1932
Juin↑
Anonyme, « Le Chemineau revient
à l’Odéon », Le
Matin, 28 juin 1932, p. 7.
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Trente-cinq ans nous séparent de la création, à l’Odéon, du Chemineau, et cette œuvre, si poétique et si dramatique en même temps, n’a rien perdu de son attrait pour le public.
Chaque reprise, au contraire, n’a fait qu’affirmer sa valeur poétique et sa solidité scénique.
Elle fut créée en 1897 à l’Odéon par Louis Decori - mort aujourd’hui, auquel la création du Chemineau valut un succès retentissant – et par Mme Segond-Weber, une Toinette d’une inoubliable tendresse. Les deux grands artistes étaient entourés de Mmes Archainbaud, Meurisse, de MM. Chelles (également disparu), Janvier, Prince et de M. Dorival, qui fait aujourd’hui partie de la Comédie-Française.
Nombreuses furent depuis lors les reprises de ce drame. Jusqu’à sa mort Louis Decori resta le seul titulaire du rôle du Chemineau. Ensuite à l’Odéon le rôle fut joué tour à tour par MM. Pierre de Rigoult (aujourd’hui également à la Comédie-Française), et Balpétré.
Quand la pièce passa à la Porte-Saint-Martin, sous la direction de M. Paul Gavault, Jean Daragon (emporté peu après et prématurément), campa un magnifique Chemineau, aux côtés de Mme Marguerite Moreno, dans Toinette, avec MM Saillard et Almette.
La pièce passa il y a quelques années à la Comédie-Française où M. Albert Lambert communiqua sa belle prestance et sa voix chaude au héros de Jean Richepin, tandis que la regrettée Madeleine Roch, dont ce fut un des derniers rôles, réalisa une émouvante Toinette. Les autres rôles étaient joués : Par MM. Denis d’Inès ; Dorival – qui jouait françois apès avoir créé Toinet – et Maurice Donneaud.
Cette fois, à l’Odéon, où revient la pièce ans quelques jours, c’est M. Paul OEttly – le triomphateur de la Tour de Nesle – qui jouera le Chemineau avec Mlle Madeleine Duret et M. Cusin dans les rôles de Toinette et de Maître Pierre, qu’ils ont joués aux précédentes reprises.
Pierre Dufay, « Le Parnasse
fantaisiste », Mercure de
France, 1er
novembre 1932, p. 91-109.
Laurent Tailhade a, dans ses Quelques Fantômes de jadis, tracé un tableau, dépourvu d'aménité, de ces sous-sols et de ces rez-de-chaussée nidoreux, où, sous le fallacieux prétexte d'y déclamer leurs vers, s'empilent des adolescents, à la sortie du bureau ou de l'atelier.
La scène se passait rue de Sèvres, en un chalet tenant du bistro et de l'académie, que ne tardèrent point à remplacer une maison de rapport et ses cinq étages. Ces jeunes gens, heureusement demeurés inédits, acclamaient Charles Gros, délicat auteur du Coffret de Santal, fantaisiste sans rival, et également savant hors pair :
Les Ephèbes se pâmaient et je conclus bientôt, les voyant si déchaînés, qu'ils ne tarderaient point à nous confier quelques élégies de leur façon. Ils étaient bien là une douzaine de bacheliers, hardis comme des pages et plus cuistres que des pions. Le linge absent et l'ongle en deuil, ils évacuaient des choses ninivites ou contemporaines, au grand contentement des donzelles préposées à leur bonheur.
Les muses ne manquaient point à la petite fête. Je ne pense pas avoir jamais rencontré plus lamentable congrès de laiderons. Et les atours de ces infantes m'expliquèrent d'abord l'incurable bassesse des rapsodes fainéants, accagnardés aux bonnes fortunes du ruisseau(11. Quelques Fantôm (…) ).
{92}
Les Zutistes, dont Charles Cros était le fondateur et le président, étaient alors dans leur nouveauté. Le mois précédent. Cros avait divulgué leur éclosion au Chat Noir par ce bref :
Mon cher Salis,
Salue les Zutistes qui t'embrassent et qui t'aiment.
Les Zutistes seront heureux d'aller échanger des coups de langue avec le Chat Noir qui règne sur la rive droite de la Seine verte comme l'absinthe.
Dans ce lointain pays de Montparnasse va donc s'établir un mouvement rythmé correspondant aux ronrons du Chat Noir
de Montmartre.
Tu sais depuis longtemps que Martre et Parnasse sont frères.
Ton seul, ton absolu CHARLES CROS (22. Chat (…) ).
Frères, peut-être mais il y a eu des frères ennemis.
La littérature ne nourrit pas plus un cafetier que son
homme; le chalet Lang ne tarda pas à disparaître, remplacé par les marmelades d'une maison d'alimentation.
Le tableau tracé par Laurent Tailhade n'en est pas moins resté vrai et le demeurera, tant que, friands de dire leurs vers, des musagètes, de quelque école qu'ils se réclament, convieront leurs petites amies à ces maigres agapes. Le cinéma est vraiment moins dangereux.
Mais, à l'époque où il nous faut raconter, en 1876, au commencement du septennat, il ne s'agissait pas de cinéma, point même de phonographe! Le 30 avril de l'année suivante seulement, Charles Gros déposa sur le bureau de l'Académie des Sciences le pli cacheté où il exposait sa merveilleuse découverte.
Or, en cette même année 1876, avait commencé dans le Bien public d'Yves Guyot la publication de l'Assommoir. Elle fut interrompue, le 6 juin, pour obéir aux injonctions d'abonnés qu'avaient effarouchés les aventures de Gervaise et de Coupeau. On ne saurait croire, quand {93} il ne s'agit pas de viol ou d'outrage aux mœurs, combien est pointilleuse la pudeur de certains lecteurs.
Les oies avaient une fois de plus sauvé le Capitole ! La République des lettres le geste mérite de n'être point oublié reprit la publication et la termina (9 juillet 1876 -7 janvier 1877). Ainsi donc, alors que le succès du Naturalisme était, en quelque sorte, en gestation, le Parnasse tendait la main à la nouvelle école. C'est précisément du Parnasse qu'il nous faut parler.
Joris-Karl Huysmans, dans sa préface à la première édition des Rimes de joie de Théodore Hannon (Bruxelles, Gay et Doucé, 1881), a montré une sévérité exagérée à l’encontre de ces poètes « nouvellement éclos qui, s'étant épris de Leconte de Lisle, « firent, à leur tour, défiler devant nous toute une armée de bouleversants fantoches, de vieux pitres de l'Olympe, exhumés des rapsodies accablantes d'Homère ou des mythologies obscures de la Finlande et de l'Inde ».
Le Parnasse compta autre chose que ces théogonies en baudruche ou que ces « coins de sentimentalisme à outrance et d'affectation du simple que le grand Maître (c'est-à-dire Hugo) sauvait autrefois à force de génie Huysmans faisait déjà une exception en faveur des « curieuses poésies intimistes de François Coppée mais oubliait par trop qu'à côté des « bondieuseries du temps jadis » et de « poésies impassibles et pleurardes le Parnasse, non content de nous donner Verlaine et Stéphane Mallarmé, qui, fidèles à Baudelaire, allaient révolutionner la poésie française, y avait déjà apporté ce rare et précieux condiment la fantaisie.
Il ne faut pas juger le Parnasse d'après le Parnassiculet. La première revue de Mendès, fondée en 1861 et morte deux ans après, par autorité de justice, s'intitulait, qu'on ne' l'oublie pas, la Revue fantaisiste. Ce titre indiquait moins une école qu'une aimable tendance d'esprit.
Si, dans ses trois séries (1866, 1869, 1876), le {94} Parnasse contemporain se montra plus réservé, publiant, cependant, en 1869, deux pièces de Nina de Villard, « la Jalousie du jeune dieu » et « Tristan et Iseult » auxquelles Anatole France pourrait bien ne pas être demeuré étranger ; cette tendance d'esprit se retrouve pleinement dans ces Etrennes du Parnasse pour l’année 1874, que, sous la firme de Michel Lévy, publièrent la Renaissance artistique et littéraire et Paris à l'eau forte.
En réalité, le nom de Michel Lévy était surtout destiné à faciliter la vente. C'était bien, comme le seront en 1876 les Sonnets réalistes, une publication de la Librairie de l'eau-forte, et l'imprimeur était le même.
Dans ce mince volume (96 pages, dont 6 d'annonces) fleurit toute la fantaisie que ne dédaignait pas le Parnasse en ses heures de gaieté. La plupart des collaborateurs sont des habitués du salon de Nina. Charles Cros y donne trois de ses « intérieurs » : « Joujou, pipi, caca, dodo… », « La cuisine est très propre et « Dans les douces tiédeurs des chambres d'accouchées », Jean Richepin un « Coucher de soleil », Germain Nouveau « Un peu de musique », Charles Frémine « A une fleuriste ». Il n'est jusqu'au musicien Cabaner qui ne soit représenté par deux pièces « le Poète mourant » et Lever du soleil dans une chambre ».
Cabaner n'ayant pas pris part à la rédaction des Dizains réalistes, ce sonnet que, suivant Richepin, il psalmodiait « sur un air de plain-chant » donnera une notion exacte de sa manière, insuffisamment connue par ce qui en a été dit (33. (…) ). Cela vaudra mieux, à coup sûr, que de répéter une fois de plus des anecdotes bientôt centenaires :
Dans notre chambre, un jour, les fenêtres bien closes,
Si tu veux, tous les deux, seuls, nous allumerons
Deux longs cierges de cire ; et nous reposerons
Sur un riche oreiller, mol et blanc, nos deux fronts.
Et, sans avoir recours au parfum lourd des roses,
Rien qu'avec les senteurs funèbres que ton corps
Répand, lorsque, la nuit, il livre ses trésors,
Nous nous endormirons ; et nous resterons morts.
Et nous resterons morts, ayant de chastes poses,
Afin qu'on puisse, dans les plus pudiques temps,
Raconter cette mort même aux petits enfants,
Et nous représenter, en des apothéoses,
Couchés l'un près de l'autre, et sans être enlacés,
Comme une épouse et son doux seigneur trépassés.
Evidemment, on peut préférer la Mort des Amants, mais la comparaison ne s'imposait pas.
Semblant étrangers à l'Académie des Batignolles pour reprendre le mot d'Arsène Houssaye, avaient également collaboré au recueil les deux Vernier, Valéry et Jules, l'un et l'autre chantres de l'absinthe, et Pierre EIzéar, que la publication de sa Femme de Roland, en 1882, chez Kistemaeckers, fit ranger parmi les « petits naturalistes ».
Malgré les apparences, la liaison demeurait étroite entre le groupe de Médan et le Parnasse. Il en sera de même, plus tard, avec le Symbolisme.
Les amis de Nina de Villard étaient tous plus ou moins des enfants prodigues du Parnasse. Comme la maîtresse de maison, qui s'ingéniait à les si bien recevoir, ils préféraient la fantaisie au Nirvâna, les drôleries d'un opéra-bouffe – quand on ne communiait pas dans l'admiration de Wagner – aux grands airs d'un opéra, les Muses un peu folâtres qu'avaient chantées le Parnasse et le Cabinet satyrique aux divinités aux yeux glauques que magnifiait et scandait durement Leconte de Lisle.
Jeune, François Coppée avait fréquenté le salon de la rue Chaptal et n'y comptait que des amis. Toutefois, Verlaine, dont la bienveillance était parfois relative, s'était plu, déjà, à diverses reprises, à pasticher les {96}dizains, fort goûtés du grand public, de son ancien compagnon.
Mêlant la politique à la poésie, ce furent d'abord, à notre connaissance, deux pasquils, dont Félix Régamey a reproduit les fac-similés. La signature même de Coppée est assez maladroitement imitée. Le pastiche ne vaut guère mieux en dépit de l'effort tenté, c'est bien du Verlaine, sinon du meilleur :
Dites, n'avez-vous pas, lecteur, l'âme attendrie,
Contemplé quelque fois son image chérie ?
Tête pale appuyée au revers de la main,
César rêve d'hier et pense au lendemain.
II évoque les jours de gloire et d'ordre, et songe
Aux jours où le crédit n'était pas un mensonge.
Au moins, il s'attendrit sur les chemins de fer
Très mous et sur l'emprunt inférieur au pair.
Puis, triste, il rêve, cœur qui se navre et s'effrite,
A sa si blanche, à sa si pâle Marguerite (44. (…) ) I
Verlaine n'en resta pas là. En 1874, de la prison de Mons, il adressa à Edmond Lepelletier, sous le titre de « Vieux Coppées », une série de dix dizains, divulgués par Adolphe Van Bever dans le premier des trois volumes qu'il a consacrés à la Correspondance de Paul Verlaine (55. (…) ).
D'abord recueillis dans le manuscrit de Cellulairement, ces dizains, à l'exception du premier et du dernier, ont pris place dans l'œuvre de Verlaine.
Le premier, qui a fourni un demi-vers et deux rimes à « Lunes » de Parallèlement, était ainsi conçu :
I
Pour charmer tes ennuis, ô temps qui nous dévastes,
Je veux, durant cent vers coupés en dizains chastes
Comme les ronds égaux d'un même saucisson,
{97}
Servir aux amateurs un plat de ma façon.
Tout désir un peu sot, toute idée un peu bête
Et tout ressouvenir stupide mais honnête
Composeront le fier menu qu'on va licher.
Muse, accours ; donne-moi ton ut le plus léger
Et chantons notre gamme en notes bien égales,
A l'instar de Monsieur Coppée et des cigales.
Le second, fort modifié, devenu sonnet et dédié à François Coppée, a pris place, en 1890, dans les Dédicaces.
Le premier vers est demeuré le même, mais le texte du dizain est tout autre que celui du sonnet. Malgré l'imitation poursuivie, c'est pleinement du Verlaine, le prisonnier ne cherchant à cacher ni son antipathie pour Leconte de Lisle (afin que nul n'en ignore, une note le nomme à une lettre près), ni son incarcération dans la prison de Mons, à la suite du « geste malheureux dont on a trop parlé :
I
Les passages Choiseul aux odeurs de jadis,
Où sont-ils ? En ce mil-huit-cent-soixante-dix,
(Vous souvient-il? C'était du temps du bon Badingue)
On avait ce tour un peu cuistre qui distingue
Le Maître, et l'on faisait chacun son acte en vers.
Jours enfuis ! Quels antrans (66. (…) ) soufflèrent à travers
La montagne? Le maître est décore comme une
Châsse, et n'a pas encor digéré la Commune;
Tous sont toqués, et moi qui chantais aux temps chauds,
Je gémis sur la paille humide des cachots.
A une variante près, les sept autres dizains furent reproduits tels, qu'ils avaient été communiqués à Edmond Lepelletier, soit dans Jadis et naguère (1884) « Paysage, Dizain mil huit cent trente » soit dans Parallèlement (1889) « Invraisemblable mais vrai, Tantalized, Le dernier dizain soit enfin dans Invectives (1896) « Opportunistes, Souvenirs de prisons ».
{98}
Le dernier dizain seul, qui n'avait plus sa raison d'être, du moment qu'il n'était pas précédé des deux autres, ne fut pas recueilli dans les œuvres du poète.
Mais ce précédent n'explique guère comment l'idée de consacrer tout un recueil au pastiche des dizains de Coppée put germer dans l'esprit des familiers de la rue des
Moines.
Il n'y a point à songer à l'influence de Verlaine. S'il a fréquenté le salon de la rue Chaptal, où ses fureurs d'alcoolique l'avaient rendu redoutable, ses apparitions furent rares au jardin des Batignolles, surtout en ces années 1875-1876 où, à Stickney, un peu maître Jacques dans la Grammar Scholl de master W. Andrews, il enseigna, au pair, français, grec, latin et dessin. L'année suivante, à Boston, il vécut péniblement de quelques leçons qu'il eut peine à trouver. Ces deux années-là, comme en 1877, d'ailleurs, il passa les vacances à Arras, 2, impasse d'Elbronne, auprès de sa mère. Il y sortait peu, allant tout juste au café Sans-Peur, « les après-midi des samedis, pour voir les images dans les journaux illustrés (77. (…) ) ».
II se souciait peu de Paris, où les Romances sans paroles, imprimées à Sens, en 1874, par les soins de Lepelletier, par la typographie Maurice L'Hermitte, avaient sombré au milieu de l'indifférence générale, quelque chose qui ressemblait à la conspiration du silence. Nul ne voulait se souvenir de lui. Des camarades rencontrés, au cours de brefs passages, lui avaient fait grise mine. Verlaine avait compris que mieux valait se faire oublier et, au pharisaïsme des terrasses du boulevard, avait préféré Arras et la belle ordonnance de sa place espagnole. C'était bien loin de la rue des Moines pour qu'il ait pu y semer l'idée de ces irrévérencieux pastiches. {99} Lepelletier était, d'autre part, un ami trop sûr pour avoir divulgué ces « farces qu'il avait eu pour mission de garder pour lui seul, « sans les communiquer à qui que ce soit (88. (…) ).
Suivant toute apparence, ignorant le jeu qu'avant lui avait tenté Verlaine, Charles Cros s'était, proprio motu, amusé à pasticher quelques dizains de Coppée. Il en avait donné lecture chez Nina. Ils avaient amusé. Chacun, pris d'émulation, voulut grossir la série. Peut-être même il y eut gageure. Ainsi parut, tardivement annoncé dans la Bibliographie de la France du 16 septembre 1876, le recueil dont, sous la signature de Jean Prouvaire (c'était, semble-t-il, Catulle Mendès plus qu'Auguste Fourès), rendit compte la République des lettres à la date du 9 juillet
Les Dizains réalistes paraissent chez l'éditeur Richard Lesclide, en un joli cahier long, sur papier jaune. Cinquante dizains, huit ou dix poètes. Une rangée de petits flacons ingénieusement
ciselés, qui contiennent chacun une liqueur différente. Plusieurs de ces dizains sont fort jolis, mais je n'en connais pas de mieux réussi, comme parodie juste et aimable, que celui-ci :
Je la voyais souvent au bureau d'omnibus
à l'heure de l'absinthe, après tous les bocks bus,
quand je rentrais troublé, fiévreux de la journée.
Et c'était un repos pour mon âme fanée
de rencontrer parfois cet ange en waterproof.
Sa forme jeune et pure, ignorante du pouf,
ses tresses sans chignon, son front sans maquillage,
et les réalités chastes de son corsage
m'ont fait rêver, portant le bouquet nuptial,
à la vierge qui lit mon nom dans un journal.
Cette petite pièce, qui est de Mme Nina de Villard, ne manquera pas de plaire à tout le monde et François Coppée en sourira le premier. D'autres dizains encore sont amusants, {100} ceux, entre autres, de MM. Jean Richepin, Charles Cros, Germain Nouveau. On nous permettra de regretter pourtant que, parmi ces pastiches d'une forme inventée par l'auteur du Luthier de Crémone, se soient, là et là, glissées quelques amertumes inutiles. Il nous semble que M. Maurice Rollinat un poète de talent eût mieux fait de ne pas dépasser les limites de la parodie courtoise, et qu'il est certaines choses dont il ne faut pas rire, même pour rire.
A la date du surlendemain, sous le même pseudonyme, on ne prévoyait guère alors la Maison de la Vieille (1894) Catulle Mendès publiait le compte rendu, que nous avons eu occasion de reproduire (9), d'une fête chez Mmes Gaillard et Nina de Villard.
Presque aussi rares que les Feuillets parisiens, tirés d'ailleurs à plus grand nombre (10), les Dizains réalistes forment un mince volume in-8 oblong (130+210 mm.) de 54 pages. La couverture et le titre portent
DIXAINS REALISTES
PAR DIVERS AUTEURS
LIBRAIRIE DE L'EAU-FORTE
A PARIS
Le titre mentionne, en outre, l'adresse de l'éditeur, omis sur la couverture Rue Lafayette, 61.
Au verso du titre, faisant face au titre, une eau-forte originale sur chine collé, le « noircisseur de verres pour éclipses sert de frontispice et illustre ce dizain de Charles Cros :
Il a tout fait, tous les métiers. Sa simple vie
se passe loin du bruit, loin des cris de l'envie
et des ambitions vaines du boulevard.
Pour ce jour attendu, qui s'annonce blafard,
les savants ont prédit, avant l'heure où se couche
le soleil, une éclipse. Et sa maîtresse accouche,
apportant un enfant parmi tant de soucis !
Il compte pour dîner sur ses verres noircis.
Carrières de Montmartre, en vos antres de gypse,
abritez le marchand de verres pour éclipse !
Octave Uzanne écrivait dans le Livre au sujet de cette eau-forte :
Le frontispice à l'eau-forte de ces Dizains réalistes, bien que non signé, est dû à l'ingénieuse patte d'artiste de l'auteur du Bilboquet. La composition représente, dans un intense clair-obscur, un « noircisseur de verres pour éclipses » profession In partibus des souterrains montmartrois. Cros a égratigné le cuivre de cette planche comme un maître, avec une sûreté de main, une vivacité de pointe extraordinaire. Je signale cette curieuse estampe aux iconomanes, elle est digne d'être recherchée (99. (…) ).
Au verso du titre, cette justification de tirage :
Cet ouvrage a été tiré à 150 exemplaires numérotés
25 sur papier de Chine.
125 sur papier teinté.
Tandis que couverture, faux-titre et titre orthographient Dixains, le titre de départ porte Dizains. Enfin, en plus de quelques coquilles qui n'ont pas été corrigées, on remarquera, dans le texte composé en italiques, que, nouveauté tolérée aujourd'hui et à laquelle Georges Fourest est demeuré fidèle dans ses rééditions de la Négresse blonde, le premier mot de chaque vers ne comporte que la majuscule ordonnée par la ponctuation.
Les dizains, un par page, sont signés, soit des noms entiers de leurs auteurs, soit le plus souvent d'initiales. Le papier est très légèrement teinté, nullement « jaune », les vergeures très apparentes. Au verso du dernier folio non chiffré, ce colophon
Imprimé
Par Cochet, de Meaux,
EN MARS, AVRIL ET MAI 1876.
{162}
Le verso de la couverture des Dizains parisiens, qui, comme les Etrennes du Parnasse, ne contiennent pas de table, porte l'indication, à leur prix de publication, de quelques ouvrages édités par la Librairie de l'eau-forte. Richard Lesclide, après avoir été, en 1869, l'organisateur de la première épreuve vélocipédique d'endurance sur route, la dirigeait, avant d'être attaché à Victor Hugo comme secrétaire. La traduction du Corbeau, par Stéphane Mallarmé, illustrée de six dessins de Manet, était cotée 25 francs. Il en était de même du poème de Charles Cros, Le Fleuve, enrichi de huit eaux-fortes, de Manet.
On sait les prix atteints aujourd'hui dans les ventes par ces deux ouvrages, quand on la chance de les y rencontrer. A moins de tomber dans les bois et le demi-luxe d'après-guerre, les livres n'ont jamais été un mauvais placement.
*
Les quinze dizains de Charles Cros sont, de beaucoup, les meilleurs du volume. Tous ont pris place, en 1879, chez Tresse, dans la seconde édition du Coffret de santal, sous les titres de « Gagne-Petit, Noceur, Croquis de dos, Songe d'été, Pituite, Résispiscence, Morale, Bénédiction,
Coeur simple, Tableau, Jours d'épreuve, Toute la semaine, Fiat lux, Paysage, Vue sur la cour ».
Alors que Verlaine se dissimulait si mal dans ses imitations, trop lui-même pour arriver à abdiquer, sous le couvert du pastiche, sa personnalité. Cros était si bien entré dans la peau de son modèle que, dans deux de ses dizains au moins, on ne sait au juste, à la longue, si le dernier vers qui résume la pièce et que l'on retient, est un original ou une réplique.
Tout cela vaut bien mieux que d'aller au café ;
Peut-être le bonheur n'est-il que dans les gares.
Communément, on entend attribuer ces deux {103} alexandrins à l'auteur des Humbles. S'il ne les a pas écrits, François Coppée eût pu les écrire, et n'eût point pour cela paru « si ridicule ».
Revus probablement par Charles Cros, les neuf dizains de Nina de Villard ne sont guère inférieurs à ceux de son ami. « Curieuse, passionnée. Nina avait des lettres, le goût de l'art, des aptitudes musicales et faisait mieux que noter c'était, de la part de M. Gustave Kahn, une allusion à son « Testaments » – « dans le style du temps en vagues rythmes de poèmes en prose, quelques impressions passables (12). Elle ne se contentait pas de ses « vagues rythmes ». Ses dizains sont supérieurs à bien d'autres, encore que, parfois, un adjectif malheureux, ou qui sent la cheville, trahisse un peu moins de métier. La « petite rose de mai » ne possédait pas la maîtrise de son amant, mais sa fantaisie convenait à ces fantaisies.
De ces dizains, huit ont été recueillis dans les Feuillets parisiens : « Regrets frileux, le Soir, le Petit marchand, le Fiacre, Octobre, l'Employé, Souhait, Intérieur ». Celui-ci seul n'y a pas pris place :
C'est la boutique des parfums à prix réduits.
La maigre commerçante, habitant un taudis,
mange, dans un bouillon, de noires matelotes
pour économiser de quoi payer ses notes
à la juive qui tient, habile, ce bazar.
Car, c'est le billet pris dans un jeu de hasard,
c'est l'espoir, c'est la porte ouverte à la fortune,
cette poudre de riz Rachel, fard de la brune!
Il faut-bien éblouir, à l'angle d'un trottoir,
le monsieur qui fera débuter quelque soir.
Des neuf poètes qui perpétrèrent cette série de pastiches de Coppée, tous, à une exception près, sont morts Auguste de Châtillon, en 1881; Nina de Villard, en 1884; Charles Cros, en 1888, et son frère Antoine, en 1903; Maurice Rollinat, en 1903; {104} Charles Frémine, en 1906; Germain Nouveau, en 1920 ; Jean Richepin, en 1926. Seul a survécu aux compagnons de sa jeunesse l'ancien questeur du Sénat Gustave Rivet, aimé et estimé de tous, trop lettré, trop étranger aux basses besognes de la politique pour que le suffrage, même restreint, ne l'ait point cassé aux gages. M. Gustave Rivet est connu des lecteurs du Mercure par les souvenirs curieux et émouvants que lui a inspirés la chanson d'« Ay Chiquita », rappelant le douloureux roman de Marie Garcia (13) et d'Arsène Houssaye. J'ai déjà eu occasion de dire que, sous son pseudonyme d'Hector de L'Estraz, M. Gustave Rivet avait collaboré au Chat Noir, qui le comptait parmi ses amis. Il avait également appartenu aux familiers du salon de Nina de Villard.
En cette qualité, il collabora par deux dizains, dont j'ai vainement recherché la reproduction dans Les Luttes et les Trêves (14), aux Dizains réalistes. En voici un :
Près d'une femme à toque, et qui fait de l'esbrouff,
une fillette à l'air honnête en waterproof,
ayant sur ses genoux un grand carton de mode,
et serrée en son coin de peur d'être incommode,
s'en va reporter son. ouvrage au boulevard.
Sa mine est humble et douce. Et dans son bleu regard
je lis que son travail fait vivre son vieux père
qui n'est point décoré, quoiqu'ancien militaire,
quoiqu'ayant rhumatisme, et goutte, et cheveux gris !...
Et de la fière enfant je sens mon cœur épris.
Autre habitué du petit hôtel de la rue des Moines, Jean Richepin commençait à jouir de la bruyante renommée que devait lui valoir la Chanson des gueux la Correctionnelle et l'Académie. Publié à la fin de mai par l'éditeur Georges Decaux et annoncé dans la Bibliographie du 17 juin, le recueil, déjà presque épuisé, avait été saisi le 24, taxé d'« outrages à la morale publique et {105} aux bonnes mœurs Le 12 juillet, on jouait chez Nina un drame en vers du poète; trois jours après, le 15 juillet, la 9e Chambre le condamnait, par défaut, à un mois d'emprisonnement et à 500 francs d'amende.
Sur opposition, le tribunal maintint, le 27 août, son jugement. On ne pouvait rêver tremplin plus élastique ni plus ridicule.
Mais Richepin, lyrique échevelé, n'était pas l'homme des dizains. Sa Chanson des gueux n'en offre pas un exemple. Il s'exécuta cependant et rima ces dix vers qui trahissent surtout le manque d'habitude :
O souvenance, sou retrouvé dans ma bourse!
Ce bandagiste était à côte de la Source ;
sur le panneau de gauche était peint un Vulcain
avec ces quatre vers sortant d'un brodequin
« De mon père indigné, j'ai subi la colère,
« quand du haut de l'0ympe, me jeta sur terre;
« mais si l'orthopédie alors eût existé,
« le reste de mes jours je n'aurais pas boité. »
Et je songe à l'amour où rien ne remédie
Pourquoi le cœur n'a-t-il pas son orthopédie ?
Deux pièces marquent la collaboration du docteur Antoine Cros que, bien plus tard, nous devions rencontrer plus d'une fois chez Mazel, à l'époque du premier Ermitage.
En voici une :
Bien que sa main soit rouge, elle n'est pas sans grâce ;
debout, dans son échoppe étroite, sombre et grasse,
pour symphonie, elle a le chant jusqu'à la nuit
de la pomme de terre en tranche qui burit
dans le liquide noir où son disque se dore.
Sans voir le savetier d'en face qui l'adore,
ni le coiffeur si beau, ni le garçon boucher,
servante du légume ingrat, et sans broncher,
elle en donne souvent avec un air biblique
un grand cornet tout plein au pauvre famélique.
Des dizains de Maurice Rollinat, au nombre de dix, un a été recueilli, avec quelques variantes Dans les Brandes, {106} « La gueule », deux autres dans les Névroses, la « Marchande
d'écrevisses » et le « Maniaque ». Pour le reste, il faut se reporter aux rares Dizains réalistes. On ne perd vraiment pas grand'chose. A lire ces dix vers, on comprend les réserves de la République des lettres. Musicien étrange et pianiste halluciné, Maurice Rollinat pouvait semer la terreur quand, aux Hydropathes ou au Chat Noir, il chantait et jouait les pièces de Baudelaire dont il avait composé la musique et l'accompagnement. Ce poète de l'étrange n'avait rien d'un humoriste :
C'est vrai que dans la rue elle impose à chacun
le charme singulier de son corps blond et brun.
Sa crinière flottante a longueur, envergure
et ténèbre; tout rit dans sa fraîche figure
où sous des sourcils noirs fleurissent des bluets.
Ses oreilles sont deux coquillages fluets.
Elle a des bras comme en ont les filles de fermes
avec des petits doigts fuselés; ses seins fermes
tentent le peintre ardent qui les a copiés.
Mais, hélas ! elle pue horriblement des pieds!
Le pastiche demande une habileté que Rollinat n'a jamais eue; ces dix vers médiocres aboutissent à une grossièreté inutile. Mais voici qui est pis. Cette fois on tombe dans une histoire de commis-voyageurs, bien connue de Bienstock et de Curnonsky ; mais elle détonne dans ce recueil et le dépare :
– O muse incorrigible, où faut-il que tu ailles
La dame au cabas vert bourré de victuailles
suçotait par instants le goulot d'un flacon.
Que diable y buvait-elle ? Or, soudain, le wagon
s'emplit d'ombre! un tunnel! J'agrippai la fiole, ·
et j'aspirai Goût nul! « C'est une babiole,
pensai-je, mais enfin, je Suis fort intrigué. a
Et m'adressant à la dame avec un air gai
Que buvez-vous ? lui dis-je, en frisant ma moustache.
Elle me répondit : « Je ne bois pas! Je crache !
Neuf dizains de Germain Nouveau n'ont pas été recueillis dans les Valentines et n'auraient su prendre place {107} dans les Poèmes d'Humilis. Ernest Delahaye ne fait point même allusion à cette collaboration oubliée. Le prestige de l'inédit est grand. Pour beaucoup, n'ayant pas oublié le bien qu'ici même (1010. Germain Nouveau (…) ) Louis Denise, dont la bonne grâce et la bienveillance étaient extrêmes, avait dit du recueil projeté, la publication fut une déception. Les dizains de Germain Nouveau ne sont point faits pour la dissiper. Un exemple suffira. Jamais, peut-être, le sonnet d'Arvers n'avait subi pareille épreuve :
C'est à la femme à barbe, hélas ! qu'il est allé,
le cœur de ce garçon, coiffeur inconsolé.
Pour elle, il se ruine en savon de Thridace.
Ce lait d'Hébé (que veut-on donc que ça lui fasse ?)
ce vinaigre qu'un sieur Bully vend, l'eau (pardon!)
de Botot (exiger le véritable nom),
n'ont pu mordre sur cette idole de la foire.
Et s'il lui donne un jour la pâte épilatoire
que vous savez, l'Enfant murmurera tout bas
Qu'elle (sic) est donc cette pâte? et ne comprendra pas.
Pas plus que Villiers de l'Isle-Adam, le musicien Cabaner, autre habitué du salon de Nina de Villard, n'a pris part à cet amusement. Le pauvre Auguste de Châtillon, épave du Romantisme, en dépit de sa « Levrette en paletot » meilleur peintre que poète, n'a malheureusement pas gardé ce sage silence. Un dizain rappelle les minutes pénibles où, rue des Moines, accoudé au piano pour y réciter ses vers, le vieillard avait peine à en retrouver les rimes :
Je te rends cet hommage, orgueilleux marronnier ;
émule des lilas, tu leur fais concurrence.
C'est toi l'un des plus beaux de nos arbres de France ;
c'est toi leur précurseur, dans le temps printanier,
pour célébrer le vert de toute la nature,
et l'Hosanna Coeli de toute créature.
Tes fleurs semblent des ifs éclairés a giorno !
Puis, tes fruits hérissés, enviés du jeune âge,
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détachés tour à tour, tombent de ton feuillage,
et font de longs colliers d'un rouge de piano.
Un dizain, très supérieur comme qualité, fait oublier cette pauvreté. Il est de Charles Frémine, poète normand, comme Alfred Poussin et Ch.-Théophile Féret, que n'ont pas oublié les anciens habitués leur nombre va s'éclaircissant de la brasserie Gambrinus, où, rue de Médicis, on le rencontrait, en compagnie de Paul Arène et de Gabriel Vicaire, ou, rue Jacob, de cette brasserie alsacienne dont la patronne, Clarisse, était devenue un peu l'amie de tous ses clients
Nous buvions du Sauterne et nous mangions des huîtres.
Or, le matin entrant comme un casseur de vitres,
elle agrafa sa robe et noua ses cheveux;
puis, ouvrant la fenêtre, elle me dit « Je veux
des fraises! Nous irons les cueillir par les halles ! »
L'Orient arborait ses pourpres automnales,
et les grands quais brumeux étaient bordés de fleurs.
Nous marcliions. J'admirais ses récentes pâleurs
et ses regards fiévreux brillant sous la dentelle
« Entrons donc à la Morgue, en passant » me dit-elle.
Félix Decori devait utiliser plus tard cette finale :
Puis, elle entra candeur très exquise à la Morgue (1111. Chat (…) ).
Ces pastiches, jeux assez innocents, marquent une époque et témoignent de la grande place que tenait alors François Coppée dans la littérature française. Sans doute, comme l'indiquait la République des lettres, il fut le premier à sourire de ces charges rimées. Toutefois, il ne faut pas oublier qu'elles ont quelque chose, je n'oserais dire d'« infâmes, mais d'attristant. Ce que le génie ou le talent pouvaient excuser de la part de Verlaine ou de Charles Cros prêtait à rire, mais pas de Coppée, sous la signature de Châtillon, de Germain Nouveau ou de Rolinat.
{109}
Après quatre-vingt-dix vers où il avait cherché, sans y parvenir, à imiter la manière de son ancien camarade du Parnasse, Verlaine concluait :
x
Endiguons les ruisseaux les prés burent assez.
Bonsoir, lecteur, et vous, lectrice qui pensez
D'ailleurs bien plus à Worth qu'aux sons de ma guimbarde,
Agréez le salut respectueux du barde
Indigne de vos yeux abaissés un instant
Sur ces cent vers que scande un rythme équidistant.
Et vous, protes, n'allez pas rendre encore pire
Qu'il ne l'est ce pastiche infâme d'une lyre
Dûment appréciée entre tous gens de goût,
Par des coquilles trop navrantes. Et c'est tout (1212. Correspondance, (…) )!
Le prote de l'imprimerie Cochet, de Meaux, n'acquiesça malheureusement pas à cette prière.
PIERRE DUFAY.