Corpus de textes du Laslar

1949

Février

Pillet, « Jean Richepin » La Gazette provençale, 24 février 1949, p 2.

Ce document est extrait du site RetroNews.

Le 4 février 1849, il y a donc cent ans, par le hasard d'une vie de garnison, son père originaire du village d'Ohis en Thierrache, était alors médecin militaire dans la petite ville algérienne Jean Richepin naissait à Médéa.

Tout jeune l’enfant fit preuve d’une grande vitalité et annonçait un tempérament exubérant. Son père rêvait de le voir un jour, c’était de tradition dans la famille, coiffer sa chevelure ébouriffée du bonnet carré. Mais l’élève bien qu'il se révéla intelligent et studieux ne manifesta aucune inclination pour la science d’Hippocrate et sur le conseil d'un vieux professeur, il prépara l’Ecole Normale supérieure, il y entra brillamment et s’y montra excellent élève. Mais son caractère indocile, ne se pliait pas faiblement au règlement. Il le dira lui-même plus tard : « C’est à mon passage dans l'établissement de la rue d’Ulm que j’ai appris à mépriser les lois. » il n’y demeura que deux années. La guerre de 1870 venait d’éclater. Jean Richepin s’enrôla comme franc-tireur et combattit dans l’armée de l’Est

Après la signature de la paix, il vint à Paris où il vécut obscur pendant plusieurs années. Mi-journaliste mi-professeur, il n’avait seulement alors pour tout bagage littéraire à son actif, qu’une plaquette qu’il avait publiée sur « Jules Vallès » et les « Etapes d’un Réfractaire », parues en 1872.

Dès qu’il eut ramassé quelque argent il partit pour Londres. Dans la grande ville, enchanté il se mêle au peuple des vagabonds et des mendiants. Il écoute, il voit il emmagasine des observations. Autant de matériaux qui lui serviront pour es œuvres qu’il médite d’écrire. Il fait même le métier de débardeur ; il s’engage sur un bateau en partance. Il navigue sur les océans. Il enrichit son cerveau d’impressions qu’il saura utiliser. Mais ce sont les grands chemins les hasards des rencontres les bouges mal famés, qui l’attirent et qu’il chantera en vers truculents qui établiront sa renommée

Tout à coup, en 1876, paraît la « Chansons des Gueux » qui fut jugée d’une rare audace mais dénotant de même un certain talent poétique. Son auteur eut alors la même gloire que Gustave Flaubert et Charles Baudelaire celle d'être condamné par un tribunal d'illettrés. Certes, dans ce livre Richepin était étrange de ton et d’allure il apparaissait comme un gueux qui « au travers de son manteau gris de poussière laisserait voir avec un juste orgueil sa peau cuivrée et sa virile jeunesse. » Ecoutez-le : 

« Et quand il dort le noir vagabond le maroufle
Aux souliers éculés, aux haillons dégoûtants,
Comme une mère émue et qui retient son souffle,
La Nature se tait pour qu’il dorme longtemps. »

Après avoir été le rauque et énergique chanteur de la « Chanson des Gueux » Richepin devint le fougeux amant des « Caresses » :

« Tant que je n’ai pas vu vos regards adoucis,
Mon cœur est un jardin tout planté de soucis. »

Puis c’est encore le contempteur téméraire qui, en 1884, jeta à la Divinité ses « Blasphèmes » :

« Eau, sel soude, mica et phosphate de chaux,
Ô larmes ! Diamants du cœur laissez-moi rire. »

Ces vers, certaines vieilles dames qui avaient versé probablement quelques pleurs secrets dans leur jeunesse ne les lui pardonnèrent jamais.

Mais avec la merveilleuse mobilité qui le caractérise, Richepin sait se montrer aussi le dévot incantateur de la « Mer » (1886) :

« Quand la mer est douce aux régates
On n’y voit que les goélands,
…………………………….
Mais il faut l’orange aux élans
Des albatros et des frégates. »

Avec la même audace peut être un peu voulue, mais aussi avec une égale souplesse lyrique Richepin débuta au théâtre avec Nana-Sahib », dont la singulière exubérance étonne. Puis il donne deux autres pèces : « Monsieur Scapin » et « Les Flibustiers », qui sont dans une note plus douce. Enfin, on connaît son « Chemineau » :

« Je pense aux blés coupés, qui ne sont point les nôtres
Et dont les épis mûrs font du pain pour les autres. »

Quel que soit le jugement qui puisse être porté sur Jean Richepin le poète qui a su prendre dans sa génération la place qu’il a occupée, peut dire qu’il ne l’a pas due seulement à sa seule facilité. Une puissante originalité dont on peut regretter qu’il a recherché à trop faire saillir les angles, l’a désigné à l’attention de tous les amis de la poésie. Dans la prose Jean Richepin a apporté la force de la sensation et l’éclat du style qui marquent ses œuvres poétiques.

Parmi ses nombreux romans, il faut distinguer principalement : « Madame André », « La Glu », « Les Morts bizarres », (ce dernier écrit pendant qu’il était emprisonné à Sainte-Pélagie), « Miarka la fille à l’Ours », « Braves gens » etc. En 1888, dans « Césarine », il introduit plusieurs épisodes de l’année sanglante.

Par un processus qui ne lui est point exclusif Richepin, peu à peu, en prenant des ans, s’assagit et s’ingénie à séduire cette vieille dame qu’est l’Académie, laquelle lui ouvre ses portes en 1908 et l’admet dans son intimité. Dans son discours de réception le nouvel académicien parrira de sa vie passée mais seulement pour en rappeler les anecdotes les plus saillantes, celles qui l’avaient désigné à l’attention des jeunes étudiants qui le portaient en triomphe à chaque occasion. Ses amis d’alors étaient surtout Maurice Boucher, Raoul Ponchon et Paul Bourget. Mais bien qu’ils se fussent jurés tous quatre de rester toujours éternellement unis, les hasards de la vie les séparèrent et chacun d’eux suivit son chemin dans la voie choisie par leur destin.

Devenu un « gueux arrivé », Richepin voulut tâter de la politique et, contrairement à ce que l’on aurait pu penser étant donné son caractère frondeur il ne milita point dans un de ces partis dits « d’avant-garde ». Ce fut même tout le contraire. Le « vagabond » d’antan flirta plutôt avec le « noble faubourg ». D’ailleurs cette période de la vie du poète n’est point celle qui fut la plus brillante pour lui et s’il n’avait que son passage sur le forum à son actif, il y aurait sombré dans l’oubli. Mais heureusement pour lui, son œuvre littéraire originale puissante lui reste et ce n’est que sur elle que la postérité se basera pour le juger.

Jean Richepin fut avec Edmond Rostand un des derniers rayons de cette école romantique qui jeta un si vif éclat sur les lettres françaises avec Alphonse de Lamartine, Victor Hugo, Alfred de Musset, Alfred de Vigny, Théophile Gautier, et tant d’autres encore dont les noms restent célèbres.

Il n’y a que quelques mois à peine à propos du centenaire de sa mort nous rappelions le souvenir de Châteaubriand qui fut, en quelque sorte, le père du romantisme ; il est naturel qu’aujourd’hui pour celui de sa naissance nous accordions une pensée à la mémoire de Richepin qui en fut, lui, l’ultime survivant.