Corpus de textes du Laslar

1929

Paul, « Le théâtre en vers », Histoire de la littérature française illustrée. Vol. 2. Paris, Larousse, 1929, p. 307-308.

    François Coppée avait remporté en 1869 un succès triomphal avec le Passant, qu'avait joué Sarah Bernhardt. Le Luthier de Crémone (1876), Severo Torelli (1883), surtout Pour la couronne (1895) marquèrent l'apogée de sa carrière dramatique. Le public goûta dans ses pièces la sécurité des rimes parnassiennes. L'ordre de la composition, le développement logique des sentiments, une générosité, une chaleur, parfois peut-être une ingénuité qui touchait, et constamment une rhétorique classique qui n'avait rien d'inattendu, mais qui plaisait en raison même de ce qu'elle avait de traditionnel.

    Le cas de Jean Richepin (né en 1849) est plus complexe, parce que la personnalité de cet écrivain robuste et riche est surabondante, tumultueuse et presque contradictoire en ses expressions. Il y a en lui un poète bohème et truculent, ivre de sa jeunesse et de sa force, indépendant, réfractaire et sans hypocrisie, celui qui a écrit les Caresses et les Blasphèmes, et qui, avec une étonnante virtuosité, un cliquetis joyeux de rimes et une extrême prodigalité d'images, s'est montré bravement matérialiste, libertin et révolutionnaire. Il y a en lui aussi un poète rêveur et tendre, non point philosophe, mais humain, prompt à l'émotion, idéaliste et fraternel, héroïque, celui qui a chanté la Mer, qui a composé Mes paradis, et qui au théâtre a donné le Flibustier (1888), Par le Glaive (1892), le Chemineau (1897), Miarka (1905). Or, le lien entre ces manifestations diverses d'un tempérament puissant, c'est que Jean Richepin est un classique et un traditionnel. Il est hardi comme Villon et Rabelais ; il est libertin comme ses ancêtres du XVIIe siècle, Mathurin Régnier, Théophile ou Saint-Amant ; il est héroïque comme les poètes du temps de Louis XIII et, s'il est sentimental, idyllique, généreux, c'est qu'entre Corneille et lui, Hugo et George Sand ont passé. Très lettré, nourri de l'Antiquité grecque et latine, familier de Lucrèce et de Martial, d'Ovide et de Juvénal, il reste jusque dans ses excès simple, fort et sain, d'esprit claire, et tout en étant par sa culture un humaniste, il est par sa sensibilité en communication directe avec la masse. De là vient qu'il a touché à fois aux lettrés et à la foule, et qu'ayant l'estime des gens cultivés, il a été, sans le chercher et naturellement, populaire. Par le Glaive est une tragédie héroïque ; le Chemineau est un drame rustique. Dans l'une et dans l'autre de ces pièces il y a certes des conventions ; on peut même dire qu'il y a toutes les conventions habituelles au genre ; mais on n'y trouve nulle trace de naturalisme. L'œuvre de Jean Richepin est aussi éloignée que possible de celle de Zola. Ce qui sauve cet art un peu artificiel, c'en est la puissance et la sincérité. Jean Richepin a, selon la règle classique, pris son bien où il le trouvait et par sa dextérité, sa science de langage et ses prouesses verbales, il a donné à ce qu'il a écrit un ton tout personnel. Il n'a subi {308} l'influence du naturalisme et du lyrisme de son temps que dans la mesure où un écrivain instruit et attentif ne peut demeurer indifférent aux grands mouvements d'idées qui se développent autour de lui. Mais par la solidité de sa culture et la vigueur de son tempérament, il est resté lui-même, il a gardé sa physionomie originale.