1944
Août↑
Maurice Ricord, « Jean
Richepin, poète de la mer et de la liberté », Journal des Débats politiques et
littéraires, 17 août 1944, p. 4.
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Chantre des gueux et des truands, Jean Richepin, comme son maître François Villon, était aussi un élégiaque. Paul Bourget, qui fut son ami, nous l’appelait, en le témoignage qu'il lui accordait au jour de sa mort, qu'il était « demeuré assez jeune, assez naïf, au meilleur sens du mot, pour que sa plus secrète ambition fût, il l'a dit un jour : « De faire des chansons qu’apprendront des enfants. » Dernier des Romantiques attardés, avec Jean Aicard, à qui l’unissait une très apparente ressemblance de visage, dans le port d'une chevelure abondante et frisée et d'une barbe non moins amoureusement entretenue, Jean Richepin, qui avait étonné, choqué et blessé les honnêtes gens par sa Chanson des gueux et par les Blasphèmes, ne tarda pas à mettre un frein à sa verve outrancière et ruante. Le disciple primitif qu'il fut de Villon devint surtout celui de Victor Hugo, interprète des simples, et dont il se rapproche souvent par le tapage et l'éclat de sa rhétorique torrentueuse, par l'abondance de ses images voyantes, par la richesse de son verbe sonore. Le poète qui, avec la Ballade du roi des gueux :
Venez à moi, claquepatins,
Loqueteux, joueurs de musettes,
Clampins, loupeurs, voyous, catins,
Et marmousets et marmousettes,
Tas de traine-cul les housettes.
Race d'indépendants fougueux
Je suis du pays dont vous êtes,
Le poète est le Roi des gueux...
ce Richepin-là avait heurté et s'était aliéné une opinion se méfiant des outrances et demeurée fidèle à une tradition bourgeoise, du moins dans les mots. Il ne devrait pas tarder cependant à -prendre le prétexte des litanies catholiques de la Sainte-Vierge pour décrire, dans son beau recueil de la Mer, ces Litanies de la mer, trop longues pour être citées en entier dans le cadre d'un article forcément limité, mais dont les premières strophes sont peut-être bien une proclamation de foi et l'expression d'un art poétique renouvelé à une source plus pure.
Sancta Maria ! Mers, mers saintes, mers bénies,
Mers qui faites la mer, c'est vers vous, vers toi, Mer,
Que veut s'épanouir en riches litanies
Le jardin de mon âme où le blasphème amer
Brûlait hier encor pétales et corolles.
Au livre des chrétiens, j'ai choisi le même air,
Les mêmes oraisons et les mêmes paroles !
Qu'ils exhalent vers la Mère de leur Sauveur.
Pour toi, J'ai déroulé l'or de ces banderoles
Pour toi, du vin dévot J'ai goûté la saveur,
Je me suis enivré de ton bouquet mystique.
Et l'athée a connu l'extase et la ferveur.
O mer, J'ai retrouvé la foi, moi le sceptique,
J'ai retrouvé l'amour, moi le cœur mécréant.
Moi le tueur de Dieux, pour chanter ton cantique.
Et ce sont les six cent douze admirables vers, répartis en strophes en « terza rima », qui s'achèvent sur cette déclaration lumineuse et ardente :
Et chantant de mon mieux en syllabes bénies
Ta grâce et tes fiertés, ta force et tes douceurs.
J'ai répandu mon cœur d'athée en Litanies,
Pour confesser ta foi. Reine des Confesseurs...
Maître du vers et de toutes les gymnastiques de la coupe et de la césure, acrobate du rythme et jongleur de la rime, comme le fut Edmond Rostand, Jean Richepin est assurément l'un des plus compréhensifs de nos poètes de la mer, non de la mer telle qu'elle apparaît du rivage, contemplée de la terre ferme, ce qui est le point de vue du terrien ou du promeneur, mais de la mer ouvrière de vie, et, pourrait-on dire, de la « mer vécue », ce qui est le point de vue du marin. Des marins et des pécheurs, dont il partagea même un temps la rudesse de l'existence courageuse et labo rieuse, il connaît les chansons nostalgiques et les aspirations vers l'infini. Il en sait aussi l'âme pro fonde, qu'il n'a pas seulement ex primée dans ses strophes lyriques et descriptives, mais plus encore peut-être dans sa comédie le Flibustier, jouée pour la première fois à la Comédie-Française le 14 mai 1888. Marie-Anne se plaint de la cruauté de la mer, « la tueuse d'enfants », à son beau-père, Legoëz, dont les quatre fils ont péri par elle, mais qui défend à quiconque de l’« injurier ».
Vois-tu, quoi que fasse la vague
C'est le nom du Seigneur qu'elle chante en passant,
Et quiconque l'insulte insulte un Tout Puissant.
Que par elle on prospère ou bien que l'on pâtisse,
Tout en pleurant ceux-là que prend le gouffre amer,
Ne dis Jamais du mal de Dieu ni de la mer.
De cette mer qui ne peut être injuste dans ses décisions, dont il ne faut ni médire, ni blasphémer le nom, Jean Richepin a été le peintre exact et splendide, éclatant et sincère, dans ses grands recueils lyriques et dans ses pièces de théâtre en vers. Quelle richesse de couleurs et d'étincelles, par exemple, dans son évocation ou, mieux, dans sa fidèle restitution du chalutier revenant de sa quotidienne expédition de pêche. Le chalut remonte, au bout de la drisse et déverse, sur le pont, tout un miroitement, tout un scintille ment de pierres et d'émaux, de splendeurs qui miroitent en fouillis de lumières.
Du plus humble de ces poissons, du maquereau
Le ventre est d'argent clair et nacre opaline.
Et le dos de saphir rayé de tourmaline
Se glace d’émeraude et de rubis changeant...
Et ce turbot, marbré comme une agathe obscure
Et ce merlan qui semble un poignard de mercure...
Et tous sont là, pêle-mêle déversés sur le pont, avec leurs formes et leurs couleurs, minutieuse ment, exactement et splendidement décrits et ranimés dans leurs couleurs et dans les formes auxquelles leur poète, ami des Parnassiens, fut toujours très sensible. Epigone du romantisme, a dit encore de lui Paul Bourget, Jean Richepin, jusque dans ses poèmes les plus truculents, apparaît com me un humaniste que son art, sa clarté, l'ordonnance de sa composition et son jugement infaillible de la valeur des mots, apparentent à nos classiques. Cet ancien normalien était demeuré fidèle à sa formation initiale dont il ne gaspilla jamais le bénéfice. Et son ancien maître Gaston Boissier lui donna sa voix en 1908, à l'Académie française, en souvenir de l'excellence de ses versions grecques. Au sens le plus strict à la fois et le plus large du terme et de la notion qu'il exprime, combien de ses strophes sont classiques ! Cet exubérant et ce révolté contre les règles et les contraintes, ce truculent, mais ce sensible, ce dédaigneux des conventions sociales, ce fanfaron d'impiété, a dit de lui M. René Dumesnil, qui développa jusqu'au cynisme certains thèmes baudelairiens, s'apparente bien à Villon par son mépris des lois. Il n'eut sans doute de réelle et sincère admiration, de sympathie profonde aussi que pour ce qui représentait à ses yeux la plus large et la plus totale expression de la liberté : la mer et le chemineau. Son drame, le Chemineau, et son recueil, la Mer, ne sont que deux hymnes à ce qui est libre et sans contrainte. Ce poète qui a défié les dieux, paradé pour la galerie et blasphémé pour « épater le bourgeois », fut la victime de sa trop grande facilité verbale et d'un orgueil un peu puéril qui le conduisit souvent à une attitude de bravade. Lemaître le voyait toujours un peu rhétoricien. C'est vrai. Mais il fut un rhétoricien soucieux d'une philosophie, sans profondeur peut-être, ayant exprimé, notamment dans sa Plainte du bois, un idéal, un infini besoin de grandeur et d'évasion, un désir de pureté sur les sommets aérés, et sa foi dans l'éternité de la Beauté. Il y a chez lui, dans cette recherche de la beauté, dans cette aspiration à la belle harmonie du vers et de la strophe, comme une leçon de morale. Cet effort vers le Beau est un grand mérite. Le poème de la Plainte du bois, en même temps qu'il est une exaltation de la nature incarnée dans un arbre, « être vivant », est aussi, exprimé en une forme d'un lyrisme intense, le poème d'une âme souffrante et sans cesse aspirant à la souveraine perfection. Il traduit le désir éperdu d'une ascension sans fin, d'une montée constante vers le firmament, vers l'azur, vers ce qui est infini et parfait. Il est le dernier cri du romantisme...
Maurice RICORD