante, mais il ne se convertit point. Il peut changer de vol, mais non point d'âme. Chaque jeudi, Richepin se rendait ponctuellement à l'Académie, où il était entouré de tant d'affection véritable et où il collaborait avec tant de science et d'allégresse au travail du dictionnaire, mais aussitôt après, vers cinq heures, il se rendait chez son vieil ami Raoul Ponchon, et là, jusqu'au soir, avec ce cher témoin de sa jeunesse, il s'abandonnait aux douceurs du libre entretien. Et si, en se rendant du palais Mazarin à la rue Cujas, il avait fait le chemin en compagnie d'un jeune poète qui lui avait récité ses vers, et auquel il avait prodigué ses conseils de grand aîné, sa journée était complète.
Le lyrisme est en deuil. Il a perdu son plus vieux, son plus dévoué serviteur, celui qui, après avoir été son enfant de troupe, était devenu son grognard magnifique. Jean Richepin fut un grand poète. On discutera plus tard, son art somptueux et divers. Aujourd'hui nous pleurons celui qui n'est plus. Nous ne l'oublierons pas.
Comment oublierions-nous son beau visage, ses beaux poèmes, sa belle parole ? Qui n'a pas entendu Jean Richepin à l'inauguration d'une statue se livrer à la fougue de l'improvisation en plein vent, ne saurait imaginer ce qu'est le don de l'éloquence littéraire. Il monte à la légère tribune, qui, pour un jour, fait face au bronze ou au marbre. A peine a-t-il lancé sa première phrase, qu'aussitôt les phrases suivantes s'ordonnent comme d'elles-mêmes, les images se mêlent aux souvenirs, l'anecdote s'illustre d'une belle citation et la verve jaillissante s'apaise juste ce qu'il faut pour faire place à l'émotion. Et le mort nous apparaît. Sa gloire circule parmi nous, vivante. S'il vient à pleuvoir, on n'y prend point garde, car nous sommes ailleurs, là où il a plu au poète de nous conduire. Sur son habit d'académicien, les broderies ne sont plus des verdures officielles. On dirait que le taillis de lauriers voisin les lui a prêtées. Il parle la tête haute, le geste large. Il invoque, il évoque, il provoque ; il rajeuni le passé sans vieillir l'avenir et, à la statue qui, peu à peu, semble s'animer, il verse sa lumière.
Hélas ! nous n'entendrons plus la belle voix de noire maître. Il nous a quittés couvert de gloire ; d'années et surtout de jeunesse. Il s'en est allé sous un ciel sombre et bas et il aura connu cette tristesse, lui, le poète de la Lumière, de n'avoir pas vu glisser jusqu'à lui, pendant les deux dernières journées de sa vie, un rayon de soleil.
Robert de Flers
de l’Académie française.
A[lphonse] Aulard, « Jean
Richepin à l’Ecole normale », L’Ere nouvelle, 14 décembre 1926,
p. 1.
J’ai été le « carré » de Jean Richepin à l’Ecole normale supérieure, c'est-à-dire que (bien qu’il fût un peu plus âgé que moi), j’étais son ancien d’un an, étant de la promotion qui précéda la sienne — celle de 1667 — et il était, lui, de la promotion de 1866. Nous reçûmes ce « conscrit » avec une sympathie amusée. Ce n’était pas un conscrit com me les autres. Sa prestance d’athlète, ses cheveux frisés, son teint cuivré, sa voix sonore, l’aisance de ses manières faisaient contraste avec la timidité un peu étriquée des autres conscrits.
Il y avait, de tradition, une petite brimade amicale et cocasse.
On faisait monter le nouveau, tout gauche et tremblant (mais celui-là était d’aplomb et hardi) sur le poêle de la grande étude de première année, et on procédait à son canularium, qui consistait d’abord en ceci, qu’un ancien lui lisait un discours burlesque, où on le raillait à coup de calembours, en particulier sur son nom.
Mon nom à moi, dans mon canularium avait fourni ample et féconde matière, depuis : O l’archéologie jusqu’à O l’hareng saur, sans parler des calembours inconvenants, qui n’étaient pas les moins drôles. Je fus chargé du canularium de Richepin, et j’aime mieux ne pas citer les calembours ou à peu-près dont je me rendis coupable sur son nom, à sa grande joie.
Cette jeunesse d’alors était gaie, et je suis sûr que Richepin, s’il avait prévu qu’au lendemain de sa mort, qui me cause tant de chagrin, je rappellerais cette gaîté, en aurait été fort satisfait, comme d’une marque de vraie sympathie.
Sur ce poêle-pilori, les autres conscrits avaient eu une attitude gênée, avec un sourire contraint et un visible désir que la cérémonie prît fin. Richepin, lui, loin d’être intimidé, se campa en personnage goguenard, lança des ripostes et des brocards, fit rire à son profit, et ce fut le brimé qui brima les brimeurs.
Tel fut le commencement de notre amitié, l’origine de notre sympathie.
Dans cette prison scolaire qu’était alors l’Ecole normale, sévère internat, Richepin fit entrer avec lui une bouffée d’air frais, et aussi. Africain de naissance, une bouffée d’air d’Afrique, le goût de la santé physique, un anti-bourgeoisisme autre que littéraire. Vif, bien musclé, escrimeur, danseur, il nous dégoûta du pédantisme.
Les jours de sortie, qui étaient rares alors, il passait son temps place de l’Observatoire, avec des saltimbanques, s’exerçant à faire des poids, lutter et, je crois même, à marcher sur la corde. Dans l’Ecole, il travaillait bien, avec zèle et conscience, mais il aimait (comme nous tous d’ailleurs) à monter sur le toit, dont le zinc lui servait d'ardoise pour écrire, à la craie, de gigantesques déclarations d’amour aux jeunes blanchisseuses du voisinage. C’est lui qui établit cet usage, que nous suivîmes avec une gaie docilité. Son parler truculent, ses anecdotes africaines, le pittoresque exotique de son costume nous étonnaient, nous amusaient et, bientôt, il se fit aimer par la franchise et la bonté de sa camaraderie.
Il nous aimait aussi. Il adorait Paul Souquet, causeur de génie, qui est mort inconnu. Il taquinait doucement Charles Bayet, le futur historien de l'art byzantin. Il lutinait Gustave Bloch, le sévère historien de l’antiquité. Il me donnait, sur la coupe de ma barbe naissante, des conseils assyriens, qui, réalisés, eussent fait retourner les passants dans la rue.
Il voyait en nous de gentils prisonniers, mais il étouffait dans la prison.
Un beau jour, il me déclara qu’il voulait « connaître la pauvreté ». Il donna sa démission. Il ne possédait au monde que cinq francs. Il trouva à louer, sans qu’on lui demandât d’arrhes, une chambre garnie, rue de Vaugirard, en face du Petit-Luxembourg. Il acheta une lampe à alcool et un œuf, sur l’œil jaune duquel il fit un vigoureux sonnet, qu’il m’envoya et que j’ai sottement égaré, sans quoi je vous le citerais.
On lui procura quelques leçons ; il n’avait pas de besoins ; il cuisinait sur sa lampe à alcool ; il se procura un petit chien frisé, qu’il tenait dans ses bras en déambulant gravement aux galeries de l’Odéon. Il travailla, il écrivit, il était poète, il fit la Chanson des Gueux, qui est une belle chanson, et originale, un chef d’œuvre de notre littérature.
Il entra bien vite dans la gloire, et il s'y installa simplement, en honnête homme, sans artifices de réclame, sans malice aucune pour ses confrères, bon camarade dans la vie comme à l’Ecole normale.
Sa libre pensée, qu’il chanta magnifiquement dans ses Blasphèmes, était le fonds même de son être moral, et le resta. Au mois dernier, en Bretagne, dans sa petite et charmante maison du Val-André, assis robustement avec ses pékinois sur ses genoux et, à ses pieds, son gros chien-loup (amour de ma petite-fille), il me parla des religions comme il m’en parlait rue d’Ulm, il y a plus d'un demi-siècle. Sa raison resta ferme jusqu’au bout.
Bonté, génie, probité, voilà mon cher camarade Jean Richepin, tel que je l’ai vu dans sa jeunesse, tel que je l’ai vu, à la veille de sa fin. J’ai dit ces choses, parce qu’elles sont peu connues. Je n’espère pas que l’académicien qui recevra sous la Coupole le successeur de Jean Richepin indique ces traits de son caractère, et c’est bien pour cela que je les indique au jourd’hui, au moment où la mort restaure la gloire du poète.
A. AULARD.
Anonyme, « Mort de M. Jean
Richepin », La
Charente, 14 décembre 1926, p. 2.
M. Jean Richepin, membre de l’Académie française, est décédé dimanche matin, à six heures à Paris.
M. Jean Richepin souffrait depuis quelques jours d’une grippe infectieuse. Il y a deux jours, un mieux se manifesta dans son état, mais cette amélioration ne se maintint pas.
Son œuvre
Jean Richepin est né à Médéa, il y a 77 ans. Il fut élève de l’Ecole normale supérieure. Il servit pendant la guerre de 1870 dans les francs-tireurs, puis retourna à Paris et collabora à divers journaux.
L’originalité de son talent ne tarda pas à attirer l’attention sur lui. Sn premier recueil, « La Chanson des Gueux » (1876) eut un grand retentissement, et le fit condamner à un mois de prison et 500 francs d’amende. Après avoir été quelque temps marin et débardeur, il publia plusieurs recueils de poésie. Littérateur et romancier, il a beaucoup écrit, s’attachant aux sensations âpres et curieuses ou anomalies psychologiques. Au théâtre, il a donné des pièces dont plusieurs ont eu un vif succès. Dans « Nana-Sahid », Il joua pendant quelque temps le principal rôle auprès de Sarah Bernhardt. Comme librettiste, il est l’auteur, en collaboration avec Alexandre Georges, de l’opéra-comique « Miarka ».
Jean Richepin était commandeur de la légion d’honneur. Il avait été élu membre de l’Académie française en 1908, en remplacement d’André Theuriet. Il avait été reçu à l’Académie par Maurice Barrès.
Raoul Narsy, « Jean Richepin »,
Journal des débats
politiques et littéraires, 14 décembre 1926, p. 1.
Avec Jean Richepin disparaît, je crois bien, le dernier représentant de cette lignée de virtuoses du vers, issue du Parnasse, qui eut, en Edmond Rostand, son plus éblouissant champion. Romantiques formés par les disciplines humanistes, rompus à tous les secrets de la technique parnassienne, ces écrivains durent le plus clair de leur renommée à un indéniable talent d’illusionniste et aux subtiles industries d’un art de « rhétoriqueurs ».
Ce n'est d'ailleurs pas rien. Même restreinte à cela, une œuvre peut encore défendre de l’oubli le nom, de son auteur. Celle de Richepin est considérable et d'une variété qui atteste la diversité de ses dons ; On sait qu'aux premiers stades de sa vie littéraire, il mettait une sorte d'ostentation à se proclamer « touranien ». Jules Lemaître, qui cependant signalait déjà en lui le « très grand rhétoricien », s'accommoda volontiers de cette originalité racique qui expliquait, plus ou moins, certaines outrances barbares, le tour d'esprit réfractaire à toute règle sociale, morale ou religieuse ; l'évidente prédilection pour les contempteurs des lois, les « poètes maudits », les « non-conformistes cette revendication farouche d'une liberté sans frein qui caractérisent les premières productions de Richepin. Elles eurent un succès retentissant auquel l'effet de scandale ne fut, du reste, pas étranger. Aujourd'hui encore, on n'est pas éloigné de voir dans ces pages les meilleures, les plus significatives de son œuvre mais, sous leur paroxysme, on perçoit davantage
L'apprêt, et leur frénésie apparaît habilement calculée pour n'offenser le lecteur que dans la mesure, propre à lui imposer un nom. La Chanson des gueux, Les Blasphèmes, ce sont ces coups de pistolet que tire un débutant pressé de se révéler.
Richepin y est déjà avec tous ses dons : sa vive intelligence, sa vaste culture, son opulence, sa truculence verbales, sa puissance de coloriste et d'inventeur d'images, sa science de métricien et de sonneur de rimes, sa sensibilité un peu « romance » sa verve drue, gouailleuse et un peu peuple, tout cet ensemble de qualités, en un mot, qui lui valaient à la fois les sympathies du grand nombre et la complaisance des lettrés. Quelques raffinés seuls entrevoyaient, dès ce moment, ce qu'il y avait d'artificiel mêlé aux spontanéités de ce tempérament tumultueux, Sans doute les mérites, longtemps, l'emportèrent sur les tendances moins heureuses. La Meri, Mes paradis, Le Flibustier, Par le glaive, Le Chemineau, sont encore de la bonne veine de Richepin mais, néanmoins, elles décèlent qu'il compose, de plus en plus, avec le rhéteur qui tend à dominer en lui. La célébrité conquise, la maîtrise ne faiblit point, certes, mais elle ne s'attesta désormais ni par un renouvellement ni par une ascension. La fécondité de l'écrivain du poète ne fléchira pas, mais sa riche et robuste personnalité s'abandonnera de plus en plus à cette redoutable ennemie qu'est la facilité. Le prestige de son passé, l'éclat d'un talent qui garda de son brio jusqu'au bout, auront vainement prolonge l'illusion sur les ouvrages de son déclin. Ils serviront peu sa mémoire, si ce n'est pour témoigner, par ses poèmes et ses harangues des années de guerre, de l'ardent patriotisme du touranien désabusé.
Richepin demeurera un des types de poète les plus représentatifs d’un temps où l’on a confondu la poésie avec l’éloquence, et la postérité retiendra quelques-uns des beaux vers que nous avons admirés dans une œuvre qui, cependant, n’a pas exercé une grande influence.
Raoul Narsy
Frantz-Reichel, « Jean Richepin
et les sports », Le
Figaro, 14 décembre 1926, p. 6.
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Avec Jean Richepin, les sports perdent le plus sincère, le plus enthousiaste de leurs amis, et le poète qui les a le mieux chantés. Jean Richepin avait été d'ailleurs et était un magnifique athlète. C'est avec passion qu'il avait pratiqué les exercices physiques les plus variés et les plus hardis, car il avait le culte de son corps et la passion de la vigueur, de la souplesse, de la vitesse. Il trouvait nobles, de forte et saine éducation, les jeux du muscle, et surtout les sports de combat qui mettent a l'épreuve l'énergie et le courage, les forment et les trempent. Il avait par la pratique des exercices acquis une magnifique prestance dont il était fier, et qui faisait l’admiration de ses camarades de l'Ecole normale.
Jusqu'à son dernier jour il s'adonna à la pratique quotidienne de la culture physique afin de garder à ses muscles une vigueur et une élasticité qui lui permettaient, à 78 ans, de se mesurer sans ridicule avec ses enfants et petits-enfants. Lorsque Pierre de Coubertin engagea, en 1887, la campagne en faveur de la renaissance des exercices physiques de plein air, Jean Richepin mit sa lyre, son enthousiasme, son éloquence entraînante au service d'une cause qu'il n'a cessé de servir par les vers et par l'exemple. Dans une remarquable étude consacrée à la littérature sportive contemporaine, et aux poètes du sport, Alphonse Séché a recueilli quelques-uns des poèmes dans lesquels Jean Richepin célébra l'ivresse des efforts physiques. De l'un d'eux, la Statue vivante, écrit en 1902, détachons ces quelques strophes débordantes d'allégresse :
Je les plains, les purs cerveaux
À leur seul culte dévots,
Ignorant ce que tu vaux
Et ta noble gymnastique,
Ô corps qu’ils ont en mépris
Et dont je dirai le prix,
Corps sain, vigoureux, bien pris,
Dur, souple, agile, élastique !
………….
Être, au long d’un jour entier,
Chasseur, rameur, chalutier ;
Faire, ainsi qu’un du métier,
Des haltères, du trapèze ;
Sans peur d’y casser ses os,
Voler comme les oiseaux,
Prendre les airs pour des eaux
Où l’on flotte et plus ne pèse ;
Ce poème, Jean Richepin le dit, avec quelle ardeur, quelle exaltation, le 31 mai 1923, au cours d'une soirée que le Comité National des Sports avait organisée pour commémorer le 35° anniversaire du Comité Jules Simon, fondé sur l'initiative du baron Pierre de Coubertin pour la rénovation des exercices physiques dans l'enseignement. A cette même soirée, Jean Riche pin dit un autre poème, les Surhommes, spécialement écrit pour cette cérémonie. En voici un des plus beaux passages :
Non, le front ne perd point ce que gagne le torse.
Un tronc solide sous une solide écorce
Empêche-t-il qu’un arbre ait des fruits et des fleurs ?
Le chêne aux larges mains berce des nids siffleurs.
Milon, qui porte un bœuf, le tue et le dévore,
Est disciple – sais-tu de qui ? – de Pythagore.
Pour entendre un tel maître et tout ce qu’il entend,
Il fallait n’être pas une brute pourtant !
Eschyle fut boxeur. Sophocle fut athlète
Cela, loin d’amoindrir leur gloire, la complète.
Auraient-ils chanté mieux en n’étant pas ainsi ?
Et que dis-tu du grand Léonard de Vinci ?
Sublime artiste en tout, profond savant, esthète ?
L’idée a-t-elle donc mal germé dans sa tête
A cause qu’il avait les membres résistants
Et qu’il était le plus bel homme de son temps ?
Va, va ! Si tu le peux dans tes mâles années,
Exerce les vigueurs qui te furent données,
Sans peur que ton esprit ait ton corps pour tombeau,
Même si le génie en toi met ton flambeau,
Tu vois bien que les feux n’en sont pas ridicules
Pour être à bout de bras portés par des Hercules.
Fils d’un monde où le corps humain se rabougrit,
Laisse nos purs cerveaux, dont l’estomac s’aigrit,
Cultiver leur pensée en l’arrosant de bile.
Toi, tâche d ‘être grand sans végéter, débile ;
Et, comme à l’heure antique où l’homme heureux, serein,
Avait une âme haute et dans un corps d’airain,
Invoque, aux jeux, où corps et âme, tu t’amuses,
Phoibos, Apollon, dieu du Soleil et des Muses,
Inventeur de la lyre, accoucheur des cerveaux,
Mais tout ensemble archer et dompteur de chevaux,
Qui se raidit, ainsi qu’un lutteur sur l’arène,
Pour mener droit son chat à la quadruple rêne
Et, lorsqu’il veut vider son carquois lumineux,
Tend des muscles de marbre où se gonflent des nœuds.
Il aimait tous les sports et sur eux il publia dans l’Auto-Vélo – première forme de l’Auto d’aujourd’hui – une série de poèmes en prose, dont l’un, Ballade du football, au caractère étrangement sauvage. Voyez-en plutôt le premier couplet :
Avec un hé ! Avec un ho ! Ceci est la ballade du football et des deux gars irlandais qui ont joué du football la plus belle partie qu’on y ait jamais jouée. Avec un hé ! Avec un ho ! Avec un hé ! pour boire une pinte à leur santé ! avec un ho ! pour danser une gigue en leur honneur ! Avec un hé ! Avec un ho ! chantons la gloire de Jim et chantons la gloire de Joe ! Et si je mens d’une syllabe en contant leur histoire, telle que l’a contée ma grand’mère, avec un hé ! avec un ho ! que la langue me tombe du palais, avec un hé ! avec un ho !
Lorsque, après la guerre, un vaste mouvement se déchaîna en faveur des sports, Jean Richepin se mît à la tête de celui qui avait pour but d’associer intimement les arts aux sports. Il saisissait ainsi l’occasion d’appliquer une formule qui lui tenait au cœur. « Elargit l’art par le sport, ennoblir le sport par l’esprit. »
Le groupement qu’il présidait, Lettres, Arts et Sports, organisa alors aux Galeries Barbazanges une fort remarquable exposition qui a eu les plus heureuses conséquences sur l’art sportif dans ses différentes expressions.
Le Comité National des Sports, les Fédérations sportives, les Sociétés sportives et les sportifs se devront d’honorer le grand et glorieux ami qu’ils ont perdu avec la mort de Jean Richepin
Frantz-Reichel
Anonyme, « Les obsèques de Jean
Richepin », La
Fronde, 15 décembre 1926, p. 1
Les obsèques de l’illustre poète Jean Richepin seront célébrées demain jeudi à 10 heures, en l’église Saint-Honoré-d’Eylau.
L’inhumation aura lieu le vendredi à Pléneuf, près de Lamballe (Côtes-du-Nord)
UNE RUE JEAN RICHEPIN A MONTLUCON
Le Conseil municipal a décidé de donner le nom de Jean Richepin à une rue de la ville.
UN HOMAGE DU COMITE NATIONAL DES SPORTS A JEAN RICHEPIN
Le Comité National des Sports déposera une gerbe sur le cercueil de Jean Richepin, pour saluer celui qui, dès 1887, 1888, 1897, compta parmi le petit nombre d’intellectuels qui se groupèrent autour de Pierre de Coubertin lorsqu’il mena et soutint la campagne en faveur des exercices physiques et de la pratique des sports.
Jean Richepin fut un athlète remarquable. Lutteur, boxeur, gymnaste, nageur, il devait à la culture physique quotidienne son extraordinaire vigueur. C’est à ce goût de l’activité musculaire que l’on doit ses hymnes magnifiques à la santé et à la beauté physique.
Anonyme, « Jean Richepin », Bulletin municipal officiel de
la ville de Paris, 15 décembre 1926, p. 5323.
M. le Président. — Messieurs, je suis assuré d'interpréter vos sentiments unanimes, ceux de notre population tout entière en associant le Conseil municipal à la douleur de la famille du maître Jean Richepin et au deuil des lettres françaises.
M. d'Andigné. — Très bien !
M. le Président. — Poète, romancier, dramaturge. Jean Richepin s'est révélé, à travers des œuvres d'une extraordinaire diversité, comme un des plus prestigieux ouvriers de notre langue. Il est de ceux qui ont accru de joyaux inestimables le magnifique patrimoine artistique de notre pays. En votre nom, j'incline devant sa mémoire l'hommage ému des regrets de Paris, de son admiration et de sa gratitude. (Très bien ! Très bien !)
M. Raoul Brandon. — Très bien !
M. le Préfet de la Seine. - J'associe l'Administration à l'hommage qui vient d'être rendu par M. le Président, au nom de l'Assemblée, à la mémoire du grand Français qui vient de disparaître et qui, pendant un demi-siècle, a si puissamment contribué à maintenir l'auréole de gloire au front de la Cité. (Très bien !)
M. André Gayot. — M. le Président de la 4e Commission comptait, je le sais, associer la Commission de l'Enseignement et des Beaux-arts à l'hommage qui vient d'être rendu à la mémoire de Jean Richepin.
En son absence momentanée, et au nom de la 4e Commission toute entière, permettez-moi, bien que nouveau venu dans cette Assemblée, de joindre nos regrets unanimes, à ceux qui viennent d'être exprimés à l'occasion de la mort du grand poète qui vient de disparaître et qui honora magnifiquement les lettres françaises dans toutes les branches où sa prodigieuse activité se manifesta. (Très bien ! Très bien !)
Dangeau, « N’écrivez jamais ! »
La Petite Gironde, 16
décembre 1926, p. 1.
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En mars 1848. Victor Hugo adressait aux électeurs parisiens une proclamation commençant en ces termes :
« Je ne me présente pas. A quoi bon ? Tout homme ayant écrit une page, sa vie y est naturellement présente, s'il y a mis sa conscience et son cœur. »
En son temps, cette phrase fit quelque peu sourire. Mais les électeurs de Vervins, qui ne la connaissaient évidemment pas, en appliquèrent rigoureusement l'esprit au poète Jean Richepin, en 1914, lorsqu’il fut candidat contre Pascal Ceccaldi.
Ah ! tu viens ici défendre l'ordre, la prospérité, la patrie, toutes les institutions sacrées ? Eh bien ! mon gaillard, nous allons savoir ce qu'il faut vraiment penser de tes déclarations. Tu as écrit plus d'une page ta vie y est naturellement présente. Nous allons l'y chercher !
Et en avant, les déclamations contre la société de la « Chanson des Gueux », la rhétorique impie des « Blasphèmes ». Défenseur des mœurs, toi, l’écrivain condamné à un mois de prison pour les avoir outragées ! Evidemment, quand Jean Richepin s'était embarqué sur cette galère, il ne se doutait pas de ce que des lutteurs politiques peuvent tirer des œuvres d'un adversaire. On le lui fit bien voir. Ses fantaisies les plus oubliées, celles qu’il avait rimées des soirs de jeunesse pour l'amusement de compagnons jeunes comme lui et où il avait mis le plus de sa truculence laborieuse et de sa « haulte gresse » de normalien en goguette, on les déterra, on les chuchota aux électeurs, on les lui jeta à la face. Il y a encore dans ce pays radical des femmes qui vont à l'église. Le candidat de l’ordre leur apparut vite comme un suppôt du diable, un bohémien voleur d'enfants, un ennemi de la propriété et des gendarmes, un réprouvé, etc.
A quoi Richepin avait beau répondre en montrant ses titres bourgeois, l’Académie, la Légion d'honneur, peu s'en fallait qu'on crût à un déguisement.
Il était parti de Paris avec un état-major de jeunes gens qui croyaient aller à une facile et brillante croisade et n'étaient pas fâchés de montrer à des politiciens professionnels comment les pactes entendent la politique quand ils s'y mettent.
Ces messieurs imitèrent abondamment Ceccaldi et ses amis de Béotiens et autres gentillesses littéraires Mais ceux-ci s’en fichaient. Il ne s’agissait pas de littérature, mais de mandat.
***
Les réunions données par le pauvre écrivain d'abord assez calmes, seulement empoisonnées d'une sorte de curiosité épaisse et un peu gouailleuse, devinrent vite houleuses, puis tout à fait hostiles. Richepin était un conférencier éblouissant qui hypnotisait littéralement les auditrices des Annales. Mais, en s'adressant au peuple il avait cru devoir changer de manière, lui parler sa langue ou ce qu’il croyait sa langue. Ce n'était pas ce qu'on attendait de lui. Un académicien, on pensait qu'il allait parler tout en sucre. Pas du tout. Il s'efforçait de s'exprimer comme les autres. Alors, A quoi bon ? Et on lui répondait par des grossièretés. Si bien qu’un jour, exaspéré par des hurlements que sa voix n’arrivait pas à couvrir, il remplaça la parole par le geste et adressa à cet auditoire ce que les militaires appellent une basane. Alors, ce fut fini. Cette gaminerie, qui aurait plu au « Chat-Noir », parut scandaleuse dans une réunion, et ses adversaires l'exploitèrent de main de maître. La bataille était perdue, et c'était non pas Richepin, mais la littérature qui était vaincue.
DANGEAU
Anonyme « Les Obsèques de M.
Jean Richepin », La
Lanterne, 17 décembre 1926, p. 1-2.
Les obsèques de M. Jean Richepin,
membre de l'Académie française, ont été célébrées hier matin, à 10
heures, en l'église Notre-Dame-de-Grâce de Passy. Un char funèbre
spécial portait les couronnes adressées, par la Société des
auteurs dramatiques, le Société des auteurs dramatiques, la
Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, la
Société des gens de lettres, la Comédie-Française, le théâtre de
l'Odéon, l'Association générale des étudiants, l'Œuvre des poètes
« à son président », l'Orphelinat des arts, l'Union des arts,
l'Université des annales, etc.
La levée du corps a été faite
par le chanoine Hennebique, curé de la paroisse, et l'absoute
donnée par Mgr Baudrillart, collègue de M. Jean Richepin à
l'Académie française, et son ami.
Le deuil était représenté
par Mme Jean Richepin, veuve du défunt ; M. Jacques Richepin et
Mme Cora Laparcerie-Richepin ; M. Tiarko Richepin et MM. Jean-Loup
et Jean-Pierre, ses fils et belle-fille et ses petits-enfants ; le
baron et la baronne Korff, M. et Mme de Stempowski, ses
beaux-frères et belles-sœurs, auxquels s'était joint M. Raoul
Ponchon, son vieil et intime ami.
Les cordons du poêle étaient tenus par M. Edouard Herriot, ministre de l’Instruction publique, représentant le gouvernement ; M. René Doumic, secrétaire perpétuel de l'Académie française ; M. André Rivoire, président, de la Société des auteurs dramatiques, et M. Charles-Henry Hirsch, représentant la Société des gens de lettres. L'Académie française avait adressé une délégation officielle de ses membres, composée de MM. Edouard Estaunié, président ; René Doumic, secrétaire perpétuel ; Georges Lecomte, Pierre de Nolhac et Louis Bertrand. Le président de la République était représenté par M. André Sauger.
Parmi l'assistance, où les notabilités du
monde des lettres et des arts étaient très nombreuses, on
remarquait : M. Albert Sarraut, ministre de l'intérieur ; M.
Grignon, chef de cabinet de M. Poincaré, représentant le président
du conseil ; M. Suard, chef adjoint du cabinet, représentant M.
Briand, ministre des affaires étrangères ; le capitaine Baruteau,
représentant le ministre de la guerre, un délégué du grand
chancelier de la Légion d'honneur ; Mme Paul Deschanel ; le
général Gouraud, gouverneur militaire de Paris ; M. Paul Léon,
directeur des beaux-arts;
M. Emile Fabre, administrateur
général de la Comédie-Française ; MM. Henri Lavedan, Marcel
Prévost, Maurice Donnay, Henri de Régnier, Paul -Valéry, de
l'Académie française ; MM. Jules Cambon et Jean Hennessy,
ambassadeurs de France ; MM. de Chlapowski, ministre de Pologne ;
Diamandy, ministre de Roumanie, etc. –
{2}
A l’issue de la cérémonie, plusieurs discours ont été prononcés.
M. Herriot, ministre de l’instruction publique, représentant le gouvernement, a prononcé un discours dont voici quelques passages :
« Vous nous quittez, mon cher ami Richepin, drapé dans une prestigieuse légende que vous-même avez contribué à créer. Il nous semble que nous menons aujourd’hui le deuil du dernier des romantiques. Par une affinité peut-être inconsciente, votre Chanson des Gueux se rattache aux Misérables, vos Caresses, ce sont vos Chansons des rues et des bois. Vous affirmiez avec audace votre foi dans la parole du maître, en ces jours où la stupidité, la prétention, l’orgueil cherchent à mordre sur ce géant. D’Hugo, vous avez hérité les rythmes et les cadences, le vocabulaire constamment renouvelé, certain goût pour la métaphore et l’antithèse, peut-être, mais aussi le culte irréprochable de la langue, ce purisme du verbe qui n’est pas, pour un écrivain, la forme la moins appréciable de la probité. De Gautier à Vallès – jusqu’à Vallès, ce maître incomparable qui a formé Jules Renard aussi – tout le romantisme a influé sur vous.
« Dans quelques mois nous célébrerons un grand anniversaire. Qui donc l’eût commenté mieux que vous ? Votre culture était immense ; elle s’appliquait à tous les temps comme à tous les pays. Mais, lorsque votre curiosité s’appliquait à ces écrivains qui, en vingt ans des Méditations aux Burgraves, ont renouvelé tous les sujets, vous léguant, au reste, la formule sur laquelle votre théâtre est fondé ; lorsque vous recherchiez l’influence du romantisme chez un prestidigitateur de vers comme Banville ou chez Baudelaire, que vous ne pouvez pas renier, quelle abondance, quelle puissance de résurrection jaillissaient en vous.
« Romans, recueils, théâtre, c’est tout ce qu’il y avait en vous de français et, par là même d’humain, qui demeurera dans les mémoires.
« Sur ce cercueil qui vous enferme, s’il était permis de poser un de vos livres, un de vos chers compagnons, j’y mettrais votre recueil immortel de la Mer. D’abord, parce qu’il dit votre vie et qu’elle préféra parfois le joug des plus durs métiers au servage de la force ou de la richesse imbécile, parce que vous l’avez écrit en compagnie de la courageuse bohème du large, le dos contre la barre sous le suroit. Puis parce qu’il répond à ceux qui n’ont voulu voir en vous qu’un négateur, qu’un tueur de symboles. Aussi parce que, là, votre prodigieuse imagination verbale, ce tumulte de mots qui jaillissait en vous, votre force que des sujets vulgaires ne parvenait pas à épuiser, votre amour de la vie, votre passion de l’air, de la lumière et du vent, tout ce qui faisait en vous le grand poète s’épure, s’ennoblit ; là tous vos dons vous servent, l’image s’espace et se fleurit ; les rythmes s’allient, se croisent ou se balancent, pareils à ceux de l’Océan ; les nuances les plus subtiles succèdent aux effets les plus hardis. Mon cher Richepin, c’est là que je vous trouve, que je vous admire tout entier. C’est là que j’irai vous chercher. »
M. Edouard Estaunié, au nom de l’Académie française, évoqua le grand poète amoureux du verbe, le grand lettré passionné pour les œuvres dont s’illustre notre passé.
M. Charles-Henry Hirsch, au nom de la Société des gens de lettres, apparenta l’œuvre de Richepin à celle de Villon, et M. André Rivoire, au nom de la Société des auteurs, fit l’éloge du poète lyrique du Chemineau, de l’auteur de Nana-Sahib, de Miarka.
Les Annales, « La Mort de Jean
Richepin », Annales
africaines, 17 décembre 1926, p. 816.
Jean Richepin vient de mourir. Le poète de la chanson des Gueux et de la Mer, taillé en athlète, semblait, malgré ses 77 ans, devoir vivre longtemps encore ; une mauvaise grippe l'a abattu et emporté en quelques jours.
La mort de l'éminent académicien est une grande perte pour la littérature française ; elle a causé en Algérie, une vive impression, et d'unanimes regrets. Il ne pouvait en être autrement, car il y a quelques années, Jean Richepin y fit une tournée triomphale et on sait qu'il est né à Médéa, où son père, médecin-major, tint quelque temps garnison. Dès qu'il apprit la mort du poète, le maire de la ville fit mettre en berne le drapeau de la mairie et adressa à sa veuve le télégramme suivant :
« Le maire de Médéa, douloureusement ému par la perte qui met en deuil les lettres et la nation française, vous prie d'agréer l'assurance de la grande part que prennent la municipalité et la population entière de Médéa, ville natale du grand poète, au deuil cruel qui frappe la famille de l'éminent disparu.
« Hommages respectueux.
« Daudet, maire de Médéa »
Nos regrets à nous aussi, sont vifs et sincères car Jean Richepin fut un de nos collaborateurs de la première heure, à l'époque lointaine, où notre publication s'appelait La Revue Algérienne. Il nous donna des sonnets de la plus belle envolée et fit partie, avec F. J. Touiet, le vicomte de Borelli, Rachel Schopin, René Viviani, P. J. Alaux, de cette brillante pléiade qui valut tant de lustre à notre vieille publication et assura son succès.
Aussi, est-ce un souvenir ; profondément reconnaissant que nous garderons du brillant poète et de l'ami généreux
Nous prions sa famille de vouloir bien agréer nos plus vives condoléances.
LES ANNALES.
Fernand Gregh, « Jean Richepin,
par Fernand Gregh », Candide, 16 décembre 1926, p. 3.
Je l'ai vu sur son lit funèbre il était toujours beau. Sa figure n'était pas celle d'un mort, son teint basané n’avait point pâli. Il reposait. Sa courte barbe frisée, ramenée en avant dans le désordre de l'agonie, et poussée encore par le col de la chemise empesée — ce col qu'il portait toujours bas, largement échancré, pour mieux respirer l'air du ciel, — le faisait ressembler au Hugo embroussaillé des études que Rodin fit à l'eau-forte. Pour préparer son buste immortel. Il apparaissait ainsi, comme Hugo, de la lignée des grands mâles, des Jupiter charmeurs de femmes et adorateurs de l'Eternel Féminin. C'est un bel exemplaire d'humanité qui disparaît. Lui qui, jeune, narguait « les Aryas, ces inventeurs de Dieu », il a vécu pour un dieu, l'Amour, et une déesse, la Poésie. Le dieu l’a comblé, la déesse — en dépit des vicissitudes qu'il y a dans toute vie de poète, — la déesse l'a couronné. Il fut heureux. Il s’en va accompagné d'un long murmure d'affection et d'une admiration où se mêle, il me semble, quelque repentir. « C'est le soir d'un beau jour. »
Quelque repentir, ai-je dit. Si célèbre, si populaire même qu'il fût, en effet — il était reconnu, salué dans la rue par la foule, et les écoliers du lycée Janson-de-Sailly se le montraient du doigt au coin de la rue de la Tour — il n'avait pas été toujours gâté par la critique des écoles plus récentes, et la jeunesse surtout semblait l'oublier. La mort remet tout au point. Il se fait autour d'un vieillard illustre, quand il meurt, un silence respectueux où tout à coup, après le tumulte contemporain, commence à retentir seule la voix du souvenir. Elle rappelle ce qui fut son beau temps, son âge d'or, l 'époque de sa création encore inouïe et de sa plus verte nouveauté. Soudain le mort rajeunit, comme sa propre dépouille, il se transfigure en se ressemblant, si l'on peut dire, davantage, et il apparaît, selon le beau vers de Mallarmé dont on n'épuise pas en dépit de toutes les citations, de toutes les exhautions, le sens sublime, il apparaît
Tel qu'en lui-même enfin l’Eternité le change.
On l'a bien vu, aux articles qui ont paru sur Richepin dès le lendemain de sa dernière nuit. Toutes les épithètes favorables ont monté d'un degré. Et ce n'était pas dû seulement à l'attendrissement naturel des vivants sur les trépassés. Il y avait autre chose : chacun de ceux qui écrivaient sur lui avait fait un effort de synthèse, rassemblé sous ses yeux toute sa vie littéraire, et l'avait revu, par-delà ses dernières œuvres, plus jeune, sinon plus beau, plus farouche, audacieux, rebelle, superbement viril, quand il publiait la Chanson des Gueux, les Caresses, les Blasphèmes, la Mer. Chacun avait pesé rapidement, dans les justes balances de la postérité que commençait peur lui, le doit et avoir de son œuvre. Chacun avait senti, compris, constaté que l’avoir l'emportait et de beaucoup.
Je viens de sembler peut-être sacrifier un peu facilement ses dernières œuvres. Qu'on ne s'y trompe pas cependant : même dans les Interludes, surtout dans les Glas, au triste titre prémonitoire, dans Mes Paradis, encore plus dans la Bombarde, le livre de lui que Richepin préférait, j'estime au contraire qu'on trouve des vers dignes d'être admirés. Mais quand ils parurent, s'il était habitué à sa voix, on connaissait sa manière, ses procédés, ses tics — tout le monde en a. On ouvrait le livre : « C'était du Richepin. » On lisait et on classait.
C'est ainsi que, pour prendre un grand exemple — Albert Thibaudet le disait justement ici-même, et je suis heureux de cette rencontre sur un point capital — les derniers livres de Hugo furent lus d'abord avec quelque distraction — « c'était du Hugo » —, alors qu'ils égalent et peut-être dépassent des livres de sa jeunesse et plus célébrés. Un grand artiste, justement parce qu'il est un grand artiste, ne remet presque jamais les pas dans ses pas. Mais quand il a vécu vieux, on l'a suivi longtemps, on s'y est un peu essoufflé, — et on le laisse volontiers s'enfoncer quasi seul, comme un roi Lear, dans les vastes étendues qui le mènent à la mort.
Il me souvient d'avoir risqué, dans une première et lointaine Etude sur Victor Hugo, l'idée que le livre de Hugo, si simplement et si magnifiquement intitulé de cette syllabe infinie, Dieu, était encore inédit, qu'il serait un jour comme inventé, et qu'on découvrirait alors des pages de toute beauté, je me réjouis d'avoir été bon prophète — oh ! sans mérite : il suffisait de le lire pour lui rendre justice — et je crois même que le jour est venu.
Ainsi, les proportions gardées — Richepin était un disciple de Hugo, il eût pu choisir plus mal son maître — on fera un jour des découvertes dans les Glas, dans Mes Paradis ou dans la Bombarde.
Mais enfin, quand on veut parler de Richepin lyrique, on pense tout de suite, et on pensera surtout aux quatre volumes de sa jeunesse, et d'abord à la Chanson des Gueux. À jeter sur elle un regard d'ensemble, on se rend compte qu'elle méritait tout son succès. Il y avait en elle de l’inentendu, Depuis Mathurin Régnier, plus satirique, depuis Villon si lointain et Rutebeuf encore plus lointain, personne, comme Richepin, n'avait donné la parole à la pègre. A peine pourrait-on signaler comme ses précurseurs immédiats, Baudelaire qu'il admirait fort, dans Le Vin des Chiffonniers ou Le Vin de l’Assassin, et un poète mort en 1822 et qui avait eu un éclair de génie en 1830, le Barbier de la Curée. Lui aussi, Richepin chantait la « sainte canaille » Et si les dieux de l'Olympe — témoins Chénier et l'éternel Hugo — sont un plus beau thème que les escarpes de « fortifs », — il ne faut pas mépriser les motifs d'inspiration qu'un poète au cœur fraternel peut trouver dans la fréquentation de la plus basse plèbe. Nous savons depuis longtemps qu'il y a une beauté jusque dans Suburre.
Ce n'est point le hasard qui met ce mot sous ma plume ; c'est, comme disait Montesquieu : « la nature des choses ». Jean Richepin était essentiellement un Latin.
Du Latin il a la clarté un peu crue, la carrure, la cambrure, la couleur — les Grecs ont la lumière — la cernure énergique de l'adjectif, l'éloquence native, — et les mille tours de la rhétorique.
Avec son teint bronzé, ses cheveux crêpelés, son corps et son air de gladiateur, c'était un Latin d'Afrique, un Romain de Mauritanie, un citoyen d'Hippone ou de Rusicada, quelque chose comme un contemporain de saint Augustin, nourri des lettres antiques, moins de Virgile d'ailleurs que de Lucain et de Juvénal, et demeuré païen. On le voit très bien faisant une lectio devant un auditoire de belles Romaines coiffées à l'Agrippine ou à la Julia Domna. Et n'est-ce pas ainsi d'ailleurs qu'il a fini, en le durer, comme disent les Anglais, c'est-à-dire en conférencier ?
Mais — et c'est ce qui complète sa figure changeante et riche en aspects différents — Richepin était aussi un gamin de Paris, un gavroche à origine sans doute tzigane, mais complètement naturalisé montmartrois ou montourigen. Il me disait un jour qu'il avait passé la Commune à Paris, et il ajoutait qu'à travers le désordre de ce temps, grâce à la jeunesse qui bouillait en lui, il ne s'était jamais tant amusé, courant Paris du matin au soir et regardant de tous ses veux. Quoi d'étonnant à cela ? Gavroche est dans la révolution comme dans son élément. Lui, l'enfant de la rue, il en devient, soudain, le maître. Quel plaisir ! C'est en chantant qu'il meurt.
Cette part de l'œuvre de Richepin — qui a inspiré, je le, crois fermement les chansons souvent admirables d'Aristide Bruant, lequel aurait dû s'appeler Aristide Truand, — cette part populaire où Gavroche a collaboré avec un normalien rompu à toute la technique du style et du vers — demeurera. On récitera toujours la ballade de Navet :
Ce marloupathe pâle et mince
Se nommait simplement Navet.
Navet mangeait plus qu'il n'avait...
et les Bains à quatre sous (mais les verrons-nous a ce prix fabuleux ?)
Et les Batignollais verront toujours des vignes...
Latin de Numidie, Parisien de la Butte ou de Montparnasse, Jean Richepin aura été au théâtre tout simplement un romantique, un romantique pur sang. Ses grandes « machines », Par le Glaive, Vers la Joie, La Martyre, sont issues directement de Hugo ; même le Chemineau, en dépit de son côté un peu romance, vient du Théâtre en Liberté à travers la Chanson des Gueux. Et si le délicieux Monsieur Scapin, par-delà Banville, relève de Regnard, n'oublions pas que les romantiques pardonnaient à Molière — leur bête noire était Racine — et qu'au fond le vers du théâtre romantique, c'est le vers de Molière et de Regnard aéré et brisé.
Jean Richepin laisse, d'abord, le souvenir d'un homme qui fut parfaitement beau et parfaitement bon, et puis une légende, une légende pleine de pittoresque, qui ornera l'histoire littéraire de la fin du XIXe siècle.
Il laisse enfin une œuvre abondante, variée, solide, puissante, sanguine, verveuse, proche de l'âme du peuple, allumée à la cime d'une flamme, et qui marquera dans l'histoire entre le Parnasse, et le Symbolisme un moment de la poésie française oui fut vraiment le sien.
Fernand GREGH.
Anonyme, « Paris a fait
d’émouvantes funérailles à Jean Richepin », L’Œuvre, 17 décembre 1926, p.
1-2.
Une foule d’amis et d’admirateurs s’était assemblée de bonne heure devant la villa Guibert, où reposait le corps du poète de la Chanson des Gueux. Le ciel d’hiver, si dur aux pauvres gens, avait quitté sa robe grise. Il était clair et franc, comme s’il avait voulu se donner un visage à l’image de celui que la mort emportait.
Il était dix heures quand le cortège quitta la villa ; il se déroula calme, dans les rues de Passy pour se rendre rue de l’Annonciation où devait avoir lieu la cérémonie.
Sur le char funèbre chargé de fleurs, se détachait une couronne de roses rouges où se lisaient ces simples mots : « A notre père et à notre grand-père ». Sur un autre char étaient placées les couronnes envoyées par la Société des Auteurs et Compositeurs, la Société des Gens de Lettres, la Comédie-Française, l’Odéon, L’œuvre des Poètes, l’Orphelinat des Arts, l’Union des arts, l’Université des Annales, l’Association générale des Etudiants, etc…
Devant le cercueil marchaient deux enfants de troupe portant une couronne. Ils n’avaient pas oublié que Jean Richepin avait appartenu à leur corps. Des pupilles de l’Orphelinat des Arts les précédaient.
M. Edouard Herriot, ministre de l’Instruction publique, représentant le gouvernement ; M. René Doumic, secrétaire perpétuel de l’Académie Française ; M. André Rivoire, président de la société des Auteurs dramatiques, et M. Charles Henri-Hirsch, de la Société des Gens de Lettres, tenaient les cordons du poêle.
Le deuil était conduit par la famille du poète : Mme Jean Richepin, sa veuve ; MM. Jacques, Tiarko, Jean-Loup et Jean-Pierre, ses fils ; Mme Cora-Laparcerie-Richepin, sa belle-fille ; M. François et Mlle Jacqueline Richepin, ses petits-enfants. Près d’eux se tenait Raoul Ponchon, le fidèle ami, le vieux compagnon de Jean Richepin.
De nombreuses personnalités du monde politique et littéraire accompagnaient l’auteur des Blasphèmes. On remarquait d’abord : M. et Mme Stempowski, le baron et la baronne Korff, ses beaux-frères et belles-sœurs. Venait ensuite l’Académie Française : MM. Maurice Donnay, Marcel Prévost, Henri de Régnier, Georges Lecomte, Pierre de Nolhac, Henry Bordeaux, Paul Valéry, Louis Bertrand. M. Edouard Estaunié, souffrant, était en voiture. Puis M. Jules Cambon, ambassadeur de France ; MM. De Chapowski, ministre de Pologne, et Diamanry, ministre de Roumanie.
Le président de la République était représenté par M. André Sauger ; M. Poincaré, par M. Grignon, chef de son cabinet ; M. Briand, par M. Suard, chef-adjoint de son cabinet ; M. Painlevé, par le capitaine Barutran. M. Albert Sarraut, ministre de l’intérieur, M. Louis Barthou, ministre de la justice, le général Gouraud, gouverneur militaire de Paris, étaient présents, ainsi que M. Paul Léon, directeur des Beaux-arts ; MM. Emile Fabre, Daniélou, Henry Paté, Paul Strauss, Louis Dausset, Bouju Maurain, Me Henri-Robert et Mme Paul Deschanel
C’est dans un silence impressionnant que le cortège arriva rue de l’Annonciation. Une foule respectueuse était venue saluer la dépouille mortelle du maître. On distinguait : MM. Maurice Maeterlinck, Tristan Bernard, Henry Bernstein, Charles le Goffic, Gaston Chérau, Lucien Descaves, Edmond Sée, Francis de Croisset, Edmond Haraucourt, Paul Fort, Paul-Napoléon Roinard, Saint-Georges de Bouhélier, Astruc, Le Cardonnel, Gustave Quinson, Yves Mirande, Fernand Gregh, Paul Ginisty, G. d’Esparbès, Zamacoïs, Max Maurey, Francis Carco, Maurice Rostand, Paul Franck, Nozière, Paul Sardou, Ivan Goll, Fisher ; Mmes Georges Courteline, Colette, Hélène Vascaresco, Ida Rubinstein, Cléo de Mérode, Bartet, Simone, Jeanne Léandre.
Le discours de M. Edouard Herriot
A l’issue de la cérémonie, sur la petite place de la rue de l’Annonciation, un socle était dressé. On y plaça le cercueil. La foule se rassembla, attentive {2}. M. Edouard Herriot, le premier, au nom du gouvernement, prit la parole. Il salua l’illustre écrivain dont la réputation avait atteint l’âme populaire.
Dans votre dernier recueil vous imaginez votre dernière heure ; en quelque saison qu’elle dût survenir, vous la vouliez accueillir avec douceur et vous lui offriez de belles images. Ainsi s’affirma jusqu’à l’ultime instant, votre splendide courage. Oui, votre grand courage. Vous nous laissez, en un temps où s’impose un matérialisme cent fois plus hideux que celui des philosophes, l’exemple admirable d’un home qui s’est voué aux lettres, à la recherche de la beauté : tous ceux qui ont, si peu que ce soit, mordu à la grappe divine, vous doivent de la reconnaissance et du respect. Vous avez connu la malveillance et vous n’avez été que généreux ; vous avez sévèrement lutté et nulle parole d’amertume ne sortait de votre bouche ; on vous a cru peut être environné de ce luxe que votre imagination créait et vous n’avez été que laborieux. Dans une pièce de votre premier volume, de ce volume qu’on a tant discuté jadis, vous avez dit votre pitié pour ceux que la mauvaise saison achève parce qu’ils ne peuvent interrompre leur besogne :
Voici venir l’hiver, tueur de pauvres gens, et c’est en vous rendant à votre labeur que le mal vous a saisi, terrassant votre forte nature qui faisait votre orgueil et paraissait narguer la mort.
Dès la Chanson des Gueux, dès les Blasphèmes, jusqu’à certains douloureux poèmes de guerre, c’est l’âme de notre pays qui chante en vous. C'est cela qu’a d’instinct reconnu en vous ce peuple que vous aimiez, qui vous connaît et qui vous aime. C’est sur nos terres que vous avez rencontré votre Chemineau. C’est là que vous avez connu les souffrants et les humbles, vos héros, les petits enfants bercés dans les hottes ou grelottant sur les chemins, le vieux stropiat, mendiant sous la pluie, le laboureur appuyé sur les mancherons de la charrue. C’est là que vous avez entendu la romance de la fauvette à tête noire. Ce sont nos paysages que vous avez décrits et sans cesse repris, ces paysages de France si chargés eux-mêmes de vie qu’ils ont l’air de penser, le bois qui meurt, l’eau qui passe et les plus gueux aussi de ces paysages, les sacrifiés, ces humbles terrains de banlieue que vous compariez à des lacs rouillés.
Et M. Edouard Herriot termina :
– Et demain, vous aurez quitté ce Paris que vous avez adoré, qui vous a donné les joies du succès, que vous pouviez contempler du haut de votre studieux refuge. J’y suis monté l’autre jour, précédé du cher ami qui accompagna toute votre vie et dont la douleur est un hommage plus précieux, vous le savez, que tous les témoignages officiels. Sur votre table, bien en vue, quelques vers étaient suspendus ; le nom de François d’Assise s’y unissait à celui de Villon. C’est comme une manière de testament ou de credo qu’ainsi, semble-t-il, vous avez voulu nous laisser : un dernier souvenir aux humbles ou à ceux qui les ont chéris.
Discours de MM. Edouard Estaunié, Charles-Henry Hirsch et André Rivoire
M. Edouard Estaunié, représentant l’Académie Française, succéda à M. Edouard Herriot. Il rappela la jeunesse de Jean Richepin :
– Une passion d’affranchissement s’en exhale, dit-il. Nous en goûtons la beauté musclée, dédaigneuse du sentier battu autant que fidèle aux lois savantes de l’art. Oserai-je ajouter qu’elle nous révèle, jusque dans sa fureur divine, la bonté profonde de l’inspiré qui la criait ? La lyre déposée, ce grand héritier de Villon en effet, avait des douceurs d’enfant, ou ne connaissait de colères que pour porter aide à de plus faibles venus à lui.
Au nom de la Société des Gens de lettres, dont il est le vice-président, L. Charles-Henry Hirsch parla de Jean Richepin journaliste, conteur, romancier, orateur. Il exalta son indépendance, son esprit de liberté.
– De volume en recueil, ajouta-t-il, le poète s’élève. « Chanteur des grands ciels qui dorent les guenilles des mendiants et réjouissent le dos maigre des gueux, chanteur des mers vastes qui hâlent le visage et bercent la pauvreté des matelots », le qualifiera une chronique fameuse d’Octave Mirbeau.
Si durables soient ces livres, vrais, humains, construits selon les règles souveraines du récit, narrés dans une langue sans défaillance, peut-être l’avenir placera-t-il au-dessus d’eux les Contes latins ? Cette gageure, gagnée par Jean Richepin, n’était possible qu’à un latiniste de sa valeur, comme de rejoindre, par maint de ses poèmes originaux, la simplicité et la profondeur des chansons populaires.
L’hommage de la société des auteurs dramatiques dont Jean Richepin fut le président a été ensuite apporté par M. André Rivoire. Il analysa rapidement l’œuvre dramatique du poète, dont il remémora les débuts.
– Il devait fatalement en venir au théâtre, s’y faire une grande place, expliqua-t-il. Ce fut assez tardivement, seulement dix ans après avoir glissé discrètement un petit acte au théâtre de la Tour-d’Auvergne. Son vrai début à la scène fut La Glu, cinq actes en prose joués à l’Ambigu et dont une chanson fut aussitôt célèbre et l’est encore, chanson populaire qui peut paraître extraite du folklore, et survivra peut-être à la pièce, comme le buste, a dit Théophile Gautier, survit à la cité.
C’est sur ce discours que se termina cette émouvante cérémonie. Lentement, le public se retira, cependant qu’un fourgon conduisait à sa dernière demeure celui qui aima et chanta magnifiquement la vie des humbles.
L’inhumation du corps de Jean Richepin aura lieu aujourd’hui au cimetière du Val-André, dans les Côtes-du-Nord.
Les Annales, « La Mort de Jean
Richepin » dans Annales
africaines : revue
hebdomadaire de l’Afrique du Nord, 17 décembre 1926,
p. 816.
Jean Richepin vient de mourir. Le poète de la chanson des Gueux et de la Mer, taillé en athlète, semblait, malgré ses 77 ans, devoir vivre longtemps encore ; une mauvaise grippe l'a abattu et emporté en quelques jours.
La mort de l'éminent académicien, est une grande perte pour la littérature française ; elle a causé en Algérie, une vive impression, et d'unanimes regrets. Il ne pouvait en être autrement, car il y a quelques années, Jean Richepin y fit une tournée triomphale et on sait qu'il est né à Médéa, où son père, médecin-major, tint quelque temps garnison. Dès qu'il apprit la mort du poète, le maire de la ville fit mettre en berne le drapeau de la mairie et adressa à sa veuve le télégramme suivant :
« Le maire de Médéa, douloureusement ému par la perte qui met en deuil les lettres et la nation française, vous prie d'agréer l'assurance de la grande part que prennent la municipalité et la population entière de Médéa, ville natale du grand poète, au deuil cruel qui frappe la famille de l'éminent disparu.
« Hommages respectueux.
« Daudet, maire de Médéa ».
Nos regrets à nous aussi, sont vifs et sincères car, Jean Richepin fut un de nos collaborateurs de la première heure, à l'époque lointaine, où notre publication s'appelait La Revue Algérienne. Il nous donna des sonnets de la plus belle envolée et fit partie, avec F. J. Touiet, le vicomte de Borelli, Rachel Schopin, René Viviani, P. J. Alaux, de cette brillante pléiade qui valut tant de lustre à notre vieille publication et assura son succès. Aussi, est-ce un souvenir profondément reconnaissant que nous garderons du brillant poète et de l'ami-généreux.
Nous prions sa famille de vouloir bien agréer nos plus vives condoléances.
LES ANNALES.
Francis de Croisset, « Hommage
à Jean Richepin – Jean Richepin familier » Le Figaro, supplément littéraire du
dimanche, 18 décembre 1926, p. 1.
–– Aimez-vous Shakespeare ? me demanda-t-il.
Je ne répondis pas tout de suite, intimidé. Je m'étais lié avec Jacques Richepin d'une amitié que vingt années n'ont pas démentie, et il m'avait conduit chez son père.
II était assis dans un fauteuil gothique. La fenêtre, ouverte sur un petit jardin, laissait entrer le printemps de Paris. Frisée, sa barbe de Jupiter pompéien bouclait autour d'un visage de bronze clair, où brillaient des yeux impérieux et tendres. Il souriait d'un sourire qu'on n'inventera plus et qui vous offrait du bonheur. Une robe de chambre rouge l'enveloppait comme d'une flamme. Je savais qu'il était près de la cinquantaine, mais mes vingt ans éblouis contemplaient sa jeunesse.
––Eh bien, reprit-il, martelant le bureau de son poing – une petite main cuivrée et solide, bosselée de bagues – eh bien, aimez-vous Shakespeare, oui ou non ?
Jacques Richepin, assis sur la table, me regardait, amusé.
– Oui, répondis-je résolument, j'aime Shakespeare. Pourquoi ?
– Parce que l'humanité, tonna Richepin, se divise en deux catégories ceux qui aiment Shakespeare et les mufles. Banville m'a accueilli avec cette phrase-là. C'est une pierre de touche.
II se leva, rit d'un rire lumineux et gai, sonna et dit :
– Monsieur aime Shakespeare. Il déjeunera avec nous.
Ce premier déjeuner fut un enchantement. Richepin savait tout. Il embellissait chaque plat d'une anecdote ou d'un souvenir. Sa conversation fulgurante faisait de la lumière sur la nappe. Je me rappelle avec ravissement la salade que nous mangeâmes, car, à propos de son huile, qui lui venait de Provence, il nous raconta un pèlerinage gitane aux Saintes-Maries-de-la-Mer, fit surgir les murailles d'Aigues-Mortes, dressa une armée de cyprès, fit apparaître des taureaux avec leurs gardians et acheva sa salade sur des vers de Mistral ! Et je me souviens aussi qu'il m'offrit des figues, car elles l'incitèrent à nous parler de Heredia, de Pierre Louys et d'Homère !
Il interrompait une citation par un vieux refrain, car il était bourdonnant de souvenirs et de chansons comme, l'été, les lauriers sont pleins de rayons et d'abeilles. Il savait toutes les chansons méditerranéennes, qu'elles fussent françaises, italiennes, arabes ou espagnoles, et, avec son grand air de contrebandier, il les chantait de sa voix latine, à la fois sonore et douce.
Prodigieuse, sa culture amoureuse et vivante fondait le passé dans le présent. Il aimait tant les poètes que, disparus, il les ressuscitait. Il ne tenait pas compte de la mort qui, hélas ne semblait pas faite pour lui. Il savait que Shakespeare était mort, mais je crois bien qu'il n'y a jamais cru et, s'il parlait de Ponchon comme d'un ami, il parlait d'Horace comme d'un camarade. Il avait vénéré Hugo et Mistral, aimé Banville et Verlaine, mais, dédaigneux des siècles, il avait une façon de parler de Lucrèce ou d'Ovide à vous faire croire qu'ils allaient entrer. Sans doute, dans une vie antérieure, avait-il, sous les colonnes du Parthénon, devisé avec Platon des dieux immortels, ces beaux dieux athlétiques auxquels il ressemblait.
Je revois, les yeux brouillés de larmes, la lumière de ce clair déjeuner. Mais ce sont toutes les minutes que j'ai vécues auprès de mon cher et bon maître que j'évoque, le cœur déchiré. Il était si simple, si humain, si chaleureux Il aurait inventé la bonté. Un peu anxieuse, sa première phrase était toujours Que puis-je faire pour vous ? » Et le seul moyen de le rasséréner était de lui demander un service.
Mais il était trop viril pour ne pas savoir
haïr. Il haïssait tout ce qui est laid : le mensonge,
l'hypocrisie, l'avarice, la lâcheté. Il détestait tout cela avec
une indignation lyrique où il entrait encore plus de surprise que
de colère. Surtout, il y entrait une incroyable jeunesse. Il avait
gardé ce que Fernand Gregh a appelé le don d'enfance C'est dire à
quel point il était optimiste. Il était mieux que joyeux il était
insouciant. Pour lui, le bonheur, c'était toujours, un projet, et
la vie, une improvisation.
A près de soixante ans, il aimait
encore les jeux, et je l'ai vu, prêchant d'exemple, qui enseignait
aux enfants à sauter à la perche Aujourd'hui, l'on écrirait de
Richepin qu'il fut sportif, mais c'est un qualificatif que son
allégresse dépassait.
C'est au grand air qu'il était le plus merveilleux. A Paris, il avait beau bomber le torse, il s'y trouvait à l'étroit il avait toujours l'air d'un dieu en vacances ! A la campagne, ce grand poète naturel retrouvait sa liberté. Il a écrit sur la mer les plus beaux vers qu'elle ait inspirés, mais il disait d'elle les plus belles choses qu'on ait jamais dites. Sa présence grandissait un paysage. En Provence, où j'ai passé des jours à ses côtés, il composait à lui seul une églogue. Il savait le nom de toutes les fleurs et, comme d'autres potinent sur les femmes, sur chacune d'elles il racontait une histoire. Il savait comment on vanne le blé, fane le foin, vendange les raisins et, par les belles nuits d'été, il vous faisait de telles confidences sur les étoiles que, lorsqu'il vous disait bonsoir, on croyait qu'il y remontait II y avait en lui un bohème, un laboureur, un vigneron, un marin et un chasseur subtil comme un braconnier. Personne n'a été plus amoureux de la nature et plus près d'elle. Quand, tout seul, les bras croisés, embroussaillé de sa magnifique crinière, il contemplait un champ ou un coin de forêt, il semblait avoir poussé là, avec les blés ou, avec les arbres, et tenant au sol de France comme par des racines.
Francis de Croisset
Collectif, « Hommage à Jean
Richepin – Souvenirs et témoignages » Le Figaro, supplément littéraire du
dimanche, 18 décembre 1926, p. 1.
M. Paul Bourget
de l’Académie française
Mon cher confrère et ami J'ai trop admiré
les vers de Jean Richepin et trop aimé l'homme pour ne
pas
m'associer de cœur et d'esprit à l'hommage que le Figaro veut lui
rendre. Il aura été, avec Flaubert et Baudelaire, un des écrivains
français de la seconde moitié du dix-neuvième siècle qui ont
pratiqué le plus heureusement la maxime formulée par Chénier :
Sur des pensers nouveaux, faisons des vers antiques.
Aller aussi loin que possible dans la
peinture des mœurs et des sentiments modernes et maintenir, avec
une intransigeante rigueur, la tradition de la langue classique,
toute voisine du latin, tel est le trait commun à ces trois
maîtres. C'est la raison pour laquelle ils sont assurés de durer
dans leurs hautes parties, de cette durée qu'un de leurs ancêtres
de Rome définissait aere
perennius. C'est je crois, l'éloge que ce grand humaniste eût
préféré. Vous le rappelez-vous, dans nos séances académiques,
énonçant, à propos de chacun des termes discutés des réflexions
qui témoignaient, chez ce grand lyrique, d'une science
verbale
prodigieuse par sa minutie et sa sûreté Quelle
tristesse de songer que ce bel artiste littéraire nous a quittés
pour toujours !
Affectueusement à vous
Paul Bourget,
M. Henri Régnier
de l’Académie française
J’ai aimé en Jean Richepin l’homme au cœur généreux, le poète d’un lyrisme tour à tour truculent et pittoresque, toujours éloquent, servi par une rhétorique savante et une impeccable érudition verbale, son œuvre de réalisme romantique aux fortes attaches classiques, toute vibrante de verve, de fiers élans et de vie intense.
M. Camille Jullian
de l’Académie française
Un Gaulois, Richepin ? Si l'on veut. Mais surtout un Français, de franche attitude et de trempe solide. De notre race, il avait la clarté d'esprit, l'habitude des visions nettes, la gaieté inaltérable et la droiture de caractère.
Et puis il connaissait si parfaitement les
qualités et comme les vertus de notre langue ! Pour chaque mot il
savait d’où il venait et où il allait et il savait aussi le, rôle
que ce mot avait joué, les
phrases où il avait pris place, les
auteurs qui l'avaient illustré. Je ne crois pas qu'aucun écrivain
de notre temps ait plus pieusement conservé en lui le souvenir de
tous les écrits de France.
C'est une des forces de la patrie qui s'en va avec Richepin.
M. Edmond Haraucourt
Je crois bien qu'il faut faire ou avoir fait
des vers pour rendre au talent de Jean Richepin une pleine justice
et pour goûter tout entière sa prestigieuse maîtrise. Il n'est pas
orfèvre, et ne daigne il ne cisèle pas la matière, il la pétrit,
la dompte, la malaxe, sans effort, et c'est presque un plaisir
des
yeux que de le voir jouer avec les mots, les rimes, les
idées. Il travaille en gaîté ; sa pensée n'est qu'une
manifestation de sa verve toute son œuvre est le geste de sa joie
de vivre.
Aussi bien, il fut un paradoxe vivant. l'antithèse mise en action classique révolutionnaire, normalien évadé, chemineau humaniste, il allie les incompatibles. Issu des parnassiens, il saute par-dessus pour se raccrocher aux romantiques et rebondir parmi les imagiers du moyen âge. Son existence entière, et jusqu'aux derniers jours, fut d'un tel mouvement qu'il a l'air aujourd'hui, dans cette immobilité qui lui ressemble si peu, de réaliser un dernier paradoxe.
M. Charles Le Goffic
Un romantique ? Oui, même un sur-romantique,
un échappé des Jeune-France de Gautier, quelque chose
comme un Jehan du Seigneur ou un Pétrus Borel parvenu à
l'expression et dont la strophe puissante, lestée de réalisme,
s'enlève d'un essor aussi franc que celle de Lamartine et de Hugo.
Il est sonore et rutilant il y a en lui du rhéteur et du bateleur.
Et il affiche un désolant, un incurable matérialisme. Il se sauve
par une langue drue, fraîche, savoureuse, cueillie chez les vieux
auteurs de la souche gauloise et aux lèvres des paysans et des
marins, surtout par une
sensibilité qui, aussi souvent qu'elle
communie avec l'âme populaire, nous en restitue sans effort la
couleur et l'accent (voir l'inoubliable chanson de La Glu). Il n'a jamais
rétamé de casseroles peut-être il n'a pas été roulottier,
débardeur, pirate, et cet ennemi des conventions sociales s'avère
dans la pratique tout pénétré d'ordre latin il respecte la patrie,
la césure et la syntaxe. Heureuse inconséquence qui, sous les
traits du plus farouche iconoclaste de ce temps, nous permet
d'admirer un esprit éminemment traditionnel, ami du clair parler
français et lui-même un des maîtres de ce parler.
M. Auguste Dorchain
François Villon et Rabelais, Mathurin Régnier et Saint-Amand, puis, deux siècles plus tard, Victor Hugo, voilà ses aïeux.
Puissant lyrique, satirique véhément, virtuose extraordinaire, artisan passionné du verbe, voilà le poète, le grand poète.
Son lyrisme va de la chanson populaire à l'ode quasi pindarique. Telle de ses complaintes semble être sortie du trésor commun et anonyme de la race et prête à bientôt s'y confondre mais depuis les Contemplations personne, comme lui, n'avait su dérouler, enchaîner, exalter, sur de plus vastes thèmes, de plus larges strophes.
II aima d'amour le vocabulaire, tout le
vocabulaire, de celui d'un Bossuet, d'un Saint-Simon ou d'un
Pascal, à celui des « crocheteurs du Port-au-Foin », comme déjà le
recommandait
Malherbe. Autant que la syntaxe latine, dont elle
est issue, il adora notre syntaxe française, instrument de logique
et de lumière. Et il connut trop bien les infinies ressources de
notre métrique pour se mettre, en cherchant ailleurs, hors de la
communion des siècles et des chefs-d'œuvre.
Son inspiration ? Son âme ? La Chanson des
gueux, livre, en apparence, de
colère et d'anarchie, est, au
fond, un cri permanent de pitié. Sous l'ardente, sensualité des
Caresses, un immense besoin de tendresse n'est caché qu'à peine.
Le contempteur, insulteur et négateur des Blasphèmes, devant la
férocité des lois naturelles, est un révolté, certes, mais d'abord
un homme qui cherche, qui interroge, un homme que, sans cesse et
malgré soi, l'infini tourmente. Enfin, le matérialiste de Mes
Paradis, ces paradis qu'il ne prétend vouloir qu'à portée de la
main et à ras de terre, y lève à chaque instant les yeux vers les
étoiles.
Au temps de sa jeunesse, poète ter erré, voyagé par tous les chemins. Plus tard, comme le chemineau de son drame, il a rêvé de la maison, du foyer, de la famille, mais, plus sage que son héros, il ne s'en est point tenu au rêve. Après avoir obéi, par on ne sait quel atavisme, sans doute, à son tempérament, à sa fantaisie, il a senti dans l'existence, comme il l'avait toujours senti dans l'art, la beauté de la règle, qui n'est point une servitude et une gêne, mais un support et une aide à la liberté véritable : et désormais il n’a plus obéi qu'à son cœur ?
Ce cœur généreux a cessé de battre. Tous ceux qui n'ont pas seulement, admiré le poète, mais connu l'homme, l'ont aimé. Tous ceux qui l'ont aimé le pleurent. Je suis de ceux-là.
M. André Rivoire
C'était un poète, un vrai, dont le peuple de
Paris a salué, hier, respectueusement, les obsèques. Prodigue,
généreux, insouciant de ce qui n'était pas la Beauté, il fut
toujours prêt à crier secours dès qu'il découvrait une misère ou à
proclamer une brusque admiration. Il ne haïssait que les
tyrannies, toutes les tyrannies, et bravement, aussitôt, il
entrait en bataille, par seul goût du
risque et du défi. C'est
par là peut-être que s'expliquent le mieux les Blasphèmes. Et quel prodigieux ouvrier
de lettres Il avait tout lu, tout retenu. Ce qui ne l'empêchait
pas d'inventer… Au contraire. A la fin de ce dix-neuvième siècle,
qui fut celui des grands poètes, il fut l'un des plus dignes de
prendre en main le flambeau des illustres disparus.
M. Fernand Gregh
En dépit des apparences, il est assez difficile de situer dans l'évolution de la poésie française le grand indépendant que fut Jean Richepin. Il n'était guère- du Parnasse que par Montparnasse, où il m'a conté avoir beaucoup couru dans sa jeunesse exubérante et bohème.
On connut, en effet, à la fin du Second Empire, un Parnasse d'inspiration surtout parisienne, issu de certaines pièces de Joseph Delorme et du Baudelaire des Tableaux Parisiens, et dont le représentant le plus célèbre fut d'abord François Coppée. Coppée et Richepin étaient très amis, et l'étaient restés on se souvient de la preuve héroïque d'amitié que Coppée donna à Richepin en venant voter pour lui, mourant, à l'Académie. Tous les deux étaient forces par leur amour de la ville, qu'ils aimaient jusque dans ses verrues : Coppée chantait surtout les petites gens, et Richepin les pauvres gens.
C'est en ce sens que ce dernier pourrait se rattacher au Parnasse.
Au surplus, il constituait à lui tout seul,
ou presque tout seul, une école de poésie, qu'il avait appelée
l'école des Vivants.
Le nom n'est pas resté, mais il n'importe. L'œuvre seule compte,
et
la théorie ne vaut que pour éclairer de toute œuvre les
origines et les tendances. En somme, Jean Richepin a été, entre le
Parnasse et le
symbolisme, un moment de la poésie française, romantique par la
forme, réaliste par la vision. Et c'est ainsi, je le crois, qu’il
apparaîtra dans l'histoire de notre poésie un disciple de Hugo
qui, par moments, dans la Chanson du sang, dans
la Mer, dans le Bouc aux enfants (je cite
de mémoire) écrivit des vers dignes de son immense maître, et un
contemporain du naturalisme, de Zola, comme lui puissant, comme
lui épris des misérables, et chantre moins de la vie
intérieure que de la vie sociale, mais – il ne s'était pas
trompé
– de la Vie.
M. Paul Fort
Jean Richepin fut, dans ses chansons, l'un
des poètes le plus près de l'âme.
populaire il y avait
retrouvé les accents de notre folklore, et c'est pourquoi,
surtout, je l'aimais et l'admirais.
M. Saint-Georges de Bouhélier
Jean Richepin était un athlète du Verbe. Il
ne m'a pas été donné de l’approcher autrement que par hasard, dans
des couloirs de théâtre, mais j'admirais l'homme de haute, et
fière,
et martiale prestance, comme j'aimais le poète, si haut
en couleurs, si vigoureux sonneur de buccins, si puissant et {2}
si abondant en lyrisme Il avait débuté avec la Chanson des gueux, un livre écrit sur
les grabats de détresse, et qui semble, par moments, comme un
procès-verbal de l’Enfer. Ce livre, par lequel il s’opposait au
mouvement alors en faveur du Parnasse, avait fait révolution. Il
lui avait même valu d’être condamné par les tribunaux de son
temps. C’est avec ce livre, comme avec les Caresses et avec la Mer, que Richepin peut aborder sans
crainte la postérité.
M. Albert du Bois
Avec Jean Richepin, c'est toute une
génération qui disparaît une génération dont il serait téméraire
de vouloir exprimer d'un seul mot les ambitions ; les tentatives
et les efforts. On l'a qualifiée parfois de, « romantique », cette
génération de Coppée, de Mendès, de Rostand et de Richepin. Mais
si l'on
entend « romantisme » une certaine exagération des
expressions verbales, trahissant un manque de sincérité, ce serait
commettre une profonde erreur que de prétendre juger ainsi cea
esprits généreux et enthousiastes. Dans leur lyrisme d'animateurs
capables de fleurir la vie de précieuses illusions, de
secouer
les cœurs de généreuses colères, ils furent plus sincères, ils
furent plus convaincus que ne le sont dans leur scepticisme
certains Jeunes sans jeunesse d'aujourd'hui.
Ce qu'il faut louer dans l'œuvre de
Richepin, en plus de la noblesse de l'inspiration, de la
générosité des sentiments, ce qu'il faut louer hautement, et,
devant les générations nouvelles, louer avec une parfaite
certitude de ne point se tromper, c'est sa forme poétique, ce vers
de grand Parnassien, ce
vers solide, taillé en plein cœur de
chêne, ce vers dru et sonore, qui toujours souligne le mot
essentiel, intelligemment choisi, de son rythme, nettement
martelé.
Cet amour de la forme précieuse, cet art à se servir des ressources du rythme, ne l'avait point empêché d'animer d'une vie passionnée et véhémente les créatures qu'il érigeait en vue de la scène. Son théâtre reste près du cœur de la foule et, ce qui, est très rare, il occupe aussi une place honorée dans la bibliothèque des lettrés.
Puisse son ombre entendre souvent passer sur
« le public » la musique sonore des vers du Chemineau et du Flibustier. Mais puisse-t-elle aussi,
et surtout, voir les créatures de ses rêves
Rinalda et
Flammeola durant de longues années s'échapper des pages du livre
et vivre leurs dramatiques
aventures, pour l'amateur de belles
œuvres, heureux de communier en tête à tête avec une âme
généreuse, avec une conscience d'artiste plein de ferveur et de
foi.
Henry Vidal, « Raoul Ponchon et
Jean Richepin – Les premiers et les derniers jours d’une longue
amitié », Le Figaro,
supplément littéraire du dimanche, 18 décembre 1926, p.
2.
Il était tard. Les locataires de ce petit hôtel où le chanteur des vins de France a résolu de faire la retraite rentraient en s’ébrouant au seuil, car il pleuvait. Ils suivaient un étroit couloir et, en passant, ils s’arrêtaient pour regarder, durant une seconde, au travers de la vitre, un petit homme âgé, debout, à la barbiche frémissante, s’appuyant des deux poings sur le guéridon du « salon » et qui semblait pleurer.
L’homme âgé qui pleurait dans le salon de ce petit hôtel, par cette soirée froide, était Raoul Ponchon. Ses souvenirs, qu’il rappelait pour nous, tombaient un à un, lentement, comme les larmes des gouttières tombaient lentement, en cadence, sur l’ardoise de la fenêtre. Raoul Ponchon disait :
– Je l’ai connu… Mon Dieu ! comme il y a longtemps ! Un demi-siècle, davantage... Ce soir, je ne sais plus… Je l’ai connu tout simplement, près d’ici, dans une taverne. J’avais un bon ami à l’Ecole normale. Bah ! son nom ne vous dira rien. Il a fait toute sa carrière dans le professorat, une morne carrière. Il s’appelait André Pelisson. Le dimanche, quand s’ouvrait devant ses vingt ans les grilles noires de la rue d’Ulm, nous nous retrouvions au café. Pelisson m’y contait les petites histoires des cénobites de l’Université ; il contait leur ennui, la tristesse de leur jeunesse emprisonnée. Et il citait des noms, des noms qui, à la longue, m’étaient comme à lui familiers :
» – Un tel, si tu savais, Raoul, quel helléniste ce sera !... Un tel… un tel… Et Richepin, un type ! Jean Richepin, lui, c’est le révolté, c’est aussi un curieux poète. Il écrit des chansons populaires et rares, pleine de sève amère… Je te l’amènerai.
» Un dimanche comme il l’avait promis, Pélisson m’amena le « très curieux poète ». Je le revois ! Il était beau comme un prince de féérie, le teint hâlé et le cheveu rebelle, et le geste abondant. Il ‘assit. Un quart d’heure plus tard, nous avions fait amitié pour la vie… Voilà comment je l’ai connu.
» A quelque temps de là, un soir, Jean Richepin entra en ouragan dans le café où libre, moi, je passais mes soirées. Il s’exhalait en joie :
» – Mon vieux Ponchon, s’écria-t-il, bonne nouvelle ! J’abandonne la « boîte ». Je démissionne. J’ai démissionné. Vive la liberté !... Vois-tu, cette vie monastique, décidément, ne m’allait pas. J’ai besoin d’air. J’ai soif d’espace. Plus de cellule, plus de pion, plus de couvre-feu, plus de chaîne ! Ah ! Que c’est bon !... Maintenant, je vais travailler.
» Travailler, c’est-à-dire chanter, rêver, discuter les poètes, se battre pour l’un d’eux, pour un de ses sonnets. Jeunesse, la jeunesse !...
» Seulement, il nous fallait vivre, payer le gargotier, le logeur et le cafetier. Nous courions les journaux pour y offrir nos œuvres. C’était dur !... On nous rabrouait trop souvent, mais nous avions au cœur des flammes, et nous avions vingt ans !
» Voilà comme je l’ai connu. Notre amitié ne s’obscurcit jamais, jamais… Nous nous sommes aimés dès le premier moment, et fraternellement nous nous sommes penchés sur les mêmes bonheurs, sur les mêmes misères et sur les mêmes pages. Voilà…
***
Les amusements des promesses, l’illusion des amitiés de la terre qui s’en vont avec les années et les intérêts… » L’Aigle se méprenait quand, devant le cercueil de la princesse palatine, il dénonçait la permanence des « amitiés terrestres » et les voyait se dissipant avec le temps, toujours, et cédant à la convoitise.
L’entreprise serait très sûre de démontrer que des affections mutuelles pareilles à celles qui unirent, toute une vie durant, le poète mort hier et le poète qui le pleure, ne sont pas l’exception parmi les vrais artistes :
– Notre amitié ne s’obscurcit jamais… Jean suivait une voie fleurie. Le grand bruit que faisait son nom enchantait mes heures oisives dans le petit café auquel je demeurais fidèle. Il voyageait. Les aventures ? Il y a de la fantaisie, beaucoup de fantaisie dans tout ce qu’on raconte… Et cela l’amusait. On a dit qu’il avait débardé du bois sur les môles du Havre et les quais de Marseille, qu’il avait été saltimbanque et marin… Marin, il l’a été. Je sais pourquoi… Je sais pourquoi, un jour, jadis, Jean s’embarqua… Il avait de la peine. Ce sont des choses qu’il faut taire…
» Des souvenirs sur lui ? Mon Dieu ! j’en ai… j’en ai. Mais ce soir, voyez-vous, tout se brouille dans ma mémoire, tout est brouillé, les noms, les dates, les visages… Je ne sais plus…
» Il était bon. Il faut dire qu’il était bon, compatissant et serviable. C’était un grand poète, plus grand qu’on ne le croit… Un cœur, oui, un grand cœur… Un amoureux de la langue française, un amoureux des mots fanés, des mots usés, des mots lumineux, des vieux mots qu’il ressuscitait… Des souvenirs ? Certes ! j’en ai… Mais ce soir ils me fuient…
» Ce soir, je l’ai vu mettre en bière ! »
***
Les derniers jours d’une longue amitié :
– On a frappé : « Papa est mort ! Papa est mort ! »
C’est Tiarko qui criait.
– Papa est mort ! Es-tu fou ? Ce n’est pas possible !
» J’ai couru. Déjà il était froid parmi les roses rouges… Je n’ai pas pu parler. Je n’ai pas pu lui dire adieu. et je l’ai regardé, et puis je suis parti… J’errais. J’avais mal là…
» Tout à l’heure, je suis retourné, pour le revoir encore, ah ! la dernière fois… On le mettait en bière. C’est long. Des ouvriers frappaient et soudaient… L’odeur de plomb… Les sanglots… Que c’est long !
» Et Severin est arrivé… le petit moine. Je dis toujours « le petit moine » par habitude… »
– Séverin ?
– Séverin était l’ordonnance du père de Jean Richepin. Quand son « temps » fut fini, son officier lui dit « Séverin, reste à mon service, tu seras bien ». Et Séverin resta. Plus tard, quand son père fut mort, Jean dit à Séverin : « Reste avec nous. Tu es de la famille. » Et Séverin resta chez Jean. Il était illettré, Jean lui apprit à lire, à écrire, à compter. Une fois, il lui dit : « Séverin, mon petit, je vais t’apprendre le latin. » Séverin apprit le latin, mais il déprissait, il n’était plus le même :
» – Qu’est-ce que tu as ? lui demanda son maître.
» Il se mit à genoux :
» – Monsieur Jean, j’ai la foi !... Je suis très malheureux parce que croyant – je crois – je suis trop loin de Dieu. Je voudrais entrer dans les ordres…
» – Séverin, tu n’y penses pas ?
» – Aidez-moi, je vous bénirai !
» Richepin écrivit au père Janvier :
« Mon père, je vous offre une âme ». Et Séverin devint novice, puis, il fut ordonné… Aujourd’hui, sous sa robe blanche, blanche comme l’est une aile, il est Dominicain.
» Lorsqu’il a su que Jean avait passé, il est venu, tout gémissant, le petit moine. Il s’est laissé tomber devant la caisse sombre, et a longtemps prié, longtemps… Et puis il s’est levé et, s’adressant à Dieu, il lui a demandé de recevoir son maître avec miséricorde… Il ne récitait pas une prière apprise, non, il improvisait. La ferveur le transfigurait… bon petit moine !
» Voilà. Des souvenirs ? Et que valent des souvenirs devant la tombe ouverte ? Elle les prend aussi !... Pauvre Jean, pauvre Richepin… Des souvenirs !... Maintenant, je suis seul, tout seul… Comme il fait froid ce soir !...
» Je ne peux plus, je ne peux plus… J’ai du chagrin… »
Henry Vidal.
Paul Fuschs, « Jean Richepin et
Maurice Bouchor », Le
Figaro, supplément littéraire du dimanche, 18 décembre 1926,
p. 2.
Etranges détours de la destinée ! II a suffi
des hasards d'une rencontre, d'une relation commune, d’une même
passion pour la poésie, d'un semblable goût de l’aventure et du
feu de la jeunesse pour cimenter la pure et forte amitié qui lia
deux êtres aussi dissemblables que le furent Jean Richepin et
Maurice Bouchor. Ils différaient totalement. L'un, fils du soleil,
aux yeux de braise, à la chevelure noire et broussailleuse ;
l'autre, venu des pays du Nord, regard clair, barbe blonde et
soyeuse ; le premier, brûlé par l'amour exclusif de la vie,
volontiers dressé alors contre les lois divines et humaines le
second, ardent aussi mais tendre surtout et, dès la jeunesse,
hanté par l'attrait du mystère. Nulle amitié, pourtant, ne fut
plus complète, plus profonde. Pendant de longues années, Jean
Richepin et Maurice Bouchor vécurent côte à côte, partageant même
parfois le même logis. Ils connurent les mêmes plaisirs,
ils
mirent en commun tous les rêves de la Vingt-cinquième
année. Avec Raoul Ponchon et Paul Bourget. Ils formèrent, il y a
bientôt un demi-siècle, l'étrange quatuor qui fait déjà figure
légendaire dans l'histoire des lettres. Paul Bourget, dans «
Soirée de jeunes gens » (Les Aveux), a évoqué ces heures
d'ardente jeunesse :
Ce soir-là, nous étions quatre bons camarades,
Tous jeunes, tous joyeux et liés très longtemps
Pour avoir en commun, depuis sept ou huit ans,
Connu bien des jours gais et bien des jours maussades,
……………………………………………………………………………….
Exaltons-nous, et fous d’émotions lyriques
Comme un mangeur d’opium tenant nos yeux ouverts,
Laissons-nous enlever, dans les mondes féériques !
Des vers ! Des vers ! Qui sait encore de beaux vers ?...
Et c’est le poète d’Edel, aussi, qui a tracé ce portrait de Richepin :
Le poète Chambœuf, lui, n’a pas vingt-sept ans :
Un type étrange, un nez carré, de belles dents,
Un tas de cheveux noirs bouclés, des yeux de cuivre ;
En art, comme ne morale, il n’a qu’une loi : vivre,
Être intense ! Il s’est fait jeter dans un cachot
Pour son premier recueil, un livre amer et chaud
Où tout le Paris bas – voyou, fille, bohème
– Parlait sa langue crue et poussée à l’extrême,
C’est le Caracalla du Louvre, trait pour trait ;
Et cet oseur, qui fait de lui ce qu’il lui plait,
Energique et taillé, pour la lutte, en athlète,
Serait clown ou tribun s’il n’était pas poète.
Les ans ont passé, la vie les a séparé ces jeunes hommes dont chacun, à sa manière, devait se faire un grand nom dans les lettres, et voici que celui dont la forte carrure semblait défier le temps est parti le premier !
Maurice Bouchor, parvenu au terme d’une longue carrière ; toute consacrée au culte et à l’expression de l’idéal le plus élevé, est en train de faire le bilan de son œuvre, d’en composer une anthologie.
Maurice Rostand, « Hommage à
Jean Richepin », Chantecler artistique et littéraire, 18
décembre 1926, p. 1.
Dors, vieux Poète, au bord du simple cimetière,
Parmi tous ces marins auxquels tu ressemblais.
Le blasphème est le frère obscur de la prière ;
Et, s’il existe un Dieu, malgré toi tu priais.
Les pêcheurs, un instant délaissant leurs filets,
Viendront te retrouver dans la nuit flibustière ;
Dors devant l’Océan, toi devant qui mon père
Venait lire à vingt ans les premiers vers qu’on fait.
Quand je suis né, c’est toi qui, dans une ballade,
M’ordonnait d’être un jour un des divins malades
Que rien ne peut guérir d’un cœur mélodieux :
« Sois poète !... » as-tu dit quand je venais au monde…
Quand tu meurs, il faut bien que ma chanson réponde
A ton premier souhait par un dernier adieu.
Maurice ROSTAND.
Fernand Gregh, « Richepin poète
français », Chantecler
artistique et littéraire, 18 décembre 1926, p. 1.
Nous sommes heureux de mettre sous les yeux de nos lecteurs ces lignes consacrées par notre éminent collaborateur, le poète Fernand Gregh, à Jean Richepin, en une notice qui fut lue à une séance de récitations poétiques de la Comédie française.
En même temps qu’une figure aux aspects multiples et digne d’être devenue populaire, Jean Richepin est le représentant le plus illustre des poètes qui ont succédé au romantisme finissant, sans s’inféoder au Parnasse. Pus épris de réalisme que les romantiques, plus vibrant que les parnassiens, richepin aura porté le reflet du naturalisme, dont il fut le contemporain ; aussi sa poésie solide, puissante, sanguine, verveuse, proche de l’âme du peuple, et pourtant allumée à la cime de la flamme romantique, marquera-t-elle dans l’histoire une époque de la sensibilité française, celle qui coïncida avec la première réaction de la santé du pays contre les tristesses de 1870. Jean Richepin n’a pas été seulement le poète pittoresque et hardi de la Chanson des Gueux, il a été le fougueux poète des Caresses, le poète éloquent des Blasphèmes, le poète rêveur de la Mer, le grand poète de la Chanson du sang, cette épopée magnifique consacrée à ses aïeux, et qui égale par la largeur de la conception et la richesse torrentielle du vocabulaire la Légende des siècles elle-même. Si l’on ne devait pas s’occuper seulement ici du poète lyrique, on rappellerait qu’au théâtre Monsieur Scapin vint avant les Romanesques et Cyrano, et que Richepin est le chaînon d’or qui rejoint Banville à Rostand. Critique en outre, et romancier de haute valeur, et conférencier incomparable, ayant les lettres dans le sang, Jean Richepin demeurera l’un des types littéraires les plus originaux de notre temps, qu’il aura doublement décoré de sa légende et de son œuvre.
Gaston Picard, « Richepin
anecdotique », Chantecler
artistique et littéraire, 18 décembre 1926, p. 1.
C’est à l’issue d’une journée exclusivement réservée aux jeux du talent et du hasard – ces jeux dont naissent les grandes fortunes littéraires – que je prends un humble porte-plume pour saluer le disparu glorieux. Et la pensée toute agitée d’un tourbillon où des titres de libres, des noms d’auteurs et d’académiciens, – voire d’académiciennes – m’imposent leur souvenir périssable, mais neuf encore, je n’évoque pas, sans en ressentir le contraste, la toute autre époque intellectuelle où un Jean Richepin commençait d’être lu et admiré.
Nos âmes n’ont pas connu les joutes qui de la place Gaillon à la rue de Bellechasse sèment une émotion dont toute la gent littéraire et le public lui-même sont atteints. Quand le poète de la Chanson des Gueux, quelque cinq années après la guerre franco-allemande, débuta, quel prix, ou quelle espérance de prix a fait lever cette Etoile qu’avec André Gill il porta au ciel… relativement peu élevé, du théâtre de la Tour d’Auvergne ?
Et la Chanson des Gueux, donc ! Un mois de prison – sans sursis – c’était alors le singulier prix littéraire dont un écrivain était jugé digne. Les dames de chez Fémina, les Goncourt ou… les Renaudot, c’étaient els juges. On n’allait pas au Drouant, on se rendait au Palais de Justice. Sans doute, cette unique récompense d’une condamnation qui, sur une dénonciation étrangement confraternelle, plaçait le jeune Jean Richepin à la droite d’un immortel Charles Baudelaire, a-t-elle détourné le poète de jamais flirter avec cette muse à part qui a nom : la Vie littéraire. A celle-ci, il préféra l’Académie, et non point celle qui tient ses bureaux place Gaillon, mais la dame plus sévère du Pont des Arts. Aussi disait-il un jour à un enquêteur, à propos d’une série d’interviews dont les auteurs, les œuvres, les écoles étaient le thème ;
– Elle (cette série) m’a seulement évoqué le tableau d’un marécage pestilent, aux eaux de fiel, où se dressent quelques taureaux et où ruminent quelques bœufs, tandis qu’entre leurs pieds s’enflent des tas de grenouilles coassant à tue-tête : « Moi, moi, moi ! »
Jean Richepin ajoutait :
– C’est sans doute divertissant pour la galerie ; mais ce n’est pas gai pour ceux qui aiment les lettres.
On a remarqué l’allusion aux grenouilles : l’auteur de la Glu ne s’attarda jamais parmi les mares stagnantes. Les bords fleuris de l’Académie qu’arrose la Seine, par contre, le virent fort assidu. Et sa la Chanson des Gueux mérita à Jean Richepin trente jours de prison, l’ensemble de son œuvre, il n’y a pas très longtemps, lui valut le pris Osiris de quelque cent mille francs.
Décidément, les écrivains ont beau faire : ils n’échappent pas aux prix littéraires.
Echappent-ils davantage aux enquêtes ?
– J’ai reçu de vous maints questionnaires, me rasait M. Henri Deberly une heure après le prix Goncourt. Je ne vous ai jamais répondu : l’enquête étant une forme de la réclame.
– Si désormais…
– Je ne vous répondrai pas davantage maintenant, précisa l’auteur du Supplice de Phèdre.
Mais il ne put refuser de se prêter au supplice d’Œdipe. Le Sphinx, à défaut d’un autographe, s’est repu du verbe de M. Deberly.
Si j’ai ouvert cette parenthèse, c’est pour dire que si Jean Richepin ne fut à aucun moment notre interviewé, nous n’eûmes guère non plus de son écriture sur le compte d’un de ces problèmes qui vont des joies de l’épitaphe à la morale des enfants du siècle. Si pourtant, quant à la chose écrite, et dans une circonstance à l’honneur du poète des Blasphèmes. Il voulut bien apporter son tribut à un numéro que feu la revue l’Heure qui sonne employait à célébrer le poète des Miroirs, Paul-Napoléon Roinard. En ce qui concerne le verbe – mais c’était pour la satisfaction d’un Œdipe d’il y a quinze ou vingt années – j’ai encore devant les yeux Je sais Tout ou ces Lectures pour Tous où le conférencier des Annales, l’Académicien membre des Quarante retraçait la courbe passionnée, et très sinueuse, d’une existence qu’il voua d’abord au déchargement des bateaux. Une image montrait le poète qui, dépouillé de l’habit vert, avec le torse nu et chargeait de lourds fardeaux. Mais revenons au témoignage écrit : nous avons la chance de feuilleter un album de confidences que les Annales éditèrent – avant 1914 – lors d’un fascicule de Noël. Deux colonnes : ici les questions, là les réponses. Et pour les enquêtés, un Paul Hervieu, un Henry Bataille, un Paul Adam, un Jules Lemaître. Il y avait l’opinion de M. Jules Bois, Courteline donnait la sienne, brèeve ainsi qu’une déclaration de guerre : aux questions posées, le père Boubouroche répondait :
– La paix !
Qualité qui lui paraissait, en notre siècle, assurer le bonheur.
Hélas… Jean Richepin n’était guère plus abondant. Cette qualité, disait-il, « dans tous les siècles, c’est la bravoure. » Travaillait-il dans la joie ? « Oui », s’écriait le poète.
A cette question :
– S’il vous fallait vous contenter de cinq livres en quelque exil, lesquels emporteriez-vous comme inséparables amis ?
Il opposait cette bonne raison :
– A quoi bon ? Je sais par cœur toutes les pages que j’aime.
Il était féministe. Il adhérait volontiers au suffrage des femmes. Les enfants du siècle d’avant 1914 lui semblaient former une génération supérieure à la précédente.
Disons enfin que s’il eût été mis en demeure d’élire le pays où vivre toute sa vie, Jean Richepin aurait désigné les horizons de Palma de Mallorca.
Et il était né à Médéa, ce curieux de paysages, qui ne fit pas moins de quatre séjours aux Baléares, qui promena son goût du pittoresque, de la beauté, des meurs, à travers l’Italie, l’Angleterre, la Suède, le Danemark, le Maroc où, quinze jours durant, il vécut de la vie des naturels, roi de Bohème retiré sous la tente.
Si nous l’appelons roi de Bohème, c’est après Jules Lemaître. Dans Les Contemporains, le critique faisait du poète ce portrait aux étincelantes couleurs :
M. Jean Richepin est un écuyer de cirque, ou plutôt un beau saltimbanque – non pas un de ces pauvres merlifiches, hâves, décharnés, etc. – (bref, non pas un gueux), mais un vrai roi de Bohème, le torse large, les lèvres rouges, la peau ambrée, les yeux de vieil or, les lourds cheveux noirs cerclés d’or, costume d’or et de velours, fier, cambré, les biceps roulant, jonglant d’un air inspiré avec des poignards et des boules de métal, poignards en fer blanc et boules creuses, mais qui luisent et qui sonnent.
Va donc pour roi de Bohème, mais poésie, lyrisme et génie sont du royaume de Jean Richepin. Quand nous disons : génie, ce n’est pas sans sous-entendre les réserves que commande ce maître-mot là. Si le talent est fils de la perfection, le génie n’a pas de frère plus ressemblant qu’une certaine exagération. On voit quelque excès aux Blasphèmes par exemple. Ni Dieu qu’un Pascal vénère, adore, ni le père, la mère que nous tous honorons, n’ont trouvé un poète raisonnable chez celui qui, indifférent à la juste mesure, s’était proclamé à la face de l’univers le Touranien tour plein, précisait-il, « du mépris des lois ». Les lois naturelles comme les autres. Peut-être bien que Dieu, pour l’auteur de la Chanson des Gueux, c’était le juge de la correctionnelle, empressé à le fourrer dedans… Récidiviste avec les Blasphèmes, là il forçait le ton d’un lyrisme déjà naturellement audacieux.
Mais seule l’histoire anecdotique des lettres retiendra et l’affaire de la Chanson des Gueux, et les outrances des Blasphèmes. Un immense public n’en aura cure, qui dans les poésies de Jean Richepin a été si heureux – et son bonheur se conçoit très bien – de trouver comme la somme des aspirations de l’âme humaine pour tout ce qui respire le souffle, le rythme abondants déliés, infinis. Jean Richepin pouvait méconnaître l’éternel poète des temps d’hier et de demain, il pouvait nier le lyrisme intérieur qui a permis le miracle de Dieu fait homme, il n’a pas oublié l’âme, la frémissante âme collective qui fait d’une foule une chercheuse de poésie. Il a donné leur nourriture à tous les affamés de verbe, il a écrit pour ceux-ci ce Chemineau qui porte dans sa besace le secret des destinées désireuses d’être toujours plus libres. Des poètes charmants, aimables, ont entr’ouvert leur porte sur le jardin où Candide dit des vers à ses plates-bandes. Ce grand poète-là, Jean Richepin, ce bougre, d’un coup de reins, a ouvert toutes grandes les fenêtres sur la merveilleuse contrée au cœur de laquelle Jules Lemaître le saluait pour le roi de Bohème.
Son théâtre, de Nana-Sahib au Flibustier, a concrétisé cet afflux de la foule vers le pète fait à son image. Vive le drame en vers où nous avons pleuré !
Il faudrait rompre les cadres du journal pour seulement nommer les contes, les romans, les conférences du disparu. Ici où le nom de Chanteclerc évoque irrésistiblement le souvenir d’un autre grand poète, on ne peut manquer d’unir dans une égale ferveur les brillants animateurs qui, de l’Aiglon au Chemineau, ont si généreusement servi ce vieil idéal cher à l’humanité : la poésie qui parle, comme on dit, à l’oreille du cœur.
Gaston Picard.
C. Vuillame, « Jean Richepin
franc-tireur », Journal
des Débats, 19 décembre 1926, p. 1.
En décembre 1870 et janvier 1871, le père de Richepin, en sa qualité de médecin-major, avait été attaché à l’hôpital de Besançon. Son fils Jean avait pris du service dans un corps de francs-tireurs et faisait partie de la garnison de la ville, qui s’attendait d’un jour à l’autre à être assiégée par les Prussiens, dont les Garibaldiens ne parvenaient plus à arrêter la progression du côté de l’Est.
Malgré la température rigoureuse de cet hiver-là, gardes nationaux bisontins et francs-tireurs allaient chaque jour manœuvrer sur la promenade de Chamars. A la pose de l’exercice, un grand gaillard, à l’allure hardie, au visage énergique, sautait sur un banc ; d’une parole vigoureuse, en un style enflammé, il adressait à ses compagnons d’armes des discours véhéments pour les engager à combattre à outrance, à mourir pour la France et pour la République. Ce jeune orateur était Jean Richepin, dont l’éloquence patriotique produisait une telle impression sur ses auditeurs que quarante ans plus tard, les vieux Bisontins qui se souvenaient de l’avoir entendu, en parlaient encore avec admiration.
Charles Beauquer, qui depuis fut longtemps député du Doubs, le peintre Antonin Fanart et quelques autres venaient de fonder, sous l’œil bienveillant du préfet du département Edouard Ordinaire, député de l’opposition à la fin de l’Empire, un journal dont le titre indiquait la nuance ; il s’appelait l’Est Républicain. Chaque soir, le jeune Richepin s’en allait à l’imprimerie Valuet où se faisait le journal, soit pour apprendre les nouvelles de la journée, soit pour corriger la copie qu’il avait remise la veille ou le matin même. Il entrait à l’atelier et bavardait avec les typos qui le trouvaient « bien gentil et pas fier », puis il leur demandait si son article était composé. Cet article était tantôt de la prose suivie quelquefois de ses initiales J.R., tantôt des vers presque toujours satiriques, signés : Quand j’ris j’pince.
Gardes nationaux, typos et fondateurs de l’Est Républicain, dont j’ai connu plusieurs, m’ont souvent raconté ces histoires. Mais malgré toutes mes recherches dans les bibliothèques, dans les archives et jusque chez de simples particuliers, je n’ai jamais pu découvrir qu’un seul numéro de ce journal, numéro dans lequel, par malheur, il n’y a pas une ligne de Richepin.
Il serait intéressant de retrouver la collection de cette feuille qui renferme, sans doute, les premiers écrits de l’illustre académicien qui vient de mourir.
Candide, « Doit-on le dire ? »,
Candide, 23 décembre
1926, p. 1.
Après la mort de Jean Richepin, des personnes se sont plaintes que le poète eût des obsèques religieuses.
– C’était bien la peine, a-t-on dit, d’avoir écrit les Blasphèmes, pour être enterré à l’église !
Moi j’admire plutôt que l’Eglise ait accordé sa bénédiction et ses prières au blasphémateur. Elle a sans doute jugé que ce péché de normalien n’avait pas beaucoup d’importance et que tout cela était littérature.
D’ailleurs, Jean Richepin, condamné à la prison par les tribunaux de l’Ordre Moral, avait déjà reçu l’absolution académique. L’Eglise n’a pas voulu se montrer plus sévère que l’Académie où le poète, je crois bien, avait été patronné par M. Paul Bourget.
Allons ! Tout le monde sait qu’un jeune homme qui sortait de l’Ecole Normale, il y a quarante ans, se flattait d’étonner ses contemporains par l’audace de son impiété. La génération suivante les a étonnés par des conversions. Les modes changent et la jeunesse aime contredire. Elle était athée sous le maréchal de Mac-Mahon et catholique sous Combes le persécuteur.
Venu au monde un peu plus tard, Jean Richepin eût sans doute écrit des Hymnes ou des Laudes au lieu d’écrire Les Blasphèmes.
C’est pourquoi l’Eglise a eu raison d’être indulgente. Il ne faut pas exciter l’esprit de contradiction. Il faut éviter les chocs en retour. Quand un rhétoricien voit qu’on lui impose une idée, il se jette sur l’autre et il la soutient avec éclat, pour peu qu’il soit doué pour la rhétorique, ce qui était le cas de Jean Richepin.
Son pardon final est une grande leçon. Il ne faut tracasser ni les jeunes gens ni les littérateurs. L’antimilitarisme est né du jour où l’on a envoyé les intellectuels à la caserne. L’impôt sur le revenu sera impopulaire parce qu’il frappe trop durement les écrivains. L’anticléricalisme renaîtra se des inquisiteurs s’attaquent aux livres.
Un sage gouvernement évite de donner des griefs et des sujets de plainte à ceux qui ont le moyen d’exprimer leur pensée à des milliers d’exemplaires.
CANDIDE.